BILAN DES PLANS ÉCOANTIBIO : UN SUCCÈS EN ÉLEVAGE - Le Point Vétérinaire n° 425 du 01/01/2022
Le Point Vétérinaire n° 425 du 01/01/2022

ANTIBIORÉSISTANCE

Article original

Auteur(s) : Céline Gaillard-Lardy

Fonctions : Le Point Vétérinaire
11-15, quai de Dion-Bouton
92800 Puteaux

La mise en place des deux plans ÉcoAntibio a permis une réduction drastique de l’usage des antibiotiques en élevage, avec des répercussions bénéfiques sur les niveaux d’antibiorésistance.

Depuis 2011, la mise en place des plans ÉcoAntibio, destinés à lutter contre l’antibiorésistance en médecine vétérinaire en adoptant un usage raisonné des antibiotiques, a changé la donne en élevage. En effet, si la France a longtemps été considérée comme un mauvais élève en termes de consommation d’antibiotiques en santé animale, les vétérinaires français, et plus largement tous les acteurs des filières de production, ont montré une grande implication et de fortes capacités d’évolution et de remise en question.

La lutte contre la résistance aux antibiotiques en santé animale est primordiale, car la sélection de bactéries résistantes peut être à l’origine de leur introduction dans la chaîne alimentaire et engendre un risque de transfert de résistances par contact direct, ainsi qu’un risque d’apparition de bactéries multirésistantes chez l’homme. Pour cette dernière raison, la notion d’antibiotiques d’importance critique en médecine humaine a été introduite dès le premier plan ÉcoAntibio.

Les résultats sont visibles grâce au travail de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) qui a mis au point un système de surveillance pionnier en Europe, voire dans le monde, permettant la remontée, l’analyse et la publication des informations sur la consommation et la résistance aux antibiotiques.

RÉSULTATS DU PREMIER PLAN ÉCOANTIBIO (2012-2016)

Les objectifs du premier plan de réduction des risques d’antibiorésistance en médecine vétérinaire ont été atteints et même dépassés, puisque la réduction de la consommation d’antibiotiques entre 2012 et 2016 a chuté de 37 %, l’objectif du plan ÉcoAntibio 1 étant une réduction de 25 % (encadré 1) [3, 6]. Cette baisse a été constatée pour toutes les espèces, avec une chute particulièrement marquée chez le porc (- 42 %), les volailles (- 43 %) et les lapins (- 31 %), plus réduite chez les bovins (- 24 %) et les carnivores domestiques (- 19 %) [3, 6].

Les objectifs particuliers concernant les antibiotiques critiques ont été définis dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014). Il s’agissait de réduire de 25 % en trois ans l’exposition aux fluoroquinolones et aux céphalosporines de troisième et quatrième générations (C3C4G). Cet objectif a été largement dépassé, puisque l’exposition aux fluoroquinolones et aux C3C4G a chuté respectivement de 75 % et 81 % au cours de la période concernée, toutes espèces confondues.

RÉSULTATS PARTIELS DU SECOND PLAN ÉCOANTIBIO (2017-2022)

1. Une exposition en baisse

Un premier bilan d’étape du plan ÉcoAntibio 2 peut être réalisé, grâce à la publication du rapport annuel de suivi des ventes d’antibiotiques de l’Anses (encadré 2). Ainsi, les bons résultats sont confirmés en 2020 [1]. En effet, de 2011 à 2020, la vente d’antibiotiques a chuté de près de 55 %, toutes espèces confondues. Chez les bovins, sur cette même période, les niveaux d’exposition aux antibiotiques ont diminué de 22,5 %, avec une légère augmentation (+ 2,9 %) en 2020 par rapport à 2019 [1]. Cette diminution concerne d’abord les traitements par voie orale (- 38 %), le recul étant moins marqué du côté des injectables. La baisse est plus importante chez le porc, avec une diminution de 55,5 % en 2020 versus 2011, surtout marquée par une forte diminution des traitements par voie orale (- 63 %), toujours d’actualité en 2020, alors que l’exposition via les injectables est restée relativement stable. Mais la première place revient à la filière des volailles, avec une diminution de l’exposition de 64,4 % entre 2011 et 2020. Chez les porcs et les volailles, le niveau d’exposition a poursuivi sa décroissance au cours des dernières années [1].

