SYNDROME OBSTRUCTIF RESPIRATOIRE DES BRACHYCÉPHALES
Dossier
Auteur(s) : Antinéa Ceccaldi-Delorme*, Niels Gomez**, Thomas Rousseau***, Olivier Gauthier****
Fonctions :
*Service de chirurgie des animaux de compagnie
CHUV d’Oniris
101, route de Gachet
44300 Nantes
L’évaluation de défauts anatomiques invalidants chez des races prédisposées doit aller de l’exploration clinique exhaustive jusqu’au diagnostic précis des anomalies, en incluant l’inventaire de toutes les atteintes collatérales.
Chez les chiens de races brachycéphales, l’examen visuel de la région pharyngée est impossible à réaliser avec un animal vigile qui peut déjà manifester des signes de détresse respiratoire lors de l’examen clinique. C’est la conjonction des éléments épidémiologiques, sémiologiques et cliniques qui permet de suspecter l’existence d’un syndrome obstructif respiratoire du brachycéphale (SORB). Ensuite, différents examens complémentaires doivent être entrepris pour établir un bilan lésionnel complet et un diagnostic précis, parmi lesquels l’endoscopie occupe une place de choix.
La race du chien doit être un élément de suspicion de SORB. Dans la plupart des études, les races les plus fréquemment mentionnées sont les bouledogues anglais et français, le carlin, le boston terrier, le pékinois, le boxer et le cavalier king charles (photo 1) [5, 11, 13]. Aux États-Unis, en 2017 et 2018, les bouledogues anglais et français occupaient respectivement le 4e et le 5e rang du classement des races les plus populaires (1). En France, selon le palmarès de la Société centrale canine, le bouledogue français est classé 8e des races les plus populaires en 2018, et arrive en tête du classement des chiens d’agrément et de compagnie, avec 6 379 enregistrements [6].
Les motifs de consultation sont variés et les signes cliniques plus ou moins sévères, avec par exemple, pour les cas les moins graves, la présence de ronflements et une augmentation des bruits respiratoires, et pour les cas les plus graves, une intolérance à l’effort, une cyanose des muqueuses, voire des syncopes [1]. En revanche, certains chiens brachycéphales ne présentent pas de signes particuliers, en l’absence d’événements déclencheurs comme un coup de chaleur ou une anesthésie générale. C’est pourquoi il est important d’informer les propriétaires sur ce syndrome lors de la consultation vaccinale d’un chien appartenant à l’une des races concernées. Il est également essentiel de connaître la durée d’évolution des signes cliniques et leurs modalités d’expression, car ils peuvent être exacerbés par l’exercice ou des températures élevées [12]. L’existence de troubles digestifs concomitants (régurgitations, vomissements, dysphagie, etc.) doit aussi être notée (encadré).
D’une façon générale, l’examen clinique est à réaliser dans un environnement calme et sans contrainte, car toute forme de stress peut aggraver l’état de l’animal, voire engendrer une détresse respiratoire ou une syncope. Dans certains cas, il peut être nécessaire de placer l’animal sous oxygène, par mesure de précaution, et de limiter l’examen dans la limite de ce qu’il tolère.
À l’inverse, si le chien ne présente pas de signe clinique au moment de la consultation, il est montré que le soumettre à un effort préalable augmente la sensibilité du diagnostic de SORB, avec précaution cependant pour ne pas mettre en danger l’animal examiné [12].
Dans un premier temps, un examen à distance est effectué, afin de rechercher des signes de détresse respiratoire tels que des halètements, une remontée de la commissure des lèvres, une respiration bouche ouverte, un tirage costal ou encore une posture anormale en orthopnée. Cet examen à distance permet également de mettre en évidence les bruits respiratoires anormaux, tels qu’un stridor, un stertor (2) et/ou des ronflements [1].
Un examen rapproché est ensuite réalisé. La coloration des muqueuses est modifiée dans les cas les plus graves. Une cyanose n’apparaît que lorsque la saturation en oxygène est inférieure à 80 % [4]. L’inspection des narines doit être scrupuleuse, notamment leur mouvement lors de l’inspiration, car souvent l’aile du nez est aspirée ou reste immobile, alors qu’elle doit normalement subir une abduction. L’ouverture des narines peut ne se traduire que par une fine fente. Lorsque cette ouverture semble normale extérieurement, il ne faut pas oublier qu’une sténose est souvent présente en profondeur, au niveau des cornets nasaux.
L’inspection de la zone pharyngée est impossible à réaliser chez un animal vigile, car la langue masque les zones d’intérêt, les chiens de races brachycéphales présentant fréquemment une macroglossie [7].
L’auscultation thoracique est souvent difficile à interpréter en raison des bruits respiratoires prédominants, mais elle permet de mettre en évidence différentes affections, laryngées ou pulmonaires. L’auscultation trachéale et pharyngo-laryngée permet de localiser d’éventuels bruits de cornage et de déterminer la zone où l’obstruction est la plus marquée.
Enfin, la mesure de la température rectale révèle souvent une hyperthermie, imputable au stress, mais également aux difficultés respiratoires, qui entraînent un travail musculaire plus important, et aux troubles de la thermorégulation souvent observés chez les animaux atteints de SORB. Un cercle vicieux s’installe alors : plus l’animal est en hyperthermie plus il halète, plus il exprime ses difficultés respiratoires plus il stresse et plus la température corporelle augmente, favorisant ainsi la survenue d’effets indésirables parfois graves, comme un œdème pulmonaire ou une syncope.
Les examens destinés à mettre en évidence les anomalies congénitales et acquises et à établir le diagnostic de SORB sont l’endoscopie respiratoire haute (incluant la pharyngoscopie et la laryngoscopie) souvent complétée d’une endoscopie digestive haute, la radiographie, le scanner ou l’imagerie par résonance magnétique (IRM), en particulier pour mettre en évidence les caractéristiques du palais mou et la malformation des cornets nasaux. La radiographie peut être réalisée préalablement à l’anesthésie en l’absence de détresse respiratoire qui pourrait être majorée par la contention nécessaire à l’examen.
De nombreuses complications directement liées aux difficultés respiratoires peuvent influencer les actes diagnostiques et thérapeutiques, comme de l’aérophagie, une hernie hiatale induite, ou encore une bronchopneumonie par fausse déglutition. Les conséquences du SORB peuvent en effet expliquer des signes cliniques tels que des régurgitations, des vomissements, une dysphagie et une toux [5].
Dans un premier temps, les radiographies du thorax ont pour but de documenter les affections concomitantes du SORB, notamment l’hypoplasie de la trachée (photo 2a). Près de la moitié des chiens souffrant de cette anomalie congénitale sont également atteints de SORB [2]. De plus, les radiographies thoraciques peuvent mettre en évidence une atteinte cardiaque, fréquente chez les chiens de races brachycéphales, avant une éventuelle confirmation échocardiographique [4].
Dans un second temps, les radiographies thoraciques visent à documenter les conséquences du syndrome, parfois dramatiques. Des efforts inspiratoires marqués et chroniques peuvent provoquer de fortes dépressions thoraciques et entraîner des régurgitations et des vomissements. Ces troubles digestifs, en plus de générer des lésions locales (oesophagite, gastrite, etc.), contribuent au développement de phénomènes de bronchopneumonies.
D’autres conséquences peuvent être visibles, notamment diverses pneumopathies (œdème pulmonaire), des dilatations oesophagiennes ou encore des hernies hiatales (photo 2b) [4].
Selon les lésions révélées par la radiographie, d’autres examens complémentaires peuvent être réalisés, tels qu’une échocardiographie si une modification anatomique du cœur ou un œdème pulmonaire est identifié, ou un bilan sanguin étendu dans le cas d’une suspicion de bronchopneumonie.
Le plus souvent, l’imagerie en coupe, scanner ou IRM (photo 3), permet d’objectiver l’épaississement du palais mou, la conformation des cornets nasaux, la sténose des cavités nasales et du nasopharynx. Elle est aussi utilisée pour la planification chirurgicale [3, 9].
Difficile à réaliser chez les chiens de races brachycéphales, elle permet néanmoins de confirmer l’encombrement des cavités nasales par des cornets nasaux à la conformation anormale, ainsi que l’inflammation et l’hypertrophie de la muqueuse nasale (photos 4). Elle sert également à guider certains gestes chirurgicaux comme la turbinectomie au laser.
Ces examens, réalisés sous anesthésie générale, permettent d’établir le diagnostic définitif et précèdent en général directement l’intubation endotrachéale et la chirurgie correctrice [5]. Si les structures comme le palais mou, les amygdales, les cryptes amygdaliennes, les arcs palatoglosses et l’ouverture laryngée peuvent être examinées à l’œil nu à l’aide d’un simple laryngoscope, l’utilisation d’un endoscope permet une exploration plus précise, notamment au-delà de la glotte, dans les lumières laryngée et trachéale. Le choix d’un endoscope souple de petit diamètre est pertinent pour examiner précisément les choanes par rétrovision et détecter des cornets nasaux aberrants dans le nasopharynx. Il est également possible d’apprécier l’épaisseur du palais mou.
Chez les chiens brachycéphales, le palais mou présente un aspect allongé. Il masque, voire chevauche l’épiglotte et est souvent oedématié, obstruant sévèrement l’ouverture laryngée (la glotte). Lorsque le palais mou est excessivement long, l’intubation devient difficile en raison de la mauvaise visualisation de la glotte et des cartilages aryténoïdes. Si les efforts inspiratoires augmentent, le voile du palais peut apparaître comme aspiré dans le larynx.
Lors de l’examen visuel, une traction est habituellement exercée sur la langue, ce qui entraîne un déplacement du larynx vers l’avant, car l’appareil hyoïdien relie ces deux organes. Ainsi, lorsque le larynx est tiré vers l’avant, le palais mou restant en place, celui-ci semble plus long qu’il ne l’est en réalité [8]. Il est donc important de ne pas réaliser une traction trop importante sur la langue lors de ces examens, et il en est de même lors de la prise en charge chirurgicale.
Lors de la laryngoscopie, les anomalies rencontrées incluent un œdème laryngé, une éversion des ventricules laryngés, une hypoplasie laryngée, et les différents stades du collapsus laryngé (photos 5 et vidéo 1 en ligne sur lepointveterinaire.fr). Le collapsus trachéal ou l’hypoplasie trachéale sont mis en évidence par l’endoscopie ou la radiographie (photos 6). L’œdème laryngé se présente sous la forme d’un gonflement érythémateux de la muqueuse du larynx, qui peut aussi concerner la muqueuse du palais mou (photo 7). Chez certains chiens, l’éversion de la muqueuse des ventricules laryngés fait apparaître ventralement, en avant des cordes vocales, deux petites structures rondes et lisses qui obstruent l’ouverture ventrale de la glotte, gênent le flux d’air et augmentent encore la pression négative lors de l’inspiration (photo 5a). Leur coloration est généralement blanche ou rose pâle, exceptionnellement rouge si un œdème est présent (vidéo 2).
Physiologiquement, comme pour l’ouverture des narines, les cartilages aryténoïdes subissent une abduction lors de l’inspiration. Lorsque l’œdème laryngé est sévère, l’abduction des cartilages aryténoïdes et des cordes vocales est rendue difficile, aggravant l’obstruction laryngée. L’œdème laryngé crée donc une gêne physique et fonctionnelle.
Les autres stades du collapsus laryngé peuvent également être évalués à ce moment de l’examen (photos 5b et 5c). L’hypoplasie laryngée est visualisée par la petite ouverture au niveau de la glotte, comparée à la taille de l’animal. Elle peut être associée à une hypoplasie trachéale (photo 6c). Enfin, il est parfois utile d’examiner la trachée, afin d’évaluer des atteintes telles que la présence de mousse ou de liquide dans sa lumière, l’inflammation de la muqueuse trachéale ou encore un collapsus (vidéo 3). Selon les signes cliniques observés, l’examen endoscopique peut être étendu au tractus digestif haut pour documenter d’éventuelles lésions digestives associées, notamment de l’oesophage, du cardia ou de l’estomac, comme la présence d’une hernie hiatale, sans pour autant envisager leur correction chirurgicale en première intention, car il convient d’attendre les résultats de la correction des composantes respiratoires du SORB.
Dans une étude menée chez 73 chiens atteints de ce syndrome et ayant subi une endoscopie exploratoire du tractus gastro-intestinal proximal, les lésions les plus fréquemment rencontrées sont une oesophagite (37 %), une gastrite (89 %), une hyperplasie de la muqueuse pylorique (86 %) et une inflammation diffuse (53 %) [10]. Il y a donc un intérêt à pratiquer cette endoscopie digestive lorsque l’animal est anesthésié pour déterminer l’origine des signes digestifs associés aux signes respiratoires, et la présence éventuelle de lésions digestives primaires, qui requièrent une biopsie et une prise en charge spécifique.
(1) American Kennel Club. Most popular dog breeds - Full ranking list 2019.
(2) Stridor : bruit aigu lors de l’inspiration ; stertor : bruit respiratoire important caractérisé par des ronflements et des suffocations.
Conflit d’intérêts : Aucun
• Intolérance à l’effort
• Détresse respiratoire
• Dysphagie, régurgitations
• Cyanose des muqueuses
• Syncopes
• Bronchopneumonie
Au bilan, outre l’examen clinique attentif et une anamnèse souvent révélatrice, un examen endoscopique, complété d’examens d’imagerie thoracique, permet d’objectiver l’essentiel des lésions associées au syndrome obstructif respiratoire des races brachycéphales et de déterminer l’ampleur de la correction chirurgicale.