MÉDECINE BOVINE
Geste technique
Auteur(s) : Matthieu Leblanc
Fonctions : Clinique du Vernois
7, chemin des Alamans
39270 Orgelet
La transfusion sanguine, en pratique vétérinaire rurale, est un acte relativement simple à exécuter, qui permet de sauver l’animal dans de nombreuses situations.
La transfusion sanguine est relativement peu utilisée en médecine vétérinaire rurale, en raison de son apparente complexité d’exécution. C’est pourtant une solution thérapeutique très intéressante dans plusieurs cas de figure, chez le veau comme chez l’animal adulte.
La transfusion se révèle particulièrement utile dans les situations suivantes [2] :
– un défaut d’immunité chez un veau nouveau-né et la restauration du taux protéique ;
– une anémie hémolytique, parasitaire la plupart du temps (babésiose et anaplasmose) ;
– une hémorragie importante chez un bovin adulte (rupture d’une artère vaginale lors du vêlage, par exemple) ;
– des indications rares ou à l’intérêt discutable, telles qu’une intoxication (aux rodenticides, à la fougère aigle, etc.), une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD), une coccidiose.
Il existe onze groupes sanguins chez les bovins, désignés par des lettres qui vont de A à Z (groupes A, B, C, F, J, L, M, S, Z, R’, T’) [3]. Ces groupes sont définis par des antigènes présents sur la membrane des hématies, auxquels correspondent des anticorps dits “naturels”, éventuellement présents dans le sérum des animaux qui ne possèdent pas l’antigène en cause sur leurs propres hématies. À la différence de l’homme dont les anticorps sont agglutinants, ceux-ci sont hémolytiques dans l’espèce bovine. Le groupe J est le seul pour lequel il existe des anticorps naturels dans le sérum des autres groupes de bovins. Ainsi, les individus du groupe J seraient, en théorie, les seuls donneurs à proscrire lors d’une transfusion, car le receveur, s’il n’est pas du groupe J, posséderait naturellement des anticorps dirigés contre les antigènes de ce groupe. L’hémolyse qui résulterait de la transfusion annulerait donc tout effet bénéfique de l’opération.
S’il existe un risque théorique concernant les animaux du groupe J, en pratique, il semble que la primotransfusion ne pose aucun problème chez les bovins et que l’identité hématologique du donneur n’ait que peu d’importance.
Dans le cas d’une transfusion visant à rétablir le défaut de transfert passif des anticorps chez un veau, le donneur idéal est la mère. Autrement, tout animal adulte en bonne santé peut être le donneur lors de transfusion. Par précaution, il est conseillé d’éviter les vaches gestantes, en raison du stress lié à la contention. De même, un animal calme et bien portant sera privilégié à une vache nerveuse et maigre. Les animaux sous traitement, ou dont le statut vis-à-vis des maladies infectieuses sanguines n’est pas connu (diarrhée virale bovine, fièvre Q, etc.), sont à proscrire.
Il est possible de prélever jusqu’à 20 % du volume sanguin de l’animal en une fois, toutes les deux à quatre semaines. Sachant que le sang représente environ 8 % du poids vif du bovin, cela représente un prélèvement maximal d’environ 9,5 l chez un individu de 600 kg, ce qui est plus que nécessaire pour le receveur. Il est également possible de calculer le volume à prélever d’une autre façon : 10 à 15 ml de sang par kilo de poids vif du donneur, ce qui représente 6 à 9 l pour un bovin de 600 kg [1].
Le matériel requis est limité et peu coûteux, il est donc facile de se lancer (photo 1). Il suffit d’un anticoagulant (citrate de sodium en poudre), d’un soluté isotonique, d’un trocart à saignée, d’une tubulure de perfusion avec un embout en caoutchouc, et d’un contenant pour recevoir le sang : des poches de 4 l sans vide et sans anticoagulant existent (environ 30 € en centrale d’achat). Des bouteilles en plastique vides et propres font également l’affaire. Le verre est à éviter, car il provoque des réactions plaquettaires.
Le citrate de sodium est l’anticoagulant couramment employé lors d’une transfusion “instantanée” (récolte et perfusion dans la foulée), mais il ne doit pas l’être dans les cas où le sang doit être stocké plus de quelques heures avant d’être utilisé. Il est rapidement métabolisé et excrété chez l’hôte. Le dosage est de 20 g pour 5 l : en dissolvant 20 g dans 250 ml de soluté isotonique, la solution obtenue est utilisable à raison de 50 ml par litre de sang.
Selon certaines publications, il est possible d’ajouter du dextrose dans la solution anticoagulante (à hauteur de 20 %, soit 100 ml de dextrose pour 400 ml de solution isotonique), ce qui n’est pas indispensable lors d’une transfusion immédiate [1].
