LE FLURALANER, UNE NOUVELLE OPTION THÉRAPEUTIQUE CHEZ LA POULE DE COMPAGNIE ? - Le Point Vétérinaire n° 417 du 01/05/2021
Le Point Vétérinaire n° 417 du 01/05/2021

PARASITOLOGIE AVIAIRE

Thérapeutique

Auteur(s) : Antoine Rostang*, Lionel Zenner**

Fonctions :
*Unité de pharmacologie et de toxicologie d’Oniris
101, route de Gachet
44300 Nantes
**VetAgro Sup, campus vétérinaire de Lyonb
Unité de parasitologie et maladies parasitaires
1, avenue Bourgelat
36280 Marcy L’Étoile

Le fluralaner utilisé par voie orale peut être une option thérapeutique pertinente chez la poule de compagnie pour le contrôle de l’infestation par Dermanyssus gallinae, sans toutefois être une solution idéale.

Le fluralaner est une molécule insecticide et acaricide qui appartient à la famille des isoxazolines. Sous le nom déposé Exzolt®, cette molécule a obtenu en 2017 une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le traitement de l’un des ectoparasites les plus nuisibles de la poule, Dermanyssus gallinae, le pou rouge des volailles (photo). Présent dans 67 % des élevages industriels français, sa prévalence chez la poule de compagnie est inconnue, mais supposée très élevée [7]. La maîtrise de cette infestation est difficile en raison de son cycle de développement parti culier et de la production d’œufs de consommation (encadré) [5]. Mieux comprendre ce médicament permet de mieux évaluer la balance bénéfices/risques, pour une prescription raisonnée en basse-cour d’agrément.

UTILISATION PRATIQUE

L’AMM d’Exzolt® prévoit une administration orale par dilution dans l’eau de boisson, à la dose de 0,5 mg/kg de poids vif, à administrer sur une période de quatre à vingt-quatre heures (une poule de 2 kg boit environ 200 ml d’eau par jour). Jusqu’à présent, seuls des produits pour le traitement des surfaces étaient disponibles (hors phytothérapie) pour lutter contre de D. gallinae : sous la forme de médicament vétérinaire soumis à prescription (phoxim), ou de biocides TP18 dont certains sont disponibles pour le grand public (spinosad, pyréthrinoïdes, dioxyde de silicium sous la dénomination “terre de diatomée”). Les résultats obtenus avec ces différents traitements peuvent être assez variables, et la question des résidus dans les œufs peut se poser dans le cadre d’un élevage familial [5, 10]. L’Exzolt® propose donc un protocole de traitement original en traitant exclusivement l’hôte.

En pratique, pour la poule de compagnie, le médicament est administré directement par gavage de l’animal après sa dilution dans quelques millilitres d’eau de boisson (à raison de 0,05 ml/kg de poids vif). Deux administrations sont réalisées à sept jours d’inter valle, ce qui assure une rémanence de quinze jours après la première administration (temps de demi-vie égal à cinq jours). Durant cette période, la mortalité des parasites est rapide : plus de 95 % meurent en huit heures à J15, selon une infestation expérimentale [2]. Par voie orale, le fluralaner a une biodisponibilité de 91 % chez la poule, ce qui limite la variabilité interindividuelle et favorise une exposition optimale de chaque animal traité [6]. Sa tolérance semble excellente [6]. Il dispose de temps d’attente validés, zéro jour pour les œufs et quatorze jours pour la viande, qui garantissent la sécurité du consommateur.

Le fluralaner est actif sur les formes adultes et nymphales de D. gallinae, à la suite du repas sanguin. In vitro, cette molécule a démontré son efficacité sur les poux rouges résistants aux autres médicaments acaricides disponibles : organophosphorés, carbamates et pyréthrinoïdes [13]. In vivo, plusieurs essais ont été conduits en Europe dans des élevages de poules pondeuses, de reproductrices et de poulettes : l’élimination des poux rouges était totale dans ces structures au cours du traitement [6, 12]. De plus, une étude récente, conduite dans un élevage américain de 12 700 poules infestées par D. gallinae, a démontré une réduction significative du stress, de la suractivité nocturne, du comportement agressif et du picage sévère des plumes à la suite de la mise une place d’un traitement à base de fluralaner [11]. En janvier 2021, Exzolt® a ainsi obtenu une indication “bien-être animal” [6].

CONTRAINTES SPÉCIFIQUES À LA POULE DE COMPAGNIE

Conditionnement du médicament

La plus petite présentation disponible d’Exzolt® est de 50 ml et permet de traiter 250 poules de 2 kg, pour un prix moyen hors taxes en centrale de 120 €. C’est donc une présentation chère et peu adaptée à la poule de compagnie, puisque son déconditionnement n’est pas possible réglementairement. La durée de conservation après ouverture est d’un an. Son AMM précise également qu’il faut attendre au moins trois mois entre chaque nouvelle période de traitement. L’usage répété d’une même famille d’acaricides risquant de favoriser la sélection de sous-populations résistantes, une utilisation la plus parcimonieuse possible doit de toute façon être promue.

Maîtrise sanitaire difficile à prévoir

Il reste possible que le traitement utilisé selon le protocole AMM n’assure pas une éradication durable du pou rouge chez la poule de compagnie, bien que le recul sur cet usage spécifique manque. En élevage industriel, dans la plupart des fermes étudiées, une nouvelle infestation a eu lieu entre un mois et demi et six mois après la fin de la période de rémanence du fluralaner [12]. Avec la poule de basse-cour d’agrément, les cycles de développement sont parfois plus longs que la rémanence du traitement, et les mesures de biosécurité sont globalement inexistantes ou inapplicables (absence de vide sanitaire, capacités restreintes de nettoyage et désinfection du poulailler, présence d’autres animaux notamment sauvages). La durée pendant laquelle la situation sanitaire peut être considérée comme maîtrisée après le traitement est donc très difficile à prévoir.

Risque environnemental

Le fluralaner présente également un risque environnemental non négligeable. En effet, sa persistance dans les sols est très longue, avec un temps de demi-vie (DT50) supérieur à un an. Cette molécule a été qualifiée de vP (très persistante) et T (toxique) par l’Agence européenne des médicaments (EMA). L’absence de bioconcentration chez les espèces aquatiques lui a permis d’échapper au classement PBT (substance persistante, bioaccumulable et toxique) qui aurait compromis son AMM. Le risque écotoxicologique a été caractérisé comme faible par l’EMA après des études de phases I et II (predictable environmental concentration/ predictable no effect concentration = 0,65 < 1) [6]. Toutefois, le nombre d’études reste limité, et le recul encore faible, notamment sur les insectes non cibles, ou lors d’utilisation en dehors des structures industrielles, comme chez la poule de compagnie [3, 8, 9]. Il est par conséquent important d’informer le propriétaire de la forte rémanence dans le sol, et de la prendre en compte dans l’établissement de la balance bénéfices/risques du traitement.

Références

  • 5. Decru E, Mul M, Nisbet AJ et coll. Possibilities for IPM strategies in European laying hen farms for improved control of the poultry red mite (Dermanyssus gallinae): details and state of affairs. Front. Vet. Sci. 2020;7:565866.
  • 6. EMA. CVMP assessment report for Exzolt. London: Committee for Medicinal Products for Veterinary Use. 2017.
  • 12. Thomas E, Chiquet M, Sander B et coll. Field efficacy and safety of fluralaner solution for administration in drinking water for the treatment of poultry red mite (Dermanyssus gallinae) infestations in commercial flocks in Europe. Parasit. Vectors. 2017;10 (1):457.

Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré : PRÉSENTATION DE DERNANYSSUS GALLINAE

D. gallinae est un acarien hématophage qui passe la plus grande partie de sa vie dans l’environnement immédiat des oiseaux, principalement dans les anfractuosités et les fissures du poulailler, privilégiant les zones chaudes et sombres. Seuls les nymphes et les adultes se nourrissent sur la poule, la nuit, mais ils ne passent que 30 à 90 minutes sur leur hôte. Le cycle complet dure une dizaine de jours en élevage industriel, mais il peut être plus long dans le cas des volailles d’agrément ayant accès à un parcours extérieur, tout particulièrement en période froide. L’infestation peut donc rapidement devenir massive. De plus, le stade protonymphal peut survivre plusieurs mois sans se nourrir [4].

Chez les volailles, D. gallinae provoque de l’irritation cutanée, du stress, de l’anémie, une réduction de la ponte, voire parfois de la mortalité. Il peut également transmettre de nombreux agents pathogènes aviaires. Le repas sanguin peut aussi avoir lieu sur d’autres espèces d’oiseaux, sauvages ou domestiques, ainsi que sur des mammifères (dont le chien, le chat et le cheval) ou sur l’homme, et être à l’origine de dermatoses, voire de la transmission de divers agents zoonotiques [1, 7].

CONCLUSION

Contrôler l’infestation par D. gallinae reste un défipour tout vétérinaire. Jusqu’à présent, l’arsenal thérapeutique était très limité, tout particulièrement en basse-cour d’agrément. Sans être une solution idéale, le fluralaner peut donc répondre à des difficultés ponctuelles dans la gestion du pou rouge chez la poule de compagnie, peut-être sans parvenir à l’éradication, mais en permettant une maîtrise de la pression d’infestation.

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