LES MÉCANISMES IMMUNOPATHOLOGIQUES ASSOCIÉS À LA DERMATITE ATOPIQUE - Le Point Vétérinaire n° 425 du 01/01/2022
Le Point Vétérinaire n° 425 du 01/01/2022

DERMATOLOGIE

Dossier

Auteur(s) : Séverine Boullier

Fonctions : Professeur d’immunologie-vaccinologie
Unité pédagogique d’infectiologie
UMR Inra-ENVT InTheres
ENV de Toulouse
23, chemin des Capelles
31300 Toulouse

Cet article présente les grands mécanismes immunopathologiques de la dermatite atopique et les modes d’action des quatre principaux traitements antiprurigineux disponibles chez le chien ou chez le chat.

La dermatite atopique représente une affection très importante en médecine vétérinaire, par sa fréquence, par les difficultés liées à sa prise en charge thérapeutique et par l’altération majeure de la qualité de vie et du bien-être des animaux atteints. Par définition, la dermatite atopique est au départ une réaction d’hypersensibilité de type I mettant en jeu des allergènes, des immunoglobulines E (IgE), des mastocytes et des granulocytes éosinophiles. Il est désormais admis que la physiopathologie de la dermatite atopique est extrêmement complexe et ne se limite pas à une “simple” hypersensibilité de type I. Il s’agit d’une maladie plurifactorielle, à l’évolution chronique, qui fait intervenir de nombreuses cellules, des médiateurs immunitaires parfois redondants ou antagonistes et des cascades de signalisation complexes. Pour adapter au mieux le protocole thérapeutique à chaque cas, il est important de comprendre les bases des dérégulations immunologiques observées au niveau de la peau d’un animal atteint de dermatite atopique.

L’objectif de ce premier article est de présenter les connaissances actuelles sur la physiopathologie de la dermatite atopique et les liens avec les traitements antiprurigineux disponibles.

1. PHYSIOPATHOLOGIE DE LA DERMATITE ATOPIQUE

Le mécanisme immunologique de l’hypersensibilité de type I

La principale caractéristique d’une hypersensibilité de type I est la synthèse d’anticorps particuliers, les IgE. La réponse IgE est en principe restreinte à un nombre limité d’antigènes, mais certains animaux présentent une mauvaise régulation de leur réponse immunitaire, avec une forte orientation vers un profil de type TH2. Ils produisent des IgE alors qu’une réponse adaptée nécessiterait des immunoglobulines G (IgG) ou A (IgA). C’est la définition de l’atopie. Dans l’hypersensibilité de type 1, trois périodes sont distinguées : la phase de sensibilisation, la phase de latence, et la phase déclenchante lors de laquelle apparaissent les signes cliniques [6].

• La phase de sensibilisation correspond à la première rencontre de l’organisme avec l’antigène responsable de la mauvaise réponse immunitaire. Cet antigène, appelé allergène, est une molécule de faible poids moléculaire (10 à 70 kDa), soluble, capable de traverser facilement les muqueuses. Les allergènes sont variés et très nombreux. Selon leur nature, ils sont classés en pneumallergènes (inhalés), trophallergènes (ingérés) et allergènes injectés (tableau).

• La phase de latence correspond à la mise en place de la réponse immunitaire contre l’allergène. Elle dure environ trois semaines. La réponse immunitaire contre les allergènes est caractérisée par une réponse de type TH2, avec une synthèse accrue d’interleukine 4 (IL-4). Cette synthèse d’IL-4 par les lymphocytes T CD4 induit la production d’IgE spécifiques de l’allergène par les lymphocytes B. Les IgE circulantes sont difficilement détectables et ont une demi-vie très courte (moins de deux jours). Elles sont principalement localisées dans les muqueuses et les tissus conjonctifs, où elles se fixent sur les mastocytes via un récepteur particulier, le FcRε. La demi-vie de l’IgE augmente alors jusqu’à trois à six semaines. Les mastocytes ayant fixé les IgE sont dits sensibilisés.

• La phase déclenchante est caractérisée par l’apparition des signes cliniques. Elle correspond à une rencontre de l’organisme déjà sensibilisé avec l’antigène.

