UROLOGIE CANINE ET FÉLINE
Dossier
Auteur(s) : Camille Houée*, Tarek Bouzouraa**
Fonctions :
*(DE médecine interne et soins intensifs)
**(dipl. Ecvim-CA internal medicine)
Service de médecine interne
Clinique Armonia
37, rue Serge Mauroit
38090 Villefontaine
Lors de pyélonéphrite chez le chien et le chat et de prostatites chez le chien, une antibiothérapie raisonnée et un choix précis des traitements complémentaires, médicaux ou chirurgicaux, sont nécessaires.
De nombreuses familles d’antibiotiques peuvent être utilisées en cas d’infections urinaires basses. Cependant, lors de pyélonéphrite et de prostatite, les propriétés physiologiques du tissu atteint conditionnent le choix des molécules. Le praticien doit tenir compte de ces particularités, mais veiller également à ne pas oublier les traitements complémentaires (chirurgicaux ou médicaux) nécessaires à la prise en charge.
Compte tenu de la difficulté à établir un diagnostic de certitude, l’incidence de la pyélonéphrite chez le chat et le chien demeure actuellement mal documentée(1) [2, 20, 21, 23]. La contamination est due à un seul agent chez 75 % des chiens et plus de 85 % des chats [6, 18]. Le germe le plus fréquemment isolé est Escherichia coli (dans 37 % des cas chez le chien, 39 à 59 % chez le chat) suivi par les germes du genre Enterococcus spp. (9 % chez le chien, 5 à 27 % chez le chat), Staphylococcus spp. (20 % environ pour les deux espèces), Streptococcus spp. (15 %) et Proteus spp. (2 à 6 %) [1, 2, 6, 11, 22].
Comme une pyélonéphrite peut rapidement entraîner une insuffisance rénale aiguë et engager le pronostic vital, l’antibiothérapie raisonnée doit immédiatement être instaurée sans attendre les résultats des cultures bactériologiques (photo 1) [1, 8, 14, 18, 19, 20]. Le traitement de la pyélonéphrite aiguë associe une antibiothérapie et des soins hospitaliers (fluidothérapie) en raison d’une fréquente azotémie.
Un traitement de soutien doit être mis en place afin de restaurer la volémie, de corriger la déshydratation et les désordres électrolytiques (fluidothérapie), de soulager les troubles digestifs et la douleur (tableau 1) [1, 8, 12, 15].
Dans l’attente des résultats bactériologiques, le traitement initial doit utiliser un antibiotique qui diffuse dans le parenchyme rénal [1, 7]. Son spectre d’action doit être large compte tenu de la prédominance des agents à Gram négatif dans cette maladie [6, 14, 19, 20].
Les fluoroquinolones, les sulfamides potentialisés, ainsi que les aminosides présentent de meilleures capacités de diffusion tissulaire que les bêta-lactamines [7]. Cependant, la néphrotoxicité des aminosides et la forte prévalence de souches résistantes aux sulfamides ne font pas de ces molécules un choix pertinent en première intention [7]. Les fluoroquinolones peuvent donc constituer, exceptionnellement, le traitement de premier choix dès lors que la culture et l’antibiogramme sont demandés et pour un animal instable chez lequel un sepsis ou un choc septique est redouté [6, 7, 8, 14, 18, 19, 20]. Les bêta-lactamines, en particulier l’amoxicilline potentialisée, ne doivent toutefois pas être écartées en première intention, même si leur diffusion tissulaire est moins bonne que les fluoroquinolones, notamment lors de forme aiguë.
L’utilisation d’enrofloxacine pouvant provoquer des rétinopathies chez le chat, particulièrement lors d’insuffisance rénale, cette molécule est à éviter. Dans tous les cas, la dose ne doit pas excéder 5 mg/ kg par jour pour cette espèce [1, 8, 19, 20].
