MALADIE D’EBSTEIN CHEZ UN JEUNE LABRADOR - Le Point Vétérinaire n° 421 du 01/09/2021
Le Point Vétérinaire n° 421 du 01/09/2021

CARDIOLOGIE

Cardiologie

Auteur(s) : Yassine Ben Abdennebi

Fonctions : (MRCVS)
CHV HOPia
14, boulevard des Chênes
78280 Guyancourt

La détection d’un souffle cardiaque juvénile irradiant à droite, associé à des signes en faveur d’une cardiomégalie droite à la radiographie et/ou à l’électrocardiogramme, conduit à suspecter la maladie d’Ebstein, surtout chez un chien de race labrador.

Un chien labrador mâle entier, âgé de 1 an, est présenté pour explorer une intolérance à l’effort qui évolue depuis plusieurs mois, ainsi que l’apparition d’une toux sèche quinze jours auparavant. L’animal reçoit un traitement à base de bénazépril (à raison de 0,35 mg/kg per os une fois par jour) depuis une consultation vaccinale pédiatrique à l’âge de 3 mois, au cours de laquelle un souffle cardiaque systolique droit avait été découvert par le vétérinaire traitant.

DIAGNOSTIC

Examen général et auscultation

À l’examen clinique, le chien présente un bon état général. Il est normotherme, les muqueuses buccales et génitales sont roses et humides, le temps de recoloration capillaire est normal (2 secondes). L’animal est en polypnée, avec une fréquence respiratoire supérieure mesurée à 120 mouvements par minute.

À l’auscultation, aucun bruit pulmonaire anormal n’est audible. En revanche, un souffle systolique apexien droit, de grade 4 sur 6, est décelé. La fréquence cardiaque est élevée, à 145 battements par minute, associée à un rythme régulier et à un pouls fémoral frappé synchrone. Les jugulaires ne sont pas distendues et la palpation abdominale ne révèle pas d’ascite.

Examens complémentaires

Des radiographies thoraciques mettent en évidence une cardiomégalie droite (photos 1a et 1b). Les veines des poumons ne sont pas dilatées et le champ pulmonaire est normal.

Un électrocardiogramme confirme la tachycardie sinusale. Les ondes P sont hypervoltées (0,6 mV en DII), suggérant une dilatation de l’oreillette droite. Des complexes QRS positifs dans les dérivations DIII, aVF, aVR indiquent un axe cardiaque entre + 150 et + 180°, notamment en faveur d’une dilatation ventriculaire droite. La déviation droite de l’axe cardiaque, associée à l’élargissement des complexes QRS (0,08 s en DII), évoque un bloc de branche droit.

À l’examen échocardiographique, le cœur gauche apparaît normal. Le septum interventriculaire est aplati en diastole, indiquant une surcharge volumique droite. Le tronc pulmonaire est normal. Le ventricule droit est dilaté en systole et en diastole. Les muscles papillaires sont fusionnés. Les feuillets tricuspidiens sont déplacés vers l’apex du cœur, à 1 cm de l’anneau mitral. Le feuillet septal est anormalement court, et fusionné au septum interventriculaire. Le feuillet antérieur est complètement prolabé vers l’oreillette droite en systole, à l’origine d’un reflux tricuspidien important. L’étude Doppler du reflux tricuspidien permet d’exclure une hypertension pulmonaire (26 mmHg). L’oreillette droite apparaît très dilatée et comprend une partie du ventricule droit atrialisé (photo 2). Le septum interatrial est déplacé vers la gauche, mais il reste imperméable. Les veines caves ne sont pas dilatées.

L’échographie abdominale effectuée ne révèle ni ascite, ni congestion veineuse hépatique.

Diagnostic et traitement

Une maladie d’Ebstein compensée est diagnostiquée, justifiant les signes cliniques observés chez l’animal.

Du pimobendane est prescrit, à la dose de 0,25 mg/kg per os deux fois par jour. Plusieurs contrôles cliniques et échocardiographiques sont réalisés au cours des six mois qui suivent. L’état clinique du chien est légèrement amélioré par le traitement médicamenteux, puisqu’il présente une meilleure tolérance à l’effort. Les images échographiques montrent une fonction cardiaque compensée, sans diminution de taille des cavités droites.

