LA FIÈVRE Q, UNE ZOONOSE ENCORE MAL CONNUE EN ÉLEVAGE - Le Point Vétérinaire n° 429 du 01/05/2022
Le Point Vétérinaire n° 429 du 01/05/2022

PAROLES D’EXPERT

Article original

Auteur(s) : Céline Gaillard-Lardy

Fonctions : Le Point Vétérinaire
11-15 quai de Dion Bouton
92800 Puteaux

Deux membres du Comité fièvre Q ont accepté de répondre à nos questions sur cette maladie qui sévit en élevage.

La fièvre Q est une maladie qui circule à bas bruit dans les élevages de ruminants. Cette zoonose, qui se manifeste par des avortements, voire des troubles de la reproduction, est assez mal connue de l’ensemble des acteurs de l’élevage, à différents niveaux, comme le révèle une enquête de perception récente. Afin de mettre en commun les compétences et les expertises des différentes parties prenantes, le Comité fièvre Q, présidé par Christophe Brard, praticien et président des Groupements techniques vétérinaires (GTV), et Raphaël Guatteo, professeur à Oniris (Nantes), contribue à la mise en commun des connaissances sur cette maladie, notamment via la création d’un site internet destiné aux professionnels, éleveurs, vétérinaires et médecins (https://comitefievreq.com). Deux membres de ce comité, nos consœurs Kristel Gache, épidémiologiste et codirectrice des Groupements de défense sanitaire (GDS France), et Renée de Crémoux, chef de projet recherche & développement du département qualité des produits, bienêtre et santé à l’Institut de l’élevage, ont accepté de répondre à nos questions.

Point vétérinaire : Un site consacré à la fièvre Q a été créé il y a plusieurs semaines. Pourquoi est-il encore nécessaire de communiquer autour de cette maladie ?

Kristel Gache : De nombreuses initiatives ont déjà été mises en place pour sensibiliser les différents acteurs à la fièvre Q. Pourtant, malgré cela, il existe toujours un défaut de sensibilisation et de connaissances chez tous les acteurs, qu’ils soient médecins, vétérinaires ou éleveurs. Nous avons donc ressenti le besoin d’aller plus loin dans le partage de connaissance et l’accès à des recommandations concertées, d’où la création de ce comité. Il n’a pas vocation à constituer de nouvelles connaissances, mais plutôt à mettre en forme celles que nous possédons déjà et à en faciliter l’accès à tous. Nous avons ainsi créé des fiches à destination des éleveurs ou des vétérinaires, regroupées sur un même site internet.

Renée de Crémoux : L’idée, c’est aussi de grouper dans un même endroit un ensemble d’informations actualisées et fiables. En effet, en pratique, on se rend compte que certains messages obsolètes circulent sur la fièvre Q. Ainsi, depuis une dizaine d’années, on sait que la pasteurisation du lait n’est pas nécessaire en cas de fièvre Q, pourtant éleveurs et conseillers continuent de se poser la question et sont tentés de penser que le lait n’est pas utilisable pour la consommation ou la transformation. D’un autre côté, ils ignorent souvent le mode de contamination, presque exclusivement aérien (encadré). Ce n’est pas forcément par méconnaissance de la maladie, mais plutôt en raison de la difficulté à prendre en compte les évolutions réglementaires et celles des connaissances, qui permettraient de hiérarchiser les mesures à mettre en place en élevage. Il existe ainsi un décalage entre les informations qui continuent de circu ler et les connaissances nécessaires aux différents acteurs, notamment concernant l’aspect zoonotique et les voies de transmission, pour mettre en place des solutions efficaces.

Pourquoi cette méconnaissance d’une maladie pourtant courante en élevage ?

K. G. : C’est effectivement une maladie très fréquente en élevage. Mais les acteurs doivent s’approprier les évolutions réglementaires, tout cela prend du temps. La sensibilisation est un travail de tous les jours, il faut trouver les canaux de communication les plus performants, et nous espérons améliorer l’accès aux informations via ce comité.

R. de C. : Il existe de grandes différences en termes de perception des risques – ce qu’a d’ailleurs bien montré notre étude de perception menée auprès de médecins, de vétérinaires et d’éleveurs – en fonction de différents facteurs, par exemple le fait d’avoir déjà été confronté à cette maladie, personnellement ou via son entourage (encadré) [3]. Les différences de perception peuvent se jouer à plusieurs niveaux : la fièvre Q est une zoonose, et les coxielles se retrouvent dans le lait, cela suscite donc légitimement des questions.

