ÉVALUATION RADIOGRAPHIQUE DU CARPE NORMAL CHEZ LE CHIEN ET LE CHAT - Le Point Vétérinaire n° 416 du 01/04/2021
Le Point Vétérinaire n° 416 du 01/04/2021

IMAGERIE

Conduite à tenir

Auteur(s) : Pierre Guigo*, Charlotte Cœuriot**, Marion Fusellier***

Fonctions :
*TouraineVet
12, rue des Internautes
37210 Rochecorbon
**Oniris
101, route de Gachet
44300 Nantes

La radiographie du carpe est un examen complémentaire indispensable au diagnostic des affections de cette articulation. Son interprétation nécessite une bonne connaissance de son anatomie et des clichés d’excellente qualité.

La radiographie est un examen complémentaire de première intention lors d’affection locomotrice chez les carnivores domestiques, à réaliser après une exploration clinique complète et rigoureuse : anamnèse, examen général, examen orthopédique à distance (statique et dynamique) et rapproché (palpation, pression, mobilisation). Les indications pour pratiquer des radiographies du carpe sont variées : tuméfaction articulaire, douleur, boiterie, instabilité articulaire angulaire ou rotationnelle, anomalie de posture, etc. [1]. Cet article présente la conduite à tenir pour réaliser une évaluation radiographique complète du carpe chez les carnivores domestiques.

ÉTAPE 1 : CONNAÎTRE L’ANATOMIE DU CARPE

Une parfaite connaissance de l’anatomie est un prérequis indispensable à l’interprétation des radiographies du carpe. Quelques particularités anatomiques concernant les animaux en croissance sont à connaître (encadré). Le carpe est une articulation complexe située entre les extrémités distales du radius et de l’ulna et l’extrémité proximale des métacarpes. Il est composé de sept os ordonnés sur deux rangées, et d’un os sésamoïde inconstant (tableau 1). La rangée proximale des os du carpe comporte l’os intermédioradial, l’os ulnaire, et l’os accessoire du carpe. L’os intermédioradial, situé médialement, est l’os du carpe le plus large. Il est formé par la fusion des os intermédiaire, radial et central du carpe chez les carnivores domestiques. Il s’articule proximalement avec l’extrémité distale du radius, latéralement avec l’os ulnaire du carpe, et distalement avec les quatre os de la rangée distale des os du carpe. Une partie de cet os s’étend médialement, ce qui ne doit pas être confondu avec une subluxation de cet os. L’os ulnaire du carpe s’articule proximalement avec le radius et l’ulna, médialement avec l’os intermédioradial du carpe, distalement avec l’os carpal IV et le métacarpe V, et sur sa face palmaire avec l’os accessoire du carpe. L’os accessoire du carpe, situé sur la face palmaire de l’os ulnaire du carpe, s’articule avec ce dernier ainsi qu’avec l’ulna proximalement. Médialement à la rangée distale des os du carpe se trouve un petit os sphérique, qui correspond à l’os sésamoïde, situé dans le tendon d’insertion du muscle long abducteur du pouce. Celui-ci ne doit pas être confondu avec une fracture ou une souris articulaire. La rangée distale des os du carpe comporte les os carpiens I, II, III et IV qui s’articulent avec les os intermédioradial et ulnaire du carpe proximalement et leurs métacarpes correspondants distalement [3].

Le carpe est composé de plusieurs articulations. L’articulation antébrachiocarpienne est située entre l’extrémité distale du radius et de l’ulna et la rangée proximale des os du carpe. L’articulation carpienne moyenne (ou médio-carpienne) est située entre les rangées proximales et distales des os du carpe. L’articulation carpo-métacarpienne est située entre la rangée distale des os du carpe et les métacarpes. Enfin, les articulations intercarpiennes se situent entre chaque os du carpe au sein de chacune des deux rangées des os du carpe [4]. La majorité des mouvements s’effectuent au niveau des articulations antébrachio-carpienne et carpienne moyenne, les autres articulations étant peu mobiles. Il s’agit essentiellement de mouvements de flexion et d’extension (tableau 2) [4].

Le carpe est stabilisé par des tendons, des ligaments intra-articulaires et extra-articulaires, un disque articulaire (ligament radio-ulnaire), un fibrocartilage palmaire, et une capsule articulaire. La stabilité du carpe est assurée par les ligaments collatéraux (latéral et médial), radiocarpiens (dorsal et palmaire), ulno-carpien palmaire, radio-ulnaire, pisi-métacarpien, pisi-pyramidal, pisi-ulnaire, intercarpiens (dorsaux, palmaires, interosseux), médio-carpien et carpo-métacarpiens (dorsaux et palmaires) [4, 6]. Ils ne sont pas visibles à la radiographie. Cependant, les lésions de ces ligaments ont des conséquences sur la stabilité du carpe, ce qui peut être évalué au moyen de radiographies sous contraintes [1].

ÉTAPE 2 : MAÎTRISER LA TECHNIQUE RADIOGRAPHIQUE

L’excellente qualité des clichés requise pour une interprétation optimale implique le recours à des appareils performants. Il peut s’agir de radiographies numériques ou bien de radiographies analogiques associées à des films sans écran ou à des films sensibles couplés à des écrans à haute définition. Les constantes radiographiques doivent être adaptées pour pouvoir visualiser les os et les tissus mous. Le choix d’un kilovoltage bas (inférieur à 60 kV) améliore le faible contraste naturel du carpe. L’immobilité du carpe lors de la prise du cliché permet de sélectionner un temps de pose élevé (supérieur à 0,08 s). Le milliampérage est réglé selon les réglages précédents et le couple écran-film utilisé (autour de 100 mA le plus souvent). La région du carpe étant peu épaisse, la grille antidiffusante n’est pas nécessaire et le membre est placé directement contre le couple écran-film (cassette) [8].

Le carpe à radiographier est positionné sur la table de radiographie ou la cassette selon l’incidence souhaitée. Le nom de l’incidence radiographique dépend de la direction du faisceau de rayons X, du point d’entrée au point de sortie, en utilisant la terminologie anatomique adéquate [6, 9]. Pour chaque incidence, le faisceau est centré sur le carpe et doit inclure le tiers distal du radius et de l’ulna, ainsi que le tiers proximal des métacarpes [5]. Le faisceau de rayons X doit être collimaté au maximum pour améliorer la définition du cliché et réduire les risques d’exposition du personnel aux radiations ionisantes en diminuant le rayonnement diffusé. Le membre non radiographié est maintenu en dehors du faisceau de rayons X [1].

Une comparaison avec le membre controlatéral sain peut être utile, en particulier chez les animaux jeunes, les races chondrodystrophiques (1) et lors de doute sur l’existence d’une lésion. Dans ce cas, elle nécessite la réalisation d’une radiographie distincte [5].

ÉTAPE 3 : RÉALISER LES INCIDENCES STANDARDS

L’examen radiographique commence toujours par la réalisation de clichés standards, avec deux incidences orthogonales de face et de profil en position neutre.

Incidence dorso-palmaire

L’animal est positionné en décubitus sternal et le membre à radiographier est étendu cranialement. La face palmaire est positionnée contre la cassette. Un coussin en mousse peut être placé sous le coude afin de mieux stabiliser et aligner le membre (photo 1a) [1]. Les contours des os des rangées proximale et distale du carpe sont visualisés. L’os accessoire, projeté selon son grand axe, est visible sous la forme d’une structure arrondie superposée dans la partie latérale du carpe (photo 1b) [5].

Incidence médio-latérale

L’animal est placé en décubitus latéral. La face latérale du carpe est positionnée contre et parallèlement à la cassette (photo 2a) [1]. Les os des rangées proximale et distale du carpe se superposent les uns aux autres. Seul l’os accessoire est visible sans superposition en face palmaire (photo 2b) [5].

ÉTAPE 4 : RÉALISER LES INCIDENCES OBLIQUES

La complexité anatomique du carpe, le nombre important d’os qui se superposent et la finesse des lésions parfois présentes rendent utile la réalisation d’incidences obliques en complément des vues classiques [9].

Incidence dorso-latérale palmaro-médiale oblique (ou oblique interne)

L’animal est installé en décubitus sternal, le membre à radiographier est étendu cranialement et placé en rotation interne avec un angle de 45° environ. L’aspect dorso-latéral est alors la partie du carpe la plus proche du tube à rayons X (photo 3a) [1]. Cette incidence permet l’évaluation des parties dorso-médiale et palmaro-latérale du carpe (photo 3b) [5].

Incidence dorso-médiale palmaro-latérale oblique (ou oblique externe)

L’animal est placé en décubitus sternal, le membre à radiographier est étendu cranialement et mis en rotation externe avec un angle d’environ 45°. L’aspect dorso-médial est alors la partie du carpe la plus proche du tube à rayons X (photo 4a) [1]. Cette incidence permet l’évaluation des parties dorso-latérale et palmaro-médiale du carpe (photo 4b) [5].

ÉTAPE 5 : RÉALISER DES CLICHÉS SOUS CONTRAINTES

Des radiographies sous contraintes (ou en stress) peuvent être effectuées afin de compléter l’évaluation radiographique du carpe [1]. Elles sont indiquées lors de lésions des tissus mous intra-articulaires ou extra-articulaires, associées à une instabilité articulaire, et en cas d’atteintes fracturaires du carpe. Les clichés sont pris en position forcée (flexion, extension, varus, valgus, pronation, supination, etc.).

La contrainte exercée permet de placer certaines structures anatomiques sous tension, donc de mettre en évidence des anomalies radiographiques non observées sur les clichés en position neutre. Une connaissance préalable des amplitudes articulaires normales est indispensable (tableau 2).

