ORTHOPÉDIE
Dossier
Auteur(s) : Chloé Martin*, Mathieu Manassero**, Alexandre Fournet***
Fonctions :
*Clinique vétérinaire des Ducs de
Bourgogne
Service de chirurgie
11 ter rue Paul Langevin
21300 Chenôve
**(DIU de cœliochirurgie, dipl. ECVS)
ENV d’Alfort Service de chirurgie, Chuva
7, avenue du Général de Gaulle
94700 Maisons-Alfort
***(dipl. ECVS)
Centre hospitalier vétérinaire Massilia
Service de chirurgie
121, avenue de Saint-Julien
13012 Marseille
Le diagnostic définitif des affections de l’épaule est un véritable défien médecine vétérinaire, et doit faire l’objet d’une approche raisonnée et éclairée par le tableau clinique.
La boiterie du membre antérieur chez le chien est un motif récurrent de consultation. Sur les 30 % de consultations pour boiterie liées à l’atteinte d’un membre antérieur, près de 40 % sont associées à des lésions de l’épaule [11, 13]. Chez l’animal en croissance, les anomalies de développement sont prépondérantes (ostéochondrose, dysplasie), tandis que les lésions musculo-tendineuses sont souvent en cause chez le chien adulte, notamment sportif. L’objet de cet article est de guider le choix des examens complémentaires d’imagerie médicale selon les points clés de la consultation, afin d’aboutir à un diagramme décisionnel.
La stabilité de l’articulation de l’épaule, au repos comme en mouvement, est permise par la conjonction de mécanismes dits “passifs” et “actifs” [16].
Les mécanismes “passifs” ne font pas intervenir d’activité musculaire. La stabilité de l’épaule est alors assurée par l’action conjointe de la capsule articulaire, des ligaments gléno-huméraux latéral et médial, du rebord de la glène (labrum) et du tendon proximal du biceps (figure 1). Elle est aussi possible grâce à l’existence de forces intra-articulaires que sont :
- l’attraction moléculaire exercée par le liquide synovial (principe d’adhésion/cohésion), en lien avec la proximité des surfaces articulaires (faible volume articulaire) ;
- la compression cavitaire de la tête humérale dans la glène ;
- l’existence d’une pression intra-articulaire négative.
À l’inverse, les mécanismes “actifs” font intervenir l’activité musculaire. En effet, les muscles jouent le rôle de stabilisateurs par leur contraction coordonnée en permettant à l’articulation de résister aux forces qui s’exercent à l’arrêt et en mouvement (encadré et tableau 1) [9].
Face à une boiterie du membre antérieur, l’épidémiologie, les commémoratifs et l’anamnèse sont essentiels pour orienter la suspicion clinique. Le questionnement doit porter sur le signalement de l’animal (âge, race) et son niveau d’activité, la durée de la boiterie et son évolution, la réponse aux traitements médicaux préalablement tentés [16, 19].
La réalisation des examens clinique, orthopédique et neurologique est indispensable. Ils permettent d’établir le diagnostic différentiel. L’enjeu est d’exclure une cause médicale (arthrite septique ou dysimmunitaire) et neurologique (hernie discale cervicale avec signature radiculaire, lésion du plexus brachial) avant de se focaliser sur une origine orthopédique. Pour cette dernière, il peut être délicat de distinguer une atteinte du coude de celle de l’épaule, en raison d’une difficulté de manipuler l’épaule sans mettre en contrainte le coude.
Une boiterie du membre antérieur se reconnaît notamment au mouvement de balancier de la tête qui permet de soulager le poids sur l’antérieur atteint (tête vers le haut en phase d’appui du membre atteint). Visuellement, le chien semble retomber sur le membre sain. L’examen rapproché passe par l’inspection de la posture, la palpation de chaque segment osseux et de chaque articulation (chaleur, gonflement, craquement), la palpation-pression et la mobilisation afin de mettre en évidence un inconfort ou une douleur, puis par des tests spécifiques.
