IMPACT DES INTERVENTIONS OBSTÉTRICALES ET DE LA GESTION DE LA DOULEUR CHEZ LA VACHE LAITIÈRE - Le Point Vétérinaire n° 421 du 01/09/2021
Le Point Vétérinaire n° 421 du 01/09/2021

PRODUCTION ET REPRODUCTION

Article original

Auteur(s) : Thérèse Wauquier*, Dorothée Ledoux**, Philippe Sulpice***, Alice de Boyer des Roches****

Fonctions :
*Clinique Heliovet
60, rue de Francastel
60360 Crèvecœur-le-Grand
**Université de Lyon,
VetAgro Sup
69280 Marcy-l’Étoile
Université Clermont-Auvergne
Inrae, VetAgro Sup, UMR Herbivores
63122 Saint-Genès-Champanelle
***Fédération des éleveurs et vétérinaires
en convention (Fevec)
110, chemin du Thévenon
69850 Saint-Martin-en-Haut
****Université de Lyon,
VetAgro Sup
69280 Marcy-l’Étoile
Université Clermont-Auvergne
Inrae, VetAgro Sup, UMR Herbivores
63122 Saint-Genès-Champanelle

Une étude rétrospective fait le point sur les pratiques des vétérinaires concernant la gestion de la douleur lors d’interventions obstétricales. Les effets des traitements antalgiques sur les performances ultérieures sont également discutés.

Le bien-être des animaux d’élevage fait l’objet d’une attente sociétale grandissante. La douleur est l’un des facteurs les plus préjudiciables qui affectent le bien-être. Ainsi, son évaluation et son soulagement restent des questions centrales en élevage et en médecine vétérinaire [16]. Le vétérinaire, outre son rôle de praticien, est garant du bien-être animal et doit donc gérer la douleur.

Le péripartum est une période clé pour la vache laitière, au cours de laquelle de grands changements physiologiques s’opèrent, mettant à l’épreuve son organisme qui devient plus sensible aux agressions [25]. Le part est source de douleurs qui peuvent être exacerbées en cas de dystocie [17]. Or la douleur, via le stress qu’elle génère, affecte l’état général de l’animal, provoquant une diminution de ses défenses immunitaires. Cela a un impact négatif sur les performances zootechniques et économiques de l’élevage. Par exemple, les vaches boiteuses (douleur podale) affichent une production laitière diminuée et présentent de moins bonnes performances de reproduction [7, 9, 27]. Bien que des études montrent l’impact de la douleur sur la santé des bovins à long terme, peu de données sur le péripartum sont actuellement disponibles. Les bénéfices des antalgiques ont été démontrés dans le cadre de l’écornage, ou en cas de mammites, mais pas lors du péripartum [4, 6, 10]. Or, une bonne gestion de la douleur pendant la période du péripartum pourrait permettre d’améliorer la qualité de vie des vaches, ainsi que leur santé et leurs performances. Les données de la littérature scientifique sont encore peu nombreuses sur le sujet. Aussi, il est nécessaire de préciser les conséquences de la douleur lors du péripartum sur les performances, ainsi que les effets de sa prise en charge grâce aux anti-inflammatoires, qui sont les molécules de choix pour l’analgésie chez les animaux de rente.

Cette étude vise trois objectifs :

– réaliser un état des lieux des pratiques analgésiques de vétérinaires ruraux lors d’affections douloureuses pendant le péripartum ;

– étudier les conséquences de ces affections sur les performances de production laitière et de reproduction, par comparaison avec celles des vaches ayant eu un vêlage eutocique ;

– étudier les conséquences de l’administration d’anti-inflammatoires stéroïdiens (AIS) et non stéroïdiens (AINS) lors de ces interventions obstétricales sur les paramètres de production laitière et de reproduction.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