La réalisation de clichés de profil en hyperflexion et en hyperextension est utile pour évaluer les instabilités dorsales et palmaires du carpe, respectivement. Le coude, vu de profil, doit être placé en extension et en flexion maximales, respectivement (photos 5 et 6).

La réalisation de clichés de face en valgus et en varus est intéressante pour diagnostiquer des lésions des ligaments collatéraux médial et latéral du carpe, respectivement. Le carpe doit être gardé bien à plat, et le coude placé en légère rotation interne (photos 7 et 8).

Les radiographies sous contraintes permettent également de mettre en évidence des lésions osseuses de type fractures/avulsions ligamentaires ou tendineuses. Dans ces cas, la tension exercée sur les structures qui sont attachées au fragment d’os rend visible le déplacement osseux. Les rotations involontaires sont à éviter pour ne pas créer de fausses images d’instabilité.

Une sédation de l’animal se révèle parfois nécessaire pour assurer un positionnement optimal, car l’application de contraintes peut exacerber une douleur liée à l’affection sous-jacente. Il convient cependant de ne pas exagérer les forces exercées sur les structures articulaires et osseuses afin de ne pas aggraver les lésions initiales [1].

  • (1) Races sujettes aux troubles de la formation et de la croissance des cartilages (teckel, basset hound, beagle, bouledogue français, etc.).

Références

  • 1. Alla G, Nicoll R. Distal limbs: carpus and tarsus. In: Barr FJ, Kirberger RM eds. BSAVA Manual of canine and feline musculoskeletal imaging. Gloucester, BSAVA. 2006:150-172.
  • 2. Dembour T. Radiographie en stress du carpe et du tarse. Proceedings congrès Afvac Paris. 2007.
  • 3. Evans HE, de Lahunta A. The skeleton. In: Miller’s Anatomy of the Dog. 4th edition. St. Louis, Saunders. 2013:136-138.
  • 4. Evans HE, de Lahunta A. Arthrology. In: Miller’s Anatomy of the Dog. 4th edition. St. Louis, Saunders.2013:172-183.
  • 5. Maï W. Radiographie du squelette appendiculaire. Dans : Guide pr atique de radiographie canine et féline. Med’Com, Paris. 2003:262-263.
  • 6. WAVA, ICVGAN. Nomina anatomica veterinaria. World Association of Veterinary Anatomists and International Committee on Veterinary Gross Anatomical Nomenclature, 5th edition. The Editorial committee. Hannover, Columbia, Gent, Sapporo. 2005.
  • 7. Smallwood JE, Spaulding KA. Radiographic anatomy of the appendicular skeleton. In: Thrall DE ed. Textbook of Veterinary Diagnostic Radiology. 6th edition. St Louis, Saunders. 2013:224-241.
  • 8. Thrall DE, Widmer WR. Radiation protection and physics of diagnostic radiology. In: Thrall DE ed. Textbook of Veterinary Diagnostic Radiology. 6th edition. St Louis, Saunders, 2013:2-21.
  • 9. Thrall DE, Robertson ID. In : Atlas of Radiographic Anatomy and Anatomic Variants in the Dog and Cat. 2nd edition. St Louis, Elsevier. 2016:122-126.

Conflit d’intérêts : Aucun

REMARQUE

Sur les radiographies présentées, les mains du manipulateur sont visibles pour des raisons didactiques. Cependant, pour rappel, elles doivent être protégées au moyen de gants plombés au moment de la prise du cliché afin de respecter les règles de radioprotection.

Encadré : PARTICULARITÉS RADIOANATOMIQUES DU CARPE CHEZ LE CHIEN EN CROISSANCE

La présence des cartilages de croissance chez les jeunes en développement peut compliquer le repérage des différentes structures anatomiques. Le métacarpe I est le seul métacarpe à posséder une plaque de croissance proximalement. Celle-ci se ferme vers l’âge de 6 à 7 mois chez le chien et de 4,5 à 5 mois chez le chat. L’os intermédioradial se présente comme deux ou trois os séparés, qui fusionnent progressivement au cours de la croissance. Les os du carpe, de forme arrondie et aux contours flous chez les jeunes, prennent progressivement leur forme définitive géométrique à contours nets en s’ossifiant. Les interlignes articulaires diminuent en parallèle de la croissance des os du carpe (photo 9) [9].

CONCLUSION

La réalisation et l’interprétation des clichés du carpe nécessitent une bonne connaissance de l’anatomie et de la technique radiographique. Le bilan radiographique, qui comprend la réalisation d’incidences standards et obliques éventuellement associées à des vues sous contraintes, permet de mettre en évidence bon nombre de lésions. Le cas échéant, d’autres examens d’imagerie peuvent être envisagés (échographie, tomodensitométrie, résonance magnétique) pour compléter le bilan lésionnel.

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