Cette rencontre peut avoir lieu plusieurs mois, voire plusieurs années après la phase de sensibilisation. L’allergène va facilement pénétrer dans les muqueuses ou les tissus conjonctifs et sera reconnu par les IgE spécifiques fixées sur les mastocytes. La reconnaissance de l’allergène par les IgE active immédiatement les mastocytes, qui libèrent dans les tissus et/ou la circulation sanguine, selon leur localisation, le contenu de leurs granules. Les granules de mastocytes contiennent des médiateurs inflammatoires très puissants, dont l’histamine, la sérotonine, des leucotriènes et des prostaglandines. Chez le chien comme chez l’homme, l’histamine est majoritaire par rapport à la sérotonine [7]. La libération des granules se produit quelques secondes à quelques minutes après le contact de l’allergène avec le mastocyte sensibilisé. C’est la libération de ces médiateurs qui est responsable des premiers signes cliniques. Selon la localisation de l’allergène et le degré de sensibilisation de l’animal, les symptômes seront plus ou moins marqués.

Lorsque le contact avec l’antigène persiste, cela signe l’entrée dans la phase chronique de l’atopie. Pour la dermatite atopique, c’est le plus souvent au moment de cette phase chronique que les propriétaires présentent leur animal en consultation. Elle fait intervenir de nombreux leucocytes inflammatoires, dont les granulocytes éosinophiles. Ces cellules sont recrutées à la suite de la synthèse permanente d’IL-4 et d’IL-5 par les lymphocytes T CD4 spécifiques de l’allergène. Elles expriment, comme les mastocytes, des FcRε et sont donc sensibilisées par les IgE. Leur dégranulation tissulaire provoque la libération de protéases très puissantes qui participent à la destruction tissulaire et au maintien de l’inflammation. Le recrutement et l’activation des leucocytes inflammatoires ne permettent pas une cicatrisation normale du tissu atteint [3, 4, 15].

La réponse immunitaire cutanée

La peau est un organe complexe qui joue un rôle clef de barrière contre les micro-organismes [8]. Les mécanismes de protection sont physiques (la peau est étanche), chimiques (la peau est riche en substances antimicrobiennes) et microbiologiques (le microbiote cutané sain prévient l’installation de flores pathogènes). Toute altération de l’une de ces trois qualités de la peau facilite l’installation ou la pénétration d’antigènes, dont des micro-organismes pathogènes et des allergènes. Le maintien de l’homéostasie cutanée se révèle donc primordial [11, 13].

La peau est également un organe très riche en effecteurs immunitaires, dont le rôle est d’éliminer le plus rapidement possible tout antigène ayant réussi à franchir les barrières non spécifiques. La peau est ainsi très riche en cellules impliquées dans l’immunité innée. Les premières cellules sentinelles de la peau sont les kératinocytes qui, lors d’agression, vont sécréter des cytokines inflammatoires (IL-34, éotaxine, thymus and activation-regulated chemokine, etc.), permettant le recrutement de nouveaux leucocytes [9].

La peau est en outre très riche en cellules présentatrices de l’antigène qui participent à la mise en place d’une réponse immunitaire spécifique en activant les lymphocytes T. Elle est aussi un site de patrouille des lymphocytes mémoires, qui pourront s’activer immédiatement s’ils rencontrent leur antigène spécifique. Il existe une circulation spécifique des lymphocytes impliqués dans la réponse muqueuse. Les lymphocytes ayant été activés au niveau des muqueuses recirculent préférentiellement dans la muqueuse initiale, mais aussi dans la peau.

Cette particularité explique pourquoi des allergies alimentaires peuvent se traduire par des signes cliniques cutanés [3].

Les nouveautés dans le mécanisme immunologique de la dermatite atopique

Il faut garder en tête deux points très importants pour la dermatite atopique : il s’agit toujours d’un mécanisme immunopathologique caractérisé par une dérégulation/erreur du système immunitaire, et les animaux sont presque toujours présentés au cours de la phase chronique, dans laquelle de nombreux facteurs participent à l’inflammation cutanée. Fréquemment, l’antigène initial responsable du déclenchement de la réponse atopique n’est donc pas identifiable et les IgE ne jouent qu’un rôle secondaire dans cette phase clinique.

Cependant, même si les IgE ne sont plus directement impliquées, des études récentes confirment que la dermatite atopique est un processus inflammatoire pro-TH2 et que les cytokines liées à cette réponse immunitaire jouent un rôle de pivot [1]. Des cercles vicieux d’activation entretiennent et aggravent la dermatite atopique.

Des découvertes récentes viennent améliorer la connaissance des mécanismes immunopathologiques de la dermatite atopique et participent à l’élargissement de l’arsenal thérapeutique vétérinaire (figure 1). Lors de cette dermatite, les kératinocytes sont sensibilisés dans un environnement pro-TH2. Dans ce contexte, en réponse à une stimulation, ils synthétisent des cytokines elles-mêmes pro-TH2. Les kératinocytes participent ainsi à l’entretien de la dermatite atopique.

