REPRODUCTION BOVINE
Article de synthèse
Auteur(s) : Lisa Resplendino
Fonctions : ENV de Toulouse
23, chemin des Capelles
31300 Toulouse
Le recours à des dispositifs intra-utérins, créés dans un but expérimental et déjà commercialisés en Amérique du Sud, présenterait des avantages en élevage bovin.
Les dispositifs intra-utérins (DIU), ou stérilets, sont de plus en plus utilisés en médecine humaine, car ils permettent une contraception durable, réversible et fiable. Même s’ils demeurent moins courants que la pilule contraceptive en France, le nombre de femmes qui y ont recours est en augmentation.
Chez les animaux, l’utilisation des stérilets n’est pas habituelle, contrairement à d’autres méthodes de contraception.
Chez la vache, l’usage de dispositifs intra-utérins permettrait l’obtention d’une contraception définitive, à l’instar de l’ovariectomie, en limitant les coûts et les risques liés à une procédure chirurgicale. La mise en place d’un DIU pourrait également avoir une influence sur l’engraissement, en augmentant le gain moyen quotidien (GMQ), et sur la lactation, bien que de nouvelles études soient nécessaires pour conclure sur ces points.
Après l’insertion d’un dispositif intra-utérin dans les cornes utérines, l’un des principaux effets observés chez la vache est la modification de la durée des cycles œstraux suivants. Ces variations du cycle semblent dues en particulier à la distension de la corne dans sa partie craniale, ce qui explique que les dispositifs développés pour les vaches doivent être insérés dans les deux cornes, et présenter une largeur suffisante pour distendre les parois utérines. Si un DIU n’est présent que dans une corne, seuls les cycles qui suivent l’ovulation dans la corne concernée sont modifiés.
Autre fait étonnant, selon le stade du cycle auquel est inséré le DIU, la durée des cycles suivants semble modifiée différemment. Après une insertion lors de la première moitié du cycle, les suivants ont tendance à se raccourcir, tandis qu’après une insertion en fin de diœstrus, les cycles qui suivent tendent à s’allonger (tableau) [2, 6, 7, 8, 16].
Un vétérinaire argentin, Enrique Turin, qui a en outre développé et commercialisé des DIU pour bovins, a mené une étude incluant 266 génisses. Il montre que l’insertion de ces dispositifs induit un anœstrus prolongé (au-delà de 120 jours) chez 98 % des animaux, et surtout une prise de poids plus importante par rapport au groupe témoin (GMQ supérieur de 25 % chez les génisses avec un DIU) [14]. La distension des cornes générée par les DIU pourrait interférer avec la sécrétion par l’hypophyse de gonadotrophines, les hormones folliculo-stimulante (FSH) et lutéinisante (LH). Les dispositifs intra-utérins pourraient ainsi être à l’origine d’une diminution de la sécrétion de la LH hypophysaire et, éventuellement, d’une augmentation de la sécrétion de FSH. Les mécanismes qui régissent ces modifications ne sont pas connus précisément [2].
En ce qui concerne l’induction d’un anœstrus prolongé, Turin l’explique par la présence de kystes folliculaires chez les génisses munies d’un dispositif intra-utérin, lesquels seraient à l’origine d’une augmentation de la sécrétion de progestérone et de testostérone. L’existence de ces kystes chez une proportion aussi élevée de génisses n’est en revanche pas expliquée ; aucune autre publication relative à l’insertion de DIU ne rapporte de telles anomalies ovariennes ni d’augmentation aussi importante du GMQ). L’existence d’un conflit d’intérêt – Turin commercialise les dispositifs utilisés dans les essais – nous incite à interpréter ces données avec précaution.
Plusieurs dispositifs ont été développés chez la vache. La plupart comprennent deux dispositifs en forme de Y (un pour chaque corne utérine) et ont été créés dans un but expérimental.
Seul celui de Turin, le dispositivo intrauterino bovino (DIUB), est commercialisé actuellement, en Amérique du Sud, dans le but d’améliorer la production (GMQ) et de faciliter la gestion des lots [12]. Plusieurs modèles sont disponibles, pour s’adapter aux diverses dimensions utérines, selon la parité des vaches : un pour les nullipares, un pour les vaches ayant vêlé une à trois fois, et un pour celles qui cumulent quatre gestations [13].
