UROLOGIE CANINE ET FÉLINE
Article de synthèse
Auteur(s) : Adèle Savoye*, Tarek Bouzouraa**
Fonctions :
*(dipl. Ecvim-CA internal medicine)
Service de médecine interne
Clinique Armonia
37, rue Serge Mauroit
38090 Villefontaine
L’analyse histologique à la suite d’une biopsie rénale est désormais standardisée en Europe. Les techniques de biopsie, ainsi que ses indications et contre-indications doivent être connues.
Le recours aux biopsies rénales est rare en pratique quotidienne, notamment en raison de doutes quant à l’apport de l’analyse histologique lors d’une suspicion de glomérulopathie, du coût des analyses en laboratoire de référence, voire d’une méconnaissance de la technique et des indications liées aux prélèvements.
L’analyse histologique a pour objectif d’établir un diagnostic précis afin d’adapter le traitement et d’affiner le pronostic, à condition que la biopsie soit réalisée dans un contexte approprié et que les échantillons soient obtenus et examinés de manière adéquate.
La principale indication est la suspicion d’une glomérulopathie, notamment par la confirmation d’une protéinurie rénale [18]. Une simple protéinurie n’est cependant pas suffisante pour envisager une biopsie. Une aff ection glomérulaire est à suspecter lors d’une protéinurie significative, persistante et d’origine rénale [4, 13, 16]. Le rapport protéines/créatinine urinaires (RPCU) est théoriquement inférieur à 0,5 chez le chien et à 0,4 chez le chat [2, 11, 14]. Un RPCU nettement supérieur à ces seuils (valeur seuil estimée à 2) suggère une fuite protéique d’origine glomérulaire. La protéinurie doit être documentée au minimum à deux reprises, à deux puis à quatre semaines d’intervalle, excepté lorsqu’elle est importante et que le RPCU dépasse 3,5 [11, 12, 13]. La seule valeur du RPCU peut toutefois ne pas suffire pour confirmer ou infirmer une glomérulopathie. En eff et, chez près de 25 % des chiens dont le RPCU est inférieur à 2 de façon persistante, l’analyse histologique met en évidence une glomérulopathie [8]. Le recours à l’électrophorèse des protéines urinaires permet d’étayer la suspicion de glomérulopathie, la visualisation de bandes de protéines à haute masse moléculaire présentant une spécificité (100 %) et une sensibilité (97 %) excellentes pour attester la présence de lésions glomérulaires à l’histologie [9].
Une origine prérénale ou postrénale doit être recherchée [4, 7]. L’exclusion des causes prérénales passe par le test de la bandelette urinaire qui permet d’exclure une pigmenturie (bilirubinurie, hémoglobinurie), tandis qu’un hémogramme (syndrome inflammatoire ou infectieux) et un bilan biochimique sont indiqués pour écarter une hyperprotéinémie [7, 10, 19]. Les causes postrénales sont investiguées par le biais d’un examen du sédiment urinaire, afin d’éliminer une inflammation ou une infection du tractus urinaire, et via une échographie urogénitale à la recherche d’une anomalie physique (urolithe ou masse).
Bien que rares chez le chat, les atteintes glomérulaires sont relativement fréquentes chez le chien. Dans la moitié des cas environ, les chiens présentent des atteintes primaires (glomérulopathie familiale ou idiopathique), 20 % sont consécutives à une infiltration néoplasique, 15 % interviennent dans un contexte inflammatoire dysimmunitaire non infectieux et 12 % dans un cadre strictement infectieux. Plus rarement, l’étiologie est endocrinienne, toxique ou médicamenteuse (tableaux 1 et 2). Ces causes de glomérulopathies doivent être envisagées et prises en charge lorsque cela est possible avant la réalisation d’une biopsie [13, 14, 20].
L’analyse histologique est la méthode de référence pour confirmer et caractériser une maladie glomérulaire [22]. Différents types de glomérulopathies sont reconnus selon leurs caractéristiques histologiques(1), ce qui permet d’en préciser l’origine, les modalités de prise en charge et le pronostic [5].
