SURVIE ENVIRONNEMENTALE DE M. BOVIS : UN OBSTACLE ÉCOLOGIQUE AU CONTRÔLE ET À L’ÉRADICATION DE LA TUBERCULOSE BOVINE - Le Point Vétérinaire n° 422 du 01/10/2021
Le Point Vétérinaire n° 422 du 01/10/2021

ZOONOSE

Article original

Auteur(s) : Franck Biet

Fonctions : Inrae Val de Loire
UMR ISP 1282
37380 Nouzilly

La persistance de zones endémiques de tuberculose bovine pourrait être due aux caractéristiques de Mycobacterium bovis, une bactérie capable d’évoluer dans un système multihôtes et résistante dans l’environnement.

La tuberculose bovine, dont l’agent étiologique principal est Mycobacterium bovis, est une maladie à l’interface entre l’animal et l’homme. La lutte contre cette zoonose fait l’objet d’une prophylaxie obligatoire depuis 1963. Les programmes d’éradication, mis en œuvre par les services vétérinaires de l’État, s’appuient sur la collaboration technique des vétérinaires sanitaires, des Groupements de défense sanitaire et des laboratoires vétérinaires d’analyses agréés. Grâce à ces mesures collectives appliquées pour détecter, éliminer les élevages infectés et protéger les élevages sains, la France est devenue indemne de tuberculose bovine en 2001. Mais malgré la mise en place de ces programmes, dont le coût annuel dépasse 20 millions d’euros par an, la réémergence sporadique de la tuberculose bovine, dans certaines zones du territoire, vient compliquer l’espoir d’éradication de cette maladie.

MYCOBACTERIUM BOVIS AU SEIN D’UN SYSTÈME MULTIHÔTES

En effet, depuis quelques années, le nombre de foyers de tuberculose bovine enregistrés ne cesse d’augmenter, principalement dans les régions Bourgogne et Nouvelle-Aquitaine. L’analyse de ces foyers montre qu’ils concernent principalement des élevages allaitants extensifs, avec de longues périodes au pâturage. Dans ce système d’élevage, les contacts entre les bovins sont plus fréquents et ceux entre les bovins et la faune sauvage, très dense dans ces zones, sont favorisés par des pâturages en libre accès. Depuis 2001, dans les zones où sévit la tuberculose bovine, l’infection de la faune sauvage par M. bovis est de plus en plus fréquemment mise en évidence (photo 1). Les travaux de Sylvatub, le programme de surveillance épidémiologique de la tuberculose bovine au sein de la faune sauvage française, ont révélé que les sangliers, les blaireaux et les cervidés sont régulièrement infectés par M. bovis [18]. Dans plusieurs régions de France, M. bovis semble circuler dans un système multihôtes comprenant donc les bovins, plusieurs espèces sauvages et leur environnement (figure). La persistance de la tuberculose bovine dans les populations sauvages pourrait ainsi contribuer à la pérennisation des infections dans les élevages.

La même situation est également observée dans des pays comme l’Irlande, le Royaume-Uni, l’Espagne, la Nouvelle-Zélande et le nord-est du Michigan aux États-Unis, où la réémergence de la tuberculose est fortement associée à des réservoirs sauvages infectés par M. bovis tels que les blaireaux, les opossums, les cerfs de Virginie et les porcs sauvages [4, 7, 9, 12, 17, 22]. Cette maladie ancienne n’est donc plus considérée comme un simple problème d’origine bovine, mais une préoccupation pour les communautés multihôtes qui incluent des espèces sauvages.

LES SOURCES DE CONTAMINATION

Il a longtemps été admis que la tuberculose bovine se propageait par inhalation directe et échange de bioaérosols contenant des gouttelettes chargées de bactéries. Selon des preuves récentes, provenant de bovins et de blaireaux munis d’un collier GPS en Grande-Bretagne et en Irlande, la transmission directe par des gouttelettes infectieuses ou des aérosols ne serait pas le principal mécanisme de contamination interspécifique, ce qui suggère l’existence d’une transmission indirecte, impliquant un environnement partagé contaminé. La contamination de l’environnement pourrait ainsi se produire via l’excrétion dans les fèces de bacilles d’animaux infectieux, un phénomène bien décrit chez les bovins, les blaireaux, les cerfs et les sangliers [5, 8, 13, 16]. Des études anciennes montrent qu’environ 10 % des bovins atteints de tuberculose à un stade avancé excrètent des bactéries. Plus récemment, des études irlandaises laissent entendre que jusqu’à 40 % des bovins infectés excrètent M. bovis. D’autres rapports révèlent que ce chiffre pourrait atteindre près de 80 % [1]. Au sein de la famille des mycobactéries, les membres du complexe tuberculosis sont décrits comme des agents pathogènes intracellulaires facultatifs (par opposition aux agents pathogènes intracellulaires obligatoires) qui peuvent survivre et se reproduire en dehors des cellules de leurs hôtes [2]. Ces mycobactéries du complexe tuberculosis, y compris M. bovis, sont relativement résistantes et résilientes dans l’environnement. Elles semblent capables de survivre à relativement long terme sur une large gamme de matrices et de substrats, y compris des sols aux pH variés, dans des systèmes expérimentaux ou en conditions naturelles. Cela expliquerait les contaminations et les transmissions indirectes.

En plus des sources de contamination par les bovins, le rôle potentiel de la faune sauvage infectée dans la contamination environnementale doit être pris en compte. Par exemple, les blaireaux, dont les lésions tuberculeuses sont localisées au niveau du système rénal, laissent des traces d’urine dans les pâturages à partir desquelles des échantillons contenant des bacilles ont pu être cultivés. Il a été observé que les bacilles excrétés dans l’urine de blaireau survivent dans les pâturages environ trois jours en été et quatorze jours en hiver, les résultats saisonniers dépendant principalement de l’intensité relative du rayonnement ultraviolet. Dans ces études, l’évaluation des potentiels d’infection de la population de blaireaux a été étudiée grâce à une mesure indirecte, via une analyse par polymerase chain reaction (PCR) quantitative de la charge bactérienne [14]. Il a été observé que les blaireaux infectés excrétaient entre 1 000 et 400 000 cellules de M. bovis par gramme de matière fécale extraite d’un sol contaminé, créant potentiellement un réservoir environnemental important et variable [10]. Cependant, ces chiffres doivent être considérés avec beaucoup de prudence, car les tests moléculaires ne prennent pas en compte l’indicateur de la viabilité cellulaire et ne distinguent pas les cellules bactériennes vivantes des cellules mortes.

Ainsi, les sources environnementales contaminées, l’eau et le sol, peuvent être considérées comme des causes d’infections “résiduelles” en cas de réémergence de la tuberculose bovine. Il reste à comprendre le cycle de vie de M. bovis dans l’environnement et à identifier les mécanismes de transmission de cet agent pathogène.

UNE MALADIE VECTORISÉE

D’après une étude récente, des hôtes “invertébrés” présents dans l’environnement d’élevage pourraient agir comme des vecteurs pour M. bovis et jouer un rôle dans la dissémination et la persistance de cette zoonose. Les vers de terre, notamment, peuvent ainsi ingérer M. bovis à partir des excréments de bovins, et des bacilles viables se retrouvent ensuite dans leurs déjections [6]. Ce résultat prend une importance toute particulière dans la mesure où les vers de terre constituent une composante substantielle du régime alimentaire des blaireaux, acteurs majeurs dans l’épidémie de tuberculose bovine en Grande-Bretagne et en Irlande [15].

Les organismes unicellulaires environnementaux, tels que les amibes libres, ont longtemps été suspectés d’être une “pépinière” pour les bactéries intracellulaires dans l’environnement, voire les hôtes dans lesquels les bactéries non pathogènes effectueraient leur transition pour devenir des agents pathogènes [3, 23]. Les amibes libres sont des protozoaires retrouvés dans les mêmes niches environnementales que M. bovis, y compris l’eau et le sol [19]. Les amibes se nourrissent principalement de bactéries présentes dans l’environnement et les digèrent par phagocytose. Elles jouent ainsi, avec d’autres protistes du pâturage, un rôle clé dans l’élaboration de la composition de la communauté bactérienne dans l’environnement [11].

Une étude américaine démontre que l’exposition d’animaux de laboratoire à des amibes infectées par M. bovis peut entraîner la transmission de la tuberculose pulmonaire [21]. Dans cette même étude, les auteurs montrent que le bacille peut survivre plus de 60 jours dans son hôte amibien.

Tous ces travaux confirment que la survie de M. bovis dans des amibes environnementales omniprésentes (par exemple, dans le sol et l’eau) est possible et que, même à l’intérieur des amibes, la bactérie peut conserver une virulence suffisante pour être transmise à un hôte mammifère (photo 2). Par ailleurs, il semble établi que M. bovis pourrait survivre, avec des conditions microenvironnementales hostiles (par exemple, famine, température, pH et dessiccation), dans les amibes enkystées. S’il semble établi que les amibes protègent nettement les agents pathogènes mycobactériens opportunistes au cours de leur vie environnementale, leur rôle dans l’infection à M. bovis reste à établir.

À partir des prélèvements d’eau dans des élevages (intérieur et extérieur des abreuvoirs, mares), une étude récente a permis d’isoler des amibes hébergeant l’agent de la paratuberculose (Mycobacterium avium ssp. paratuberculosis) [20]. Le génotypage de la souche de Mycobacterium avium ssp. paratuberculosis intra-amibien a révélé qu’il était identique à celui des souches isolées des animaux de l’élevage. Ainsi, ces données viennent renforcer l’hypothèse selon laquelle les amibes pourraient jouer le rôle de réservoir et de vecteur dans d’épidémiologie des infections aux mycobactéries.

Aujourd’hui, des travaux similaires sont entrepris pour mieux comprendre les interactions entre amibes et mycobactéries isolées dans l’environnement des foyers de tuberculose bovine.

CONCLUSION

Les raisons pour lesquelles la tuberculose bovine reste endémique dans certaines zones sont multiples et incluent de nombreux facteurs, sans compter les possibles difficultés d’application des mesures de contrôle en élevage : la présence de la maladie dans un système multihôtes, un réservoir important dans la faune sauvage et un environnement potentiellement propice à la dissémination de M. bovis, libre ou vectorisé par la microfaune. Le risque épidémiologique lié à la persistance de M. bovis dans l’environnement doit être étudié plus largement. Ce domaine d’études pourrait permettre de découvrir les mécanismes de transmission du bacille qui sont restés opaques, et révéler la dynamique de la maladie à partir d’un réservoir environnemental. En outre, une approche de gestion des écosystèmes associée aux mesures de biosécurité semble indispensable pour réduire la réémergence croissante de cette zoonose.

Références

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Conflit d’intérêts : Aucun

Points clés

• Depuis quelques années, un nombre croissant de foyers de tuberculose bovine sont enregistrés, principalement dans les régions Bourgogne et Nouvelle-Aquitaine.

• La persistance de la tuberculose bovine dans les populations sauvages pourrait contribuer à la pérennisation des infections dans les élevages.

• Les sources environnementales contaminées (eaux et sols) peuvent être considérées comme des causes d’infections “résiduelles” en cas de réémergence de la tuberculose bovine.

• Les amibes pourraient jouer le rôle de réservoir et de vecteur dans d’épidémiologie des infections aux mycobactéries.

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