La quantité à prélever dépend de l’état du receveur. Il est préférable de se référer aux valeurs hématologiques, mais le praticien n’ayant bien souvent pas la possibilité de faire l’aller-retour à la clinique, il est nécessaire de se fier à l’état du bovin. Il est généralement admis qu’une perte jusqu’à 10 % du volume sanguin entraîne pas ou peu de signes cliniques, qu’une perte de 20 % induit des signes visibles et que l’état de choc témoigne d’une perte de 35 % ou davantage. Ainsi, pour un animal montrant des signes cliniques d’anémie tels qu’une pâleur des muqueuses, une tachycardie et/ou une tachypnée, le volume minimal à transfuser est de 3 l. Dans des conditions idéales, un apport de 5 l de sang permet de corriger une anémie modérée de façon adéquate. Par expérience, un animal en choc par anémie hémolytique (coliques, décubitus latéral, coma, forte tachycardie entre autres signes) ne supporte pas toujours la transfusion. Dans cette situation, il convient de discuter de l’intérêt de sa réalisation avec l’éleveur.
Le site de prélèvement est la veine jugulaire. Le donneur est maintenu au cornadis, avec un licol pour tenir fermement la tête de côté. La zone de prélèvement est rasée et préparée chirurgicalement. Si la peau est épaisse, une scarification au scalpel peut être réalisée pour faciliter l’introduction du trocart à saigner. Il est indispensable que ce dernier soit parfaitement affûté car, dans le cas contraire, son introduction dans la veine est fastidieuse et provoque souvent un hématome, qui rend l’opération impossible. Le trocart est introduit en perçant la peau d’un coup franc et sec, puis orienté à 45° vers la veine jugulaire. Une fois que le sang coule, il est conseillé de ne plus y toucher, car en cherchant à cathétériser la veine, il est facile de la traverser, à cause de la taille du trocart. L’hématome qui en découle rend, là encore, la manœuvre impossible. La qualité de la contention est donc primordiale pour la réussite de l’acte. Le sang est ensuite prélevé par gravité (photo 2), en imprimant un mouvement doux et permanent au réceptacle (poche ou bouteille), afin d’homogénéiser le sang et la solution anticoagulante. Une fois le volume voulu atteint, le trocart est retiré et une compression du site de ponction est maintenue pendant une minute, afin de prévenir la formation d’un hématome (photo 3). En cas d’échec de la ponction au trocart, il est possible de prélever le sang à l’aiguille avec une seringue de 50 ml préalablement “rincée” avec la solution anticoagulante, ce qui est plus fastidieux mais fonctionne également. Il convient de privilégier une aiguille au calibre le plus gros possible.
La perfusion est somme toute assez simple. Lors d’utilisation de bouteilles en plastique, une tubulure avec un caoutchouc orange est nécessaire pour englober le goulot (photo 4). Il est alors souvent préférable de percer le haut de la bouteille retournée avec une aiguille, car la viscosité élevée de la solution sanguine empêche la prise d’air de la tubulure de fonctionner. Lors de l’emploi d’une poche à transfusion, mieux vaut utiliser un filtre sur la tubulure, afin de retenir les éventuels gros amas plaquettaires.
L’état de l’animal receveur doit être surveillé via un monitorage des fréquences respiratoire et cardiaque. En cas d’effet indésirable, notamment une augmentation de la fréquence respiratoire et des arythmies cardiaques, la transfusion doit cesser. Même si les risques de réaction sont faibles, l’expérience montre qu’un animal fortement choqué peut avoir du mal à supporter une transfusion.
Conflit d’intérêts : Aucun
• Onze groupes sanguins sont dénombrés chez les bovins. Néanmoins, la primotransfusion ne pose pas de problème de compatibilité chez cette espèce.
• L’animal donneur est choisi selon son état de santé et son calme.
• La quantité de sang prélevé ne doit pas excéder 20 % du volume sanguin total, soit environ 9,5 l chez un bovin de 600 kg.
• Le sang est recueilli dans des bouteilles ou des poches. L’ajout de citrate de sodium évite la coagulation.
La transfusion est un geste technique relativement simple, qui demande peu de matériel et de temps. Elle peut néanmoins permettre de sauver la vie de l’animal dans plusieurs situations. En outre, l’opération peut être répétée sans risque au cours des soixante-douze heures qui suivent la primotransfusion. Passé ce délai, le risque de voir le receveur développer des anticorps naturels contre le sang du donneur n’est pas négligeable. Toutefois, à la suite d’une intervention de ce type, le sort de l’animal est généralement fixé bien avant !