DISCUSSION

Définition

La maladie d’Ebstein est une forme rare et particulière de dysplasie tricuspidienne. À la différence d’une dysplasie classique, les feuillets tricuspidiens ne sont pas seulement anormalement constitués, mais aussi anormalement positionnés. Ils sont ainsi plus ou moins déplacés vers l’apex du cœur, limitant la taille du ventricule droit, dit fonctionnel, au détriment d’une partie du ventricule droit, dite atrialisée, qui devient une partie intégrante de l’oreillette droite [2, 3]. Selon l’importance du déplacement et le volume résiduel du ventricule droit, plusieurs indices morphologiques sont utilisés en médecine humaine afin de classifier la maladie (indice de Celermajer, classification de Carpentier, index de déplacement).

Cette maladie génétique atteint préférentiellement le labrador, sans prédisposition de sexe. La transmission étant autosomale dominante à pénétrance incomplète, il est recommandé d’écarter de la reproduction les animaux atteints [3].

Signes cliniques

Les chiens atteints de maladie d’Ebstein présentent essentiellement des signes d’insuffisance cardiaque droite de bas débit (fatigabilité, intolérance à l’effort) ou congestive (pouls jugulaire rétrograde, ascite) [2]. L’association de cette malformation et de troubles du rythme est fréquente, avec en premier lieu des blocs de branche droit, mais des syndromes de Wolff-Parkinson-White ou des tachycardies supraventriculaires sont également décrits [3].

Les éléments qui permettent de suspecter la maladie d’Ebstein, a fortiori lorsqu’ils concernent un chien de la race labrador, sont l’existence d’un souffle cardiaque juvénile irradiant à droite, associé à des signes en faveur d’une cardiomégalie droite à la radiographie et/ou à l’électrocardiogramme. Cependant, seule l’échocardiographie permet d’établir le diagnostic. Elle aide également à rechercher une cardiopathie congénitale concomitante, fréquemment associée (dans 70 % des cas) [2].

Traitement

Aucun consensus n’existe quant à la prise en charge thérapeutique de la maladie d’Ebstein. Un traitement symptomatique est recommandé, à base d’inotropes positifs puis de diurétiques lors d’insuffisance cardiaque congestive [3].

Chez l’homme, la chirurgie réparatrice sous circulation extracorporelle est conseillée avant l’apparition d’une insuffisance cardiaque droite, mais elle n’est pas encore décrite chez le chien [3].

Pronostic

Il existe peu de cas de maladie d’Ebstein rapportés dans la littérature vétérinaire. Un recueil récent établit néanmoins des statistiques quant à l’espérance de vie des animaux atteints [1]. Celle-ci est plutôt correcte pour une cardiopathie congénitale, de la même ampleur que celle du chien de notre cas. Les animaux concernés peuvent vivre plusieurs années avec cette affection traitée médicalement [2]. La médiane de survie atteint plus de 6 ans (74 mois). Les facteurs pronostiques négatifs sont l’existence de signes cliniques au moment du diagnostic et la présence d’une ascite, souvent associés à l’importance du déplacement de l’insertion des valves. Ce déplacement est mesuré de façon concrète par l’indice de Celermajer (rapport entre la surface de l’oreillette droite totale sur la somme des surfaces du ventricule droit fonctionnel et du cœur gauche) [1].

CONCLUSION

La maladie d’Ebstein est une forme rare de dysplasie tricuspidienne, dans laquelle les feuillets tricuspidiens sont anormalement déplacés vers l’apex du cœur. Le diagnostic est établi via l’échocardiogaphie. Le pronostic de survie est de plusieurs années, mais il dépend du degré de déplacement des feuillets tricuspidiens

Références

  • 1. Chetboul V, Poissonnier C, Bomassi E et coll. Epidemiological, clinical, and echocardiographic features, and outcome of dogs with Ebstein’s anomaly: 32 cases (2002-2016). J. Vet. Cardiol. 2020;29:11-21.
  • 2. Chetboul V, Tran D, Carlos C et coll. Les malformations congénitales de la valve tricuspide chez les carnivores domestiques : étude rétrospective de 50 cas. Schweiz. Arch. Tierheilkd. 2004;146:265-275.
  • 3. Choi R, Lee SK, Moon HS et coll. Ebstein’s anomaly with an atrial septal defect in a jindo dog. Can. Vet. J. 2009;50:405-410.

Conflit d’intérêts : Aucun

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