LES PRINCIPES DE LA RADIOTHÉRAPIE ANTICANCÉREUSE - Le Point Vétérinaire n° 421 du 01/09/2021
Le Point Vétérinaire n° 421 du 01/09/2021

CANCÉROLOGIE THÉORIQUE

Dossier

Auteur(s) : Léa Vazquez

Fonctions : ProvenceVet
275, rue Jean Dausset
84140 Avignon

La médecine moderne bénéficie de l’apport essentiel des technologies les plus récentes qui permettent des traitements de plus en plus efficaces. C’est le cas de la radiothérapie anticancéreuse pour soigner les animaux domestiques.

En médecine vétérinaire canine, le cancer est en passe de devenir l’une des principales causes de mortalité, voire la première chez certaines races selon des études convergentes, touchant jusqu’à 45 % des animaux âgés de plus de 10 ans. Par exemple, chez le bouvier bernois, le cancer est désormais la cause de la mort d’environ la moitié des individus [11]. Heureusement, la dernière décennie a été le témoin de progrès considérables dans la compréhension des caractéristiques de ce type d’affection. Mieux, le développement de méthodes de détection précoce et l’accès à diverses modalités de traitement ont permis de guérir certains cancers.

Parfois difficile d’accès en médecine vétérinaire en France, la radiothérapie est désormais une spécialité médicale reconnue internationalement, bien que ce ne soit pas encore formel pour les praticiens français. Même si la chirurgie reste le traitement classique pour la plupart des cancers, le protocole comprend fréquemment un traitement systémique (chimiothérapie, immunothérapie, thérapie ciblée) et/ou une radiothérapie adjuvante. Dans certains cas, ce sont les seuls traitements possibles. En médecine humaine, la radiothérapie contribuerait à environ 40 % du traitement curatif, et plus de la moitié des patients atteints d’un cancer sont traités par ce biais [1, 3].

1. DÉFINITION DE LA RADIOTHÉRAPIE

La radiothérapie est généralement définie comme la spécialité médicale qui utilise les radiations ionisantes en tant qu’agents de traitement, avec l’objectif de guérir ou de soulager les patients en bloquant la capacité des cellules cancéreuses à se multiplier, sans altérer les tissus sains adjacents (photo 1).

Pour proposer un traitement de radiothérapie adapté (balance bénéfices/risques positive), il est important de connaître les bases de son fonctionnement d’une part, et les différentes techniques disponibles pour chaque cas d’autre part. Une approche pluridisciplinaire concertée demeure la base de l’établissement d’une stratégie thérapeutique appropriée.

Comment un traitement à base de radiations ionisantes peut-il être efficace contre une tumeur ? Que se passe-t-il à l’échelle biologique ? Sur quelles tumeurs la radiothérapie est-elle efficace ? Existet-il différentes techniques et quels sont les équipements nécessaires ? Quel est le présent et quel sera l’avenir de la radiothérapie en médecine vétérinaire ? Autant de questions auxquelles nous nous proposons de répondre.

2. LES CARACTÉRISTIQUES DU RAYONNEMENT IONISANT

Le terme de radiation, du mot latin radius (trait, ligne), se rapporte à la propagation d’énergie (énergie rayonnante ou rayonnement), mais c’est le qualificatif “ionisant” qui est primordial, car il permet de classer le rayonnement par rapport à sa toxicité sur la matière organique.

Les radiations ionisantes peuvent être d’origine naturelle (telluriques, cosmiques) ou artificielle (médecine, industrie). Elles comportent les ondes électromagnétiques ou les rayonnements de particules dont l’énergie est suffisante pour provoquer des ionisations au niveau des atomes du milieu qu’elles traversent. Le rayonnement est donc dit “ionisant” parce qu’il forme des ions (particules chargées électriquement) et dépose de l’énergie dans les cellules des tissus qu’il traverse [8].

L’unité de mesure de l’énergie distribuée est le gray (Gy) (encadré 1). L’énergie impactant la cible tumorale est destinée à tuer les cellules cancéreuses ou à provoquer des changements génétiques entraînant leur mort. Toutefois, ces radiations peuvent également endommager les cellules saines de l’organisme. Il est donc indispensable de connaître leurs mécanismes d’action sur les tissus vivants et les paramètres qui déterminent la gravité des effets produits.

3. LES DIFFÉRENTS TYPES DE RADIATIONS IONISANTES

Il existe deux types de rayonnements ionisants :

- les rayonnements directement ionisants qui comportent les particules chargées, comme les rayons alpha et les rayons bêta (positrons, électrons) ;

- les rayonnements indirectement ionisants qui comportent les particules non chargées (neutrons, photons X, photons gamma).