Plusieurs situations peuvent se présenter, après la réception des résultats bactériologiques, lorsque deux antibiotiques ont été administrés initialement [19, 20] :
– si le germe identifié est sensible aux deux molécules et que la réponse clinique est satisfaisante, l’une des deux peut être interrompue ;
– si la réponse clinique n’est pas satisfaisante et que le germe est résistant à l’une des deux molécules, celle-ci doit être arrêtée et remplacée par une autre pour laquelle le germe est sensible ;
– si la réponse clinique est satisfaisante et que le germe est résistant à l’une des molécules, sa substitution n’est pas nécessaire à condition qu’aucun autre élément (notamment la fluidothérapie) ne puisse expliquer l’amélioration clinique. Dans le cas contraire, un changement de molécule est recommandé ;
– si le germe est résistant aux deux molécules administrées et que la réponse clinique est insuffisante, un antibiotique pour lequel ce germe est sensible doit être administré.
Lorsqu’un germe multirésistant est identifié, la considération de données pharmaco-biochimiques permet d’envisager l’emploi d’un antibiotique adapté. Ses doses et sa fréquence d’administration pourront être déterminées avec l’aide d’un spécialiste. Si l’examen cytobactériologique urinaire (ECBU) revient négatif et que la réponse clinique est satisfaisante, il convient tout de même de poursuivre le traitement antibiotique si la suspicion clinique initiale de pyélonéphrite était hautement probable [11, 12].
En l’absence d’amélioration clinique et biologique au cours des soixante-douze heures qui suivent un traitement antibiotique efficace contre les germes mis en évidence, et si l’observance du traitement est correcte, le praticien devra reconsidérer son diagnostic et envisager la présence d’éléments sousjacents non contrôlés tels que des urolithes, une néoplasie, une maladie systémique à l’origine d’une immunodépression comme une endocrinopathie, etc. [8, 19].
La voie intraveineuse est conseillée pour les animaux présentant des signes d’atteinte systémique (azotémie, hyperthermie, anorexie) et une déshydratation (photo 2) [20]. Elle doit être poursuivie tant que l’animal ne s’alimente pas correctement et jusqu’à ce que l’azotémie se stabilise [14]. En cas de diminution progressive de l’azotémie, il est recommandé de continuer la fluidothérapie jusqu’à l’obtention de deux valeurs de créatininémie comparables, à quarante-huit heures d’intervalle.
Chez l’homme, des études ont montré qu’une antibiothérapie par voie orale possédait une efficacité similaire à une antibiothérapie intra-veineuse suivie d’une voie orale lors de pyélonéphrite. La voie orale est donc possible chez les animaux sans signes d’atteinte de l’état général et qui conservent de l’appétit [20].
Les caractéristiques de l’antibiotique déterminent sa posologie [9]. Pour les antibiotiques concentration dépendants (aminoglycosides, fluoroquinolones), les doses maximales des intervalles thérapeutiques doivent être utilisées, afin d’atteindre une concentration maximale dans le tissu rénal et prévenir ainsi le développement de résistances. Pour les antibiotiques temps dépendants (bêta-lactamines), l’intervalle le plus court possible entre chaque administration est à privilégier.
Auparavant, des durées de traitement de quatre à six semaines ou plus étaient systématiquement recommandées dans la littérature [14, 16, 18, 19]. Cependant, les recommandations en médecine humaine évoquent des traitements de sept à quatorze jours lors de pyélonéphrite [20]. Par extrapolation de ces préconisations chez l’homme, et bien qu’aucune étude clinique spécifique chez l’animal ne soit disponible, une durée de traitement plus courte est désormais suggérée dans la littérature lors de pyélonéphrite aiguë [8, 20]. Néanmoins, lorsqu’une forme chronique est suspectée, une antibiothérapie de plus longue durée doit être réalisée.
