TORSION DE LOBE PULMONAIRE CHEZ LE CHIEN : CONDUITE PRÉOPÉRATOIRE - Le Point Vétérinaire n° 419 du 01/07/2021
Le Point Vétérinaire n° 419 du 01/07/2021

CHIRURGIE THORACIQUE

Article de synthèse

Auteur(s) : Sylvain Moggia*, Delphine Dullin**

Fonctions :
*Le Point Vétérinaire
11-15, quai de Dion-Bouton
92800 Puteaux
sylvainmoggiapv@gmail.com

Tout geste chirurgical, surtout invasif comme une thoracotomie, doit être précédé d’une phase médicale de diagnostic et de préparation. Il s’agit de l’étape sine qua non d’une réparation optimale.

La torsion de lobe pulmonaire a longtemps été décrite comme une affection des races de grande taille, au pronostic sombre. Les dernières publications rapportent au contraire une surreprésentation du carlin pour lequel le pronostic est excellent après une prise en charge rapide incluant une stabilisation médicale suivie d’une lobectomie (photo 1).

ANAMNÈSE

1. Épidémiologie

La torsion de lobe pulmonaire est une affection rare chez le chien et rarissime chez le chat [11].

Les individus de grand gabarit à thorax profond, comme le lévrier afghan, ont longtemps été considérés comme les principales victimes [8, 11]. Cependant, depuis le premier rapport de cas chez des carlins en 2001, les publications se sont multipliées et semblent indiquer une nouvelle prédisposition raciale [5, 7, 8, 9, 10].

Les carlins atteints sont généralement de jeunes mâles adultes (âge médian de 1,5 an), alors que les chiens d’autres races sont plus âgés (âge médian de 7 ans) sans prédisposition sexuelle [7].

2. Physiopathologie

La torsion de lobe pulmonaire peut être primaire (dite “spontanée”) ou secondaire. Les affections primaires favorisantes sont nombreuses [5, 7, 9, 11] :

- atteinte pulmonaire (asthme, pneu­monie, œdème ou cancer pulmonaire, dysplasie du cartilage bronchique) ;

- atteinte pleurale (épanchement liquidien, pneumothorax) ;

- atteinte médiastinale (mégaœsophage) ;

- traumatisme (accident ou antécédent de chirurgie thoracique).

La torsion de lobe pulmonaire est généralement primaire chez les races de grande taille et le carlin, et secondaire chez les autres races de petit format [7, 11]. Le lobe pulmonaire le plus fréquemment atteint est le lobe cranial gauche chez les brachycéphales dont le carlin, et le lobe cranial ou moyen droit chez les autres races [7, 9, 11].

3. Motif de consultation

Les propriétaires rapportent généralement l’apparition d’une dyspnée aiguë et de troubles de l’état général (abattement et anorexie). Parfois, une toux, des vomissements et une épistaxis sont également notés, voire une réticence de l’animal à se mettre en position couchée, moins bien tolérée en cas de dyspnée, et par conséquent une réduction de la durée du sommeil [11].

TABLEAU CLINIQUE

1. Dyspnée

En cas de torsion spontanée, le chien présente classiquement une dyspnée isolée dont le degré peut varier de la tachypnée à la discordance. Une diminution des bruits respiratoires est parfois décelée en regard du lobe atteint. Une cyanose n’est que rarement rapportée [5, 7, 8, 9, 10].

Lors de torsion de lobe secondaire à une atteinte pulmonaire ou à un épanchement, des bruits respiratoires adventices, crépitants et sifflants, apparaissent [5].

2. Température corporelle

Une hyperthermie peut être observée en cas de torsion secondaire (fièvre infectieuse ou paranéoplasique) et plus rarement primaire (consécutive à la douleur) [5].

3. Inconfort

À l’examen clinique, le chien paraît souvent incommodé et anxieux. Il tolère peu la contention et la palpation abdominale peut se révéler douloureuse. Le mécanisme de cette dernière observation n’est pas élucidé, mais il est possible qu’une compression du diaphragme se transmette au lobe congestionné à l’origine d’une souffrance ou d’une aggravation du stress respiratoire [5].

4. Épanchement

L’épanchement pleural peut être la cause ou la conséquence d’une torsion. C’est un facteur de risque de torsion, car il favorise la mobilité des lobes pulmonaires les uns par rapport aux autres. Inversement, il peut se former secondairement par congestion, nécrose et inflammation du lobe tordu [1]. L’épanchement pleural associé à une torsion est donc de nature variée : sang, pus, air, chyle, transsudat modifié ou encore liquide carcinomateux. L’examen cytobiochimique et bactériologique de ce liquide est nécessaire pour adapter la prise en charge [8].