Dans une moindre mesure, l’analyse histologique des biopsies rénales est susceptible de fournir des indications en cas d’insuffisance rénale aiguë en phase d’aggravation constante, dont l’origine n’est pas identifiée par le biais des premiers éléments de la démarche diagnostique bien menée, voire lors d’une suspicion de néphropathie congénitale ou familiale chez un jeune animal qui présente une azotémie [3, 12, 15, 22].
Indépendamment de l’atteinte primitive, l’évolution vers la chronicité et le stade terminal d’une néphropathie réduit la pertinence de l’examen histologique. Ainsi, la réalisation d’une biopsie rénale chez un animal atteint d’une maladie rénale chronique (MRC) de stade III avancé ou IV, selon la classification de l’International Renal Interest Society (Iris), est déconseillée [12, 14, 15]. En effet, les remaniements et la fibrose interstitielle aboutissent à des résultats histologiques peu concluants [3]. De plus, le risque de complication hémorragique est majoré chez les animaux atteints d’une insuffisance rénale chronique [13, 22]. Il est donc important de considérer l’intérêt et l’apport d’une biopsie rénale dans les stades précoces, d’autant plus que jusqu’à la moitié des chiens présentant une MRC souffrent initialement d’une atteinte glomérulaire primaire [14].
Les autres contre-indications aux biopsies rénales sont la présence d’une hypertension artérielle systémique non maîtrisée, d’un trouble de l’hémostase, d’une anémie significative, d’une hydronéphrose, de kystes rénaux multiples ou de grande taille, d’une pyélonéphrite, d’un abcès (péri) rénal et d’une gestation [12, 15, 22]. Toute infection du tractus urinaire doit être maîtrisée avant la réalisation des biopsies. L’utilisation d’un anti-inflammatoire non stéroïdien peut également augmenter le risque hémorragique et doit être interrompue idéalement cinq jours avant le prélèvement [22].
De manière générale, les meilleurs candidats à cet acte sont ceux qui présentent une protéinurie rénale significative (RPCU supérieur à 2, voire à 3,5 en phase d’urgence) ou avec une fuite de protéines à haute masse moléculaire, et une azotémie à l’évolution subaiguë [12, 13]. Le recours aux biopsies est envisagé si la mise en place d’un traitement conventionnel antiprotéinurique et des mesures diététiques de soutien rénal se révèlent inefficaces [1, 7, 13, 15, 22]. En général, une diminution du RPCU en dessous de 0,5 chez le chien et de 0,4 chez le chat, ou de 50 % de sa valeur initiale, permet de conclure à une réponse thérapeutique acceptable [1, 7].
Plusieurs techniques existent : la biopsie transcutanée échoguidée et la biopsie chirurgicale, par laparotomie (mini-invasive ou classique) ou par laparoscopie. La première modalité autorise un prélèvement simple, peu invasif et qui requiert une anesthésie générale de courte durée (encadré) [12, 22]. La technique chirurgicale permet une visualisation directe de l’organe, laquelle conditionne le choix de la zone de prélèvement. La biopsie transcutanée sans guidage échographique par palpation, parfois utilisée chez le chat, n’est plus recommandée [12]. Aucune étude ne compare le taux de complications entre les différentes méthodes de prélèvement. Le choix de la technique à employer est principalement fondé sur l’expérience et les capacités techniques de l’opérateur, et sur l’aspect échographique lésionnel des reins [12, 22].
Une surveillance hospitalière est préconisée durant vingt-quatre heures après la biopsie. Excepté lors de contre-indication biologique (hypoprotéinémie notamment), l’animal reçoit une perfusion d’entretien de cristalloïdes isotoniques afin de favoriser l’élimination des débris qui pourraient s’accumuler dans le bassinet ou l’uretère. Un contrôle de l’hématocrite et un dosage des protéines totales sont réalisés deux à quatre heures après l’intervention, et les résultats sont comparés aux valeurs initiales. Un suivi de la pression artérielle systémique est également souhaitable. Le contrôle échographique permet d’apprécier l’absence d’hémorragie. Enfin, un repos strict de soixante-douze heures après la procédure doit être respecté au domicile [22].