Ces différentes catégories ne vont pas interagir de la même façon sur la matière vivante [5]. En médecine vétérinaire, les rayonnements les plus utilisés sont les électrons et les photons. Les électrons sont très utiles pour traiter les tumeurs cutanées ou sous-cutanées, car ils ne pénètrent que peu profondément dans les tissus, contrairement aux photons (tableau 1).

Actuellement, en médecine humaine, la recherche se concentre sur l’intérêt des protons et des neutrons pour améliorer la tolérance et l’efficacité des traitements de radiothérapie. L’utilisation de ces particules est encore anecdotique pour le moment chez l’humain, mais se développe dans des essais précliniques, voire cliniques [7].

4. LES EFFETS DES RADIATIONS IONISANTES SUR LA MATIÈRE VIVANTE

Pour bien comprendre l’interaction des rayonnements ionisants avec la matière vivante, il convient de distinguer les phénomènes produits à l’échelle atomique, moléculaire, puis cellulaire et tissulaire.

À l’échelle atomique, il s’agit d’effets physiques qui sont à l’origine même de la toxicité des radiations ionisantes. Ils correspondent aux premières interactions et réactions qui ont lieu dans la matière en des temps extrêmement courts, de l’ordre de 10-10 à 10-15 secondes : ce sont les ionisations et les excitations des atomes du milieu (figure 1).

Ensuite, les effets chimiques incluent toutes les interactions consécutives à la mise en mouvement des électrons. Ceux-ci, du fait de leur énergie, sont capables de provoquer des lésions au niveau moléculaire, essentiellement de l’ADN. Ces lésions sur l’ADN peuvent être directes (résultant d’un dépôt d’énergie très localisé au niveau de l’ADN) ou indirectes. Les lésions indirectes, qui résultent d’un dépôt d’énergie sur des molécules d’eau (radiolyse de l’eau), produisent des radicaux libres capables de dénaturer l’ADN par oxydation ou réduction [10].

À l’échelle cellulaire, les lésions de l’ADN conduisent, selon leur intensité, à différents résultats (figure 2) :

- soit les lésions sont parfaitement réparées et la cellule poursuit son rôle physiologique ;

- soit les lésions sont réparées mais au prix de malformations, conduisant à une cellule mutée (élimination par le système immunitaire, extinction par perte de capacité de division ou de mutation génétique/ cancérisation) ;

- soit l’importance des lésions aboutit à la mort cellulaire. Différents mécanismes sont alors possibles (figure 3) [6].

Les manifestations observées au niveau tissulaire sont variables, complexes et multifactorielles. Elles sont principalement liées au type de cellules. Les cellules peu différenciées et à fort taux de renouvellement sont plus sensibles. Les tissus les plus sensibles sont les gonades, le tissu hématopoïétique et les épithéliums, tandis que les muscles et le tissu nerveux le sont moins.

Les cellules cancéreuses sont davantage radiosensibles que les cellules saines et leur capacité à répa les lésions de l’ADN est moindre : il s’agit de l’effet diff érentiel. C’est cet eff et qui ouvre LA fenêtre thérapeutique permettant d’allier le contrôle tumoral et les faibles eff ets secondaires [4].

5. LES DIFFÉRENTES TECHNIQUES DE RADIOTHÉRAPIE

Il existe deux façons de délivrer des rayonnements ionisants sur une tumeur.

• Lors de radiothérapie dite externe, la source de rayonnements est placée en dehors du malade. Elle peut être produite par le cobalt radioactif ou par l’intermédiaire d’un générateur ou d’un accélérateur de particules. Il s’agit de l’approche la plus courante en médecine humaine. Cependant, elle nécessite un matériel coûteux qui la rend pour le moment assez peu accessible en France en pratique vétérinaire, même si certains centres hospitaliers en sont équipés (photo 2).

• Pour la curiethérapie, la source des rayonnements est placée au contact de la tumeur. Les rayons proviennent de sources radioactives, scellées, comme l’iridium, le césium ou l’iode 125. Cette technique, moins coûteuse en termes d’investissement, est un peu plus répandue, mais son champ d’application demeure restreint et son efficacité moindre en raison de ses eff ets à courte portée.

6. LES MODALITÉS DE TRAITEMENT EN RADIOTHÉRAPIE

Les séances de radiothérapie sont administrées selon un régime dit fractionné, mais il existe des protocoles qualifiés d’hypofractionnés, à moduler selon le type tumoral et l’objectif recherché. La dose prescrite sur la tumeur sera délivrée en plusieurs séances. Néanmoins, de nouvelles méthodes de traitement existent, dites de radiochirurgie, fondées sur l’administration d’une dose unique.