Des contrôles réguliers (clinique, échographique, biochimique et urinaire) sont conseillés au cours du traitement [9]. Un ECBU de contrôle est souvent recommandé après sept jours de traitement [1, 9, 18, 19, 20]. Il permet de remplacer un antibiotique dit critique par une autre molécule, ou d’interrompre une molécule si deux antibiotiques sont prescrits initialement et que le germe se révèle sensible aux deux [9]. Cette étape n’est plus automatiquement justifiée, selon certains auteurs, car sous antibiothérapie, il est très rare que l’uroculture soit positive, ce qui limite l’intérêt de ce contrôle, sauf en cas de persistance de signes cliniques [6]. Toutefois, il est recommandé de réaliser un ECBU, une à deux semaines après l’arrêt des antibiotiques, dans tous les cas [1, 6, 8, 9, 18, 19, 20].
Une analyse bactériologique négative confirme la résolution de l’infection prise en charge. En revanche, l’isolement d’une bactérie indique soit la possibilité d’une récidive ou d’une rechute, après une première phase où le germe initialement en cause a été éliminé, soit une infection persistante si la bactérie en cause n’a jamais été éliminée. Dans ces deux cas de figure, le praticien évalue la persistance ou la résolution des signes cliniques. Lorsque ces derniers persistent, il convient d’explorer l’existence de facteurs favorisants concomitants (endocrinopathie, malformation anatomique, urolithes ou néoplasie, immunodépression, antibiorésistance). Dans le cas contraire, une bactériurie subclinique est à suspecter. Son suivi est alors proposé au propriétaire, sans envisager la poursuite ou la reprise d’une antibiothérapie.
Les prostatites sont fréquentes chez le chien mâle, indépendamment de l’âge(1) [4, 13]. L’infection est monobactérienne dans plus de 70 % des cas. Escherichia coli est la bactérie la plus souvent isolée. Mycoplasma, Staphylococcus, Streptococcus, Klebsiella, Proteus mirabilis, Pseudomonas, et plus rarement Brucella canis, sont également retrouvés dans les cultures [17].
Le traitement des prostatites diffère selon le statut reproducteur, l’importance des signes cliniques et la présence d’abcès prostatiques (figure).
Lors de prostatite aiguë, l’atteinte étant souvent marquée, un traitement associant une fluidothérapie, une antibiothérapie et une administration de molécules anti-inflammatoires doit être instauré rapidement [13].
Une castration chirurgicale réalisée dès que le statut clinique de l’animal le permet, combinée à un traitement antibiotique, constitue le traitement de choix lors de prostatite [17, 18, 20]. Chez les animaux reproducteurs, des antiandrogènes peuvent être prescrits afin d’augmenter le taux de réussite du traitement (tableau 2) [5, 10]. Il est important de souligner au propriétaire que les chances de guérison des formes chroniques sont très faibles sans castration chirurgicale associée [8, 10].
Le choix de l’antibiotique est conditionné à l’analyse bactériologique (réalisée sur la troisième fraction de l’éjaculat ou a minima sur les urines) et doit tenir compte des propriétés physico-chimiques de la barrière hémato-prostatique. Ainsi, seules les molécules lipophiles faiblement liées aux protéines pourront diffuser correctement à travers elle. En outre, le pH prostatique étant plus acide que le pH sanguin, les bases faibles doivent être privilégiées [3, 5, 13, 14, 17].
Lors de prostatite aiguë, l’inflammation importante réduit les propriétés de filtration de cette barrière et permet la diffusion de nombreuses molécules en début de traitement. Mais cette perméabilité est rapidement diminuée dès le début de l’amélioration et une nouvelle molécule devra éventuellement être choisie pour la suite [3, 14, 16, 18, 20]. Lors de forme chronique, une molécule capable de pénétrer au sein de la prostate doit être choisie au début du traitement [5, 13, 14, 16]. Les sulfamides, potentialisés par le triméthoprime, le chloramphénicol, les macrolides et les fluoroquinolones, possèdent les propriétés requises pour diffuser efficacement [3, 13, 14, 16, 17, 18, 20]. Les fluoroquinolones (marbofloxacine, enrofloxacine) possèdent une bonne capacité de diffusion et peuvent donc être utilisées en cas d’antibiogramme permissif ou de pronostic vital engagé [3, 8, 13]. Ces molécules à spectre relativement large n’agissent cependant pas sur les germes anaérobies, mais présentent l’intérêt d’agir souvent sur les mycoplasmes [3]. La ciprofloxacine ayant une biodisponibilité aléatoire chez le chien et une moindre diffusion au sein de la prostate, en comparaison de l’enrofloxacine, son utilisation n’est pas recommandée [20].