La fréquence des complications chez le chien et le chat sont de l’ordre de 13,4 % et 18,5 %, respectivement [22]. Les différentes complications décrites sont une hémorragie, une hématurie, la formation d’un hématome ou de kystes rénaux, une hydronéphrose, une infection, une thrombose, une fibrose et la formation de fistules artérioveineuses. Les complications les plus rencontrées sont l’hémorragie (9,9 % chez le chien, 16,9 % chez le chat) et l’hématurie (4,2 % chez le chien, 3,1 % chez le chat) [21]. L’hématurie macroscopique se résout généralement en vingt-quatre heures [21, 22]. Les autres complications sont moins fréquentes, une hydronéphrose est par exemple observée chez 0,4 % des chiens [21]. Chez les animaux de petite taille, le risque de complications est majoré en raison de la proximité des gros vaisseaux [12].
Depuis 2008, deux centres d’anatomopathologie travaillent en collaboration pour améliorer la classification et le diagnostic des glomérulopathies, principalement chez le chien. Cette collaboration internationale repose sur les consensus et les données disponibles en médecine humaine. Le résultat de ce travail collaboratif est la création récente d’un centre européen de pathologie rénale, qui permet de réaliser, d’envoyer et de soumettre les prélèvements rénaux directement à des experts en pathologie rénale vétérinaire. Les travaux actuels suggèrent en effet que l’évaluation d’une biopsie rénale doit être effectuée par un néphropathologiste habitué, à l’aide de trois méthodes d’analyse complémentaires : la microscopie optique, la microscopie électronique et l’immunofluorescence [3, 4, 5, 13, 18]. L’apport de la microscopie optique seule est en effet limité, notamment lorsqu’un processus dysimmunitaire est suspecté. Ainsi, un dépôt de complexes immuns dans la membrane basale glomérulaire incite à initier une thérapie immunosuppressive, alors qu’une amyloïdose ou une glomérulosclérose oriente davantage vers l’association d’un traitement conventionnel de protéinurie et de glomérulonéphropathie. En Europe, ces techniques sont accessibles via l’European Veterinary Renal Pathology Service (EVRPS). Le développement récent d’un site internet dédié permet de demander directement l’envoi de kits de biopsie et de soumettre une demande d’analyse(2).
Le coût du kit de biopsie commandé au laboratoire avant la réalisation des prélèvements est de 60 € hors taxes, et il est acheminé dans un délai de trois à cinq jours ouvrés [13]. Il contient des conservateurs spéciaux et les différents outils et instructions nécessaires à la préparation des échantillons (photo 3). Ces derniers sont à préparer rapidement, au cours des cinq minutes qui suivent le prélèvement. Ils ne doivent pas être laissés à l’air libre, sont humidifiés, mis à tremper dans du sérum physiologique et leur manipulation est réduite au minimum [12]. La biopsie est divisée en plusieurs parties à l’aide d’une lame de rasoir. Les extrémités sont dédiées à l’évaluation par microscopie électronique et sont disposées dans la solution de glutaraldéhyde à 3 %. Chez le chien, la partie centrale est ensuite divisée en deux parties égales, l’une est placée dans la solution de formaldéhyde à 10 % pour la microscopie optique, l’autre dans le milieu de Michel pour l’immunofluorescence [4, 12, 22].
Le coût de l’analyse avec les trois techniques d’évaluation est de 480 € hors taxes. Les frais d’envoi par le biais d’un transporteur agréé sont à la charge du praticien (environ 75 € toutes taxes comprises). Il est recommandé d’envoyer les échantillons en début de semaine et en dehors de périodes comportant des jours fériés. Il faut également aviser le laboratoire destinataire du jour de l’envoi, afin d’optimiser les modalités de réception des échantillons. Dans les cas où l’analyse complète ne peut pas être réalisée, l’analyse conventionnelle (microscopie optique seule) peut tout de même être proposée, mais les limites de cet examen unique doivent être clairement explicitées au propriétaire.