1. Données collectées

Cadre général de l’étude

Cette étude épidémiologique rétrospective, de type cas-témoins, a été réalisée dans le cadre d’une thèse vétérinaire(1), en collaboration avec la Fédération des éleveurs et vétérinaires en convention (Fevec). Les bovins étudiés provenaient de quatre clientèles vétérinaires situées dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, réparties sur trois départements : le Rhône (69), la Loire (42) et la Savoie (73). Les données ont été récoltées entre février 2018 et avril 2019. Les cas cliniques pris en compte, survenus entre 2015 et 2018, ont été extraits de la base informatique de la Fevec (1 136 cas), puis chaque ordonnance correspondante a été étudiée (tableau 1 en ligne sur lepointveterinaire.fr).

Interventions obstétricales dans l’étude et témoins

Cinq types d’interventions obstétricales ont été inclus dans l’étude : les torsions utérines (T), les vêlages simples avec assistance (V), les extractions forcées (E), les césariennes (Cesa) et les prolapsus utérins (PU). L’ensemble des animaux ayant subi l’une de ces interventions constituent le groupe Doul, par la suite divisé en deux sous-groupes : le sous-groupe Cesa regroupant les vaches qui ont subi une césarienne simple (Cesa) ou consécutive à une torsion (T + Cesa), et le sous-groupe OBS incluant les animaux ayant subi toute autre intervention (T, V, E, PU).

Pour chaque vache du groupe Doul, les données d’une vache similaire (de même race, même parité, ayant si possible vêlé au même moment et ayant un taux de cellules somatiques le plus faible possible sur les trois premiers contrôles) étaient relevées dans le même élevage, afin de constituer un groupe témoin (TEM).

Pratiques analgésiques lors des interventions obstétricales

Pour chaque vache et chaque intervention, le principe actif, la voie d’administration et la quantité administrée par les vétérinaires ont été relevés pour chacune des familles de médicaments (anti-inflammatoires, sédatifs, anesthésiques locaux, tocolytiques, antibiotiques, utérotoniques et traitements de soutien).

Performances de production et de reproduction

Les données de performances de production laitière et de reproduction des vaches ont été collectées en ligne sur les plateformes Mil’Klic et Boviclic.

• Devenir de l’animal (nouvelle lactation, mort, euthanasie, réforme vers la boucherie, vente) à l’année n + 1.

• Performances de production laitière (quantité et qualité) sur les trois premiers contrôles : production laitière moyenne journalière (PLmoy, en kg), taux butyreux moyen (TBmoy, en g/kg), taux protéique moyen (TPmoy, en g/l), concentration moyenne en cellules somatiques (CCSmoy, × 1 000).

• Performances de reproduction : intervalle entre le vêlage et la première insémination (IV-IA1, en jours), nombre d’inséminations avant la gestation (NbIA) et intervalle entre deux vêlages (IVV, en jours).

2. Analyse statistique

Les pratiques analgésiques des vétérinaires et le nombre de cas cliniques ont été étudiés à l’aide de statistiques descriptives. Les effets du type d’intervention obstétricale, de l’analgésie employée ont été testés sur chaque indicateur de performances de production et de reproduction, à l’aide de modèles linéaires.

Pour pouvoir appliquer ces modèles sur la CCSmoy, le log de concentration en cellules somatiques moyenne a été utilisé. Les facteurs de confusion tels que la race, la parité, la production laitière, la saison de vêlage (automne-hiver versus printemps-été) et leurs interactions ont été inclus dans les modèles. Chaque modèle a ensuite été simplifié, sur la base du critère d’Akaike (AIC). Après cette simplification, les modèles ne conservant que les facteurs de confusion précités ne seront pas détaillés. L’homogénéité et la normalité des résidus ont été vérifiées graphiquement. Toutes les analyses ont été réalisées à l’aide des packages Mass et lme4 du logiciel R, version 3.5.2 [22].

