LA FIN DE VIE EN PRATIQUE VÉTÉRINAIRE
Dossier
Auteur(s) : Denise Remy
Fonctions : professeur agrégé de technique et pathologie
chirurgicalesprofesseur d’éthique
VetAgro Sup
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-L’Étoile
Le terme d’acharnement reste encore l’expression des malades, de leurs proches et de la plupart des soignants. C’est pourtant le terme d’obstination déraisonnable qui est retenu dans tous les écrits officiels et qui devrait, logiquement, être usité.
L’acharnement thérapeutique est un terme empreint d’une forte connotation négative et évoque dans l’imaginaire collectif des situations tragiques que chacun, intuitivement, condamne. Cette fiche présente le concept, son contexte et la législation afférente en médecine humaine.
Hippocrate, né en 460 avant Jésus-Christ et père de la médecine clinique, fustigeait déjà l’acharnement thérapeutique : il faut « délivrer complètement les malades de leurs souffrances ou émousser la violence des maladies et ne pas traiter les malades qui sont vaincus par la maladie ». Il s’agit du classique impératif « primum non nocere ».
Pourtant, ce n’est qu’au siècle dernier que le concept a pris forme en médecine humaine. Il est apparu dans le Code de déontologie médicale daté de 1995 sous le terme d’obstination déraisonnable, dans l’article 37 (article R. 4127-37) du Code de la santé publique, lequel prévoit que, « en toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade, l’assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations et la thérapeutique ».
Deux raisons ont présidé au développement du concept et ont été à l’origine de la réflexion éthique le concernant, laquelle s’est traduite d’abord dans le Code de déontologie médicale, puis dans la loi française à partir des années 2000 :
- d’une part, les progrès technoscientifiques accomplis permettaient désormais des traitements particulièrement invasifs, potentiellement très douloureux, sans bénéfice majeur (voire sans bénéfice aucun) pour le patient ; ces mêmes progrès permettaient en outre de maintenir en vie des patients très lourdement et irrémédiablement handicapés, lesquels, sinon, seraient décédés ;
- d’autre part, le modèle prédominant d’exercice médical, dit “paternaliste”, selon lequel le médecin savait ce qui était bon pour le patient et décidait unilatéralement pour lui, cédait progressivement la place à une médecine centrée sur le respect de l’autonomie du patient, qui décide pour lui-même à partir d’une information complète, claire et exhaustive délivrée par son médecin.
Le droit français a consacré ce nouveau modèle d’exercice médical dès 2002 par le biais de la loi du 4 mars sur le droit des malades, dite loi Kouchner, laquelle instituait l’obligation pour le soignant de recevoir le consentement éclairé du patient avant tout acte de soin et systématisait l’accès du patient à son dossier médical.
Cette dernière loi a, le 22 avril 2005, été complétée par la loi dite Leonetti, relative aux droits des malades en fin de vie. Cette loi institue le refus de l’obstination déraisonnable et autorise de ce fait les arrêts ou limitations de traitement, dans le respect du patient dont la souffrance doit être soulagée. Le texte de la loi reprend à cet égard la formulation de l’article 38 du Code de déontologie médicale (article R.4127-38 du Code de la santé publique) : « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et des mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. » Le texte de la loi Leonetti ne donne cependant pas de définition précise de la notion d’obstination déraisonnable, mais mentionne à ce sujet les actes « inutiles », ceux qui sont « disproportionnés » et ceux n’ayant « d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ».
S’il est relativement aisé de déterminer quand un acte devient « inutile » (futile en anglais) pour le patient - car la notion d’inutilité se rapporte bel et bien au patient, et non à un éventuel objectif de recherche, lequel pourrait justifier l’acte -, il est en revanche beaucoup moins évident de définir un acte « disproportionné ». Cette notion évoque la balance bénéfices/risques, dont l’appréciation est toujours délicate, ainsi que les deux grands principes d’éthique médicale que sont la bienfaisance et la non-malfaisance [1]. Ainsi, un traitement devient disproportionné lorsque son bénéfice est négligeable ou très faible eu égard aux effets indésirables qu’il va entraîner. Enfin, les actes n’ayant « d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie » font référence au maintien artificiel de la vie purement biologique chez un patient qui présente des lésions cérébrales majeures et irréversibles, sans possibilité de conscience de soi ni de vie relationnelle.