De nombreuses cytokines sont impliquées dans ces phases chroniques. Il a récemment été montré que l’une d’elles, l’interleukine 31 (IL-31), participerait au déclenchement du prurit en activant les neurones sensitifs, très nombreux au niveau de la peau. L’IL-31 stimulerait également la croissance de ces neurones sensitifs, augmentant ainsi la sensibilité cutanée des animaux atteints. L’IL-31 active également les leucocytes activés, en particulier ceux impliqués dans les réponses TH2.

Les lymphocytes T mémoires TH2 représentent la source principale d’IL-31. Il existe donc un cercle vicieux d’auto-entretien de l’inflammation TH2 lors de dermatite atopique [13].

Il est en outre rapporté que l’IL-31 altère la biologie des kératinocytes, en diminuant la synthèse des protéines impliquées dans la formation des jonctions serrées. La peau perd alors une partie de son étanchéité [14]. L’une des conséquences est la présence de surinfections bactériennes cutanées dans les zones inflammatoires.

Une étude révèle en outre que la peau des chiens atopiques est beaucoup plus riche en staphylocoques que celle des chiens sains [16].

2. MODE D’ACTION DES MOLÉCULES UTILISÉES POUR LE TRAITEMENT DE LA DERMATITE ATOPIQUE

Compte tenu de sa complexité et de sa nature multifactorielle, la prise en charge de la dermatite atopique est multimodale.

Cette partie abordera uniquement les principales molécules qui possèdent une activité immunomodulatrice et antiprurigineuse.

Les glucocorticoïdes

Les glucocorticoïdes ont été pendant longtemps le seul traitement immunosuppresseur disponible et ils restent encore d’actualité pour la prise en charge de la dermatite atopique. Ce sont des molécules très puissantes, dont les activités immunosuppressives sont très larges [5]. Après la fixation sur leur récepteur cytosolique, les glucocorticoïdes modifient la transcription d’environ 1 % des gènes des cellules immunitaires. En plus de leur effet anti-inflammatoire fort et rapide, ils diminuent la phagocytose des cellules phagocytaires et leur capacité à présenter l’antigène aux lymphocytes T. Ils ont également un effet direct sur les lymphocytes T, en bloquant leur activation. En plus de leur activité immédiate anti-inflammatoire, les glucocorticoïdes participent donc à casser le cercle vicieux d’auto-entretien de la réponse atopique en diminuant la réponse spécifique (figure 2).

Ces molécules agissent aussi sur d’autres cellules de l’organisme et leur utilisation de façon prolongée est associée à de nombreux effets indésirables, parfois graves.

La ciclosporine

La ciclosporine est le deuxième immunomodulateur utilisé depuis de nombreuses années chez le chien et le chat [12]. Elle inhibe une protéine cytoplasmique, la calcineurine, impliquée dans la transcription de nombreux gènes codant pour des cytokines. Comme les glucocorticoïdes, son spectre d’action est donc large. En plus de son activité sur les lymphocytes T, il est montré que la ciclosporine a une action spécifique sur les cellules présentatrices de l’antigène présentes dans la peau, les cellules de Langerhans. Elle participerait ainsi à la neutralisation de l’auto-entretien de la réponse spécifique cutanée en limitant l’activation et la différenciation de nouveaux effecteurs T (figure 3).

En revanche, la ciclosporine n’a aucun effet anti-inflammatoire immédiat. Ses effets cliniques bénéfiques ne sont par conséquent visibles qu’au bout de quelques semaines de traitement, lorsque la réponse immunitaire T dépendante est neutralisée.

Même si la molécule est plutôt bien tolérée chez le chien et le chat, le blocage non spécifique de l’activation des lymphocytes T peut être associé à une sensibilité accrue aux agents infectieux et à un risque d’apparition de phénomènes néoplasiques.

Les inhibiteurs des Janus kinases

De nouvelles molécules sont maintenant disponibles pour la prise en charge de la dermatite atopique. La première est l’oclacitinib. Il s’agit d’un inhibiteur des voies de signalisation Janus kinase. Les Janus kinases (JAK) sont des enzymes impliquées dans la transduction du signal provoqué par la fixation de cytokines inflammatoires sur leurs récepteurs cellulaires [2]. Une fois activées, les JAK lancent la transcription des gènes cibles. Il existe quatre JAK, liées à des récepteurs cytokiniques différents. Elles forment un réseau complexe de régulation de la transcription des signaux d’activation fournis par les cytokines (figure 4). L’oclacitinib inhibe majoritairement JAK1, qui est impliquée dans la cascade de signalisation des cytokines TH2. Il est en particulier démontré que le blocage de JAK1 diminue les voies de signalisation des cytokines clés de l’atopie, dont l’IL-4, l’IL-13 et l’IL-31.

