LES INDICATIONS ALTERNATIVES À LA RADIOTHÉRAPIE - Le Point Vétérinaire n° 421 du 01/09/2021
Le Point Vétérinaire n° 421 du 01/09/2021

CANCÉROLOGIE PRATIQUE

Dossier

Auteur(s) : Léa Vazquez

Fonctions : ProvenceVet
275, rue Jean Dausset
84140 Avignon

Directement issus de l’oncologie humaine, de nouveaux appareils présentant le double avantage de la précision et de la modulation d’intensité permettent l’extension du champ des possibles en radiothérapie.

L’arrivée de nouvelles techniques d’irradiation plus précises donc moins toxiques, telles que la stéréotaxie, a permis d’étendre le champ des possibles en termes de traitement. Par ailleurs, de nouvelles indications ont émergé ces dernières années, autorisant le contrôle local de certaines tumeurs auparavant inaccessibles. En effet, ces nouvelles techniques, qui associent la modulation d’intensité des faisceaux, le traitement conformationnel ou rotationnel de la machine et le contrôle par imagerie embarquée 3D, permettent de délivrer des doses avec une grande précision, épargnant ainsi beaucoup plus efficacement les tissus sains et les organes à risque (encadré). Cependant, ces nouvelles techniques étant relativement récentes (environ une dizaine d’années) et financièrement peu accessibles, les études sur les animaux de compagnie sont encore rares et leur impact EBM (evidence based medicine) reste faible. Elles font néanmoins partie des traitements les plus prometteurs, en médecine humaine comme en médecine vétérinaire.

1. LA PROSTATE

Aucun standard de soins n’est actuellement reconnu pour le traitement du carcinome de la prostate canin. La radiothérapie définitive, chez les chiens atteints de carcinome prostatique (48 à 54 Gy administrés en doses quotidiennes de 2,5 à 2,8 Gy), semble être une option de traitement valable pour le contrôle tumoral local avec un risque modéré de toxicité. Compte tenu du fort potentiel métastatique de cette tumeur, une chimiothérapie à dose maximale tolérée ou un traitement médical complémentaire (thérapie ciblée, anti-COX2, etc.) doivent souvent être envisagés [16].

Les quelques études menées sur le traitement à visée curative du carcinome prostatique canin par radiothérapie et leur faible score EBM ne permettent pas de comparaisons valables, mais les résultats semblent supérieurs aux données précédemment rapportées.

2. LA VESSIE

Les études portant sur la radiochimiothérapie à visée définitive (adjuvante ou néo-adjuvante) du carcinome transitionnel canin ont montré que la survie globale médiane était supérieure à 21 mois versus 0,7 à 3 mois pour les chiens non traités, 3,5 à 8,2 mois pour les chiens traités par la chirurgie seule, et 4,3 à 11 mois pour ceux sous chimiothérapie seule [1, 8, 10]. L’association de la chirurgie à des anti-COX2, avec ou sans chimiothérapie, a également montré des résultats intéressants. Toutefois, le faible score EBM de ces études ne permet pas d’établir un standard pour le traitement de ces tumeurs. L’étude de la radiosensibilité inhérente et de la capacité de réparation du carcinome transitionnel canin indique que les lignées cellulaires sont modérément radiorésistantes, ont une capacité de réparation élevée et se comportent de la même manière qu’un tissu sain à réponse tardive. Ces résultats sous-entendent que les protocoles de rayonnement utilisant des doses plus élevées avec hypofractionnement pourraient se révéler plus efficaces pour traiter le carcinome à cellules transitionnelles du chien [11]. La réalisation de ces protocoles hypofractionnés nécessite d’être équipé des accélérateurs linéaires de nouvelle génération qui permettent de considérablement diminuer le volume de tissu normal irradié, donc les effets secondaires tardifs. Ces nouveaux types d’accélérateurs sont en passe d’être utilisés en oncologie vétérinaire en France. Actuellement, les protocoles hypofractionnés peuvent entraîner une augmentation de la toxicité retardée lors d’irradiation de la filière pelvienne, donc le fractionnement tend à être plus élevé (vingt fractions).

3. LES TUMEURS THYROÏDIENNES

Le traitement des carcinomes thyroïdiens canins dépend de la taille de la masse, de l’étendue de l’invasion, de la présence ou de l’absence d’une maladie métastatique macroscopique et de tout signe clinique concomitant de thyrotoxicose. La radiothérapie est l’une des modalités thérapeutiques pour lutter contre le carcinome thyroïdien canin non résécable, tandis que l’excision chirurgicale est le traitement de choix pour les tumeurs bien mobilisables et non infiltrantes.