Avez-vous une idée de la prévalence de la fièvre Q en élevage ?

K. G. : En 2015, une enquête de séroprévalence a été effectuée dans dix départements dans des élevages tirés au sort. Les résultats de cette enquête ont confirmé que cette maladie circulait largement dans les troupeaux de ruminants (tableau) [1]. Nous bénéficions également, depuis 2017, d’un dispositif de surveillance des avortements, l’Observatoire et suivi des causes d’avortements chez les ruminants (Oscar), qui concerne une vingtaine de départements. Il nous permet d’évaluer la proportion d’avortements imputables à la fièvre Q : 9,6 % d’avortements reliés à la maladie chez les bovins, 19 % chez les ovins et 27,3 % chez les caprins [2]. Même si ces résultats ne peuvent pas être extrapolables à la France entière, cela donne une idée de la situation. En croisant toutes ces données, nous voyons que cette maladie circule assez largement, dans les élevages de bovins et encore un peu plus dans ceux de petits ruminants.

Les mesures de biosécurité sont-elles suffisantes en prévention ?

R. de C. : Le problème est complexe. Cette maladie se transmet quasi exclusivement par voie aérienne, la biosécurité interne à l’élevage ne suffit donc pas pour se prémunir contre toute nouvelle introduction de l’agent pathogène. Cela dépend également du contexte épidémiologique, de la densité et des relations de contact entre les élevages. Tout cela crée un flou sur la nature des mesures à prendre, leur hiérarchisation et leur mise en œuvre. Parce qu’il y a beaucoup de facteurs à prendre en compte, il est difficile de s’approprier le sujet, de savoir ce qu’il faut faire et comment. À cela s’ajoute la diversité des acteurs en élevage, notamment en production de petits ruminants où la présence des vétérinaires est très variable. Ainsi, dans certaines régions, où le maillage vétérinaire rural est faible, les éleveurs ou les conseillers ont probablement moins facilement accès à l’information.

K. G. : De plus, les mesures de biosécurité valables pour la prévention de la fièvre Q le sont aussi pour d’autres maladies abortives. Pour être audible pour l’éleveur, la prévention de la fièvre Q doit donc être menée en cohérence avec celle d’autres maladies susceptibles de toucher les élevages.

Qu’est-ce qui doit alerter le vétérinaire concernant la fièvre Q en élevage ?

R. de C. : La première entrée en matière, ce sont les séries d’avortements en fin de gestation. C’est un point commun chez toutes les espèces de ruminants, bien que les situations diffèrent selon le type d’animaux. Une mortinatalité inhabituelle et des nouveau-nés chétifs s’ajoutent au tableau clinique. Chez les petits ruminants, ce sont d’ailleurs souvent les seuls signes d’alerte. En effet, il y a peu de travaux et de suivis visant à évaluer les conséquences à long terme de la fièvre Q sur la reproduction et la fertilité des ovins et des caprins. Chez les bovins, le panel de symptômes peut être plus large, mais ces signes doivent toujours être contextualisés et les autres causes possibles investiguées. Par exemple, en cas de troubles de la fertilité, la fièvre Q n’est envisagée que lorsque d’autres causes n’ont pas été mises en évidence. Il en va de même pour les endométrites, pour lesquelles la fièvre Q n’est suspectée que lorsque leur fréquence est anormalement élevée et qu’elles sont réfractaires aux traitements classiques.

Quelle est alors la conduite à tenir lorsque la fièvre Q est suspectée pour des troubles non abortifs ?

K. G. : Lorsque la fièvre Q est suspectée dans un contexte de troubles de la fertilité, il n’est pas facile d’émettre des recommandations, un faisceau de présomptions amenant généralement à cette hypothèse. Des analyses peuvent être réalisées chez les femelles présentant ces troubles, afin d’estimer leur statut sérologique. Elles sont généralement couplées à d’autres analyses bactériologiques, effectuées sur le lait ou l’environnement. Les résultats doivent alors être interprétés par le vétérinaire afin d’évaluer la circulation active de la fièvre Q et de la relier au tableau clinique, parfois fruste, observé chez les animaux.

Quelles sont les mesures de prévention à mettre en place, hors vaccination ?