DIAGNOSTIC

1. Examens sanguins

Les examens hématologiques révèlent fréquemment une leucocytose neutrophilique avec déviation à gauche de la courbe d’Arneth. Inversement, une neutropénie est décrite chez quelques cas ayant eu une évolution peu favorable. Il pourrait s’agir là d’un facteur pronostique négatif, mais une étude à plus large échelle serait nécessaire pour le confirmer. Une anémie normocytaire normochrome arégénérative inflam­matoire peut aussi être notée. Aucune variation spécifique n’est rapportée au niveau biochimique, mais cette analyse est nécessaire pour investiguer les causes extrathoraciques de dyspnée et pour envisager le traitement chirurgical de la torsion de lobe [7, 11].

2. Imagerie médicale

Radiographie et scanner

Caractéristiques de la torsion de lobe pulmonaire

Les éléments qui peuvent être observés sont les suivants [4] :

- lobe pulmonaire à opacité alvéolaire ; des bronchogrammes aériques sont visibles en phase aiguë, les bronches se comblant ensuite rapidement de sécrétions sérohémorragiques (photos 2 et 3) ;

- épanchement pleural en quantité variable (photos 2) ;

- rétrécissement abrupt du diamètre d’une bronche à l’orientation modifiée (photo 2b) ;

- élévation de la trachée sur une vue latérale (photos 2a et 3a) ;

- rotation de la bifurcation trachéo­bronchique sur une vue latérale ;

- déplacement de la silhouette cardiaque vers la torsion (atélectasie) ou du côté ipsilatéral (congestion) sur une vue de face ;

- emphysème vésiculaire au niveau de la consolidation lobaire (visible sur des torsions de lobe plus anciennes) (photos 3 et 4) ;

- pneumothorax ou pneumomédiastin (dans des cas avancés) ;

- absence de prise de contraste du lobe tordu.

Supériorité diagnostique du scanner

La radiographie est l’examen complémentaire de première intention si l’animal tolère la manipulation. Elle n’est pas toujours univoque : manque de sensibilité technique, complexité des torsions lobaires segmentaires, présence d’un épanchement pleural ou d’une atteinte thoracique primaire venant augmenter la difficulté de lecture des images [1, 3, 4].

Le scanner permet généralement de combler ces manques. En plus de la supériorité de sa résolution, le scanner permet la détection de la torsion en elle-même, avant même que ne s’installent les modifications secondaires qui la rendent visible radiographiquement (congestion entraînant une opacification pulmonaire). Par son étude tridimensionnelle, il apporte aussi une image plus complète et précise au chirurgien [9].

Échographie thoracique

L’échographie thoracique présente l’intérêt de pouvoir être réalisée sur un animal en position d’orthopnée. Les anomalies susceptibles d’être observées en cas de torsion de lobe sont [4] :

- l’hépatisation d’un lobe pulmonaire pouvant contenir des bulles de gaz (photo 4) ;

- un hile vasculaire dépourvu de flux sanguin à l’examen Doppler ;

- un épanchement pleural.

L’échographie permet aussi le prélèvement échoguidé (épanchement pleural, masse pulmonaire ou médiastinale) parfois nécessaire au diagnostic d’une cause sous-jacente.

3. Endoscopie

À l’endoscopie, un collapsus bronchique peut apparaître, rendant l’accès difficile, voire impossible (photos 5a et 5b). Des sérosités sérohémorragiques ou purulentes sont souvent présentes à sa sortie [6, 7].

4. Histologie

Au niveau histologique, des plages de nécrose et d’hémorragie sont visibles, avec parfois un emphysème bulleux. En cas de torsion secondaire, d’autres anomalies lésionnelles du processus primaire seront également observées [5].

TRAITEMENT

1. Stabilisation médicale

Une stabilisation médicale est nécessaire avant d’envisager le traitement chirurgical, inéluctable. Un plan analgésique, une oxygénation et une correction de la déshydratation sont indispensables.

Ce traitement de base peut être complété par une thoracocentèse en cas d’épanchement pleural volumineux, et la prise en charge médicale d’une affection sous-jacente lorsque la torsion est secondaire (antibiothérapie lors de bronchopneumonie, par exemple) [11].

2. Lobectomie pulmonaire

Une lobectomie pulmonaire doit être réalisée une fois l’animal stabilisé [11].

L’approche intercostale est préférable en cas de torsion primaire à lobe identifié, car elle s’accompagne d’un temps post­opératoire plus simple (meilleure oxy­génation après l’intervention, moindre production d’épanchement, faible niveau de douleur). La sternotomie, quant à elle, a pour avantage de permettre une exploration intrathoracique bilatérale, donc une meilleure appréciation du tableau lésionnel pulmonaire global de l’animal atteint d’une torsion secondaire [2].