Chez un chien souffrant d’un volumineux carcinome thyroïdien infiltrant, présenté pour dyspnée, dysphagie, stertor, etc., il est illusoire d’attendre une régression suffisamment rapide sous radiothérapie pour espérer une amélioration clinique. Les carcinomes thyroïdiens régressent plutôt lentement. Le traitement à base de tocéranib est une option à envisager qui semble donner des résultats intéressants. Seuls 25 à 50 % des chiens atteints de carcinomes thyroïdiens sont candidats à la chirurgie au moment du diagnostic, en raison de l’invasion des structures adjacentes [2]. La survie médiane après une thyroïdectomie est d’environ six à douze mois si la tumeur est invasive [16]. Des taux de réponse tumorale élevés et des durées de survie médiane de deux ans ou plus ont déjà été rapportés avec des protocoles fractionnés conventionnellement (48 Gy en fractions de 4 Gy tous les deux jours) et hypofractionnés (quatre fractions hebdomadaires de 6,5 à 9 Gy), parfois même chez les chiens présentant des métastases à distance [15]. Cependant, une publication récente sur les protocoles hypofractionnés modère ces résultats. La toxicité radio-induite est bien tolérée, mais une hypothyroïdie peut se développer des mois à des années après le traitement [14].

4. LES SARCOMES FÉLINS AU SITE D’INJECTION

Les sarcomes félins au site d’injection constituent un sujet sensible. Ces tumeurs sont difficiles à contrôler localement et semblent insensibles à la radiothérapie fractionnée ou à la chirurgie conservatrice seule. L’association de la chirurgie et de la radiothérapie, préopératoire ou postopératoire, est le meilleur traitement en termes de contrôle local et de survie globale, avec des temps de survie médians de 600 à 760 jours (photo 1) [4, 9]. La justification et l’avantage de l’administration de la radiothérapie avant la chirurgie sont :

- un champ de rayonnement plus petit car, en situation adjuvante, l’ensemble du site chirurgical doit être inclus, ce qui contribue à la toxicité locale ;

- l’inactivation d’un grand nombre de cellules tumorales périphériques (avec une contamination réduite du site chirurgical) ;

- la réduction de la tumeur peut rendre la résection chirurgicale plus aisée, même si les complications liées aux plaies sont plus fréquentes [3].

Les chats atteints d’une maladie non résécable chirurgicalement, même après la radiothérapie, représentent un plus grand défi. L’augmentation de la dose de rayonnement, en administrant la dose en plus petites fractions, est probablement nécessaire pour ces animaux [16].

5. LES ADÉNOCARCINOMES DES GLANDES ANALES

Les adénocarcinomes périanaux et les adénocarcinomes du sac anal peuvent être difficiles à contrôler localement par la chirurgie seule et sont susceptibles de se propager aux nœuds lymphatiques régionaux (en particulier pour les tumeurs des sacs anaux). Les tumeurs des glandes périanales sont généralement lentes à se disséminer de manière systémique, de sorte qu’une irradiation des ganglions régionaux métastatiques peut être justifiée [16]. Le risque de dissémination aux ganglions locorégionaux étant plus important pour les adénocarcinomes du sac anal (55 à 96 %, versus 15 % pour les périanaux), une irradiation prophylactique des nœuds lymphatiques sous-lombaires est généralement proposée.

6. LES MASTOCYTOMES CUTANÉS CANINS

Les mastocytomes cutanés (grades 1 et 2) peuvent être traités avec succès par la radiothérapie. Elle peut être administrée à visée définitive après une résection chirurgicale complète ou incomplète, y compris en cas d’atteinte ganglionnaire. Selon la littérature vétérinaire, l’utilisation complémentaire de la chirurgie et de la radiothérapie externe est associée à un meilleur contrôle à long terme. Pour les tumeurs de bas grade ou de grade intermédiaire, un taux de contrôle sur deux ans de 85 à 95 % peut être dépassé [7, 16]. Pour les mastocytomes non résécables, la combinaison de la radiothérapie hypofractionnée (trois à quatre fractions de 6 à 8 Gy), de tocéranib et de prednisolone s’est révélée bien tolérée et efficace (durée de survie médiane supérieure à un an).

