BIODIVERSITÉ
Éthique
Auteur(s) : Manon Moullec*, Denise Remy**
Fonctions :
*VetAgro Sup
Campus vétérinaire de Lyon
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
En tant que professionnel de la santé animale, à l’interface entre les humains et les animaux, la profession vétérinaire se doit de s’intéresser à la perte de biodiversité actuelle, notamment en interrogeant les attitudes de nos sociétés occidentales face à cette situation inédite et mondiale [9].
Alors que le nombre d’animaux domestiques ne cesse d’augmenter et que les praticiens sont débordés, de leur côté les animaux sauvages frôlent l’extinction [3, 4, 13]. Souvent animée par une passion pour l’ensemble du règne animal, la profession vétérinaire fait face à une difficulté : comment protéger tous les animaux de la même façon, qu’ils soient domestiques ou sauvages ? Effectivement, nombreux sont les praticiens qui s’estiment non disponibles ou peu compétents pour agir en faveur de la biodiversité [12]. Dès lors, trois questions se posent : qu’estce que la “défaunation”, quelles sont ses conséquences sur la santé globale et comment les sociétés occidentales y fontelles face ? Cet article tentera de répondre à la première d’entre elles. Il sera complété par deux articles qui prendront en considération successivement chacune des deux autres interrogations.
La faune sauvage est communément définie comme « l’ensemble des espèces animales non domestiques qui vivent en liberté dans la nature » [7].
Sur Terre, environ un million d’espèces animales sont recensées, c’estàdire qu’elles ont été décrites, nommées et cataloguées. Parmi elles, les deux tiers appartiennent à la classe des insectes. De leur côté, les vertébrés ne représentent que 46 400 espèces, dont seulement 4 300 espèces de mammifères [6].
D’un point de vue géographique, la répartition de la faune sauvage est inégale. En effet, elle dépend de nombreux facteurs, comme les conditions climatiques et la disponibilité en ressources alimentaires, qui varient selon les régions du monde. De nos jours, les espèces sauvages se concentrent dans les régions intertropicales, autant en densité qu’en diversité [6].
D’un point de vue écologique, au sein d’un milieu de vie défini, chaque population d’animaux sauvages interagit avec les autres populations d’êtres vivants, animaux et végétaux. L’ensemble formé par cette communauté d’êtres vivants et par le milieu dans lequel ils vivent constitue un écosystème [1]. Pour chaque écosystème donné, chaque population de chaque espèce animale a une place et un rôle précis à jouer. Ainsi, une quelconque modification de l’environnement est susceptible d’engendrer des perturbations importantes au sein de ce réseau. De cette manière, la faune sauvage forme un réseau interactif, complexe et dynamique et constitue une composante majeure de la biodiversité.
À l’heure actuelle, la faune sauvage, terrestre ou aquatique, est victime de la “défaunation”. Ce terme, apparu au début des années 1990, est construit sur le même modèle que la déforestation [3]. Il traduit, à toutes les échelles (espèces, populations et individus), une extinction massive, rapide et mondialement généralisée des animaux sauvages.
À titre d’exemple, depuis les quarante dernières années, plus de la moitié des animaux vertébrés sont morts [13]. Ce phénomène révèle l’impact majeur de l’espèce humaine (qui compte désormais plus de 7,7 milliards d’individus) sur l’ensemble du monde vivant [3, 10, 13].
En effet, depuis les cinquante dernières années, les principales causes responsables de la défaunation sont fortement liées à l’activité humaine [2]. Tout d’abord, la modification de l’utilisation des habitats naturels, liée à l’agriculture notamment, en est le principal facteur. L’exploitation directe des animaux sauvages vient en deuxième position, suivie par le changement climatique, puis la pollution, et enfin l’envahissement par des espèces invasives. La défaunation constitue un élément perturbateur majeur du réseau formé par l’ensemble du monde vivant (figure) [5].
Par conséquent, elle engendre de lourdes conséquences biologiques qui se manifestent à toutes les échelles d’espace (parcelles, paysages, régions, écosystèmes et monde entier) et de temps (court, moyen et long termes). Celles-ci touchent à la fois le comportement, la physiologie, l’écologie et l’évolution de l’ensemble des êtres vivants, végétaux et animaux, y compris l’espèce humaine. En effet, en plus de perturber la structure et la fonction des écosystèmes, la défaunation affecte l’ensemble des services écosystémiques.
La notion de services écosystémiques regroupe les bénéfices que les personnes et les sociétés obtiennent des écosystèmes et qui soutiennent leur existence et leur bien-être [11]. Cela comprend les services d’approvisionnement (eau, alimentation, etc.), de régulation (inondations, climat, maladies, etc.), de support (mouvement et recyclage des nutriments) et certains services culturels (écotourisme, reconnexion de l’homme avec la nature, etc.) [8]. Par exemple, les approvisionnements en eau et en nourriture sont deux services écosystémiques primordiaux. Sans pollinisateurs ou sans amphibiens, entre autres, ces services ne peuvent plus être assurés. En effet, plus des trois quarts des cultures vivrières mondiales dépendent de la pollinisation animale, et plus précisément des pollinisateurs sauvages qui semblent mieux maximiser les rendements agricoles par comparaison avec leurs équivalents domestiques [13]. Aujourd’hui, en raison de facteurs anthropiques tels que l’utilisation importante de pesticides, ces pollinisateurs déclinent fortement à l’échelle planétaire, tant en abondance qu’en diversité, avec des répercussions considérables sur les récoltes agricoles et l’économie mondiale [3, 13].
De son côté, la disponibilité de l’eau en quantité et en qualité acceptables est remise en cause par le déclin spectaculaire des populations d’amphibiens. Ce déclin serait ainsi responsable, dans les milieux d’eau douce néotropicaux, de plusieurs phénomènes : l’augmenta tion de la biomasse d’algues et de détritus organiques, la réduction de l’absorption d’azote et la perturbation de l’ensemble du métabolisme des ruisseaux, conduisant à une altération de la qualité de l’eau [3].
Par ailleurs, certains des services écosystémiques, dits “de régulation”, permettent de modérer les impacts d’une perturbation (climatique, sanitaire, etc.) sur les populations humaines et animales. Or ces services peuvent être profondément altérés par les conséquences de la défaunation. Le service de régulation des maladies infectieuses constitue un bon exemple. Il sera développé dans le second article, à paraître dans le prochain numéro.
Conflit d’intérêts : Aucun
Au niveau mondial, les animaux sauvages, et plus largement la biodiversité, sont menacés. Il s’agit d’un phénomène inédit à l’échelle des temps géologiques dont l’activité humaine est en grande partie responsable. Les conséquences de cette situation portent préjudice à l’ensemble des êtres vivants, y compris à l’homme, qui perd de nombreux services vitaux que les écosystèmes lui rendaient auparavant.