Ce mode de traitement repose sur les différentes propriétés radiobiologiques des tissus cancéreux et des tissus sains. Généralement, le régime fractionné favorise la survie des cellules saines par rapport aux cellules cancéreuses, car les cellules saines ont une meilleure capacité à réparer les dommages de l’ADN causés par les radiations d’une part, et prolifèrent plus lentement que les cellules cancéreuses d’autre part. Un traitement de radiothérapie classique consiste en des fractions quotidiennes, cinq à sept jours sur sept, de 1,5 à 3 Gy administrés en plusieurs semaines [2]. Actuellement, les protocoles thérapeutiques proposés habituellement en radiothérapie vétérinaire consistent à traiter cinq jours sur sept (du lundi au vendredi) ou trois jours sur sept (lundi, mercredi et vendredi). Notons qu’il existe des régimes hyperfractionnés avec deux fractions par jour.

L’objectif de la radiothérapie étant de délivrer le maximum de rayonnements à la tumeur tout en épargnant les tissus sains, de gros progrès technologiques ont été réalisés ces dernières années afin d’irradier le tissu tumoral à plus forte dose et de diminuer la toxicité pour le tissu normal. De nouvelles techniques ont été développées au cours des dernières décennies, notamment la radiothérapie par modulation d’intensité (IMRT). Cette technique de radiothérapie externe de haute précision, dans laquelle la dose d’irradiation délivrée par chacun des faisceaux est modulée de façon tridimensionnelle pour administrer une dose plus élevée à la tumeur, réduit considérablement l’exposition à l’irradiation des tissus sains environnants. Étant donné qu’avec l’IMRT la dose reçue par le tissu normal est très faible par rapport à celle dans la tumeur, il est possible de délivrer des doses d’irradiation plus élevées et efficaces à la tumeur avec moins d’effets indésirables que lors de l’utilisation des techniques de radiothérapie traditionnelle. L’IMRT réduit donc la toxicité aiguë et tardive du traitement.

D’autres techniques, plus récentes, apportent une précision encore plus élevée, permettant de délivrer un traitement de l’ordre du millimètre au moyen de multiples minifaisceaux, dans un petit volume (quelques centimètres cubes au plus), en utilisant de fortes doses par fraction. Cette technique, qui nécessite des appareils dédiés, est appelée radiothérapie stéréotaxique ou stéréo-radiothérapie (encadré 2). Elle peut traiter de petites tumeurs bien délimitées, primaires ou métastatiques, en seulement une à quelques fractions. Sa précision permet de n’endommager qu’une quantité minime de tissu sain, ce qui rend la toxicité cliniquement significative très faible. Avec cette technique, l’objectif n’est pas de fractionner la dose pour permettre la réparation des tissus sains, mais de rechercher une nécrose localisée du tissu.

Historiquement développée pour les tumeurs intracrâniennes, la radiothérapie stéréotaxique permet aujourd’hui chez l’homme, et permettra bientôt chez les animaux de compagnie avec un accélérateur de dernière génération, d’atteindre d’autres localisations, notamment les poumons, le foie et plus récemment le pancréas [9].

7. LES OBJECTIFS DE LA RADIOTHÉRAPIE ANTICANCÉREUSE

La radiothérapie peut avoir trois indications (tableau 2) :

- un contrôle tumoral local optimal sur le long terme, l’objectif étant de stériliser sur le plan locorégional la colonie de cellules cancéreuses et ainsi de prévenir la récidive locale. Dans ce cas, les doses totales administrées sont élevées et les protocoles fractionnés ;

- un effet palliatif, dans le but de ralentir l’évolution de la maladie et d’assurer une rémission clinique. Dans ce cas, les doses totales délivrées sont plus faibles et les protocoles plutôt hypofractionnés (trois à six fractions) ;

- une action simplement symptomatique, avec pour objectif de soulager, le plus souvent de la douleur.

Par ailleurs, la radiothérapie participe au contrôle de la maladie en permettant des gestes chirurgicaux plus limités qui visent à préserver l’esthétisme et le confort de vie du patient (photo 3).