7. LES LYMPHOMES LOCALISÉS

La radiothérapie peut être utile pour le traitement des lymphomes localisés, les lymphocytes étant extrêmement sensibles aux radiations. Elle peut être utilisée pour traiter les lymphomes extranodaux félins (cavité nasale, zone rétrobulbaire, médiastin, tissu sous-cutané, maxillaire et mandibule) avec ou sans chimiothérapie concomitante, le lymphome cutané chez le chien (prolonge les temps de rémission) et le mycosis fongoïde (irradiation cutanée totale avec faisceaux d’électrons). Une approche émergente pour la prise en charge des chiens atteints de lymphome est l’irradiation corporelle totale, avec transplantation autologue de cellules progénitrices du sang périphérique hématopoïétique. Cette technique, très difficile à mettre en place, n’est pas (encore) disponible en France [5].

Le lymphome médiastinal répond souvent rapidement à l’irradiation. Le soulagement de la détresse respiratoire est alors obtenu dans les heures qui suivent une dose unique de rayonnement [16].

8. LES AUTRES TUMEURS

La radiothérapie est utilisée pour une variété de tumeurs dans les cavités thoracique et abdominale. Les principes de sélection des animaux présentant des tumeurs dans ces régions sont les mêmes que pour tout autre site : la radiothérapie doit être envisagée pour l’ensemble les tumeurs qui ne peuvent pas être excisées complètement. Chez le chien et le chat, comme chez l’humain, les thymomes sont sensibles aux radiations. Avec la radiothérapie seule ou en traitement d’appoint, les temps de survie médians pour les chiens et les chats sont respectivement de 248 jours et 720 jours. Les protocoles d’irradiation utilisés varient de 15 à 54 Gy, avec un traitement quotidien ou hebdomadaire [13]. Chez les chiens atteints de carcinome pulmonaire non métastatique, la lobectomie pulmonaire représente l’option de traitement la plus courante, mais l’intervention chirurgicale ne peut pas toujours être effectuée au moment du diagnostic. La radiothérapie hypofractionnée (7 à 12 Gy par fraction en quatre à sept fractions hebdomadaires), qui vise la réduction de la masse tumorale, est aussi utile lorsque la tumeur est volumineuse. Une lobectomie peut ensuite être envisagée, selon la réponse obtenue (photo 2) [6]. Le traitement du carcinome mammaire inflammatoire reste un défi, mais l’approche actuelle qui semble la plus efficace consiste à administrer des anti-angiogéniques systémiques avec une radiothérapie hypofractionnée. Ce protocole apporte un bénéfice clinique, avec une durée de survie significativement plus longue (180 jours) qu’avec un traitement médical seul (59 jours) [12]. La radiothérapie, conventionnelle ou stéréotaxique, a été étudiée chez quelques chiens atteints de tumeurs à la base du cœur et a fourni des preuves préliminaires qu’elle peut être bénéfique pour les cas symptomatiques.

L’avènement de nouvelles techniques, telles que la radiothérapie par modulation d’intensité et la stéréotaxie, présente un intérêt particulier pour les tumeurs surrénaliennes et hépatiques. Elles offrent la possibilité de traiter en toute sécurité ces tumeurs, en épargnant les tissus sains environnants (carcinomes hépatocellulaires) et les organes adjacents, tels que les reins et les gros vaisseaux de la cavité abdominale pour les tumeurs surrénaliennes, particulièrement lors d’invasion vasculaire.