Le lobe atteint est facilement repéré par son aspect congestif et sa malposition. La procédure consiste à identifier la veine et l’artère bronchiques, ainsi que la bronche souche, et de les ligaturer. Une agrafe peut également être posée directement sur le hile lobaire [11].

PRONOSTIC

Les études récentes s’accordent sur l’excellent pronostic postopératoire à court et long termes [1, 9]. La plus récente, incluant 50 chiens opérés entre 2005 et 2017, rapporte 100 % de survie des animaux à la suite de l’intervention, 92 % à la sortie d’hospitalisation et une médiane de survie de 1 369 jours. Les récidives sont rares et ont généralement lieu au cours des 5 à 180 jours qui suivent le premier épisode [9]. Les études ne s’accordent toutefois pas sur tous les facteurs pronostiques épidémiologiques. Elles indiquent communément un meilleur pronostic pour les races de petite taille, ou plus spécifiquement les carlins [1, 7, 8]. Cependant, alors que certaines rapportent un pronostic plus sombre pour les chiens présentant une torsion secondaire, en raison d’une décompensation de l’affection primaire sous-jacente (extension d’un processus cancéreux ou infectieux) et de l’apparition d’un chylothorax ne répondant guère au traitement chirurgical, ou encore d’un syndrome de dilatation torsion de l’estomac, d’autres n’observent aucune différence de survie [7, 8, 9].

De nouveaux travaux, à plus grande échelle, permettraient de répondre à ces interrogations.

Références

  • 1. Benavides KL, Rozanski EA, Oura TJ et coll. Lung lobe torsion in 35 dogs and 4 cats. Can. Vet. J. 2019;60(1):60-66.
  • 2. Bleakly S, Philipps K, Petrovsky B et coll. Median sternotomy versus intercostal thoracotomy for lung lobectomy: a comparison of short-term outcome in 134 dogs. Vet. Surg. 2018;47(1):104-113.
  • 3. Choi M, Lee N, Keh S et coll. Usefulness of CT imaging for segmental lung lobe torsion without typical radiographic imaging in a Pomeranian. J. Vet. Med. Sci. 2015;77(2):229-231.
  • 4. D’Anjou MA, Tidwell A, Hecht S. Radiographic diagnosis of lung lobe torsion. Vet. Radiol. Ultrasound. 2005;46(6):478-484.
  • 5. Latimer C, Lux C, Sutton J et coll. Lung lobe torsion in seven juvenile dogs. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2017;251(12):1450-1456.
  • 6. Moses BL. Fiberoptic bronchoscopy for diagnosis of lung lobe torsion in a dog. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1980;176(1):44-47.
  • 7. Murpy K, Brisson B. Evaluation of lung lobe torsion in Pugs: 7 cases (1991-2004). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2006;228(1):86-90.
  • 8. Neath PJ, Brockman DJ, King LG. Lung lobe torsion in dogs: 22 cases (1981-1999). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2000;217(7):1041-1044.
  • 9. Park KM, Grimes JA, Wallace ML et coll. Lung lobe torsion in dogs: 52 cases (2005-2017). Vet. Surg. 2018;47(8):1002-1008.
  • 10. Rooney M, Lanz O, Monnet E. Spontaneous lung lobe torsion in two Pugs. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2001;37(2):128-130.
  • 11. Tobias K, Johnston S. Veterinary Surgery: Small Animal, 1st edition. Elsevier. 2012:1762-1768.

Conflit d’intérêts : Aucun

Points clés

• La torsion de lobe pulmonaire doit figurer parmi les hypothèses diagnostiques en cas de dyspnée aiguë, notamment chez un jeune carlin mâle.

• Le diagnostic définitif est établi par l’imagerie médicale, le scanner étant le gold standard.

• L’identification ou l’exclusion d’une cause primaire est indispensable pour une prise en charge adaptée.

• La prise en charge de la torsion est chirurgicale, via une lobectomie pulmonaire.

• Le pronostic postopératoire est excellent, en particulier chez les races de petite taille.

CONCLUSION

L’évolution des techniques d’imagerie médicale a abouti à une meilleure description de la torsion de lobe pulmonaire. Une meilleure reconnaissance de cette atteinte, fondée d’abord sur des critères épidémiologiques et cliniques (jeune mâle carlin présentant une dyspnée d’apparition aiguë), puis confirmée par l’imagerie médicale (idéalement le scanner), permet aujourd’hui une prise en charge précoce (stabilisation médicale puis lobectomie) associée à un excellent pronostic dans la majorité des cas.

Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr