CARDIOLOGIE
Dossier
Auteur(s) : Pr Valérie Chetboul
Fonctions : (dipl. ECVIM-CA cardiology, PhD, HDR)
Chef de l’unité de cardiologie d’Alfort (UCA), ENVA, Chuva-Ac
7 avenue du Général de Gaulle – 94700 Maisons-Alfort
Université Paris-Est-Créteil, Inserm, IMRB
8 rue du Général Sarrail – 94010 Créteil
Le monde a été sidéré par la gravité et la grande variété des atteintes consécutives à l’infection au Sars-CoV-2, un phénomène inédit chez l’Homme pour un coronavirus. Logiquement, certains animaux domestiques ont contracté ce virus, sans expression clinique, sauf chez quelques chats et chiens.
L’infection au Sars-CoV-2 (ou severe acute respiratory syndrome coronavirus 2), à l’origine de pneumopathies très contagieuses et potentiellement mortelles, a émergé chez l’Homme dans la ville de Wuhan en Chine en décembre 2019 [44]. L’infection par ce coronavirus, encore appelée maladie à coronavirus 2019 (ou Covid-19), est déclarée pandémie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 11 mars 2020. Bien que l’expression clinique de la Covid-19 soit majoritairement respiratoire, les complications cardiaques directement et indirectement induites par le virus sont bien rapportées chez l’Homme, et sont même démontrées comme associées à une augmentation de la mortalité [2, 5, 6, 15, 24, 29, 32, 36, 39, 41]. Depuis la première description en février 2020 d’un chien infecté par le Sars-CoV-2 à Hong Kong, de nombreux cas de carnivores domestiques infectés par le Sars-CoV-2 ont été décrits, essentiellement des chats, mais également des chiens et des furets [3, 4, 18, 19-22, 25, 33, 35, 37, 40]. Ces infections peuvent, comme chez l’Homme, ne pas avoir de traduction clinique ou, à l’inverse, être à l’origine de signes cliniques divers, notamment cardiaques [9, 13, 16].
Cet article se propose de faire le point sur les manifestations cardiovasculaires liées au Sars-CoV-2 chez l’Homme et chez les carnivores domestiques. Bien que les données soient peu nombreuses chez ces derniers, quelques cas ont été récemment rapportés.
Le système rénine-angiotensine-aldostérone est un système endocrinien qui joue un rôle clé dans la régulation de l’homéostasie hydrosodée, de la vasomotricité et, par là même, de la pression artérielle [1, 31]. Il participe également au remodelage tissulaire du système cardiovasculaire (figure 1). De façon sous l’effet de différents stimuli, la rénine synthétisée par les cellules myoépithélioïdes de l’artériole afférente du glomérule rénal permet la transformation d’angiotensinogène en angiotensine I, convertie en angiotensine II par l’enzyme de conversion de l’angiotensine, encore dénommée ACE1 (pour angiotensin converting enzyme 1). L’angiotensine II agit sur ses cellules cibles en se fixant sur deux types de récepteurs, AT1 et AT2, ce dernier étant majoritairement impliqué dans l’embryogenèse. Les différents effets de l’angiotensine II médiés par le récepteur AT1 incluent la vasoconstriction, la stimulation de la sécrétion d’aldostérone et celle de vasopressine. S’y ajoute une action pro-inflammatoire, profibrotique et même prothrombotique. Une autre enzyme de conversion de l’angiotensine, dénommée ACE2 (pour angiotensin converting enzyme 2), présente dans l’organisme sous la forme soluble ou transmembranaire, a été découverte dans les années 2000 [17]. ACE2 possède une grande affinité pour l’angiotensine II qu’elle clive en angiotensine (1-7) dont les effets, médiés par le récepteur proto-oncogène Mas1, sont opposés à ceux de l’angiotensine II [11]. L’angiotensine (1-7) est ainsi considérée comme cardioprotectrice. L’autre effet d’ACE2, moindre, est de cliver l’angiotensine I en angiotensine (1-9), qui est ensuite convertie en angiotensine (1-7) par ACE1.
En simplifiant, le système rénine-angiotensine-aldostérone est ainsi composé de deux voies de signalisation opposées : la voie classique “angiotensine II/AT1/aldostérone” et la voie découverte plus tardivement “angiotensine (1-7)/ACE2/Mas1”.
L’interaction entre le Sars-CoV-2 et le système rénine-angiotensine-aldostérone est liée au fait que la porte d’entrée du virus dans les cellules de l’organisme est l’enzyme ACE2 (figure 2) [1]. En effet, le Sars-CoV-2 pénètre les cellules qu’il infecte en se fixant sur ACE2, qui est ainsi le récepteur membranaire du Sars-CoV-2 doté d’une grande affinité pour la protéine Spike (S) du virus. Le récepteur ACE2 est exprimé dans diverses cellules, dont les cellules épithéliales des voies respiratoires (notamment les pneumocytes de type 2 qui produisent le surfactant), le myocarde, les cellules endothéliales veineuses et artérielles, les reins, le foie, la cavité buccale, l’intestin et également le tissu adipeux, ce qui explique la diversité de l’expression clinique de la Covid-19, les manifestations respiratoires étant prédominantes [7, 14, 43]. La fixation du Sars-CoV-2 sur le récepteur ACE2 puis son internalisation dans la cellule hôte seraient à l’origine d’une diminution de l’expression membranaire et de l’activité d’ACE2, d’où un déséquilibre entre la voie de signalisation de l’angiotensine II (angiotensine II/AT1/aldostérone) et celle de l’angiotensine (1-7) (angiotensine (1-7)/ACE2/ Mas1) en faveur de la première, ce qui concourt à l’aggravation des lésions organiques associées à la Covid-19. L’angiotensine II produite en surabondance serait responsable d’un excès d’activation des récepteurs AT1, participant ainsi à aggraver les lésions pulmonaires secondaires au Sars-CoV-2 en favorisant les complications de fibrose, en augmentant la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires et en exerçant un effet prothrombotique. Elle contribuerait, de même, aux lésions de myocardite dont la pathogénie semble néanmoins multifactorielle (voir plus loin). Ce déséquilibre entre l’angiotensine II et l’angiotensine (1-7) expliquerait également la fréquence de l’hypokaliémie dans les formes graves de la Covid-19, à relier à une synthèse accrue d’aldostérone [12].
Chez l’Homme, les complications cardiovasculaires associées à la Covid-19 sont fréquentes. Les lésions myocardiques, à l’origine d’une élévation de la troponinémie, sont ainsi rapportées chez plus d’un tiers des patients hospitalisés, ces derniers étant la plupart du temps âgés et atteints d’hypertension artérielle systémique, d’insuffisance cardiaque ou de coronaropathies [6, 27, 32, 36, 39]. Les mécanismes physiopathologiques à l’origine des complications cardiovasculaires de la Covid-19 sont variés. Le Sars-CoV-2 peut ainsi être à l’origine de myocardites aiguës qui s’expliquent en partie par l’invasion directe du myocarde par le virus (via le récepteur ACE2). Cela a pu être démontré par la mise en évidence d’ARN viral au sein du tissu myocardique de patients atteints de la Covid-19 [6]. Néanmoins, cette action directe du virus ne semble pas prédominante [5, 6, 32, 41] : interviendrait en effet le déséquilibre précité du système rénine-angiotensine-aldostérone induit par le virus, avec une diminution de l’axe cardioprotecteur angiotensine (1-7)/ACE2/Mas1, combiné à une réaction immunitaire parfois intense, à l’origine d’un syndrome d’hyperinflammation avec relargage secondaire de cytokines par les lymphocytes T et les monocytes.
Les autres atteintes cardiovasculaires associées à la Covid-19 incluent [5, 10, 26] :
– des syndromes coronariens aigus (la vasoconstriction, l’inflammation aiguë, l’activation plaquettaire et la dysfonction endothéliale participant à la rupture de plaques athérosclérotiques). L’hypoxie myocardique secondaire aux troubles respiratoires, la fièvre, les tachyarythmies et le sepsis contribuent, de surcroît, à l’ischémie myocardique en entraînant un déséquilibre entre les apports et les besoins en oxygène ;
– l’hypertension artérielle pulmonaire due à la détresse respiratoire aiguë ;
– la myocardiopathie de stress ou syndrome de Takotsubo ;
– des accidents thrombo-emboliques divers, y compris coronariens, liés à la fixation du virus sur le récepteur ACE2 des cellules endothéliales vasculaires, avec une dysfonction endothéliale et une activation macrophagique locale à l’origine d’une production d’interleukines favorisant l’expression de molécules d’adhésion cellulaire (par exemple, le facteur de von Willebrand) ;
– des arythmies variées consécutives aux complications précitées, à l’hypoxémie (due à la détresse respiratoire aiguë) et aux anomalies hydroélectrolytiques (secondaires au sepsis, aux lésions rénales fréquentes et aux troubles digestifs).
Depuis le début de la pandémie de Covid-19, de nombreux cas d’animaux domestiques infectés par le Sars-Cov-2 sont rapportés, le chat y semblant particulièrement sensible et l’infection pouvant même se transmettre de chat à chat [3, 4, 18, 19-22, 25, 33, 35, 37, 38]. Pour la majorité d’entre eux, l’infection n’a pas de traduction clinique. Dans le cas contraire, les signes cliniques sont principalement de la fièvre, un abattement, une anorexie, des troubles digestifs (diarrhée), respiratoires (éternuements liés à une rhinite, toux et dyspnée secondaires à une pneumopathie) ou oculaires (conjonctivite). Comme chez l’Homme, s’y ajoutent moins fréquemment divers signes cliniques cardiovasculaires.
Une augmentation de l’incidence des myocardites chez les carnivores domestiques a ainsi été remarquée dans un centre de cardiologie vétérinaire au Royaume-Uni, concomitamment à la flambée de l’épidémie dans le pays (décembre 2020 à février 2021) [16]. Une série de six cas (quatre chats et deux chiens) de myocardite associée au variant Alpha (B.1.1.7) est ainsi décrite par les auteurs. Pour deux chats et un chien de la série, le diagnostic a été établi par un test PCR (écouvillon rectal). Les deux chats et le chien restants ont développé des anticorps deux à six semaines après l’apparition de signes cliniques (principalement une léthargie, une anorexie, des syncopes, une dyspnée/tachypnée secondaire à une insuffisance cardiaque congestive, avec des troubles du rythme ventriculaires diagnostiqués chez quatre des six animaux inclus). La plupart des propriétaires avaient présenté des signes respiratoires, trois à six semaines avant que leur animal ne soit malade.
Un cas de myocardite associée au Sars-CoV-2 est également décrit en France chez un chat [13]. Il s’agit d’un chat européen de 5 ans, obèse (8,5 kg, note d’état corporel de 8 sur 9), référé pour une insuffisance cardiaque congestive réfractaire aux traitements standards associée à une dégradation marquée de l’état général et à une dysorexie évoluant depuis un mois. L’inspection de la cavité buccale a révélé un large ulcère à la base de la langue (photo 1). Quelques extrasystoles ventriculaires monomorphes ont été mises en évidence sur le tracé électrocardiographique. L’échocardiographie a confirmé un phénotype “myocardiopathie hypertrophique” évolué, avec une dilatation atriale gauche très marquée et une diminution majeure de la fonction atriale gauche (photos 2 et 3). La présence de nombreuses lignes B pulmonaires et d’un épanchement pleural modéré, associée à ces anomalies cardiaques, était fortement évocatrice d’une insuffisance cardiaque congestive gauche. Cependant, un remodelage du péricarde et des consolidations pulmonaires focales suggérant des foyers de pneumopathie ont également été visualisés, avec une importante quantité de graisse intrapleurale et intrapéricardique (confirmée sur les clichés radiographiques thoraciques). L’augmentation de la concentration sérique de troponine I cardiaque ultrasensible (cTnI = 5,24 ng/ml, valeur usuelle inférieure à 0,06 ng/ml) et les caractéristiques échocardiographiques étaient fortement en faveur d’une myocardite ou d’une myocardiopathie hypertrophique compliquée de myocardite, associée à une pneumopathie. Les différentes causes classiques de myocardite ont été exclues. En raison du contexte anamnestique (propriétaire “cas contact” d’un collègue confirmé positif à la Covid-19 par un examen PCR, variant anglais B.1.1.7), des découvertes cliniques et échographiques (dont la présence de graisse péricardique et de lésions pulmonaires), une recherche du Sars CoV-2 a été réalisée via des écouvillons nasaux, oropharyngés et rectaux (PCR), ainsi que par un test sérologique (Elisa), ce dernier confirmant la présence d’anticorps spécifiques (titre de 1:640). Face à ces résultats, l’autre chat vivant dans le même foyer (note d’état corporel de 6 sur 9), en apparente bonne santé, a également été testé pour le Sars-CoV-2 et confirmé séropositif, avec un titre plus faible (1:20). Le traitement à visée cardiaque (furosémide, clopidogrel, pimobendane, taurine), associé à une double antibiothérapie, a permis une régression progressive de l’ulcère lingual chez le chat malade, une baisse de la concentration sérique en cTnI (0,82 ng/ml) un mois plus tard, associée à une diminution de la taille de l’atrium gauche et à une récupération de la fonction atriale gauche. Dix mois après l’admission, ce chat est toujours en bon état général malgré la persistance, à l’examen échocardiographique, d’un phénotype hypertrophique confirmant indirectement l’hypothèse initiale de myocardiopathie hypertrophique compliquée de myocardite.
Ce cas clinique invite à plusieurs réflexions :
– chez les deux chats séropositifs vivant dans le même foyer, un seul a développé des signes cliniques (dyspnée par insuffisance cardiaque congestive et pneumopathie). Il est possible que l’obésité, et notamment l’important dépôt de graisse dans les espaces pleural et péricardique, ait favorisé l’apparition des complications cardio-respiratoires, comme chez l’Homme [30, 34]. Lors d’infection par le Sars-CoV-2, le tissu adipeux épicardique (juxtaposé au myocarde) jouerait même un rôle favorisant l’apparition de myocardites, en raison de la haute expression du récepteur ACE2 et de la présence d’infiltrats de macrophages et de cytokines pro-inflammatoires à cet endroit [23, 30] ;
– de façon intéressante, il est démontré chez l’Homme une association fréquente entre diverses myocardiopathies, dont la myocardiopathie hypertrophique, et l’infection par le Sars-CoV-2 [28]. Des études transcriptomiques ont, en outre, révélé que la protéine ACE2 est cinq fois plus exprimée dans le cœur des patients atteints de myocardiopathie hypertrophique que dans celui des sujets sains [8]. Cette surexpression d’ACE2 pourrait favoriser les formes graves de Covid-19 avec des complications cardiaques [8] ;
– d’autres cas de chats atteints de myocardiopathie hypertrophique et infectés par le Sars-CoV-2 ont été rapportés [9, 37]. Pour l’un d’entre eux, à l’examen histologique, les lésions cardiaques (myocardite associée à une dégénérescence et une nécrose du myocarde) et pulmonaires (bronchiolite nécrosante et pneumonie diffuse) étaient similaires à celles décrites chez l’Homme [9]. Une charge virale importante, avec des signes de réplication du virus, a été retrouvée dans le cœur et le poumon, et à un degré moindre dans plusieurs autres organes (foie, rate, intestins). Cela constitue un argument en faveur d’une action directe possible du virus sur le myocarde.
Conflit d’intérêts : Aucun
En raison du contexte épidémique actuel et des descriptions rapportées, l’infection par le Sars-CoV-2 doit être incluse dans le diagnostic différentiel des agents responsables de myocardite et de pneumonie chez le chat comme chez le chien, d’autant plus si l’animal est en surpoids. Enfin, selon les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), les propriétaires atteints de Covid-19 devraient appliquer les gestes barrière à l’égard de leur animal de compagnie, c’est-à-dire éviter tout contact proche avec ce dernier pendant la phase d’excrétion du virus, au risque de le contaminer, bien que cela reste très rare. À notre connaissance, la transmission de l’animal à l’Homme n’a pas encore été démontrée [42].