Références

  • 1. Arnold EJ, Childress MO, Fourez LM et coll. Clinical trial of vinblastine in dogs with transitional cell carcinoma of the urinary bladder. J. Vet. Intern. Med. 2011;25:1385-1390.
  • 2. Bailey DB, Page RL. Tumors of the endocrine system. In: Withrow SJ, Vail DM eds. Withrow & MacEwen’s Small Animal Clinical Oncology, 4th edition. St. Louis, Saunders Elsevier. 2007:112-133.
  • 3. Cheng EY, Dusenbery KE, Winters MR et coll. Soft tissue sarcomas: preoperative versus postoperative radiotherapy. J. Surg. Oncol. 1996;61:90-99.
  • 4. Escobar C, Grindem C, Neel JA et coll. Hematologic changes after total body irradiation and autologous transplantation of hematopoietic peripheral blood progenitor cells in dogs with lymphoma. Vet. Pathol. 2012;49 (2):341-343.
  • 5. Kawabe M, Kitajima Y, Murakami M et coll. Hypofractionated radiotherapy in nine dogs with unresectable solitary lung adenocarcinoma. Vet. Radiol. Ultrasound. 2019;60 (4):456-464.
  • 6. Keyerleber MA, McEntee MC, Farrelly J et coll. Three-dimensional conformal radiation therapy alone or in combination with surgery for treatment of canine intracranial meningiomas. Vet. Comp. Oncol. 2015;13:385-397.
  • 7. Marconato L, Zini E, Lindner D et coll. Toxic effects and antitumor response of gemcitabine in combination with piroxicam treatment in dogs with transitional cell carcinoma of the urinary bladder. J Am Vet Med Assoc. 2011;238:1004-1010.
  • 8. McMillan SK, Boria P, Moore GE et coll. Antitumor effects of deracoxib treatment in 26 dogs with transitional cell carcinoma of bladder. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2011;239:1084-1089.
  • 9. Parfitt SL, Milner RJ, Salute ME et coll. Radiosensitivity and capacity for radiationinduced sublethal damage repair of canine transitional cell carcinoma (TCC) cell lines. Vet. Comp. Oncol. 2011;9 (3):232-240.
  • 10. Rossi F, Sabattini S, Vascellari M et coll. The impact of toceranib, piroxicam and thalidomide with or without hypofractionated radiation therapy on clinical outcome in dogs with inflammatory mammary carcinoma. Vet. Comp. Oncol. 2018;16 (4):497-504.
  • 11. Smith AN, Wright JC, Brawner WR Jr et coll. Radiation therapy in the treatment of canine and feline thymomas: a retrospective study (1985-1999). J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2001;37:489-496.
  • 12. Theon AP, Marks SL, Feldman ES et coll. Prognostic factors and patterns of treatment failure in dogs with unresectable differentiated thyroid carcinomas treated with megavoltage irradiation. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2000;216:1775-1779.
  • 13. Tsimbas K, Turek M, Christensen N et coll. Short survival time following palliativeintent hypofractionated radiotherapy for non-resectable canine thyroid carcinoma: a retrospective analysis of 20 dogs. Vet. Radiol. Ultrasound. 2019;60 (1):93-99.
  • 14. Vail DM, Thamm D, Liptak D editors. Withrow and MacEwen’s Small Animal Clinical Oncology, 6th edition. St. Louis, Missouri: Elsevier. 2019:864p.

Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré : DÉFINITIONS DES TERMES UTILISÉS EN RADIOTHÉRAPIE

• Modulation d’intensité : pour chaque faisceau, l’irradiation est plus ou moins forte selon la cible et au cours de la séance (homogénéité de toutes les séances).

• Traitement conformationnel ou rotationnel : repérage avec une grande précision des tumeurs à irradier et ajustement très fin de la projection des faisceaux de rayons X dans les zones à traiter. Le traitement rotationnel permet de tourner autour de l’animal.

• Imagerie embarquée 3D : reconstruction virtuelle des volumes et des lésions pour que des doses optimales soient délivrées selon les organes, tout en protégeant au maximum les tissus sains voisins.

• Néo-adjuvant : avant la chirurgie.

• Adjuvant : après la chirurgie.

• EBM : evidence-based medicine.

• Hypofractionné : peu de séances, dose forte par séance, schéma hebdomadaire en général.

• Hyperfractionné : beaucoup de séances, dose faible par séance, schéma quotidien ou même biquotidien.

CONCLUSION

La radiothérapie conventionnelle apportait déjà un bénéfice, que ce soit en termes de survie ou de qualité de vie, chez près de la moitié des chiens et des chats atteints de cancers. L’arrivée des nouvelles techniques plus précises, donc moins toxiques et plus efficaces, ne fait qu’augmenter les indications possibles. En oncologie humaine, l’heure est même à l’irradiation du pancréas, un organe qui semblait jusqu’à aujourd’hui inaccessible aux radiations en raison de sa proximité avec le tube digestif et de sa taille réduite. De nouvelles techniques émergent encore en recherche préclinique, avec l’utilisation de nouvelles particules irradiantes comme les protons ou les carbones. La radiothérapie se développe à grande vitesse dans le milieu vétérinaire. Bien qu’encore peu accessible, les nouvelles techniques d’irradiation hypofractionnée diminuent les contraintes de ce traitement pour les propriétaires, mais également pour les animaux.

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