LES CONSÉQUENCES DE LA DÉFAUNATION SUR LA SANTÉ GLOBALE - Le Point Vétérinaire n° 424 du 01/12/2021
Le Point Vétérinaire n° 424 du 01/12/2021

BIODIVERSITÉ

Éthique

Auteur(s) : Manon Moullec*, Denise Remy**

Fonctions :
*VetAgro Sup
Campus vétérinaire de Lyon
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile

Le précédent article (1) a évoqué la crise d’extinction massive dont est victime la faune sauvage. En tant qu’expert des maladies animales, le vétérinaire doit connaître les conséquences de cette défaunation sur la santé globale.

Le 17 février 2021, le vétérinaire Thierry Lefrançois a été nommé au conseil scientifique Covid-19 [12]. La profession vétérinaire œuvre effectivement à l’interface des santés humaine et animale et nos confrères ont vraisemblablement tous été soulagés de constater que les pouvoirs publics en prenaient conscience. En effet, 58 % des agents pathogènes qui affectent les populations humaines sont zoonoti ques (c’est-à-dire naturellement transmissibles depuis les animaux vertébrés vers l’espèce humaine et vice versa) et 75 % des maladies émergentes (dont l’agent pathogène responsable s’est transformé par évolution, mutation, recombinaison en gardant la même espèce hôte ou en commutant vers une nouvelle espèce hôte) sont d’origine animale [9, 18, 19, 20]. Même si les animaux domestiques vivent au plus près des humains, ce sont plutôt les animaux sauvages qui semblent impliqués dans l’épidémiologie de la plupart des zoonoses et des maladies émergentes, car ils servent de réservoir principal pour la transmission des agents pathogènes aux animaux domestiques et à l’homme [10].

DÉFAUNATION ET PERTURBATION DU SERVICE ÉCOSYSTÉMIQUE DE RÉGULATION DES MALADIES

Comme évoqué dans le précédent article (1), la défaunation conduit au dérèglement des services écosystémiques. Le service de régulation des maladies infectieuses, qui modère l’impact des agents pathogènes sur les populations humaines et animales, n’est pas épargné. Toutefois, les conséquences de la défaunation sur la régulation des maladies infectieuses font encore l’objet de nombreux débats [2]. À l’heure où le coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère (Sars-CoV-2), responsable de la maladie à coronavirus 2019 (ou coronavirus disease, Covid-19), frappe l’humanité, les liens entre la crise actuelle de la biodiversité et la transmission et l’émergence des maladies méritent d’être élucidés.

DUALITÉ DU RÔLE DE LA BIODIVERSITÉ DANS LA RÉGULATION DES MALADIES

Une maladie infectieuse implique un agent pathogène et des espèces hôtes qui sont plus ou moins compétentes pour le transmettre [9, 15].

Deux points de vue opposés partagent la communauté scientifique. Certains considèrent qu’une biodiversité importante constitue une source plus importante d’agents pathogènes et d’hôtes compétents pour la transmission de ce dernier. Par un effet d’amplification, une grande biodiversité augmenterait ainsi le risque de maladies infectieuses [15, 17]. À l’inverse, d’autres soutiennent que l’augmentation de la biodiversité s’accompagne d’un accroissement de la proportion d’espèces peu ou pas compétentes dans la transmission de maladies. Dans de telles conditions, l’agent pathogène n’est plus transmis de façon efficace, il est “dilué” dans l’environnement. Par cet effet de dilution, une biodiversité importante protégerait contre le risque de transmission de maladies [6, 9, 15, 17]. Un diagramme conceptuel permet de comprendre comment, par ces deux effets, la biodiversité des espèces peut affecter la transmission et la prévalence d’une maladie (figure) [13]. La controverse est identique en ce qui concerne l’émergence des maladies [7, 9]. Ainsi, il n’existe pas de consensus scientifique. La perte de biodiversité est susceptible d’influencer de nombreux facteurs qui modulent la transmission et l’émergence des maladies. Ses effets opèrent en fonction de l’échelle spatiale, des conditions écologiques locales et des systèmes hôtesagent pathogène considérés, et peuvent, selon les cas, être à l’origine d’une augmentation ou d’une diminution de la transmission et de l’émergence de maladies infectieuses [15].

COVID-19 : UNE CLARIFICATION DU LIEN ?

La Covid-19 remet cette problématique sur les devants de la scène. Les preuves actuellement disponibles identifient la chauve-souris rhinolophe en fer à cheval (Rhinolophus affinis) et le pangolin malais (Manis javanica) (photo) comme des hôtes intermédiaires qui auraient pu faciliter le transfert du Sars-CoV-2 à l’homme dans la région de Wuhan [11]. Ainsi, même si l’hypothèse d’un accident de laboratoire ne peut toujours pas être définitivement écartée, cet agent pathogène pourrait être issu du monde animal non humain et secondairement adapté à notre espèce [1].

Face à cette situation, des groupes de scientifiques impliqués dans des organismes publics nationaux et internationaux s’efforcent de clarifier le lien entre le déclin de la biodiversité et l’émergence de pandémies. Fin juillet 2020, un atelier en ligne, organisé par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes) et réunissant quelque 35 experts, a été entièrement dédié à cette thématique [8]. Les conclusions de leur rapport sont claires : l’émergence des maladies infectieuses est provoquée par l’ensemble des activités humaines et l’impact de celles-ci sur l’environnement ; il ne faut en aucun cas blâmer la faune sauvage ou plus largement la biodiversité [4]. Les liens entre l’érosion de la biodiversité et les maladies infectieuses se clarifient ainsi davantage.