Les sulfamides potentialisés par le triméthoprime présentent également une bonne diffusion dans le tissu prostatique, ainsi qu’un spectre large, malgré un manque d’efficacité contre les germes anaérobies [3]. Certaines études suggèrent que son efficacité est similaire à celle de l’enrofloxacine, ce qui en fait un antibiotique de premier choix [8, 20]. Les macrolides (érythromycine, clindamycine) diffusent très bien au sein de la prostate, mais ont peu d’effet sur les germes à Gram négatif, plus fréquemment incriminés [3, 13, 18]. Leur emploi est donc préconisé uniquement après la réalisation d’un antibiogramme [3, 13, 20].
Des études suggèrent l’intérêt du chloramphénicol. Cette molécule présente l’avantage d’agir sur les germes anaérobies. Toutefois, cet antibiotique étant fortement lié aux protéines, des doses élevées sont nécessaires pour atteindre des concentrations suffisantes dans le tissu prostatique [3]. Son utilisation par voie orale n’est en outre pas envisageable en France, compte tenu de la réglementation actuelle.
La durée du traitement antibiotique varie selon la chronicité de l’infection. Lors de formes aiguës, quatre à six semaines de traitement sont recommandées, bien que la castration puisse diminuer cette durée [3, 8, 14, 16, 17, 18, 20]. Lors de prostatite chronique, un traitement minimal de six semaines est préconisé et peut parfois être allongé jusqu’à huit à douze semaines au total, particulièrement lors d’abcès ou en l’absence de castration [3, 8, 13, 18, 20]. Tout au long du traitement, une vigilance particulière doit être portée à l’apparition d’effets indésirables liés à l’usage prolongé d’antibiotiques (tableau 3).
Lorsqu’un ou plusieurs abcès prostatiques mesurant plus de 1 cm sont observés, un drainage (chirurgical ou par aspiration échoguidée) doit être entrepris [3, 16, 17, 18, 20]. Lors d’abcès de petite taille (inférieur à 2,5 cm), un drainage par aspiration sous contrôle échographique, en parallèle du traitement antibiotique, peut être envisagé. Au-delà, une prise en charge chirurgicale est conseillée [18]. Ce drainage chirurgical peut être réalisé grâce à diverses techniques (omentalisation, drain de Penrose, marsupialisation), associées à différents niveaux de complications (tableau 4). Parmi elles, l’omentalisation constitue actuellement la technique chirurgicale de choix à privilégier par le praticien [3]. Celle-ci peut être effectuée immédiatement ou après une phase initiale de “réduction” via la vidange de la cavité.
Après l’initiation du traitement antibiotique, un premier contrôle bactériologique est recommandé sept à dix jours plus tard, puis une semaine après l’arrêt des antibiotiques [18]. D’autres auteurs recommandent de nouvelles cultures avant l’arrêt du traitement, puis trente jours après [17]. Au cours de ces contrôles, une analyse urinaire et un contrôle échographique sont également conseillés [18].
(1) Voir l’article « Caractérisation et diagnostic des infections du tractus urinaire » dans ce dossier.
Conflit d’intérêts : Aucun
L’antibiothérapie ciblée tient une place centrale dans le traitement des pyélonéphrites et des prostatites. Un choix inadapté de molécule, une durée insuffisante ou l’absence de traitements adjuvants peuvent conduire à un échec thérapeutique, des récidives ou des séquelles à long terme. La réalisation de cultures bactériologiques reste essentielle pour la prise en charge de ces deux maladies.