Comme lors de tous les examens orthopédiques, les deux membres antérieurs doivent être examinés, même lorsque la boiterie est unilatérale, afin de déceler toute anomalie minime. Cela permet aussi de détecter des atteintes bilatérales qui sont relativement fréquentes lors de certaines affections de l’épaule. Sur la région scapulohumérale, plusieurs structures anatomiques sont palpables :
- le bord dorsal de la scapula ;
- l’acromion et l’épine scapulaire, qui peuvent apparaître saillants en cas d’amyotrophie liée à une boiterie chronique ;
- le tubercule majeur de l’humérus, dont la position et/ou la taille peuvent être modifiées lors de luxation ou de tumeur proximale de l’humérus.
Quatre tests permettent d’orienter le praticien vers une atteinte de l’épaule, sans pouvoir déterminer plus précisément la localisation lésionnelle (intra-articulaire ou extra-articulaire) [3, 5, 7]. Le recours aux examens d’imagerie est donc essentiel pour affiner le diagnostic, idéalement sur les deux membres antérieurs, afin de les comparer.
Le test du tendon bicipital (ou test du biceps) peut être positif en cas de tendinopathie bicipitale ou d’instabilité de l’épaule. Le chien exprime alors une douleur à une pression sur la coulisse bicipitale lorsque l’épaule est mise en hyperflexion et le coude en hyperextension. (photo 1). Il est peu spécifique et ne permet pas de distinguer une atteinte de l’épaule orthopédique intra-articulaire ou extra-articulaire de la répercussion douloureuse d’une lésion neurologique.
Le test “du tiroir direct” sur l’épaule peut mettre en évidence une tendinopathie bicipitale ou une instabilité de l’épaule (photo 2). Un certain degré de translation, cranio-caudale d’une part et médio-latérale d’autre part, est toujours possible. Ce test, réalisé chez un animal sédaté, est donc dit positif en cas de douleur à la manipulation ou de nette différence avec le membre controlatéral. Il est cependant très subjectif et présente une faible corrélation avec une affection de l’épaule, surtout en cas d’amyotrophie.
Le test de rétraction du biceps peut être positif lors de tendinopathie bicipitale ou de rupture du tendon du biceps : la traction exercée sur le tendon déclenche alors une vive douleur (photo 3). Cependant, comme la traction s’exerce également sur l’insertion radiale et ulnaire du biceps, ce test peut être positif en cas d’atteinte du coude.
La mesure de l’angle d’abduction de l’épaule, réalisée sur un animal sédaté à l’aide d’un goniomètre, semble sensible pour mettre en évidence une instabilité médiale de l’épaule (photos 4a et 4b). Dans ce cas, une asymétrie entre les deux épaules, de l’ordre de 20° au minimum, est constatée. Elle apparaît toutefois peu spécifique, puisque toute atteinte de l’épaule entraînant une amyotrophie peut induire une augmentation de cet angle. Il est recommandé de faire ce test sur un animal sédaté, car une douleur de l’épaule chez un chien vigile se traduit par une plus grande résistance, donc une diminution de cet angle.
La radiographie et l’échographie sont traditionnellement utilisées en première intention, compte tenu de leur disponibilité [3].
La radiographie est utile pour évaluer les structures osseuses et se révèle donc intéressante pour identifier les affections du jeune chien, détecter des fractures ou évaluer le degré d’arthrose chez l’adulte. Simple à réaliser, elle permet de faire un premier tri dans les hypothèses diagnostiques.
Elle est peu sensible dans la détection des affections musculo-tendineuses, où seuls des minéralisations dystrophiques, des enthésophytes et des ostéophytes lors de stade avancé peuvent être détectés (photos 5a et 5b) [3, 16]. En plus des vues orthogonales traditionnelles, la vue cranio-proximale/cranio-distale (dite vue “skyline”) permet de distinguer une localisation des calcifications sur le tendon du muscle supra-épineux ou sur celui du biceps, des tendons qui se superposent sur la vue de profil. Comme pour toute articulation, il n’existe pas de corrélation stricte entre les signes cliniques et radiographiques, des minéralisations ayant été visualisées chez plusieurs chiens qui ne présentaient pas de boiterie [10].