8. LES EFFETS INDÉSIRABLES DE LA RADIOTHÉRAPIE

En radiothérapie, deux types d’effets indésirables sont à considérer :

- les effets aigus ou immédiats, survenant sur les tissus sains à prolifération rapide, qui apparaissent en quelques jours et peuvent durer jusqu’à plusieurs semaines après le début du traitement. Généralement peu sévères et autorésolutifs (desquamation, érythème, mucite, conjonctivite, etc.), ils peuvent toutefois nécessiter un traitement de soutien visant à améliorer la qualité de vie de l’animal ;

- les effets tardifs ou retardés, survenant plus de six mois après la fin du traitement. Il s’agit parfois d’une hyperpigmentation ou d’une alopécie, mais souvent ils se révèlent plus graves et irréversibles (sténose, fibrose, nécrose, cataracte, etc.).

Il est important de tenir compte de la potentialité de ces effets secondaires lors de la planification du traitement afin de les minimiser, le cas échéant.

Références

  • 1. Barnett GC, West CM, Dunning AM et coll. Normal tissue reactions to radiotherapy: towards tailoring treatment dose by genotype. Nat. Rev. Cancer. 2009;9 (2):134-142.
  • 2. Baskar R, Lee KA, Yeo R et coll. Cancer and radiation therapy: current advances and future directions. Int. J. Med. Sci. 2012;9 (3):193-199.
  • 3. Begg AC, Stewart FA, Vens C. Strategies to improve radiotherapy with targeted drugs. Nat. Rev. Cancer. 2011;11:239-253.
  • 4. Delaney G, Jacob S, Featherstone C et coll. The role of radiotherapy in cancer treatment: estimating optimal utilization from a review of evidence-based clinical guidelines. Cancer. 2005;104 (6):1129-1137.
  • 5. Emami B, Lyman J, Brown A et coll. Tolerance of normal tissue to therapeutic irradiation. Int. J. Radiat. Oncol. Biol. Phys. 1991;21 (1):109-122.
  • 6. Green DR, Levine B. To be or not to be? How selective autophagy and cell death govern cell fate. Cell. 2014;157 (1):65-75.
  • 7. Hälg RA, Schneider U. Neutron dose and its measurement in proton therapycurrent State of Knowledge. Br. J. Radiol. 2020;93 (1107):20190412.
  • 8. Havránková R. Biological effects of ionizing radiation. Cas. Lek. Cesk. 2020;159 (7-8):258-260.
  • 9. Lo SS, Fakiris AJ, Chang EL et coll. Stereotactic body radiation therapy: a novel treatment modality. Nat. Rev. Clin. Oncol. 2010;7:44-54.
  • 10. Lomax ME, Folkes LK, O’Neill P. Biological consequences of radiation-induced DNA damage: relevance to radiotherapy. Clin. Oncol. 2013;25:578-585.
  • 11. Prouteau A, Hédan B. Intérêt de la génétique en oncologie vétérinaire. Point Vét. 2019;50 (397):48-58.

Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré 1 : LE GRAY, L’UNITÉ DE MESURE UTILISÉE EN RADIOTHÉRAPIE

Lorsque le rayonnement ionisant pénètre dans un corps, il lui communique de l’énergie. La quantité encaissée à la suite de l’exposition s’appelle la dose absorbée. Son unité de mesure est le gray (Gy), 1 Gy correspondant à l’énergie d’un joule déposée dans un kilogramme de matière. Il s’agit de l’unité de mesure utilisée pour prescrire les traitements de radiothérapie.

Encadré 2 : TECHNIQUE D’AVENIR : LA RADIOTHÉRAPIE STÉRÉOTAXIQUE

La radiothérapie stéréotaxique offre un réel bénéfice aux traitements vétérinaires. La possibilité d’hypofractionner en moins de cinq séances permet de réduire le nombre d’anesthésies, mais également de diminuer les contraintes logistiques pour les propriétaires. En outre, la précision rigoureuse de cette technique contribue à atténuer considérablement les effets indésirables aigus. Actuellement, les deux principaux freins restent le manque de disponibilité de ces accélérateurs, lié à leur coût, et le défaut d’information des vétérinaires généralistes sur l’ensemble des possibilités de traitement qu’apporte la radiothérapie, longtemps (encore ?) absente du cursus de formation.

CONCLUSION

La radiothérapie est un traitement parfaitement efficace pour traiter un cancer à l’échelle locale. Cette thérapie, devenue indispensable en médecine humaine, est pourtant encore peu accessible aux animaux de compagnie. En France, sa faible disponibilité est notamment liée aux coûts d’une installation. La construction d’un bâtiment adapté (bunker) et l’acquisition d’un accélérateur de particules représentent un budget de plusieurs millions d’euros et expliquent les coûts élevés de ces traitements.

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