ORTHOPÉDIE
Dossier
Auteur(s) : Chloé Martin*, Mathieu Manassero**, Alexandre Fournet***
Fonctions :
*Clinique des Ducs de Bourgogne
Service de chirurgie
11 ter, rue Paul Langevin
21300 Chenôve
**(DIU de coeliochirurgie, dipl. ECVS)
ENV d’Alfort
Service de chirurgie, Chuva
7, avenue du Général de Gaulle
94700 Maisons-Alfort
***(dipl. ECVS)
Centre hospitalier vétérinaire Massilia
Service de chirurgie
121, avenue de Saint-Julien
13012 Marseille
Déchirures, contractures et myopathie du muscle petit rond sont des affections musculaires de l’épaule qu’il convient de savoir diagnostiquer, notamment pour estimer la nécessité d’une prise en charge chirurgicale.
Les affections musculaires de l’articulation scapulo-humérale concernent les chiens de tout âge et sont généralement consécutives à un traumatisme. Cet article a pour objectif de décrire les manifestations cliniques de ces affections, la population atteinte, la physiopathologie, les informations obtenues après la réalisation de l’examen clinique et des examens complémentaires et enfin les traitements à mettre en place.
Les déchirures musculaires sont secondaires à un traumatisme direct, à une activité athlétique ou à une procédure chirurgicale. Elles affectent des chiens de tous les âges, formats et races, mais ceux de sport et de travail sont le plus souvent atteints [9]. Trois degrés d’atteinte musculaire sont distingués dans un contexte de traumatisme, dont dépendent le traitement et le pronostic (tableau 1) :
– le stade 1 correspond à une inflammation du muscle, associée à des contusions sans atteinte de l’architecture musculaire ;
– le stade 2 (modéré et avancé) correspond à une myosite et à des ruptures partielles du fascia ;
– le stade 3 correspond à des déchirures complètes du fascia et de fibres musculaires, associées à la formation d’un hématome [11].
Les muscles plus à risque de déchirures sont ceux qui s’étendent de part et d’autre d’au moins deux articulations, ceux qui permettent de limiter l’amplitude de mouvement d’une articulation, ceux qui fonctionnent de façon excentrique et ceux qui ont un haut pourcentage de fibres musculaires de type II. Sur le membre antérieur, cela concerne majoritairement le triceps brachial, mais aussi le biceps brachial, les muscles pectoraux superficiel et profond, le muscle dentelé ventral du cou, le rhomboïde, l’extenseur radial du carpe et le fléchisseur ulnaire du carpe. Le stade 3 est plus fréquemment observé sur le chef long du triceps brachial [9].
Les déchirures musculaires sont à l’origine d’une boiterie unilatérale d’apparition aiguë, avec une tendance à l’aggravation après l’exercice, à la durée et à la sévérité variables. Bien que ces lésions soient fréquentes, leur diagnostic n’est pas facile, et elles ne peuvent être détectées qu’à l’aide d’un examen clinique attentif, afin de mettre en évidence une douleur à la palpation de la région concernée et un gonflement. Une échographie musculaire est indiquée pour distinguer le degré d’atteinte [2]. L’utilisation de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) est rapportée, mais son intérêt n’est pas prouvé [9].
Pour les stades 1 et 2 modérés, le traitement médical instauré consiste en la pose de compresses froides, un repos strict et l’administration d’anti-inflammatoires non stéroïdiens durant les 24 à 48 heures qui suivent le traumatisme. Une remobilisation précoce du membre, cinq à dix jours après, est essentielle pour une reconstruction adéquate de l’architecture musculaire.
Pour les stades 2 avancés à 3, une prise en charge chirurgicale permet de minimiser la formation d’une fibrose cicatricielle délétère, qui peut réduire de moitié la force de tension musculaire. Elle consiste à retirer l’hématome et les tissus nécrotiques puis à effectuer une apposition musculaire par des points de tension profonds ancrés dans du fascia, puis des points d’apposition le long de la déchirure du fascia, avec un fil monofilament à résorption lente (figure). Cette intervention doit avoir lieu précocement, avant la rétraction des abouts musculaires, mais après la phase inflammatoire initiale, soit idéalement deux à trois jours après le traumatisme.
Une restriction d’exercice stricte doit être appliquée durant quatre semaines [9].
Pour les stades 1 et 2, le pronostic de récupération est bon, mais reste plus incertain pour le stade 3.
Une contracture musculaire est le raccourcissement d’un muscle qui n’est pas provoqué par une contraction active des fibres musculaires. Sur l’épaule, elle concerne essentiellement les muscles infra-épineux et supra-épineux.
La contracture du muscle infra-épineux, la plus fréquente, est généralement secondaire à un traumatisme à l’origine d’une déchirure musculaire localisée dans un compartiment entouré de tissus conjonctifs peu extensibles (syndrome des loges chronique) [11]. Elle se divise en deux phases distinctes (tableau 2). En phase aiguë, le chien peut être présenté en consultation avec une douleur et une tuméfaction de l’épaule après un épisode d’activité très intense, souvent sans traumatisme rapporté par le propriétaire. Il présente les caractéristiques d’une déchirure musculaire concernant le muscle infraépineux. Cette douleur tend à disparaître en une à quatre semaines, après l’installation d’une fibrose musculo-tendineuse en phase chronique [3]. Une contracture concomitante du muscle supra-épineux peut également être observée. Cette affection concerne majoritairement des chiens de travail adultes de moyen à grand format. Il n’existe pas de prédisposition raciale [9].