Depuis la création du DIUB en 1997, plusieurs brevets ont été déposés pour notifier des évolutions apportées aux différents modèles. Ainsi, les DIUB actuellement commercialisés sont en forme de Y, avec des branches assez souples pour permettre une distension des cornes sans risquer de les perforer. L’extrémité des branches comporte deux ou trois points d’ancrage, afin de favoriser la fixation des branches du dispositif à la paroi utérine, sans la transpercer.
Les deux DIUB placés dans chaque corne se ressemblent, mais comportent des têtes différentes : le premier a une tête à bout effilé, pour faciliter la progression du dispositif d’insertion lors de la mise en place, alors que le second a une tête plus plate, afin de faciliter l’expulsion du premier dispositif (figure 1).
Pour la vache, l’insertion du dispositif n’est pas plus invasive ou douloureuse qu’une insémination artificielle.
Avant l’insertion, la région périnéale doit être soigneusement lavée, par exemple avec de la povidone iodée à 7,5 %. De même, le dispositif, s’il n’est pas stérile, doit être trempé dans une solution antiseptique au préalable.
Pour insérer les DIU dans l’applicateur, le mandrin poussoir doit être sorti du tube applicateur, et les dispositifs insérés dans ce dernier, les branches en premier (figure 2). Le dispositif à tête plate ou concave est d’abord placé dans l’applicateur, suivi du dispositif à tête conique, et doit légèrement dépasser du tube. Le mandrin peut ensuite être remis dans l’applicateur et venir s’appuyer contre les dispositifs intra-utérins.
En pratique, le tube d’insertion peut être manipulé d’une main, tandis que l’autre vient guider l’applicateur dans chaque corne à l’aide d’une palpation transrectale, afin d’expulser chaque stérilet à sa place (figure 3) [11].
Chez la vache, les complications rapportées sont rares. Des cas de perforation des cornes utérines sont décrits, mais avec peu de précisions quant à leur fréquence d’apparition, ce qui a conduit l’auteur à apporter des améliorations aux dispositifs, en créant des points d’ancrage sur les extrémités des branches [12].
L’une des potentielles applications, qui a fait l’objet de plusieurs articles de recherche, concerne l’utilisation de dispositifs intra-utérins pendant l’engraissement, afin d’augmenter le gain moyen quotidien (GMQ). Les résultats sont très variables.
Turin et ses collaborateurs (1997) ont mené une étude chez 460 génisses croisées hereford-angus à l’engraissement pendant 120 jours [14]. Ils ont obtenu, chez les 230 génisses porteuses d’un DIU, un GMQ supérieur de 16,5 à 25,5 % par rapport à celui du groupe sans DIU. Cette hausse du GMQ s’explique, selon l’auteur, par l’apparition d’un anœstrus prolongé, mais également par la testostéronémie augmentée de quatre à huit fois chez les vaches avec un stérilet versus les animaux témoins. La testostéronémie élevée, bien qu’inférieure à celle nécessaire pour induire un comportement sexuel masculin, pourrait suffire à exercer des effets anaboliques et à expliquer l’augmentation du gain moyen quotidien.
Une seule autre étude (Orquera et coll.) a permis d’obtenir des résultats en accord avec ceux de Turin, malgré l’utilisation du même dispositif dans cinq autres publications [1, 4, 9, 10, 15]. Dans l’étude d’Orquera et son équipe, le gain de poids obtenu après 120 jours avec un DIU (n = 15 : 108,5 kg ± 11,2) est significativement plus important que chez les vaches témoins (n = 15 : 77,7 kg ± 21,3) ou ayant subi une ovariectomie (n = 19 : 81,4 kg ± 12,3), mais avec des rendements de carcasse non significativement différents [11].
Ces études sont difficilement comparables, car elles incluent des animaux d’âge, de race, voire de sous-espèce différents (Bos taurus indicus versus Bos taurus taurus), avec un système d’élevage et une alimentation diversifiés. En outre, les publications correspondantes manquent de précision sur un certain nombre de points, et les protocoles expérimentaux suivis sont largement critiquables. Ainsi, il n’est pas possible de conclure sur l’effet des DIUB sur le GMQ.