La radiographie sous contrainte, bien que peu utilisée, a récemment été décrite dans une étude portant sur des cadavres pour la mesure de l’angle d’abduction en cas d’instabilité médiale de l’épaule. Cette méthode, qui affiche une reproductibilité et une répétabilité satisfaisantes, fournit des résultats comparables à ceux obtenus avec la goniométrie [12].
Sous sédation, l’animal est placé en décubitus dorsal. Un cliché de face de l’épaule est réalisé : la scapula est immobilisée contre le corps de l’animal dans un dispositif, puis le membre est tiré cranialement, de façon à être parallèle à la table, et latéralement pour ouvrir l’angle de l’épaule. L’angle d’abduction correspond à l’intersection des deux axes (figure 2).
L’arthrographie consiste à injecter un produit de contraste iodé (acide diatrizoïque, diatrizoate de méglumine) par voie intra-articulaire. Elle présente un intérêt pour contraster les structures intra-articulaires telles que la portion proximale du tendon du biceps, les stabilisateurs médiaux et les fragments ostéocartilagineux [20].
L’échographie offre une bonne approche des structures musculo-tendineuses. Elle s’effectue par un abord latéral, en progressant distalement le long de l’épine scapulaire [4, 6]. Elle permet d’évaluer l’aspect caudo-latéral de l’articulation, ainsi que du corps et de l’attache du tendon des muscles supra-épineux, infra-épineux et biceps brachial (photos 6a et 6b). En revanche, les composants du compartiment médial (ligament gléno-huméral médial et tendon du muscle subscapulaire) sont difficilement accessibles, à moins d’utiliser une sonde en forme de crochet [6]. Les lésions se caractérisent par un élargissement de la taille des tendons, une hétérogénéité de la structure de leurs faisceaux de fibres, la présence de minéralisations et la distension des tuniques tendineuses par du liquide (photos 7a et 7b). En excluant les chiens atteints d’instabilité médiale, la sensibilité de l’échographie dans la détection de lésions musculo-tendineuses est de 85,7 % et sa spécificité de 90,6 % [3]. L’absence de lésion à l’examen échographique ne permet pas d’exclure une atteinte musculo-tendineuse.
Le scanner est d’une grande utilité pour mettre en évidence des atteintes osseuses, ainsi que des minéralisations dystrophiques au sein des tissus mous [1]. En particulier, cet examen est intéressant pour effectuer un bilan coudes/épaules afin d’explorer rapidement les principales causes de boiterie chez les chiens de races de grande taille en croissance. Sa sensibilité est meilleure que celle de la radiographie.
Bien qu’il soit difficile de différencier les structures tissulaires les unes des autres, le positionnement du membre en extension et l’adjonction de produit de contraste iodé (arthrographie) améliorent cette distinction [8, 15]. Comme pour les autres examens d’imagerie, la visualisation de minéralisations au sein des tissus mous (tendon des muscles supraépineux, infra-épineux, subscapulaire et biceps) ne semble pas systématiquement corrélée à l’existence d’une boiterie. Il convient donc de garder un certain recul clinique [13].
L’imagerie par résonance magnétique (IRM) de haut champ (1,5 T au minimum) est un examen de choix pour l’exploration de l’épaule [14, 17]. En effet, en plus d’une haute résolution concernant les structures musculo-tendineuses et le cartilage, cet examen offre une sensibilité et une spécificité adaptées à la détection des affections osseuses, et le cadrage permet d’intégrer la portion de moelle épinière cervicale correspondante, ainsi que le plexus brachial [17]. En revanche, l’acquisition de cette région anatomique peut être gênée par des artefacts dus à des corps métalliques (puce électronique ou implants d’ostéosynthèse). Cela peut augmenter les faux positifs ou entraîner une sous-estimation de la sévérité des lésions [14].