2. Forte diminution de l’exposition aux antibiotiques critiques

L’objectif de réduction de l’usage des antibiotiques d’importance critique en 2013 a permis une baisse drastique de leur usage en médecine vétérinaire : le niveau d’exposition aux fluoroquinolones a chuté de 87,3 % de 2013 à 2020, la baisse étant constante depuis la mise en application de la réglementation. Cette diminution est particulièrement marquée chez les bovins (- 89 %) et les porcs (- 92 %), plus faible chez les volailles (- 76 %) [1].

Du côté des céphalosporines de dernière génération, le niveau d’exposition a reculé de 94,3 % depuis 2013, particulièrement pour les productions porcine et bovine. Chez les bovins, cette baisse concerne surtout le nombre de traitements intramammaires contenant des C3C4G (- 99 %) [1].

En raison du risque de transfert d’une résistance à la colistine par plasmide, un objectif de réduction de la moitié de l’exposition à cette molécule en cinq ans a été inclus dans le second plan ÉcoAntibio. Cet objectif est d’ores et déjà dépassé, avec une diminution de plus de 66 % notée en 2020 par rapport à la moyenne 2014-2015. Cette baisse est particulièrement importante chez les volailles (-?63 %) et le porc (- 75 %), les bovins n’affichant qu’un recul, déjà honorable, de 48 %.

IMPACT SUR L’ANTIBIORÉSISTANCE

1. Collecte des données

Ces bons résultats obtenus par l’ensemble des filières et des vétérinaires concernés ont eu des répercussions en termes d’antibiorésistance. Les données de 2020, publiées par le Réseau d’épidémiosurveillance de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes animales (Résapath) dans son rapport, montrent en effet l’impact des mesures et des efforts consentis par toutes les filières [2]. Chaque année, les laboratoires partenaires transmettent leurs données. En 2020, 71 d’entre eux ont permis de collecter plus de 51 000 antibiogrammes réalisés au cours de l’année. La base de données ainsi constituée est en accès libre (https://shiny-public.anses.fr/resapath2/).

2. Résultats généraux

Ainsi, dans la filière bovine, les tendances sont à la baisse sur les dix dernières années pour la plupart des antibiotiques (gentamicine, streptomycine, tétracycline, amoxicilline et quinolones) (figure 1). Cependant, les niveaux de résistance à l’amoxicilline et aux aminosides (hors gentamicine) restent très élevés (plus de 60 % de souches non sensibles). La forte diminution de la résistance à la tétracycline dans les filières avicoles et, dans une moindre mesure, chez le porc et les bovins, constitue un autre phénomène marquant.

3. Impact sur la résistance aux antibiotiques d’importance critique

Depuis 2014, il existe une diminution constante des souches d’Escherichia coli non sensibles aux C3C4G, avec moins de 1 % de souches résistantes au ceftiofur dans les filières porc et volailles et 2 % chez les bovins (figure 2). La baisse est encore plus marquée pour les fluoroquinolones, pour arriver à des taux de résistance de l’ordre de 8 % chez les bovins et de moins de 5 % chez le porc et les volailles concernant l’enrofloxacine et la marbofloxacine (figure 3) [2]. En 2014, plus de 20 % des souches d’E. coli isolées chez les bovins étaient résistantes à ces molécules. Pour les types de production animale étudiés (veaux, porcelets, dindes, poules et poulets), une tendance significative (Chi2, p < 0,001) à l’augmentation de la proportion des souches d’E. coli sensibles à la colistine est observée entre 2007 et 2020 [2]. La situation semble donc maîtrisée concernant la diffusion des E. coli pathogènes résistants à la colistine.

4. Impact sur la multirésistance

La multirésistance aux antibiotiques (multidrug resistance) est définie comme la résistance acquise à au moins trois molécules parmi le ceftiofur, la gentamicine, la tétracycline, le triméthoprime-sulfamide, l’enrofloxacine (ou la marbofloxacine). Depuis 2011, une évolution très positive de la situation est observée, avec une augmentation significative des proportions de souches d’E. coli pansensibles et une réduction significative des proportions de souches multirésistantes. Chez les animaux de production, les taux de souches multirésistantes sont plus importants parmi les isolats issus de bovins (15 % en 2020) que pour ceux issus de porcs (6 %) ou de volailles (2 à 3 %).

