Étape 2 : SCORES DE BIEN-ÊTRE : APPLICATION AUX COMPORTEMENTS RÉPÉTITIFS CHEZ LE CHAT ET LE CHIEN - Le Point Vétérinaire n° 417 du 01/05/2021
Le Point Vétérinaire n° 417 du 01/05/2021

La consultation comportementale en 10 étapes

Auteur(s) : Emmanuelle Titeux*, Caroline Gilbert**

Fonctions :
*(dipl. ECAWBM behavioural medicine)
**(dipl. ECAWBM science, ethics and law)
ENV d’Alfort
7, avenue du Général de Gaulle
94700 Maisons-Alfort

Les comportements répétitifs sont exprimés par les animaux de zoo, de laboratoire ou de rente. Ces comportements, liés à un environnement inadapté aux besoins éthologiques, n’épargnent pas les animaux proches de l’homme, comme le chien et le chat.

En France, le terme de bien-être apparaît dans les années 1980, en référence à la traduction française du mot anglais welfare [16]. Ce dernier recouvre à la fois l’état de bien-être d’un individu et sa bientraitance.

Actuellement, il est admis par les différents experts que la définition du bienêtre animal s’applique aux animaux domestiques, de compagnie, de laboratoire ou aux animaux sauvages détenus en captivité, mais pas aux animaux sauvages en liberté(1) [11]. Si, aujourd’hui, le concept de bien-être animal se réfère préférentiellement aux animaux de rente, étonnamment, son usage ne semble pas s’étendre aux animaux de compagnie, en particulier aux carnivores domestiques. Pourquoi ces animaux feraient-ils exception ? Les outils destinés aux vaches, aux poules, aux cochons ne pourraient-ils pas s’adapter aux chiens et aux chats à l’intérieur même du foyer domestique ? L’observation de comportements répétitifs, de stéréotypies ne seraient-ils pas, de la même manière qu’en élevage, des marqueurs de mal-être ?

ÉVALUATION DU BIEN-ÊTRE ANIMAL PAR L’UTILISATION DE “SCORES”

L’étude des comportements, de l’état physiologique et sanitaire de l’animal donne une vision intégrée de son adaptation à l’environnement, donc de son bien-être. Ainsi, plusieurs types d’indicateurs peuvent être utilisés. Toutefois, les indicateurs comportementaux sont généralement plus sensibles et plus précoces que les autres [15]. Les indicateurs physiologiques, les critères de production et les critères sanitaires sont ensuite impactés en cas de mal-être. Ainsi, la difficulté pour évaluer le bien-être animal réside dans le fait qu’il faut quantifier et mesurer objectivement un état subjectif de l’animal, lié à sa perception du milieu.

Plusieurs types d’indicateurs doivent être utilisés :

– des indicateurs révélateurs de “l’état” de l’animal et de ses facultés d’adaptation au long cours (présence de comportements liés au bien-être ou absence de comportements liés au mal-être) ;

– des indicateurs révélateurs des émotions de l’animal (présence d’émotions positives comme la joie et le plaisir, absence d’émotions négatives telles que la peur, la frustration, la douleur ou la colère).

En parallèle, des indicateurs environnementaux, physiologiques, de production et sanitaires peuvent être employés. L’éthologie, étude biologique du comportement, permet de décrire avec précision des “unités comportementales” (des comportements, actions motrices et réactions de l’animal dans son environnement) et de les quantifier [8](2). L’avancée des connaissances en éthologie, en particulier concernant les animaux domestiques, de ferme, de compagnie ou de laboratoire, permet aux vétérinaires de pouvoir les utiliser dans leur pratique quotidienne (photos 1 et 2).

Les premières démarches d’évaluation du bien-être à l’échelle européenne ont été développées pour différentes espèces de rente : projets Welfare Quality (vaches laitières, bovins et porcs en engraissement, poules pondeuses, poulets de chair) et Awin (animal welfare indicators project : cheval, âne, caprins, ovins, dinde) [2]. Cette évaluation regroupe douze critères pour quatre grands principes qui permettent d’évaluer le bienêtre à travers plusieurs types d’indicateurs : physiologiques, sanitaires, environnementaux, comportementaux. Les critères de bien-être ont été développés à partir des cinq libertés (ou cinq principes) et incluent des mesures sur les individus, sur l’animal, ainsi qu’une évaluation des ressources disponibles [5]. Prenons pour exemple les quatre principes (reprenant les cinq libertés) et les douze critères pour évaluer le bien-être des vaches laitières (tableau 1) [17]. Les mesures combinées fournissent un score de bien-être global. Cette grille est considérée comme un référentiel pour la mesure du bien-être des animaux d’élevage. Elle peut être simplifiée pour des raisons pratiques sur le terrain. La santé est évaluée par trois critères, tandis que quatre sont liés au comportement. Le critère 12 consiste en une évaluation de l’état émotionnel des animaux.

Chez le cheval, les animal welfare indicators (Awin) proposent une évaluation du bien-être, toujours avec quatre principes et douze critères. Cette grille de scores permet notamment d’évaluer la douleur et le mal-être, via la prise en compte des comportements répétitifs et anormaux (stéréotypies). Il convient de noter que le principe de “bonne santé” est particulièrement important dans l’évaluation du bien-être. Aussi, le rôle du vétérinaire est primordial pour évaluer le bien-être, mais aussi pour l’améliorer à travers la prise en compte de la douleur et de son traitement.

ÉVALUATION DU BIEN-ÊTRE ET DU MAL-ÊTRE PAR LA QUANTIFICATION DES COMPORTEMENTS NORMAUX ET ANORMAUX

En parallèle de ces systèmes de scores, il est possible d’observer et de quantifier les comportements normaux (qui doivent être présents dans des proportions adaptées) et anormaux (qui doivent être absents). Dans l’évaluation du bien-être, la démarche consistant à rechercher à la fois les indicateurs positifs et négatifs est essentielle, et en conséquence adoptée par l’ensemble des acteurs.

1. Quantification des comportements normaux, révélateurs de l’adéquation entre besoins et environnement

Lorsque le milieu ne correspond pas aux besoins de l’animal, ce dernier ne peut pas réaliser les activités essentielles au cours de la journée dans des proportions adaptées. L’étude des pourcentages d’activités essentielles (alimentation, repos, déplacement, interactions, exploration, etc.) est également appelée étude du budget temps, ou budget d’activité [1, 8]. Chaque espèce possède un budget temps “type”, même si les individus, qui diffèrent par leur tempérament, peuvent présenter des variations et que ce budget temps se modifie selon le milieu (variabilité des ressources, des conditions météorologiques, etc.). Le tempérament correspond à des différences comportementales entre individus, les traits comportementaux caractéristiques de chaque individu étant constants, durables dans le temps et les contextes et présents à un âge précoce [3]. Ainsi, si le milieu correspond aux besoins de l’animal, ces derniers étant variables selon son état physiologique, des indicateurs comportementaux de bien-être pourront être liés à la présence de comportements spécifiques à chaque espèce (déplacements, comportements sociaux pour les espèces sociales, etc.). Des pourcentages de temps dédiés à des activités essentielles (budget temps) pourront être déterminés, ceux-ci étant compatibles avec les besoins physiologiques et comportementaux. Le fait que chaque individu soit unique, notamment en lien avec la génétique (son tempérament), ses expériences et ses apprentissages, doit être pris en compte pour adapter l’environnement au mieux.

Par exemple, certains chats de compagnie ont besoin de sortir en raison de leur tempérament explorateur, téméraire (prise de risque) ou prédateur, alors que d’autres toléreront de ne pas avoir accès à l’extérieur.

2. Quantification de comportements anormaux, répétitifs

Lorsque l’animal ne dispose pas des substrats adaptés pour satisfaire ses besoins comportementaux, des anomalies peuvent apparaître : reports d’activités sur d’autres objets (activités de substitution) ou activités à vide en l’absence d’objet, ou activités répétitives comme les stéréotypies [16]. Tout comportement répétitif, stéréotypé, signe ainsi un mal-être, une inadaptation de l’animal à son milieu. Les activités répétitives observées chez les animaux peuvent être orales (mâchonnement à vide, succion, léchage de l’auge, des murs, des barres des stalles), locomotrices (déambulation, tournis, allers-retours) ou autres (léchage, hypertoilettage, etc.). Une stéréotypie est définie comme un comportement répétitif, invariable, et sans fonction apparente (le comportement est déconnecté de sa fonction biologique initiale) [7]. Ainsi, ces comportements répétitifs sont révélateurs d’un mal-être. Par exemple, chez le chat, le prurit-cervico facial ou le toilettage excessif (alopécie extensive féline), en dehors de causes dermatologiques, sont apparentés à des comportements répétitifs, signes de malêtre [13].

Chez le chien, les individus vus en consultation peuvent présenter des comportements répétitifs de type tournis, déambulations, léchage des membres antérieurs, aboiements excessifs [12]. L’enrichissement (ajout d’un ou de plusieurs facteurs dans un milieu donné afin d’améliorer le bien-être physique et mental) est susceptible de faire rétrocéder ces comportements répétitifs [4].