Conflit d’intérêts : Aucun
Dans cette approche, de plus en plus utilisée, le prélèvement est réalisé à l’aide d’une aiguille de biopsie armée sur un pistolet semi-automatique ou automatique (photo 1) [4, 12]. Le diamètre de l’aiguille est de 14G ou 16G, voire de 18G chez les petits animaux [17, 22]. Cependant, les prélèvements obtenus avec des aiguilles de 18G contiennent un nombre parfois trop limité de néphrons et sont très fragiles [16, 17]. Selon une étude récente, portant sur 522 prélèvements, si la qualité de prélèvement est similaire entre les aiguilles de 14G et 16G, l’utilisation des 16G est préconisée car elles sont associées à moins de complications [6].
La sonde échographique est une sonde microconvexe à haute fréquence, d’environ 5 à 8 MHz. L’animal, parfaitement immobile, est placé sous sédation, voire sous anesthésie générale. Une tonte et une asepsie chirurgicale du site de ponction sont réalisées [12, 22]. Le rein à biopsier est visualisé en coupe sagittale, afin de bien identifier les différentes structures qui le définissent et l’application d’un Doppler tissulaire permet de vérifier l’absence de vascularisation majeure sur le trajet de l’aiguille de biopsie [17]. Le rein gauche, plus facile d’accès compte tenu de sa position caudale par rapport à l’estomac, est privilégié, tout comme le pôle caudal du rein [12, 22]. L’aiguille de biopsie est orientée obliquement à la surface du rein, et la profondeur de la biopsie est vérifiée avant d’activer le piston du pistolet. Le prélèvement doit uniquement concerner la corticale rénale, en raison d’un risque élevé d’hémorragie, d’infarctus ou de fibrose en cas de prélèvement de médulla, dont la vascularisation est plus importante (figure) [17, 22]. Chez le chat, il est recommandé d’immobiliser le rein à cause de sa petite taille et de sa mobilité importante [22]. L’absence d’hémorragie est vérifiée immédiatement après la biopsie [17].
Deux biopsies par rein sont idéalement pratiquées, et deux prélèvements au minimum sont nécessaires pour l’analyse histologique. La biopsie est délogée de l’aiguille en appliquant un jet de faible pression de sérum physiologique, ce qui évite toute manipulation de l’échantillon. L’échantillon idéal mesure au moins 10 mm de long et comporte au minimum cinq néphrons (photo 2). L’opérateur procède à une évaluation au microscope optique des échantillons obtenus avant la préparation et l’envoi au laboratoire, afin de s’assurer de la présence de glomérules [12, 22].
• La récolte des biopsies rénales et leur acheminement jusqu’au laboratoire de référence nécessitent une anticipation et une mise en relation avec l’équipe qui procédera à l’analyse histologique.
• Chez le chien, une biopsie rénale peut être soumise à une analyse histologique conventionnelle ou à une méthode de microscopie électronique et d’immunofluorescence.
• Quelle que soit la technique de biopsie, l’échantillon obtenu ne doit concerner que la corticale rénale.
• Les complications liées au prélèvement sont peu fréquentes, la principale étant une hémorragie.
Les anciens schémas de classification des maladies glomérulaires en médecine vétérinaire étaient uniquement fondés sur l’analyse histologique conventionnelle (en microscopie optique). La faible valeur discriminatoire de cet examen entraînait une marge d’erreur importante, ce qui a souvent conduit à délaisser la biopsie rénale. Les glomérulopathies bénéficient actuellement d’une caractérisation histologique précise, qui fait évoluer les approches thérapeutique et pronostique. En raison des effets indésirables non négligeables d’un traitement immunosuppresseur, il est important de pouvoir se fier à un diagnostic de certitude pour entreprendre un traitement adapté.