En outre, la loi Leonetti énonce clairement le fait que, pour soulager les souffrances d’un malade, le risque peut être pris d’un traitement dont les effets secondaires sont susceptibles d’abréger la vie. Notons que, bien qu’elle soit qualifiée de “loi relative au droit des malades et à la fin de vie”, elle est de portée générale et s’applique à toutes les situations médicales. Autre aspect important : le Conseil d’État a précisé, en juin 2014 (affaire Lambert), que l’alimentation et l’hydratation artificielles relèvent bien des actes qui tendent à assurer de façon artificielle le maintien des fonctions vitales du patient, et constituent donc un traitement.
Le 2 février 2016, la loi Claeys-Leonetti a réaffirmé l’interdiction de l’obstination déraisonnable, ainsi que les conditions de refus de la poursuite d’un traitement ou d’une investigation : la volonté du patient doit être impérativement respectée et s’impose au médecin, même si ce dernier pense que l’acte en question ne relève pas de l’obstination déraisonnable. Ainsi, la volonté du patient est appréciée, par ordre de priorité décroissant :
- par son interrogation directe lorsque c’est possible ;
- par l’examen des directives anticipées(1) qu’il est susceptible d’avoir rédigées ;
- en l’absence de ces dernières, par l’interrogation de la personne de confiance(2) qu’il aura désignée ;
- en l’absence d’une telle personne, par l’interrogation de ses proches.
Si la volonté du patient ne peut être connue, la décision de suspendre un acte ou d’y renoncer est prise à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire.
Enfin, la loi Claeys-Leonetti autorise la « sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMD) », souvent qualifiée de « sédation terminale » par le public. Mise en œuvre dans les conditions évoquées ci-dessus (prise en compte du souhait du patient ou procédure collégiale), cette sédation provoque une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, inéluctable puisque le patient ne bénéficiera pas d’hydratation et de nutrition artificielles, lesquelles sont légalement considérées comme des traitements et entrent donc, dans ce cas, dans le champ de l’obstination déraisonnable.
(1) Introduites par la loi Leonetti de 2005, les directives anticipées peuvent être rédigées par tout citoyen majeur. Il s’agit d’un document écrit (formulaire à remplir ou papier libre) dans lequel chacun peut exprimer ses souhaits en matière de limitation ou d’arrêt de traitement. Ce document ne sera utilisé que si la personne est un jour dans l’incapacité de s’exprimer.
(2) La personne de confiance est un adulte majeur choisi par le patient afin d’exprimer à sa place sa volonté, dans le cas où il ne serait plus en mesure de le faire lui-même. Elle doit s’engager moralement à représenter le patient et ne pas faire valoir ses propres convictions. Elle doit avoir conscience de la difficulté de sa tâche et de la portée de son engagement. Elle peut refuser ce rôle.
Conflit d’intérêts : Aucun
Ainsi, il apparaît clairement que c’est en médecine humaine que le concept d’obstination déraisonnable s’est développé, jusqu’à être radicalement proscrit par trois lois qui se complètent l’une l’autre, promulguées dès le début des années 2000. Le concept n’a cependant pas donné lieu à une définition précise. La loi ne dispense aucunement les équipes soignantes d’une réflexion éthique, d’une appréciation au cas par cas, avec bienveillance, ouverture, charisme. Il s’agit de situations tragiques, qui ne peuvent que susciter la compassion. Une application froide et impersonnelle de la loi aurait des répercussions potentiellement dramatiques sur les patients et leurs proches.