APPLICATIONS AUX CARNIVORES DOMESTIQUES

1. Évaluation du bien-être par un score chez les animaux de compagnie

À notre connaissance, une seule étude s’est attachée à évaluer le bien-être pour les animaux de compagnie via un système de score [13]. Chez des chats de compagnie, un système de score a été développé pour comparer l’état de bienêtre de chats sains et de chats atteints d’une affection pour laquelle l’hypothèse d’une origine comportementale était explorée. Les auteurs ont adapté les questionnaires pour les animaux de rente au chat, et en relation avec une consultation en médecine du comportement, le système de score a été choisi afin d’évaluer les frustrations de l’animal (score de “mal-être” plutôt que de “bien-être”) [13]. Les quatre principes et douze critères des scores habituellement utilisés chez les animaux de production ont été appliqués. Ainsi, les accès à l’alimentation, à l’abreuvement, à un lieu de couchage sécurisé ou à l’exploration de l’environnement sont examinés. Le questionnement cherche à mettre en évidence la contrôlabilité du chat pour réaliser ses activités quotidiennes et, inversement, le contrôle du propriétaire sur ces besoins éthologiques. Le tempérament du chat est aussi évalué pour estimer ses besoins et adapter la thérapie comportementale (tableau 2).

Chez le chien, à notre connaissance, aucune publication ne propose de score de bien-être pour cette espèce. Cependant, une thèse vétérinaire a établi un score de bien-être de la même façon que pour les autres espèces [6]. Le but est de mesurer le bien-être des chiens et leur propension à présenter des comportements répétitifs. Le score est inversé par rapport à celui utilisé chez le chat (tableau 3).

2. Évaluation des comportements normaux et anormaux

Chez le chat

Les chats pour lesquels l’hypothèse d’une origine comportementale de leur maladie a été émise sont ceux atteints de dermatite féline ulcérative idiopathique [13]. Leurs propriétaires ont répondu aux questionnaires, puis ces chats ont été examinés en consultation de médecine du comportement. Un score maximal de 21 a été déterminé, correspondant à des conditions défavorables pour l’animal. Le score minimal était de 0, correspondant à des conditions optimales pour le bien-être (tableau 2). Les chats atteints de prurit cervico-facial (comportement répétitif) avaient un score supérieur à celui des chats témoins, révélant des conditions environnementales défavorables et une perception de l’environnement non optimale.

Après un enrichissement et une modification de l’environnement, à la suite d’une consultation en médecine du comportement, ces chats ont pu guérir, leur score étant devenu équivalent à celui des chats témoins (tableau 4) [13].

Chez le chien

Certaines races canines sont prédisposées à développer des comportements anormaux répétitifs [14]. Citons, par exemple, le bull terrier et le tournis, le dobermann et le léchage des flancs et le berger allemand qui tourne pour attraper sa queue [9, 10, 12]. Ces comportegénétique. Ainsi, une association a été démontrée entre le gène de la cadhérine 2 et le comportement de succion des flancs chez le dobermann.

Néanmoins, la présence de comportements répétitifs dans l’espèce canine peut aussi faire suspecter un bien-être altéré. Un travail de thèse montre ainsi l’existence d’un lien entre le mal-être et des comportements répétitifs [6]. Un questionnaire similaire à celui du chat établit une relation entre des comportements répétitifs et un score de bien-être faible. Dans cette étude, le score est de 0 lors de mal-être et de 20 pour un bienêtre optimal (score “inverse” à celui développé pour les chats). L’hypothèse est que les chiens qui présentent des comportements répétitifs ont un niveau de bien-être plus faible que les individus sains. La comparaison à l’aide d’un test de Mann-Whitney montre un score de bien-être significativement plus faible chez les chiens qui expriment des comportements répétitifs (n = 25) que chez les sujets sains (n = 25, p = 0,001). Le score moyen pour les chiens sains est de 14,0 ± 2,6, versus 11,6 ± 2,3 pour les chiens atteints. Les découvertes importantes de cette thèse sont la mise en évidence de la méconnaissance des propriétaires de chiens du caractère “anormal” des comportements répétitifs, surtout quand il s’agit de races sans prédisposition génétique, ainsi que la fréquence des épisodes de ces comportements (figure).

  • (1) Voir l’étape 1 de cette rubrique, parue dans Le Point vétérinaire n° 416 (avril 2021).

  • (2) Référence sélectionnée parmi de nombreuses autres possibles, rédigées en langue étrangère ou en français.

Références

  • 1. Altmann J. Observational study of behavior: sampling methods. Behaviour. 1974;49:227-267.
  • 2. Blokhuis H, Miele M, Veissier I et coll. Improving Farm Animal Welfare. Science and society working together: the Welfare Quality approach. Wageningen Academic Publishers, Netherlands. 2013:232p.
  • 3. Diederich C, Giffroy JM. Behavioural testing in dogs: a review of methodology in search for standardisation. Appl. Anim. Behav. Sci. 2006;97:51-72.
  • 4. Ellis S. Environmental enrichment: practical strategies for improving animal welfare. J. Feline Med. Surg. 2009;11:901-912.
  • 5. FAWC Report on farm animal welfare in great britain: past, present and future. 2009:70p. https://www.gov.uk/government/publications/fawc-report-on-farmanimal-welfare-in-great-britain-past-present-and-future
  • 6. Lepitre L. Comportements répétitifs chez le chien : impact des conditions de vie. Thèse doct. vét. ENV d’Alfort. 2019:102p.
  • 7. Mason GJ. Stereotypies: a critical review. Anim. Behav. 1991;41:1015-1037.
  • 8. McFarland D. Le comportement animal : psychobiologie, éthologie et évolution. Collection “Ouvertures psychologiques”, De Boeck. 2009:616p.
  • 9. Moon-Fanelli AA, Dodman NH, Cottam N. Blanket and flank sucking in Doberman Pinschers. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2007;231:907.912.
  • 10. Moon-Fanelli AA, Dodman NH, Famula T et coll. Characteristics of compulsive tail chasing and associated risk factors in Bull Terriers. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2011;238:883.889.
  • 11. Mormede P, Boisseau-Sowinski L, Chiron J et coll. Bien-être animal : contexte, définition, évaluation. Inra Prod. Anim. 2018;31:145-162.
  • 12. Overall KL, Dunham AE. Clinical features and outcome in dogs and cats with obsessive-compulsive disorder: 126 cases (1989-2000). J. Am. Med. Assoc. 2002;221:1445-1452.
  • 13. Titeux E, Gilbert C, Briand A et coll. From feline idiopathic ulcerative dermatitis to feline behavioral ulcerative dermatitis: grooming repetitive behaviors indicators of poor welfare in cats. Front. Vet. Sci. 2018;5:81.
  • 14. Tynes VV, Sinn L. Abnormal repetitive behaviors in dogs and cats: a guide for practitioners. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2014;44:543.564.
  • 15. Veissier I. Utilisation du comportement pour évaluer les relations de l’animal avec son environnement. Colloque “Le bien-être des animaux d’élevage : enjeux, approches, perspectives”, Bordeaux. 1996.
  • 16. Veissier I, Boissy A. Évaluation du bien-être des animaux en captivité ou en élevage. Dans : Éthologie appliquée, A. Boissy (coordinateur), MH Pham-Delègue (coordinateur), C. Baudoin (coordinateur). Comportements animaux et humains, questions de société. Quae, Versailles. 2009:169-185.
  • 17. Veissier I, Botreau R, Perny P. Évaluation multicritère appliquée au bien-être des animaux en ferme ou à l’abattoir : difficultés et solutions du projet Welfare Quality. Inra Prod. Anim. 2010;23:269-284.

Conflit d’intérêts : Aucun

Points clés

• Le bien-être animal peut être évalué chez les carnivores domestiques comme chez les animaux de rente.

• Un score de bien-être développé chez le chat de compagnie est applicable en consultation.

• Les chiens et les chats qui présentent des comportements répétitifs sont dans un état de bien-être inférieur à ceux qui n’en présentent pas.

CONCLUSION

L’éthologie clinique, la discipline vétérinaire qui s’intéresse au bien-être animal, ne doit pas rester cantonnée aux animaux de rente, mais s’appliquer aussi aux carnivores domestiques qui, par leurs conditions de vie ou leurs relations avec l’homme, subissent finalement les mêmes contraintes. Bien que la sélection artificielle puisse conférer à certains individus une susceptibilité comportementale et une faible capacité à s’adapter dans des conditions contraignantes, il convient de mesurer et de quantifier les conditions de vie et les relations avec l’homme des animaux qui présentent des comportements répétitifs, et pour lesquels aucune affection organique n’a pu être mise en évidence. Lors de toilettage intensif chez le chat ou de masturbation répétitive chez le chien, le vétérinaire doit explorer les frustrations et les contraintes auxquelles ces animaux doivent faire face. La thématique de l’éthologie, plutôt que de rester limitée aux seules espèces de production, doit au contraire concerner tous les animaux maintenus dans un environnement contrôlé par l’homme.

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