LE CONCEPT DE SANTÉ GLOBALE (ONE HEALTH)

Au-delà de cette problématique, la crise sanitaire rappelle un concept fondamental qui, lui, fait consensus dans la communauté scientifique : le concept de santé globale (Une seule santé) [5, 14]. Bien qu’il reste encore peu connu du grand public et rarement intégré dans les prises de décision des gouvernements, ce concept a été développé il y a un peu plus de vingt ans [3, 16]. Il met en évidence la nécessité d’une approche holistique et transdisciplinaire de la santé : les santés humaine, animale et environnementale sont interdépendantes et forment une seule et même santé [5]. Préserver la biodiversité ne consiste donc pas uniquement à protéger la faune sauvage, cela permet également de protéger les êtres humains.

  • (1) Voir Le Point Vétérinaire n° 423, novembre 2021 pages 12-14.

Références

  • 1. Bloom JD, Chan YA, Baric RS et coll. Investigate the origins of Covid-19. Science. 2021;372:694.
  • 2. Cardinale BJ, Duffy JE, Gonzalez A et coll. Biodiversity loss and its impact on humanity. Nature. 2012;486:59-67.
  • 3. CDC. One Health: history. Centers for Disease Control and Prevention. https://www.cdc.gov/onehealth/basics/history/index.html (consulté en ligne le 20/08/2020).
  • 4. Daszak P, Amuasi J, das Neves CG et coll. Workshop report on biodiversity and pandemics of the Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. 2020.
  • 5. Destoumieux-Garzón D, Mavingui P, Boetsch G et coll. The One Health concept: 10 years old and a long road ahead. Front. Vet. Sci. 2018;5:14.
  • 6. Dunn RR, Davies TJ, Harris NC et coll. Global drivers of human pathogen richness and prevalence. Proc. Biol. Sci. 2010;277:2587-2595.
  • 7. Gibb R, Redding DW, Chen KQ et coll. Z oonotic host diversity increases in humandominated ecosystems. Nature. 2020;584:398-402.
  • 8. IPBES. Workshop on biodiversity and pandemics. https://ipbes.net/pandemics-workshop (consulté en ligne le 04/09/2020).
  • 9. Keesing F, Belden LK, Daszak P et coll. Impacts of biodiversity on the emergence and transmission of infectious diseases. Nature. 2010;468:647-652.
  • 10. Kruse H, Kirkemo AM, Handeland K. Wildlife as source of zoonotic infections. Emerg. Infect. Dis. 2004;10:2067-2072.
  • 11. Lam TTY, Jia N, Zhang YW et coll. Identifying SARS-CoV-2-related coronaviruses in Malayan pangolins. Nature. 2020;583:282-285.
  • 12. Lefrançois T. Je me vois comme un relais pour le domaine de la santé animale. Semaine Vét. 2021;(1888):10-11.
  • 13. Luis AD, Kuenzi AJ, Mills JN. Species diversity concurrently dilutes and amplifies transmission in a zoonotic host-pathogen system through competing mechanisms. Proc. Natl. Acad. Sci. USA. 2018;115:7979-7984.
  • 14. MNHN. One Health: pandémie de Covid-19. Muséum national d’histoire naturelle. https://www.mnhn.fr/fr/one-health-pandemie-de-covid-19 (consulté en ligne le 04/09/2020).
  • 15. Morand S, Moutou F, Richomme C. Faune sauvage, biodiversité et santé, quels défis? Quae, Versailles. 2014:189p.
  • 16. Muraille É, Godfroid J. Le concept One Health doit s’imposer pour permettre l’anticipation des pandémies. The Conversation. http://theconversation.com/le-concept-one-health-doit-simposer-pour-permettrelanticipationdes-pandemies-139549 (consulté en ligne le 18/08/2020).
  • 17. Pipien G, Morand S. Notre santé dépend-elle de la biodiversité ? L’essentiel du colloque des 27 et 28 octobre 2014. Rev. Humanité et Biodiversité. 2015;(hors-série):107-115.
  • 18. Savey M, Martin P, Desenclos JC. De l’agent zoonotique aux zoonoses. Diversité et unicité d’un concept en pleine évolution. Docs Santé publique France. Bull. Epidémiol. Hebdo. 2010;(Hors-série):3-5, consulté en ligne le 04/09/2020.
  • 19. Taylor LH, Latham SM, Woolhouse ME et coll. Risk factors for human disease emergence. Philos. Trans. R. Soc. Lond. B Biol. Sci. 2001;356:983-989.
  • 20. Woolhouse ME, Gowtage-Sequeria S. Host range and emerging and reemerging pathogens. Emerg. Infect. Dis. 2005;11:1842-1847.

Conflit d’intérêts : Aucun

CONCLUSION

La concordance temporelle entre les crises sanitaires et la crise de la biodiversité pose la question du rôle de cette dernière dans la régulation des maladies. Ce rôle se clarifie peu à peu, et même si la défaunation n’est pas toujours directement responsable des crises sanitaires actuelles, dans tous les cas, elle traduit le dépérissement des santés animale et environnementale, lequel se répercute irrémédiablement sur la santé humaine. Devant ces conséquences sanitaires désastreuses, les professionnels de santé et, en particulier les vétérinaires, doivent interroger leurs relations avec le monde vivant. Quelles approches avons-nous à l’égard de la faune sauvage et en quoi sont-elles en partie responsables de la défaunation ? Plus largement, comment y font-elles face ? C’est cette dernière question qui sera abordée dans le prochain numéro.

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