L’oclacitinib participe aussi à la baisse générale de la réponse T dépendante, en bloquant la synthèse de l’IL-2. Comme pour tous les immunomodulateurs, l’utilisation à long terme de l’oclacitinib peut être associée à des risques de développement de phénomènes néoplasiques.

Les anticorps monoclonaux anti-interleukine 31

Le traitement le plus récent disponible est beaucoup plus ciblé. Il s’agit d’un anticorps monoclonal spécifique de l’IL-31 canine, le lokivetmab. Il existe une importante spécificité d’espèce pour les anticorps monoclonaux. Cet anticorps est donc exclusivement destiné aux chiens et ne doit pas être utilisé chez le chat.

L’IL-31 est l’un des médiateurs produits lors de dermatite atopique et impliqués dans le phénomène du prurit [10]. En neutralisant l’IL-31 avant qu’elle ne se fixe sur son récepteur cellulaire, le lokivetmab participe à la diminution du prurit (figure 5).

Il faut rappeler que d’autres molécules effectrices peuvent être impliquées dans le prurit à différents stades de la dermatite atopique. L’efficacité clinique peut donc être variable selon les animaux.

Références

  • 1. Abreu D, Kim BS. Innate immune regulation of dermatitis. Immunol. Allergy Clin. North Am. 2021;41(3):347-359.
  • 2. Ahn J, Choi Y, Simpson EL. Therapeutic new era for atopic dermatitis. Part 2: small molecules. Ann. Dermatol. 2021;33(2):101-107.
  • 3. Barnes PJ. Pathophysiology of allergic inflammation. Immunol. Rev. 2011; 242(1):31-50.
  • 4. Boullier S. Immunologie : l’hypersensibilité de type I. Nouveau Prat. Vét. 2002;2(9).
  • 5. Cain DW, Cidlowski JA. Immune regulation by g lucocorticoids. Nat. Rev. Immunol. 2017;17(4):233-247.
  • 6. De Franco AL, Robertson M, Locksley RM. Dans : Immunité, la réponse immunitaire dans les maladies infectieuses et inflammatoires. De Boeck, Bruxelles. 2009:365p.
  • 7. De Mora FA, Puigdemont A, Torres R. The role of mast cells in atopy: what can we learn from canine models? A thorough review of the biology of mast cells in canine and human systems. Br. J. Dermatol. 2006;155(6):1109-1123.
  • 8. Gedon NKY, Mueller RS. Atopic dermatitis in cats and dogs: a difficult disease for animals and owners. Clin. Transl. Allergy. 2018;8:41.
  • 9. Jahnz-Rozyk K, Targowski T, Paluchowska E et coll. Serum thymus and activationregulated chemokine, macrophage-derived chemokine and eotaxin as markers of severity of atopic dermatitis. Allergy. 2005;60(5):685-688.
  • 10. Kabashima K, Irie H. Interleukin-31 as a clinical target for pruritus treatment. Front. Med. (Lausanne). 2021;8:638325.
  • 11. Leung D, Jain N, Leo HL. New concepts in the pathogenesis of atopic dermatitis. Curr. Opin. Immunol. 2003;15(6):634-638.
  • 12. Marsella R. Calcineurin inhibitors: a novel approach to canine atopic dermatitis. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2005;41(2):92-97.
  • 13. Marsella R. Advances in our understanding of canine atopic dermatitis. Vet. Dermatol. 2021;32(6):547-e151.
  • 14. Nemmer JM, Kuchner M, Datsi A et coll. Interleukin-31 signaling bridges the gap between immune cells, the nervous system and epithelial tissues. Front. Med. (Lausanne). 2021;8:639097.
  • 15. Reber LL, Hernandez JD, Galli SJ. The pathophysiology of anaphylaxis. J. Allergy Clin. Immunol. 2017;140(2):335-348.
  • 16. Rodrigues Hoffmann A. The cutaneous ecosystem: the roles of the skin microbiome in health and its association with inflammatory skin conditions in humans and animals. Vet. Dermatol. 2017;28(1):60-e15.

Conflit d’intérêts : Aucun

CONCLUSION

Les progrès dans la connaissance des mécanismes immunopathologiques de la dermatite atopique, en parallèle de l’essor de l’immunothérapie en médecine vétérinaire, ont permis d’élargir l’éventail thérapeutique disponible pour prendre en charge cette affection. Cependant, compte tenu de la complexité de la physiopathologie de la dermatite atopique, les différentes molécules doivent être utilisées de façon raisonnée pour chaque animal. Il faut également garder en tête qu’aucun de ces traitements immunomodulateurs et antiprurigineux ne traite la cause de la maladie.

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