CARDIOLOGIE
Médecine canine
Auteur(s) : François Serres
Fonctions : (DESV médecine interne, option cardiologie)
Oncovet
Avenue Paul Langevin
59650 Villeneuve d’Ascq
L’association d’une bradycardie sinusale et d’un statut mental altéré justifie de mesurer la pression artérielle, afin d’explorer une hypertension intracrânienne.
Un chien samoyède mâle non stérilisé, âgé de 8 ans, est référé pour un avis diagnostique et thérapeutique en raison d’une bradycardie et d’une apathie qui évoluent depuis deux mois. Les résultats des bilans biochimique et hématologique sont dans les normes. Un test de stimulation à l’ACTH (hormone adrénocorticotrope), visant à explorer un éventuel hypocorticisme, reste dans les valeurs usuelles. Une bradycardie sinusale est identifiée à l’électrocardiogramme (ECG) (photo 1).
À l’examen clinique, l’animal apparaît en bon état général, malgré une légère fonte musculaire. Il est apathique et léthargique au domicile. L’appétit est diminué sans perte de poids majeure associée. L’examen neurologique décèle une légère perturbation du comportement (phase de déambulation, d’anxiété et apathie globale). L’examen des nerfs crâniens ne révèle rien d’anormal, de même que celui des réactions posturales.
Ce chien présente donc une apathie globale associée à une bradycardie sinusale, sans anomalie biochimique. Ce tableau clinique est compatible avec deux hypothèses diagnostiques.
La première est celle d’une bradycardie réactionnelle par hypertonie vagale, en lien avec la présence de lésions digestives, respiratoires ou cérébrales (une hypertension associée étant recherchée dans ce cas), la seconde penche pour une bradycardie “primitive”, liée à une dysfonction du nœud sinusal, possiblement à l’origine d’une faiblesse et d’une hypovigilance par hypoperfusion secondaire. La mesure de la pression artérielle par la méthode oscillométrique, effectuée sur la queue, affiche des valeurs élevées (175 à 180 mmHg). Un bilan d’imagerie encéphalique, via un examen tomodensitométrique, est préconisé en complément (photo 2). Il met en évidence la présence d’une lésion hyperintense hétérogène, évoquant en priorité un macroadénome hypophysaire. Cependant, un carcinome hypophysaire ne peut être exclu. Le bilan d’extension abdominal et thoracique ne montre aucune anomalie. L’existence d’une lésion tumorale hypophysaire permet d’expliquer les signes cliniques observés. Elle est probablement associée à une hypertension intracrânienne responsable d’un réflexe de Cushing.
Un traitement par irradiation est envisagé face à la lésion hypophysaire. Compte tenu du jeune âge du chien et de son état neurologique relativement peu dégradé, un traitement d’irradiation hyperfractionné est proposé. Avant cela, des corticoïdes (prednisolone, à la dose de 1 mg/kg/j) combinés à un traitement antiacide sont administrés durant cinq jours au minimum, afin de diminuer la pression intracrânienne et l’œdème cérébral suspecté. Le pronostic dépend de la réponse au traitement et de la reprise rapide d’une activité normale. Il est très favorable à moyen et long termes si une régression des signes neurologiques est observée pendant le traitement.
L’association d’une bradycardie sinusale avec une hypertension artérielle et une détérioration du statut neurologique constitue, dans le cas présenté, des signes forts évoquant l’existence d’une hypertension intracrânienne. Cet enchaînement est appelé réflexe de Cushing, en l’honneur de Harvey Cushing, pionnier de la neurochirurgie et également “découvreur” du syndrome de Cushing. D’un point de vue physiopathologique, ce réflexe est dû à l’augmentation de la pression intracrânienne, à la suite du développement d’une tumeur ou d’une autre lésion du crâne. Cette hausse va réduire la pression de perfusion cérébrale (différence entre les pressions artérielle systémique et intracrânienne) [1]. L’organisme réagit à cette baisse en augmentant la pression artérielle systémique via l’activation du système adrénergique, à l’origine du déclenchement d’un baro-réflexe (figure). La mise en évidence d’une lésion intracrânienne chez un animal présentant un statut neurologique encore peu dégradé, comme dans notre cas, justifie de proposer un traitement par irradiation [2, 3]. Plusieurs protocoles de radiothérapie sont décrits. Les traitements “hyperfractionnés”, qui comptent seize séances, sont a priori les plus efficaces : la majorité des animaux traités ne meurent pas des suites de la tumeur et 55 % d’entre eux sont encore vivants trois ans après l’établissement du diagnostic. Les animaux non traités bénéficient, quant à eux, d’une médiane de survie d’un an [3]. Des protocoles hypofractionnés avec une dose plus forte, administrée en une à trois fois sur une courte période, peuvent être proposés en remplacement, mais les résultats sont nettement moins probants [2].
Conflit d’intérêts : Aucun
L’association d’une apathie/bradycardie et d’une hypertension artérielle a permis d’identifier rapidement une lésion intracrânienne et de proposer une prise en charge adaptée. Dans le cas présenté, un traitement de radiothérapie hyperfractionné a été entrepris à la suite du diagnostic. Une quasi-normalisation neurologique a pu être observée à la fin des séances de radiothérapie.