K. G. : Il s’agit de toutes les mesures non médicales que l’on peut regrouper sous le terme de biosécurité. Elles permettent de se protéger d’un certain nombre de maladies, dont la fièvre Q. Plus spécifiquement, concernant cette dernière, il faut insister sur la gestion des mises bas et celle des effluents, puisque cette maladie est transmise quasi exclusivement par voie aérienne. Tout ce qui peut favoriser la mise en suspension des poussières est donc à éviter.

R. de C. : Il est également nécessaire d’être vigilant au moment des introductions, de l’agrandissement du troupeau et de l’achat d’animaux, en particulier lors de provenances multiples.

La vaccination est-elle la solution à adopter pour limiter la circulation ?

K. G. : Il faut d’abord estimer le rapport coût/bénéfice. La vaccination est toujours plus efficace en prévention que lorsque la maladie est installée. En revanche, pour les élevages qui offrent un accès au public, soit pour des raisons pédagogiques, soit en présence de locaux de vente directe, la vaccination à titre préventif est fortement recommandée, pour prévenir toute contamination humaine. Dans toutes les autres situations, c’est à décider au cas par cas. Le dialogue entre l’éleveur et son vétérinaire prend alors tout son sens, afin d’évaluer le rapport coût/bénéfice de la mise en place d’une vaccination, selon l’effectif, la situation épidémiologique, etc.

R. de C. : D’où la nécessité d’avoir une idée de ce qui circule dans les élevages confrontés à des avortements et de connaître globalement le contexte épidémiologique ! Il faut également prendre en compte la densité d’élevages, voire la situation géographique (existence de barrières naturelles, orientation des vents), mais aussi à titre individuel, les entrées et sorties du troupeau, la proximité d’autres établissements, etc. La question ne se pose effectivement plus dès lors qu’il y a un contact avec le public. Dans ce cas, il faut aussi sensibiliser les éleveurs sur le risque accru en période de mise bas, le contact des visiteurs avec des nouveau-nés ou des femelles gravides est alors à déconseiller (photo). Pour les autres exploitations, nous avons toujours tenté de hiérarchiser les mesures en élevage, car la vaccination représente un coût important, dans la durée, qui ne se justifie pas toujours. Il y a donc une réflexion globale à mener.

Comment se manifeste la fièvre Q chez l’humain ? Est-elle fréquente ? Y a-t-il un portage long ?

K. G. : Chez l’humain, après une incubation de deux à trois semaines, 60 % des personnes atteintes sont asymptomatiques. Lorsqu’il y a une expression clinique, elle prend majoritairement la forme d’un syndrome grippal. Cette maladie n’est pourtant pas anodine : dans 4 % des cas, les patients nécessitent une hospitalisation et 2 % des cas évoluent vers une forme chronique. Chaque année, environ 200 cas humains sont recensés. Ainsi, la fièvre Q est probablement sous-diagnostiquée aussi chez l’humain. Elle l’est même probablement encore plus ces deux dernières années avec la pandémie de Covid-19, les signes cliniques étant assez proches. Notre étude de perception montre d’ailleurs que les médecins en zone rurale ne sont pas très bien informés sur cette maladie (encadré). Les formes graves concernent généralement des personnes présentant des affections cardiaques, notamment des valvulopathies. Elles peuvent alors nécessiter une hospitalisation et/ou un traitement antibiotique au long cours. Pour ces patients, une vraie prise en charge, fondée sur un diagnostic rapide, est donc primordiale.

R. de C. : On ignore si les personnes infectées restent porteuses longtemps, mais il existe également des formes chroniques, qui se manifestent par exemple par une fatigue persistante.

Faut-il déclarer la fièvre Q, lorsqu’elle est avérée en élevage ?

K. G. : La fièvre Q est une maladie de la catégorie E de la loi de santé animale, ce qui impose aux États membres de remonter tous les cas confirmés dont ils ont connaissance à la Commission européenne. Des réflexions sont en cours avec la Direction générale de l’alimentation (DGAL) et avec l’appui du groupe de suivi de la fièvre Q de la plateforme nationale d’épidémiosurveillance en santé animale (ESA), pour définir précisément les cas suspects et les cas confirmés en matière de fièvre Q.

Quelles sont alors les mesures à prendre en élevage ?

R. de C. : Là encore, ce sont essentiellement des mesures de biosécurité. Les traitements antibiotiques disponibles en élevage ne permettent pas d’éliminer la bactérie. Les mesures reposent donc sur l’isolement des animaux malades, et sur un renforcement de l’hygiène au moment des mises bas. Chez les bovins, la présence d’un box de vêlage ainsi que sa fréquence de nettoyage et de désinfection sont également des points clés. Chez les petits ruminants, les éleveurs sont généralement confrontés à des séries abortives, les mises bas étant groupées. L’isolement individuel est difficile à mettre en place. Il faut alors organiser les parcs, renouveler la litière, enlever les placentas et les avortons. Cela rejoint donc des mesures globales de gestion autour des mises bas et des avortements, les principales lignes directrices sont les mêmes et incluent ensuite la gestion des effluents.

Quel message souhaitez-vous transmettre aux vétérinaires ?

K. G. : Je leur conseillerai de parler de cette maladie avec chaque éleveur, d’amorcer le dialogue pour bien comprendre la situation : reçoit-il occasionnellement du public, comment organise-t-il les flux de personnes ? Il est nécessaire de réaliser un bilan personnalisé pour discuter autour de cette maladie, vérifier si les mesures de biosécurité sont bien mises en place, chercher les points à améliorer et éventuellement aborder le sujet de la vaccination.

R. de C. : Je pense qu’il ne faut pas se limiter à la fièvre Q, même si c’est un exemple important, mais dans un élevage, il est nécessaire de voir les choses de manière plus transversale. Il y a toute une réflexion à mener avec les éleveurs autour des mises bas, afin de gérer au mieux cette période compliquée, surtout chez les petits ruminants pour lesquels les mises bas groupées entraînent un surplus de travail et multiplient les gestes à accomplir, à un moment où la densité dans les bâtiments est relativement élevée. En termes d’organisation du travail, de soins, de repérage et de gestion des animaux malades, c’est donc une période complexe. Une sensibilisation globale est nécessaire autour de toutes les maladies abortives, qui sont, pour plusieurs d’entre elles, zoonotiques.

Références

  • 1. Plateforme ESA. Dispositif pilote fièvre Q. Bilan de la surveillance événementielle et de l’enquête sérologique (août 2012-août 2015). 2016:25p.
  • 2. Plateforme ESA. Observatoire et suivi des causes d’avortements chez les ruminants. Bilan 2021. 2022:28p.
  • 3. Viavoice. Perceptions des éleveurs et des professionnels de santé animale et humaine sur la fièvre Q. Synthèse des résultats de l’enquête Viavoice pour le comité fièvre Q. https://www.comitefievreq.com/content/download/1659/23748?version=1

Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré : PERCEPTION DE LA FIÈVRE Q CHEZ LES ACTEURS

L’enquête Viavoice, menée en 2020 auprès de 375 éleveurs d’ovins, de caprins et de bovins, de 100 vétérinaires et de 100 médecins, révèle une méconnaissance générale de la fièvre Q. Si la majorité des éleveurs (65 %) identifient bien la maladie comme une zoonose, seuls 57 % connaissent l’existence d’un vaccin et moins d’un sur deux identifie les avortements comme un signe de fièvre Q. Cette enquête met également en évidence une méconnaissance du mode de transmission par voie aérienne (80 % des éleveurs) et du risque encouru pour eux-mêmes.

Les vétérinaires, de leur côté, sont conscients pour la moitié d’entre eux du manque de connaissance des éleveurs sur le sujet. En revanche, si les praticiens identifient bien les avortements comme des signes de fièvre Q, peu d’entre eux connaissent l’impact de la maladie en matière de troubles de la reproduction en élevage bovin. De plus, très peu de vétérinaires recommandent une vaccination préventive, même dans les élevages accueillant du public. La vaccination est plus facilement conseillée en cas de maladie déclarée.

Parmi les médecins qui exercent en zone rurale, un quart d’entre eux seulement affirment avoir déjà été confrontés à la maladie. Pour autant, ils ont une mauvaise connaissance des cas humains groupés de fièvre Q survenus ces dernières années et connaissent mal les mesures de protection des personnes à adopter en élevage.

Enfin, cette enquête révèle aussi une mauvaise communication entre les deux professions, puisque seuls 25 % des médecins penseraient à avertir le vétérinaire en cas de suspicion de fièvre Q dans un troupeau.

D’après [3].

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