RÉSULTATS

1. Échantillon final

Le groupe Doul, qui comprend 128 vaches, est composé de 45 % de montbéliardes, 35 % de prim’holstein et 20 % de races diverses ou autres. Le groupe TEM est constitué de 91 vaches provenant de 59 élevages répartis dans les quatre clientèles étudiées. La sédation (xylazine) a très rarement été utilisée (3 % des vaches du groupe Doul), tandis que l’administration de tocolytiques (clenbutérol ou vétrabutine) s’est révélée plus répandue (23 % des cas Doul), principalement lors de torsions et de césariennes (tableau 2). Le choix de l’anesthésie locale à réaliser (à l’aide de lidocaïne ou de procaïne) a varié selon le type d’intervention (traçante pour les césariennes, épidurale pour les prolapsus utérins). Elle a rarement été mise en place en cas de vêlage par voie basse. Enfin, une vache du groupe Doul sur deux a reçu un anti-inflammatoire, AINS et AIS confondus.

2. Devenir des animaux et performances zootechniques selon l’affection

Toutes les vaches témoins du groupe TEM ont débuté une lactation l’année suivante.

Parmi les vaches du groupe Doul, 57 (45 %) ont débuté une lacation l’année suivante, 4 (3 %) ont été euthanasiées, 19 (15 %) sont mortes, 42 (33 %) ont été réformées et 6 (5 %) ont été vendues à un autre éleveur (tableaux 3 et 4).

3. Conséquences de la douleur sur les performances de production et de reproduction

Conséquences d’une intervention au vêlage

Par rapport aux vaches de race prim’holstein multipares sans intervention au vêlage, les vaches multipares ayant subi une intervention obstétricale ont produit 3,65 kg de lait en moins par jour au cours des trois premiers mois de lactation (tableau 5).

Certains indicateurs de la qualité du lait varient selon le type d’intervention au vêlage. Le log (CCSmoy) est significativement inférieur pour les vaches holstein multipares ayant subi une intervention obstétricale et inférieur pour les montbéliardes par rapport aux holstein multipares sans intervention au vêlage.

De même, l’intervention au vêlage impacte les performances de reproduction. L’IV-IA1 est significativement plus long de 13 jours chez les vaches holstein multipares du groupe Doul que chez celles du groupe TEM. L’IVV est significativement plus long de 26,15 jours pour les vaches du groupe Doul par rapport aux vaches holstein multipares TEM. Un effet de la race et de la parité est également noté : les primipares holstein et les multipares montbéliardes ont des IVV inférieurs aux holstein multipares. Enfin, le NbIA est supérieur (+ 1) pour les vaches du groupe Doul, comparé à celui des holstein multipares du groupe TEM.

Conséquences d’une analgésie lors d’une intervention obstétricale

La PLmoy est plus faible (- 7,06 kg par jour) pour les vaches ayant reçu seulement une anesthésie locale, par rapport aux vaches holstein multipares dont le vêlage, réalisé sans analgésie ni anesthésie, a eu lieu en automne-hiver (tableau 6 en ligne). Un effet de la race et de la parité a pu être observé : sans analgésie, les vaches de race “autre” et les vaches primipares affichent une PLMoy inférieure (de 18,6 kg et 7,6 kg, respectivement) à celles des vaches holstein multipares. Du côté des performances de reproduction, les vaches holstein ayant reçu une anesthésie locale, ainsi qu’un traitement anti-inflammatoire, présentent un IV-IA1 plus long de 22,43 jours par rapport aux holstein qui n’ont pas bénéficié d’un traitement analgésique.

Conséquences d’une analgésie lors de césarienne

Les vaches holstein ayant reçu un traitement analgésique (anesthésie locale et anti-inflammatoire) ont une PLmoy plus élevée de 9,19 kg que celle des holstein qui n’en ont pas bénéficié (tableau 7 en ligne). En outre, la PLmoy des primipares est inférieure de 10,23 kg par rapport à celle des multipares. L’intervalle vêlage-vêlage n’apparaît pas modifié par le protocole analgésique pour les vaches ayant subi une césarienne.