Cependant, il existe des disparités entre les espèces animales et selon le contexte pathologique au sein d’une même espèce. Ainsi, en 2020 chez les bovins, 18 % des isolats d’E. coli étaient multirésistants parmi les souches isolées en pathologie digestive, au lieu de seulement 3 % pour les souches isolées de mammites.

Références

  • 1. Anses. Surveillance des ventes de médicaments vétérinaires contenant des antibiotiques en France en 2020. Rapport annuel Anses-ANMV. 2021:92p.
  • 2. Anses. Réseau d’épidémiosurveillance de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes animales. Bilan du Résapath. 2020:42p.
  • 3. DGAL. Le plan ÉcoAntibio 2012-2016 : synthèse et principales réalisations. Direction générale de l’alimentation. 2016:24p.
  • 4. DGAL. ÉcoAntibio 2 : plan national de réduction des risques d’antibiorésistance en médecine vétérinaire (2017-2022). Direction générale de l’alimentation. 2017:20p.
  • 5. Mader R, Damborg P, Amat JP et coll. Building the European Antimicrobial Resistance Surveillance network in veterinary medicine (EARS-Vet). 2021;26(4):2001359.
  • 6. Urban D, Chevance A, Moulin NG. Bilan quantitatif des plans ÉcoAntibio. Proc. Journées nationales des GTV, Tours. 2021:197-200.

Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré 1 : PLAN ÉCOANTIBIO 1 (2012-2016)

Piloté par le ministère de l’Agriculture, ce premier plan de réduction des risques d’antibiorésistance en médecine vétérinaire a été conçu parallèlement à une évolution de la réglementation concernant la commercialisation et la prescription d’antibiotiques, avec notamment l’interdiction de remises ou de rabais et l’encadrement du recours aux molécules d’importance critique en médecine humaine.

Pour diminuer la résistance bactérienne en élevage et préserver l’arsenal thérapeutique, cinq axes de travail ont été définis : sensibilisation des professionnels, développement de solutions alternatives aux antibiotiques, encadrement de l’usage des molécules, suivi de leur utilisation et actions à mener en dehors du cadre national. Ce premier plan tablait sur une diminution de 25 % de l’usage des antibiotiques en médecine vétérinaire.

D’après [3].

Encadré 2 : PLAN ÉCOANTIBIO 2 (2017-2022)

Ce second plan, qui fait partie du projet agroécologique du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, vise un changement durable des pratiques de prescription des antibiotiques, une amélioration des conditions de vie des animaux et un accès à des produits de santé efficaces autres que les antibiotiques. Quatre axes sont définis afin de favoriser la communication et la formation, de faciliter l’accès à des solutions de remplacement des antibiotiques, de développer la prévention, les outils de diagnostic et de poursuivre le suivi des ventes d’antibiotiques et de l’antibiorésistance. En outre, un objectif chiffré est fixé pour la réduction de l’usage de la colistine de 50 % en cinq ans dans les filières bovine, porcine et avicole.

D’après [4].

Points clés

• Le premier plan ÉcoAntibio a conduit à une réduction de 55 % de l’exposition aux antibiotiques, pour un objectif fixé de 37 %.

• L’exposition des animaux aux antibiotiques critiques a drastiquement chuté depuis 2013, avec une baisse de 89 % pour les fluoroquinolones chez les bovins.

• La résistance aux antibiotiques est en globale diminution chez les bovins, excepté pour l’amoxicilline et les aminosides qui affichent des niveaux de résistance supérieurs à 60 %.

CONCLUSION

Le bilan, bien que provisoire, apparaît très satisfaisant, même si des progrès sont encore possibles. Quel que soit le type de production, vétérinaires et acteurs des filières ont œuvré ensemble pour dépasser les objectifs fixés. Cela a pu être mis en évidence grâce au système de surveillance français, pionnier dans ce domaine. Un système équivalent devrait voir le jour au niveau européen. En effet, à l’heure actuelle, la surveillance européenne de la résistance aux antimicrobiens (RAM) chez les animaux cible surtout les bactéries zoonotiques et commensales isolées chez les espèces de rente, à l’abattoir et au détail (directive 2003/99/CE et décision 2020/1729/UE). Un réseau européen de surveillance de la résistance aux antibiotiques chez les bactéries pathogènes des animaux a été lancé, en coordination avec l’Anses. Ce réseau, appelé European Antimicrobial Resistance Surveillance network in Veterinary medicine (EARS-Vet), verra sa première phase

Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr