URGENCES
Dossier
Auteur(s) : Adrianna Speroni*, Maxime Cambournac**
Fonctions :
*Service d’urgences et soins intensifs
Centre hospitalier vétérinaire Frégis
43, avenue Aristide Briand
94110 Arcueil
**(dipl. ECVECC)
Les examens d’imagerie rapide sont réalisés au chevet de l’animal et souvent au moment de l’évaluation clinique et de la phase de stabilisation. Ils mettent en évidence précocement des épanchements et des lésions pulmonaires.
Bien qu’indispensable, l’examen clinique ne permet pas à lui seul d’explorer les lésions internes chez un animal polytraumatisé. Les examens d’imagerie prennent alors toute leur place, en particulier les échographies ciblées au chevet de l’animal. L’objectif du vétérinaire est de confirmer les suspicions cliniques et parfois de détecter d’éventuelles lésions avant même qu’elles entraînent des répercussions délétères, afin de les prendre en charge le plus tôt possible. Lorsque l’animal est stabilisé, d’autres examens d’imagerie viennent compléter la démarche diagnostique afin d’établir un bilan exhaustif des atteintes dans un objectif pronostique et/ou thérapeutique.
Les échographies ciblées sont pleinement intégrées aux protocoles de soins des services d’urgence et de soins intensifs, mais aussi désormais en médecine générale. Cette importance découle de leurs nombreux avantages : elles sont sûres et non invasives, non ionisantes, rapides et répétables, et mises en oeuvre au chevet de l’animal lorsque celui-ci ne peut être déplacé aisément, notamment lors de la phase de stabilisation initiale. De plus, elles peuvent être pratiquées par des vétérinaires qui ne possèdent pas de compétences particulières en échographie, après un temps d’apprentissage court [6].
Les deux protocoles les plus utilisés actuellement sont l’abdominal focused assessment with sonography for trauma (AFast) pour l’échographie ciblée de l’abdomen et le thoracic focused assessment with sonography for trauma (TFast) pour l’examen du thorax. Leur objectif est de répondre, par oui ou par non, aux questions urgentes qui se posent face à un animal traumatisé et qui guident la réanimation (y a-t-il un épanchement, des lésions alvéolaires pulmonaires ?, etc.). Ces deux examens ne remplacent donc pas les échographies standards exhaustives, mais sont particulièrement utiles chez l’animal en détresse respiratoire ou qui présente une instabilité hémodynamique, pour lequel une réponse immédiate est nécessaire, sans par ailleurs entraver les efforts de réanimation [7].
L’AFast est un examen rapide (moins de cinq minutes) et ciblé de quatre sites abdominaux permettant de confirmer ou d’infirmer la présence d’un épanchement. Il est souvent une extension de l’évaluation clinique de l’animal traumatisé ou instable, et réalisé conjointement à la stabilisation médicale [7].
L’examen est classiquement pratiqué en décubitus latéral, afin de limiter les contraintes et le besoin de contention sur un animal polytraumatisé (figure 1). Le décubitus dorsal est à éviter afin de ne pas compromettre la fonction respiratoire de l’animal. Il n’est pas nécessaire de tondre pour réaliser les diff érentes vues, la simple application d’alcool sur la peau est généralement suffisante.
Des triangles anéchogènes sont recherchés entre les organes, révélant la présence de liquide libre dans l’abdomen, sur quatre sites diff érents :
- la vue diaphragmatico-hépatique permet de visualiser le foie et le diaphragme, mais aussi la vésicule biliaire, le péricarde et l’espace pleural (photo 1a) ;
- la vue spléno-rénale permet de visualiser le rein gauche et la rate (photo 1b) ;
- la vue cysto-colique permet de visualiser le pôle cranial de la vessie (photo 1c) ;
- la vue hépato-rénale permet de visualiser le rein droit et les anses intestinales (photo 1d) [6].
L’AFast étant un examen rapide et facilement accessible, il est répétable. L’intérêt de le répéter au cours de l’hospitalisation est de détecter les modifications de la quantité de fluide lorsqu’un épanchement est présent à l’admission de l’animal, mais aussi son apparition lorsque le résultat est initialement négatif. Sa sensibilité est ainsi augmentée. Il est recommandé de le répéter toutes les deux à quatre heures, ou a minima lors d’une dégradation clinique significative de l’état général de l’animal.
Pour faciliter le suivi, il est possible de grader l’épanchement grâce à un score semi-quantitatif. Cette méthode consiste à attribuer un point par fenêtre échographique révélant la présence de liquide libre. D’un point de vue clinique, ce score présente l’avantage d’être corrélé à la gravité du traumatisme, mais aussi, lorsqu’il augmente au cours du temps, de détecter un saignement abdominal actif [9]. Le suivi de l’AFast est donc souvent une aide à la décision thérapeutique : un score qui augmente au cours de l’hospitalisation est un critère objectif concluant à l’insuffisance d’une prise en charge conservatrice et pouvant motiver une décision chirurgicale. Inversement, si le score diminue au cours du temps, cela signifie que l’épanchement se résorbe, donc que l’hémorragie n’est plus active. Cela peut permettre de temporiser la décision de recourir à la chirurgie [5].
Lors de traumatismes pénétrants, l’AFast est potentiellement un peu moins sensible, mais constitue toujours un guide thérapeutique. Lorsque le résultat est positif, c’est souvent un critère de décision pour pratiquer une laparotomie exploratrice. Dans tous les cas, la sensibilité de l’AFast est supérieure à celle de la radiographie abdominale ou à l’examen clinique pour la détection des épanchements abdominaux [8, 14]. Néanmoins, l’examen ne permet pas de préciser l’organe ou la lésion à l’origine de l’épanchement. Même si l’AFast reste totalement indispensable, les traumatismes abdominaux ne sont pas systématiquement à l’origine d’épanchements. Aussi, il peut être nécessaire de compléter la prise en charge par d’autres examens d’imagerie.
En cas de traumatisme, les épanchements abdominaux ont le plus souvent une origine hémorragique [6, 5]. Toutefois, la ponction et l’analyse de l’épanchement sont essentielles pour confirmer leur nature (figure 2).
Dans les cas de traumatisme contondant, les lésions thoraciques les plus fréquemment rencontrées sont les contusions pulmonaires (58 %), les pneumothorax (47 %) et les hémothorax (18 %) [12]. Dans toutes ces situations, l’animal présente fréquemment une instabilité respiratoire qui ne permet pas de réaliser des radiographies thoraciques. La présence d’un épanchement motive la réalisation d’une thoracocentèse, tandis que son absence oriente plutôt vers une attitude conservatrice.
L’examen TFast permet de guider rapidement la prise en charge en permettant d’identifier les épanchements pleuraux (dont les pneumothorax) et péricardiques, ainsi que les lésions alvéolaires (contusions pulmonaires en particulier chez les animaux traumatisés) [1, 11]. Comme l’AFast, il peut être réalisé en décubitus latéral, voire sternal, suivant l’état de l’animal, et ne nécessite pas de tonte préalable. Le TFast est fondé sur cinq fenêtres échographiques (figure 3) :
- deux vues entre les 7e et 9e espaces intercostaux, de chaque côté du thorax ;
- deux vues entre les 5e et 6e espaces intercostaux, en regard du cœur, de chaque côté du thorax ;
- la vue subxiphoïdienne qui permet de visualiser les espaces pleural et péricardique par voie transdiaphragmatique.
Pour les deux premières vues, l’opérateur cherche à identifier le signe de la chauve-souris (bat sign) qui est constitué des deux côtes et de leur ombre acoustique, avec la ligne pleurale au milieu. Lorsque les plèvres sont en contact (cas normal), le signe du glissement est présent. Il correspond au coulissement des plèvres pariétale et viscérale l’une sur l’autre lors de la respiration. Les autres images à rechercher sont les lignes B, qui sont des artefacts en queue de comète (photo 2 et figure 4). Ces bandes verticales hyperéchogènes s’étendent depuis la ligne pleurale, traversent l’ensemble de la fenêtre échographique et se déplacent concomitamment au signe du glissement. Dès qu’elles sont plus de trois par champ ou qu’elles sont coalescentes, elles indiquent la présence de lésions alvéolo-interstitielles. Dans un contexte de traumatisme, les lignes B sont très évocatrices de la présence de contusions pulmonaires.
Ces deux vues associées aux trois autres permettent également de mettre en évidence les épanchements pleuraux et péricardiques, des plages hypoéchogènes à anéchogènes situées entre la paroi thoracique et les lobes pulmonaires pour l’épanchement pleural, et autour du cœur pour le péricardique (photo 3).
La présence ou l’absence de pneumothorax est un peu plus complexe à évaluer et demande de l’expérience, sans toutefois nécessiter des compétences particulières en échographie [10]. Lorsque de l’air circule entre les deux plèvres, il masque tout ce qui se trouve en dessous : la ligne pleurale reste visible, mais le signe du glissement disparaît puisque la ligne pleurale n’est plus alors constituée que de la plèvre pariétale (photo 4 et figure 5). Il est parfois difficile d’évaluer le signe du glissement lorsque l’animal présente une tachypnée restrictive. Un autre indice de pneumothorax est la disparition des lignes B puisqu’elles proviennent de la plèvre viscérale.
Les examens AFast et TFast permettent de confirmer la présence de liquide libre dans l’abdomen ou l’espace pleural, mais pas d’en connaître la nature. Lors de traumatisme, du sang est le plus souvent retrouvé, mais ce n’est pas toujours le cas, et cela modifie la prise en charge thérapeutique. C’est pourquoi il est recommandé dès que possible de prélever le liquide d’épanchement, par paracentèse ou thoracocentèse, échoguidée ou à l’aveugle. Les caractéristiques visuelles et hémato-biochimiques permettent de déterminer la nature de l’épanchement (tableau). Dans la plupart des cas, la qualification de l’épanchement nécessite une comparaison de ses caractéristiques avec les paramètres sanguins.
Dans la démarche initiale, les examens Fast ne répondent qu’à des questions limitées. Aussi, il est nécessaire de réaliser d’autres examens d’imagerie afin d’établir un bilan lésionnel plus complet, de préciser le pronostic et de guider une éventuelle prise en charge chirurgicale.
En l’absence d’appareil d’échographie disponible à la clinique, la radiographie est indiquée afin d’identifier la présence d’un épanchement abdominal ou pleural et de contusions pulmonaires. Elle présente l’inconvénient d’être plus longue et de nécessiter une contention, c’est pourquoi l’échographie ciblée est toujours préférable lorsqu’elle est disponible. De plus, elle est moins sensible que l’AFast et le TFast et ne permet pas une détection précoce des épanchements. Elle est aussi beaucoup moins sensible pour localiser des contusions pulmonaires puisque les lésions radiographiques n’apparaissant parfois que 12 à 24 heures après les signes cliniques [11].
La radiographie reste indiquée dans un second temps pour préciser le bilan lésionnel une fois l’animal stabilisé. La radiographie thoracique permet d’étayer les suspicions de hernie diaphragmatique, de volet costal, etc. Les radiographies des os longs, du bassin et du rachis permettent de visualiser les lésions suspectées à l’examen orthopédique et neurologique afin de guider la prise en charge chirurgicale. La radiographie avec produit de contraste est un examen de choix en cas de mise en évidence d’un uroabdomen, afin de révéler la localisation de la brèche urinaire (urographie ou urétrographie rétrograde). Il est recommandé, dans la mesure du possible, d’avoir stabilisé l’animal avant l’injection de produit de contraste iodé en raison du risque néphrotoxique. Il s’agit donc de peser la balance bénéfice/risque d’un diagnostic retardé, donc souvent d’une prise en charge chirurgicale différée. Enfin, un examen échographique complet est souvent judicieux dans un contexte de bilan lésionnel extensif.
En médecine humaine, le scanner est le gold standard dans l’approche du patient polytraumatisé. Pour de multiples raisons, son utilisation en médecine vétérinaire reste plus limitée. Néanmoins, bien que nécessitant quasi systématiquement une anesthésie, le scanner prend toute sa place dans la phase préopératoire afin de faire un état des lieux lors de lésions complexes. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est intéressante pour prédire le devenir des animaux traumatisés souffrant d’une affection neurologique, intracrânienne ou médullaire. Cependant, elle reste peu disponible et est rarement réalisée avant 24 à 48 heures de stabilisation puisqu’elle nécessite une anesthésie longue [3]. Lorsque cette technique n’est pas disponible et/ou qu’une anesthésie longue n’est pas souhaitée, le scanner peut remplacer l’IRM, dans certains cas, et permettre de répondre à des questions portant sur la présence ou non de fractures ou d’une hémorragie. Selon les indications et les régions anatomiques à explorer, il convient de sélectionner rigoureusement la méthode d’imagerie en trois dimensions : par exemple, un scanner est préférable à l’IRM pour l’exploration de fractures chez un animal qui ne présente pas de déficit neurologique.
Conflit d’intérêts : Aucun
Les examens d’imagerie rapide (AFast et TFast) sont ciblés, ce qui permet de répondre aux questions vitales concernant l’animal polytraumatisé. Ils ont l’avantage de pouvoir être réalisés à son chevet et souvent de façon concomitante à l’évaluation clinique et à la phase de stabilisation. Les autres examens d’imagerie trouvent leur place dans un second temps, une fois l’animal capable de les tolérer, afin de préciser le pronostic et de guider la prise en charge thérapeutique et chirurgicale, le cas échéant.