L’ovariectomie, réalisée avant le 125e jour de lactation, permet d’augmenter la production laitière à partir du 10e jour postopératoire, et de prolonger la lactation de 85 jours en moyenne par rapport aux vaches non stérilisées [3, 5].
En supposant qu’il soit possible d’obtenir des résultats similaires à ceux de l’ovariectomie, la mise en place d’un DIU pourrait se révéler intéressante chez les vaches laitières avant la réforme, lors de leur dernière lactation, pour augmenter la production laitière. Néanmoins, aucune étude n’ayant été réalisée spécifiquement sur ce point, il est donc difficile de prédire l’effet du stérilet sur la lactation.
La prolongation de la lactation à la suite de l’ovariectomie serait provoquée en particulier par la suppression de la sécrétion d’œstradiol et de progestérone, qui aurait pour effet une réduction de la dégradation de la matrice extracellulaire et une diminution de l’apoptose des cellules épithéliales mammaires [17, 18]. Avec un DIU, une baisse de la progestéronémie est décrite par Turin et ses collaborateurs chez les génisses, pour lesquelles il rapporte un anœstrus prolongé [14]. En revanche, les variations de la sécrétion d’œstradiol n’ont pas été mesurées après l’insertion du dispositif. Des études sur l’influence d’un DIU sur la persistance de la lactation sont donc nécessaires avant d’envisager de les utiliser dans cet objectif.
Une dernière utilisation possible des DIU concerne, toujours chez les vaches à l’engraissement, la facilité de gestion des lots pour l’éleveur. Cela lui permettrait de laisser ensemble les mâles et les femelles, sans risquer la survenue de gestations non désirées et l’envoi de vaches gestantes à l’abattoir.
Aucune gestation n’a été observée chez des vaches porteuses d’un dispositif intra-utérin. Les cas de gestation après l’insertion d’un DIU ont tous concerné des vaches qui ont expulsé spontanément le dispositif. Ainsi, des DIU pourraient être utilisés comme contraceptifs pour faciliter la gestion des lots par l’éleveur, dès lors qu’ils ne sont pas expulsés.
Le maintien en place est très variable selon les modèles commercialisés. Le meilleur semble être le DIUB de Turin [13]. L’ancrage résultant essentiellement du format utérin, il est susceptible de dépendre également de la race. Les dimensions des stérilets potentiellement testés et développés en France seront ainsi probablement à adapter.
(1) Travail issu de la thèse de doctorat vétérinaire « La contraception mécanique intra-utérine : applications, intérêts et limites chez la vache, la jument et la chienne », https://oatao.univ-toulouse.fr/26685/1/Resplendino_26685.pdf
Conflit d’intérêts : Aucun
• Chez les bovins, l’insertion d’un dispositif intra-utérin provoque une distension des cornes utérines, probablement à l’origine de la modification de la durée du cycle œstral. Un DIU doit être inséré dans chaque corne.
• Des dispositifs intra-utérins ont été développés expérimentalement chez la vache, en Amérique du Sud, où un DIU pour les bovins est commercialisé depuis 1997.
• Les avantages de l’usage d’un stérilet sur la production (lait et augmentation du gain moyen quotidien) ne sont pas clairement démontrés, par manque de données publiées ou de rigueur dans la réalisation des études.
• Les DIU pourraient être employés comme contraceptifs pour faciliter la gestion des lots à l’engraissement.
Chez la vache, des dispositifs intra-utérins pourraient présenter un intérêt à condition d’être conçus pour réduire au maximum le taux d’expulsion. Ils pourraient être utilisés à l’engraissement, comme contraceptifs, afin de faciliter la gestion des lots.
L’effet du DIU sur l’augmentation du gain moyen quotidien, vanté par Enrique Turin dans un essai au protocole critiquable et non observé dans d’autres études, des réserves sont à faire quant à son efficacité [14]. Des travaux concernant l’impact des DIU sur la lactation pourraient également se révéler intéressants.
L’action contraceptive des DIU chez la vache étant le seul résultat démontré à ce jour, le rapport coûts-bénéfices de leur utilisation reste à évaluer (dispositif, pose, éventuelles complications versus gestion des lots facilitée, abattage moindre de vaches gestantes).