L’animal est placé en décubitus latéral, couché sur le membre concerné, l’épaule étant mise en flexion avec un angle de 90° [18]. Un changement de décubitus est nécessaire pour effectuer l’acquisition sur le membre controlatéral. Quatre séquences sont utilisées (tableau 2) [17, 18].
Il est également possible d’injecter du produit de contraste par voie intra-articulaire (gadopentétate de diméglumine) pour aider à visualiser l’avulsion ligamentaire des ligaments gléno-huméraux médial et latéral, du tendon du muscle subscapulaire et du biceps (arthro-IRM).
L’arthroscopie est actuellement considérée comme l’examen de choix pour réaliser un bilan lésionnel des structures intra-articulaires. Elle offre également la possibilité d’effectuer de manière concomitante des gestes thérapeutiques tels qu’une ténotomie bicipitale ou le retrait d’un cartilage lésé.
Moins délabrante qu’une arthrotomie, elle reste toutefois plus invasive que le scanner et l’IRM. Par ailleurs, elle ne permet pas d’évaluer les structures extra-articulaires.
En outre, toutes les lésions observées à l’examen arthroscopique ne sont pas significatives d’un point de vue clinique. L’arthroscopie de l’épaule passe par la mise en place de ports instrumentaux latéraux qui permettent de visualiser les surfaces articulaires et la capsule, la gaine du tendon du biceps, le ligament gléno-huméral médial et le tendon du muscle subscapulaire (figure 3 et photo 8) [16]. L’aspect latéral de l’articulation, en particulier le ligament gléno-huméral latéral et la portion de capsule adjacente, peut être apprécié par un port caudo-latéral ou un port médial.
Au final, chaque technique présente des avantages et des inconvénients (tableau 3). Le choix et la chronologie de la réalisation de ces examens complémentaires sont conditionnés par les éléments du bilan anamnestique et clinique.
Conflit d’intérêts : Aucun
Encadré :
GROUPE MUSCULAIRE DE L’ÉPAULE (FACES MÉDIALE ET LATÉRALE)
Les principaux muscles stabilisateurs de l’épaule sont :
• le muscle infra-épineux, dont le tendon distal exerce une fonction de ligament collatéral latéral de l’articulation ;
• le muscle supra-épineux, qui est actif durant 65 à 80 % de la phase d’appui, empêchant l’affaissement de l’articulation ;
• le muscle subscapulaire dont le tendon distal exerce une fonction de ligament collatéral médial ;
• le muscle petit rond qui s’applique tout le long du compartiment caudal de l’articulation ;
• le muscle coraco-brachial, le biceps brachial, le chef long du triceps brachial, le muscle deltoïde et le grand rond dans une moindre mesure.
Une suspicion d’atteinte de l’épaule repose sur la mise en évidence d’une anomalie clinique lors de la réalisation de tests spécifiques. Une fois l’examen clinique réalisé, lorsque le praticien suspecte une atteinte orthopédique de l’épaule, il dispose de différents examens d’imagerie pour préciser le diagnostic (figure 4). L’échographie ne permet pas de détecter les lésions qui concernent le compartiment médial et son intérêt se limite majoritairement à l’exploration des atteintes musculotendineuses. L’examen tomodensimétique et l’IRM permettent de réaliser de manière plus spécifique un bilan lésionnel osseux et musculo-tendineux. Malgré une plus grande disponibilité de ces différents examens, l’interprétation de leurs résultats doit se faire avec précaution, car les lésions décelées n’ont pas systématiquement une signification clinique, compte tenu de la récente description de l’anatomie de l’épaule par la tomodensitométrie et l’imagerie par résonance magnétique.