En phase aiguë, l’examen orthopédique révèle une boiterie non spécifique, avec une épaule tuméfiée et douloureuse. L’échographie permet, dans la majorité des cas, de confirmer la suspicion clinique en mettant en évidence un hématome ou des lésions des fibres musculaires [2, 10]. L’examen au scanner permet aussi une bonne visualisation des lésions, avec un muscle qui apparaît élargi et hypoatténué, ainsi qu’une augmentation du contraste périphérique [6]. L’examen d’IRM est également décrit comme un outil diagnostique : l’intensité du muscle apparaît alors hétérogène [7, 8].
En phase chronique, la contracture du muscle infra-épineux à un stade avancé se manifeste par une boiterie chronique pathognomonique, associée à une circumduction du membre en mouvement.
À l’arrêt, la posture est anormale avec une adduction du coude, une abduction de l’avant-bras, une rotation externe du membre et une extension de l’épaule (vidéo en ligne sur lepointvétérinaire.fr) [9]. L’examen orthopédique montre une atrophie musculaire de l’infra-épineux et parfois du supra-épineux, ce qui rend l’épine scapulaire saillante. La rotation interne de l’humérus s’accompagne du décollement de la scapula de la cage thoracique. L’animal ne présente pas de déficit neurologique lorsque la proprioception est testée.
La radiographie a peu d’intérêt dans ce cadre, et l’échographie offre des images compatibles avec une atrophie et une fibrose du muscle [2, 6, 7, 8, 10].
Il est rare que la phase inflammatoire préfibrotique d’une contracture musculaire soit décelée. Si elle l’est, une incision du fascia est impérative, afin de diminuer la pression intramusculaire et le risque de fibrose. Elle est associée à un repos strict, à l’administration d’anti-inflammatoires non stéroïdiens et à une cryothérapie pendant quinze jours [3].
Au stade chronique, une prise en charge chirurgicale est indiquée. Une ténectomie du tendon du muscle infra-épineux est réalisée, afin d’aboutir en période peropératoire à une augmentation franche de l’amplitude de mouvement de l’épaule (photos 1a et 1b). Tant que ce n’est pas le cas, toutes les adhérences à la capsule articulaire doivent être retirées, voire la capsule articulaire partiellement réséquée [4, 6, 8].
Pour empêcher une cicatrisation délétère, une mobilisation passive douce et non douloureuse de l’épaule, du coude et du carpe est effectuée deux à trois fois par jour en phase postopératoire immédiate, associée à une cryothérapie en fin d’exercice. Toute activité intense (jeux, course illimitée) est proscrite durant la première semaine postopératoire. Lors d’une évolution chronique avec des muscles atrophiés, le recours à la physiothérapie permet d’améliorer la reprise de la masse musculaire et la restauration de l’amplitude articulaire (hydrothérapie, électrostimulation, exercices de renforcement musculaire, etc.) [5].
Pour les cas décrits dans la littérature, une récupération complète du membre est rapportée après l’intervention chirurgicale, avec la reprise des activités sportives [3, 4].
La myopathie du muscle petit rond est rare et d’origine inconnue. Elle provoque une boiterie chronique qui se distingue de celle générée par une contracture du supra-épineux par l’absence d’une circumduction du membre en mouvement et l’existence d’une douleur. L’utilisation de l’échographie et de l’IRM peut permettre de localiser cette lésion. Il est recommandé de procéder à l’excision de la totalité du muscle pour permettre la récupération fonctionnelle complète du membre [1, 9].
Les affections musculaires de l’articulation scapulo-humérales constituent l’un des motifs les plus fréquents de boiterie du membre antérieur d’apparition aiguë chez le chien jeune et adulte, en particulier de sport. Elles sont sous-représentées dans la littérature scientifique vétérinaire. Un traitement médical doit être proposé en première intention dans la majorité des cas, mais la principale difficulté de ces affections est de parvenir à reconnaître la nécessité d’une prise en charge chirurgicale. Cette dernière est indiquée dans les stades de déchirure grave et permet une reprise d’exercice optimale, ainsi que la prévention des contractures. La rééducation fonctionnelle, à un stade précoce ou avancé, prend également une part importante dans la prise en charge.
Conflit d’intérêts : Aucun
Dans le cas de déchirure musculaire de stade 3, l’hématome est évacué et les tissus nécrotiques débridés. Les abouts musculaires sont ensuite apposés à l’aide de points de tension horizontaux ancrés dans le fascia et mis en place en profondeur avec un monofilament à résorption lente. Des boutons ou tubulures peuvent être utilisés pour répartir la tension exercée sur une surface tissulaire plus importante. Le fascia est ensuite suturé par des points simples apposants avec un fil de même caractéristique, mais de plus petit diamètre.