Conséquences d’une analgésie lors de manœuvre obstétricale par voie vaginale

Les vaches holstein qui ont reçu un traitement anti-inflammatoire lors d’une intervention obstétricale par voie vaginale (OBS) ont produit 4,01 kg de moins de PLmoy que les vaches holstein ayant subi une intervention obstétricale par voie vaginale sans analgésie. Un effet race et parité est également constaté : les vaches de race “autre” et les primipares produisent moins de lait que les vaches holstein multipares (tableau 8 en ligne).

Concernant les performances de reproduction, l’IV-IA1 apparaît réduit de 18 jours chez les vaches holstein ayant reçu un traitement anti-inflammatoire, en comparaison des vaches holstein ayant subi une intervention obstétricale par voie vaginale sans analgésie. Une tendance à la diminution de l’IV-IA1 (- 36 jours), lorsque les animaux reçoivent à la fois une anesthésie locale et un traitement anti-inflammatoire, est également notée (p-value = 0,055). Un résumé de l’ensemble des résultats significatifs obtenus est effectué (tableau 9).

DISCUSSION

L’objectif de cette étude épidémiologique rétrospective de type cas-témoins était d’évaluer les liens entre les interventions pratiquées en période de péripartum, le protocole analgésique, la production laitière et la reproduction chez les vaches.

1. Représentativité et fiabilité de l’échantillon

La composition raciale des vaches du groupe Doul correspond aux proportions relevées dans les dépar tements du Rhône, de la Loire et de l’Isère [15]. Les critères utilisés pour constituer le groupe des vaches témoins (TEM) incluent la race, la parité, mais également le niveau le plus faible possible de cellules somatiques du lait sur les trois premiers contrôles laitiers. Cependant, les performances individuelles d’origine génétique n’ont pas été prises en compte, ce qui peut constituer un biais de sélection des vaches TEM. Les données (cas clinique, ordonnance, performances de production et de reproduction) utilisées dans cette étude ont été renseignées entre 2015 et 2018 par différents intervenants : des vétérinaires et assistants vétérinaires ou secrétaires, des éleveurs, des techniciens du contrôle laitier et des inséminateurs, selon des processus spécifiques à chaque organisation (Fevec, Contrôle laitier et organisme chargé de l’insémination artificielle). La qualité de production de ces données n’a donc pas pu être controlée. Cependant, s’agissant de données utilisées par les éleveurs et les vétérinaires pour juger des performances des élevages au quotidien, mais aussi par des organismes nationaux pour produire des statistiques annuelles servant de référence, elles peuvent être considérées comme fiables.

2. Pratiques analgésiques des vétérinaires

En cas d’interventions obstétricales, la sédation est rarement utilisée, l’administration de tocolytiques (clenbutérol ou vétrabutine) étant préférée, essentiellement lors de torsions et de césariennes. Le choix de l’anesthésie locale dépend du type d’intervention (traçante pour les césariennes, épidurale pour les prolapsus utérins) et est rarement mise en œuvre lors de vêlage par voie basse. Enfin, un anti-inflammatoire a été administré à la moitié des vaches étudiées (photo 1).

Ces résultats sont difficilement comparables avec des données de la littérature scientifique. En effet, à notre connaissance, une seule étude portant sur 708 cas en France, aux Pays-Bas, en Belgique et en Suisse s’est intéressée à ces questions, uniquement lors de césariennes [11, 12]. Dans ce cadre, les principales différences avec l’étude de Hanzen et son équipe concernent une utilisation plus intensive d’anti-inflammatoires (78 % dans notre étude versus 13,8 %) et un moindre recours à l’anesthésie épidurale (0 % ici versus 27,1 %) [11, 12].

Trois hypothèses peuvent expliquer ces différences :

– l’étude de Hanzen a été menée en 2011, alors que la prise en charge de la douleur chez les bovins était moins répandue qu’aujourd’hui ;

– les données de Hanzen sont fondées sur des déclarations, alors que nous avons utilisé les ordonnances vétérinaires ;

– notre étude a été menée dans une région géographique restreinte (Rhône-Alpes), sur quatre clientèles venant d’un groupement commun (Fevec). Il est donc envisageable que certains consensus aient été adoptés par les vétérinaires concernés, contrairement à ceux qui ont répondu à Hanzen (704 réponses récoltées en France, aux Pays-Bas, en Belgique et en Suisse) [11, 12].

3. Impact de l’intervention obstétricale sur le devenir des animaux

Nos résultats confirment le pronostic négatif, pour la poursuite de la carrière de la vache, associé aux interventions obstétricales en période de péripartum : seules 45 % des vaches du groupe Doul ont débuté une nouvelle lactation l’année suivante, avec un taux de réformes de 33 % et un taux de mortalité (naturelle ou euthanasie) de 20 % à la suite de l’intervention du vétérinaire. Ces résultats confirment que les vêlages dystociques, les césariennes ou encore les prolapsus utérins sont des motifs de réfome [13]. Ils peuvent mettre en jeu la vie de la mère au moment même de l’intervention : le taux de survie serait de 86 % lorsque le veau est vivant, mais il diminue si ce dernier est mort ou emphysémateux [3]. Si l’étude du devenir des animaux en lien avec l’administration d’anti-inflammatoires n’a pu être réalisée, en raison de la taille des effectifs, une telle analyse aurait été intéressante.

4. Impact des interventions obstétricales et de la prise en charge de la douleur sur les performances

Le part est un moment douloureux pour les vaches, mais les événements obstétricaux qui nécessitent l’intervention du vétérinaire sont considérés comme encore plus douloureux [14, 17, 23]. L’observation directe, qui permet de mettre en évidence le niveau de douleur lors de chaque affection, n’a pas été effectuée.

Performances laitières

La baisse de production laitière moyenne chez les vaches ayant subi une intervention obstétricale, avec ou sans analgésie (Doul), comparée à celle des vaches n’ayant pas eu besoin d’intervention sur les trois premiers mois de lactation, est cohérente avec les données publiées (photo 2). Plusieurs études montrent que les vêlages dystociques ont un impact négatif, tant sur la quantité produite que sur la qualité du lait, qui perd en matières grasses et en protéines. Dematawena et Berger rapportent une baisse de production et une diminution des taux butyreux et protéique, en particulier chez les primipares, proportionnelles à la difficulté du vêlage [5]. Ces résultats sont cohérents avec ceux de certaines études montrant un impact négatif des dystocies sur la production laitière en début de lactation, avec une diminution de production et un retard du pic, ainsi que des pertes en début de lactation (à 60 jours post-partum) [2, 7].

En outre, les résultats obtenus dans notre étude concernant la race et la parité sont en accord avec les données publiées : les vaches témoins montbéliardes et du groupe “autre”, qui sont des vaches de races plus rustiques, produisent moins de lait que les témoins de race prim’holstein. Or la prim’holstein est la race qui fait preuve de la meilleure productivité [15].

Dans notre étude, les vaches ayant subi une intervention obstétricale (Doul) sous anesthésie locale seule produisent moins de lait que celles n’ayant reçu aucune analgésie, probablement en raison de la grande diversité des interventions au sein des cas Doul. Les données publiées concernant les conséquences sur la production en début de lactation de l’administration d’anti-inflammatoires lors d’interventions obstétricales sont contradictoires. Certaines n’ont pas mis en évidence d’effet sur la production laitière de l’administration de méloxicam lors de vêlages assistés [17, 21]. Selon d’autres, l’administration de flunixine méglumine pourrait diminuer la production laitière [20]. Enfin, une étude récente montre que les vaches ayant subi un vêlage dystocique et reçu du méloxicam avant le vêlage produisent un lait de meilleure qualité durant les quinze premières semaines post-partum (matières grasses, protéines et lactose) que celles qui n’ont pas reçu de traitement, sans impact significatif de ce dernier sur la quantité produite [26].

Parmi les vaches holstein ayant subi une césarienne (Cesa), celles qui ont reçu un traitement analgésique (anesthésie locale et anti-inflammatoire) affichent une PLmoy plus élevée de 9,19 kg que les autres. Bien qu’il n’existe pas actuellement, à notre connaissance, de référence bibliographique sur le sujet dans le cas particulier de la césarienne et que nos effectifs sont restreints, ce résultat offre cependant une première piste à explorer, idéalement via des études prospectives. Pour le groupe OBS, une diminution de la PLmoy (- 4,01 kg) est notée pour les vaches ayant reçu un anti-inflammatoire par rapport à celles n’en ayant pas bénéficié, conformément aux résultats de certaines études [20, 24].

Performances de reproduction

Les vaches du lot Doul ont de moins bonnes performances de reproduction que celles du groupe des témoins (TEM) : les intervalles IV-IA1 et IVV sont plus longs (respectivement + 13 jours et + 26,15 jours) et le NbIA est plus élevé (+ 1 insémination artificielle). L’impact négatif des dystocies sur les performances de reproduction a déjà été montré dans plusieurs études. Par exemple, le nombre moyen d’IA avant la fécondation (NbIA) est augmenté de 0,22 chez les vaches primipares ayant subi un vêlage extrêmement difficile (note de 5 sur 5 sur la déclaration de naissance, donc un vêlage avec une assistance importante) par rapport à celles ayant eu un vêlage eutocique [5]. De plus, les dystocies augmentent l’intervalle V-IAF de 8,1 jours [8]. Les effets négatifs des dystocies sur la reproduction sont sans doute dus à l’inflammation, entraînée par la dystocie et les manœuvres obstétricales qui augmentent également le risque d’infection. En effet, il est admis qu’un état inflammatoire est délétère pour la fertilité et la fécondité des vaches, comme c’est le cas pour les mammites [18].

Nous avons également observé un effet de la race et de la parité, avec l’IVV moyen des holstein multipares respectivement supérieur à celui des holstein primipares et des montbéliardes multipares : ce résultat est en cohérence avec les données du Contrôle laitier [15].

Chez les vaches ayant subi une manœuvre obstétricale (groupe Doul) et dont la douleur a été prise en charge (anesthésie locale et anti-inflammatoire), un allongement de l’IV-IA1 (+ 22,43 jours) est observé, en cohérence avec les études existantes sur le sujet. En effet, la flunixine méglumine semble avoir un impact négatif sur la fertilité, en augmentant le risque de rétention placentaire, donc celui de métrite, quelle que soit la difficulté du vêlage [20]. En revanche, l’administration de kétoprofène ou de carprofène, immédiatement après le vêlage, ne semble pas avoir d’effet significatif sur la fertilité des animaux [19, 24]. Les contradictions des résultats des différentes études sur l’impact des AINS pourraient notamment s’expliquer par la disparité des protocoles (molécules, posologies, fréquences et périodes d’administration) [19].

Chez les vaches ayant subi une césarienne (Cesa), les paramètres de reproduction (IV-IA1, IVV et NbIA) ne sont pas modifiés suivant le protocole analgésique. Si les césariennes diminuent la fertilité (augmentation de l’IV-IA1 de 18,5 jours), il n’existe pas, à notre connaissance, d’étude sur les conséquences de l’analgésie lors de césariennes sur les performances de reproduction [1].

Les vaches qui ont subi une intervention obstétricale uniquement par voie vaginale (OBS) et reçu un traitement analgésique (anesthésie locale et anti inflammatoire, ou anti-inflammatoire seul) présentent un IV-IA1 réduit (- 18 jours) par rapport à celles n’ayant reçu aucune analgésie. Ces résultats doivent être interprétés prudemment, compte tenu de la variété des interventions obstétricales, pas toujours comparables entre elles en raison des différences de durée et de difficulté de l’acte, de la douleur engendrée, et des traitements analgésiques administrés. Des études complémentaires apparaissent donc nécessaires.

5. Limites de l’étude

Cette étude épidémiologique rétrospective présente plusieurs limites.

• Les événements obstétricaux qui nécessitent l’intervention du vétérinaire sont sources de douleur [14, 17, 23]. Cependant, comme il s’agit d’une étude épidémiologique rétrospective, aucune mesure objective de l’importance de la douleur réellement ressentie par les animaux du groupe Doul n’a pu être réalisée. Une étude prospective, permettant la mesure des scores de douleur à chaque intervention et l’observation des différents marqueurs comportementaux et physiologiques, serait plus pertinente, afin d’évaluer le niveau de douleur ressenti par chaque bovin.

• Cette étude étant rétrospective, les données utilisées ne sont pas issues d’un protocole préalablement établi. Un nombre élevé de cas d’interventions obstétricales, sélectionnés initialement dans le logiciel de la Fevec, n’ont pu être inclus en raison de données manquantes, ce qui a réduit de manière drastique le nombre de cas réellement exploitables.

• Pour des raisons d’effectifs réduits, nous avons fait le choix de regrouper AIS et AINS, alors que les effets pharmacologiques ne sont pas identiques. Des travaux ultérieurs devront étudier l’effet de chaque molécule séparément. Les traitements adjuvants (tocolytique, fluidothérapie, antibiothérapie, etc.) n’ont pu être intégrés à notre modèle pour évaluer leur impact sur les performances de l’animal, compte tenu de leur trop grande diversité et du faible effectif.

• Le modèle statistique ne prend pas en compte la variabilité des performances liées au potentiel génétique des animaux, qui est également un paramètre susceptible d’affecter nos résultats.

CONCLUSION

Cette étude confirme que les dystocies et les interventions obstétricales, supposées douloureuses, impactent les performances de production et de reproduction des vaches laitières : elles sont associées à une diminution de la production laitière et de la fertilité. Elle suggère également que les pratiques analgésiques varient entre les vétérinaires, en particulier pour les interventions autres que les césariennes. En outre, cette étude montre que, lors d’une intervention obstétricale, le recours à une anesthésie locale sans anti-inflammatoire semble dégrader les performances de production et de reproduction. Lors de césarienne, la combinaison de l’anesthésie locale et de l’anti-inflammatoire serait en revanche bénéfique pour la production laitière. Pour les autres manœuvres obstétricales, l’usage d’un anti-inflammatoire abaisserait la production laitière, mais permettrait un retour plus rapide à la reproduction. Ces résultats devraient conduire à une meilleure prise en charge de la douleur durant la période du péripartum, contribuant ainsi à l’amélioration du bien-être des animaux d’élevage.

  • (1) Wauquier T. « Étude de l’impact de l’utilisation d’antiinflammatoires lors d’événements douloureux en péripartum sur les paramètres de production laitière et de reproduction chez la vache laitière », thèse doctorat vétérinaire, VetAgro Sup, 2019.

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Conflit d’intérêts : Aucun

Points clés

• Lors d’une intervention obstétricale, la réalisation d’une anesthésie locale sans recours à un anti-inflammatoire pourrait dégrader les performances de production et de reproduction des vaches laitières.

• Lors de césariennes, la combinaison d’une anesthésie locale et d’un anti-inflammatoire aurait un effet bénéfique sur la production laitière.

• Lors de manœuvres obstétricales, l’usage d’un anti-inflammatoire semble dégrader la production laitière tout en permettant un retour plus rapide à la reproduction.

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