PREMIÈRES OBSERVATIONS CLINIQUES AUTOUR DU CANNABIS ET DE LA PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR - Le Point Vétérinaire n° 413 du 01/01/2021
Le Point Vétérinaire n° 413 du 01/01/2021

CANNABIS ET DOULEUR

Dossier

Auteur(s) : Thierry Poitte

Fonctions : Clinique vétérinaire
8, rue des Culquoilès
La Croix Michaud
17630 La Flotte-en-Ré

Le cannabidiol pourrait présenter un intérêt dans le cadre de la prise en charge des douleurs chroniques réfractaires aux traitements conventionnels chez les animaux de compagnie. Illustration avec les premières observations cliniques.

Doté de propriétés antalgiques, le cannabidiol pourrait se révéler intéressant pour soulager les douleurs chroniques réfractaires aux traitements conventionnels chez les animaux de compagnie présentant des affections dégénératives ou inflammatoires. Ses effets bénéfiques sur la qualité du sommeil, l’anxiété et la dépression contribuent en effet à diminuer la perception de la douleur (ressenti émotionnel) et à améliorer la qualité de vie.

1. L’USAGE DU CANNABIDIOL EN COMPLÉMENT ALIMENTAIRE

Du cannabidiol (CBD) a été utilisé en tant que complément alimentaire et préparé dans le cadre des dérogations prévues par la législation : la variété de chanvre sélectionnée figure à l’article 1 de l’arrêté du 10 décembre 2018(1). Le CBD provient des graines et des fibres. Un certificat d’analyse par chromatographie en couche mince (CCM) a confirmé l’absence de tétrahydrocannabinol (TCH). L’utilisation retenue est la correction du mal-être associé à des douleurs chroniques.

La teneur précise en cannabidiol doit être connue afin de suivre une procédure de type start low, go slow and stay low : seul le vétérinaire, expert clinicien, est à même de rechercher la dose minimale efficace (0,5 à 2 mg/kg deux ou trois fois par jour) en pratiquant une titration, progressive et précautionneuse, couplée à une évaluation rigoureuse de la douleur, au sein d’une relation privilégiée avec le propriétaire, et en accord avec des objectifs partagés d’amélioration de la qualité de vie. L’administration transmucosale doit être conseillée, compte tenu de la faible et variable biodisponibilité par voie orale (photos 1 et 2).

2. L’ÉVALUATION DE LA DOULEUR PAR LE SYSTÈME DE GRADATION CSOM

La douleur a été évaluée par le système de gradation client specific outcome measures (CSOM) [2]. Les CSOM sont des grilles évaluatives de la douleur chronique, inspirées de la patient reported out-come (PRO) développée en rhumatologie humaine et qui rapporte les symptômes ressentis et exprimés par les patients eux-mêmes.

Appliquées en médecine vétérinaire, ces mesures font appel aux capacités d’observation du propriétaire qui partage le quotidien de son animal pour évaluer le handicap fonctionnel et le mal-être associés aux douleurs chroniques (encadré). La particularité réside notamment dans le fait que chaque grille est spécifique à un animal et à son propriétaire. En effet, il ne s’agit pas d’un questionnaire standard, mais plutôt d’un outil individuel adapté à “l’animal douloureux”, avec son identité propre replacée dans son environnement émotionnel et cognitif.

Le propriétaire sélectionne, avec le vétérinaire, un ensemble d’activités perturbées ou de troubles émotionnels à l’origine de changements comportementaux ou qualificatifs de la douleur (décharges électriques, par exemple). Une fois les items sélectionnés et précisés (circonstances d’apparition), les propriétaires sont invités à évaluer le degré de difficulté à effectuer ces activités, la fréquence des modifications de comportement ou de qualification de la douleur au cours de la dernière semaine. Le score total est calculé en additionnant la note de chaque activité. Les CSOM, une fois construites, sont utilisées pour le suivi du traitement : l’évolution du score total traduit le degré de soulagement, ou non, de la thérapeutique antalgique au sens large.

Les CSOM présentent le double avantage de l’individualisation des troubles pour chaque animal dans un environnement donné et de l’appropriation par le propriétaire d’un outil personnel et participatif. Le recours à l’application digitale CAPdouleur CSOM facilite le remplissage des items et permet d’archiver les données pour un suivi sur le long terme. Les évaluations et les graphiques des scores sont synchronisés en temps réel entre l’application du propriétaire et l’interface du praticien (photo 3).

3. LES DOULEURS ARTHROSIQUES

L’arthrose est une maladie pluritissulaire dégradative et inflammatoire. Les douleurs arthrosiques ont pour origine le compartiment articulaire (douleurs mécaniques liées à l’exercice, douleurs inflammatoires nocturnes, douleurs neuropathiques spontanées de type “décharges électriques”) et le compartiment central (hyperalgésie et allodynie). Les douleurs deviennent chroniques, c’est-à-dire définies comme persistantes ou récurrentes, induisant une détérioration fonctionnelle et des perturbations émotionnelles qui viennent altérer significativement le comportement et la qualité de vie de l’animal. Les douleurs dues à l’arthrose évoluent selon de très nombreux paramètres tels que la progression de la maladie, la sensibilité interindividuelle, les conditions environnementales (climat, mode de vie, relation propriétaire-animal), la nutrition, l’exercice, l’efficacité thérapeutique, etc. Elles sont à l’origine d’une fonte musculaire et d’un déclin affectif et cognitif qui viennent diminuer la sensibilité nociceptive et participent donc au cercle vicieux de la chronicisation de la douleur.

Compte tenu des études de Gamble, Brioschi et Verrico, du cannabidiol a été prescrit dans plusieurs cas de douleurs arthrosiques réfractaires aux antalgiques conventionnels ou à l’occasion d’une balance bénéfice/risque problématique lors du recours aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS).

Cas n° 1

Une chienne beauceron de 13 ans (35 kg) présente une arthrose coxo-fémorale sévère, avec une prise en charge de la douleur fortement dépendante de l’administration d’un AINS (impossibilité de se lever dès l’arrêt du firocoxib) et un risque élevé d’effet indésirable (début d’insuffisance rénale).

À l’arrêt du firocoxib, le score CSOM est de 11 sur 12. La prescription d’huile de cannabidiol (0,5 mg/kg deux fois par jour) par voie transmucosale a permis de diminuer davantage la composante émotionnelle (agitation nocturne et perte de contact avec la propriétaire) que la composante fonctionnelle (difficulté à marcher). L’arrêt du CBD, trois mois plus tard, est suivi de la réapparition de dyssomnies et de troubles anxieux (photo 4).

Cas n° 2

Une chienne bouledogue anglais de 11 ans (25,5 kg), qui présente une arthrose sévère des coudes, est suivie irrégulièrement à la clinique. La propriétaire administre depuis trois ans des chondroprotecteurs (glucosamine et chondroïtine) et sollicite une prise en charge de la douleur en raison de la dégradation de la qualité de vie de sa chienne : déplacements très difficiles, allodynie se traduisant par de l’agressivité, état dépressif, score CSOM de 12 sur 12. Un syndrome brachycéphale marqué, associé à des vomissements intermittents (hypertrophie pylorique), fait craindre la survenue d’effets indésirables digestifs liés à la prise d’AINS au long cours.

La prescription d’une faible dose de méloxicam (0,075 mg/kg une fois par jour), trois jours par semaine, est associée à la prise d’oméprazole (1 mg/kg) et d’huile de CBD (0,5 mg/kg deux fois par jour par voie transmucosale). L’amélioration se traduit par une baisse durable du score CSOM (4 sur 12) au profit essentiellement de la réduction de l’agressivité et de l’état dépressif (photo 5).

Cas n° 3

Une chatte européenne de 19 ans et 3 mois (2,6 kg) est atteinte d’arthrose, exprimée cliniquement par des difficultés locomotrices et des perturbations comportementales sévères telles que des dyssomnies et de l’agressivité (photo 6). Elle présente également une double comorbidité, l’insuffisance rénale étant associée à un syndrome de dysfonctionnement cognitif. Les items douloureux retenus par la propriétaire sont la raideur du bassin (3 sur 4), l’agitation nocturne accompagnée de miaulements (4 sur 4) et l’agressivité (4 sur 4). Le score total est de 11 sur 12. La propriétaire souhaite un accompagnement de fin de vie sans polythérapie médicamenteuse et sollicite une prescription de “cannabis thérapeutique”. L’huile de CBD est administrée par voie transmucosale à la dose de 0,5 mg/kg deux fois par jour. L’amélioration fonctionnelle est modeste, mais la chatte se déplace plus facilement. Les vocalises et les troubles du sommeil sont beaucoup moins fréquents et les séquences d’agression cessent. L’évolution du score CSOM est très favorable (4 sur 12) et la qualité de vie est préservée jusqu’à la mort de l’animal, à 19 ans et 9 mois.

4. LA SYRINGOMYÉLIE

La syringomyélie est une affection fréquemment rencontrée chez le cavalier king charles (1 cas sur 60) et d’autres races comme le carlin, les bouledogues et les terriers. Elle est associée à la malformation de Chiari : l’engagement du cervelet et du tronc cérébral au niveau de l’occiput gêne l’écoulement physiologique du liquide cérébrospinal et provoque l’apparition de cavités au sein de la mœlle épinière. Ces lésions sont à l’origine d’un tableau clinique dominé par des signes nerveux (parésie, ataxie), des postures antalgiques et des douleurs caractéristiques (prurit cervico-facial sans contact cutané, cris spontanés, allodynie au frottement d’un collier).

Cas n° 4

Un carlin mâle (photo 7) de 3 ans (9,1 kg), vivant en Angleterre, présente des signes cliniques de syringomyélie (diagnostic par IRM) depuis novembre 2018, notamment une parésie des postérieurs, une boiterie, des crises douloureuses paroxystiques et un prurit cervico-facial avec une fréquence très élevée (jusqu’à vingt crises quotidiennes). La gabapentine (à raison de 100 mg trois ou quatre fois par jour), les AINS puis les corticoïdes apportant une amélioration insuffisante, une euthanasie est envisagée par la propriétaire. Dans le cadre d’une consultation dédiée à la douleur, une évaluation est pratiquée (médecine narrative, CSOM, examen clinique et parcours de suivi). Le score CSOM (cris, prurit cervico-facial, aptitude à jouer et à marcher) est de 11 sur 12. Une thérapeutique antalgique et antihyperalgésiante est proposée (perfusion de méthadone et de kétamine). La clomipramine (à la dose de 10 mg deux fois par jour), en association avec la gabapentine, diminue la fréquence des crises mais doit être arrêtée en raison de la survenue de vomissements. Le tramadol (à la posologie de 40 mg trois fois par jour), prescrit en tant qu’antalgique de secours à domicile, réduit l’intensité des crises.

Le cannabidiol est administré par voie sublinguale aux doses successives de 0,1 puis 0,2 puis 0,3 mg/kg trois fois par jour (soit environ 1 à 3 gouttes de la solution huileuse à 4 %). La rémission des signes cliniques est spectaculaire : le score CSOM est de 2 sur 12 après trente jours de traitement. Une hydrothérapie est mise en place en Angleterre pour améliorer le déficit proprioceptif. Six mois après la prescription de CBD associé à la gabapentine, les crises de prurit cervico-facial demeurent épisodiques et l’intensité douloureuse est nettement moindre. Le déficit proprioceptif progresse, à l’origine d’une baisse de motilité. La qualité de vie est jugée satisfaisante par la propriétaire.

Douze mois plus tard, le score CSOM est un peu moins favorable (6 sur 12) et le chien meurt en Angleterre d’un ulcère perforant compliqué d’un syndrome de réponse inflammatoire systémique, probablement en relation avec une nouvelle prescription d’anti-inflammatoires.

Cas n° 5

Une chienne cavalier king charles de 12 ans (12 kg), atteinte de myélopathie dégénérative (test Antagene positif, avec deux copies défectueuses du gène SOD1), présente une ataxie et une paralysie progressive depuis un an (photo 8), d’importantes vocalises nocturnes, une hyperesthésie cervicale et des myoclonies particulièrement douloureuses évoquant une syringomyélie (IRM non pratiquée au vu de la dégradation de l’état général). La mobilité satisfaisante des antérieurs autorise des promenades avec un harnais, réclamées par la chienne.

La séléginine, la gabapentine et les AINS prescrits par un neurologue n’apportent pas de rémission suffisante des signes douloureux et la propriétaire souhaite un accompagnement de fin de vie. Le score CSOM initial est de 12 sur 12, avec un léchage incessant des carpes (4 sur 4), des myoclonies douloureuses accompagnées de vocalises (4 sur 4) et une anxiété sévère (4 sur 4). Les doses de gabapentine sont corrigées (100 mg le matin, 100 mg le midi, 200 mg le soir), la propentophylline (à raison de 5 mg/kg deux fois par jour) est substituée à la séléginine et l’huile de CBD est prescrite (à la dose de 1 mg/kg deux fois par jour par voie transmucosale) afin de réduire l’intensité des douleurs spastiques et l’anxiété généralisée. L’objectif d’une qualité de vie préservée est atteint et se traduit par la réduction progressive et durable des scores CSOM (6 sur 12 et 3 sur 12).

Selon un modèle de douleur neuropathique chez la souris, la gabapentine et le tétrahydrocannabinol auraient des propriétés anti-allodyniques synergiques [1]. Les interactions entre la gabapentine et le cannabidiol ne sont pas précisément connues, mais la majoration des effets indésirables doit être envisagée (sédation).

5. LES DOULEURS CHRONIQUES POSTOPÉRATOIRES

Les douleurs chroniques postopératoires sont de nature inflammatoire (par excès de nociception), neuropathique (résultant de lésions du système somato-sensoriel) et nociplastique, cette dernière étant caractérisée par une perturbation du traitement de la douleur par le système nerveux central qui produit cliniquement une hyperalgésie (douleur amplifiée) et une allodynie (douleur ressentie en réponse à des stimuli normalement non douloureux) diffuses. Les facteurs prédictifs concernent la nature de l’acte chirurgical (orthopédique, thoracique), la durée de l’intervention, le nombre de reprises, la qualité de l’analgésie périopératoire, l’intensité de la douleur postopératoire immédiate, la vulnérabilité à la douleur (vécu douloureux et contexte environnemental).

Cas n° 6

Un beauceron mâle de 2,5 ans (38,3 kg) a été opéré à de multiples reprises (mars et avril 2019) d’une fracture de la tête du fémur droite, survenue après des actes de maltraitance infligés par le précédent propriétaire : pose d’une prothèse de hanche (double intervention) puis d’une plaque avec greffe osseuse à la suite d’une fracture trochantérienne comminutive (photo 9). Les douleurs sont intenses et insuffisamment soulagées par un AINS. Un second vétérinaire consulté instaure un traitement à base de corticoïdes pendant un mois, en raison d’un œdème déclive volumineux au niveau du grasset droit. Une amputation est proposée compte tenu des douleurs persistantes, du fort handicap fonctionnel associé et de l’état dépressif du chien. L’animal est présenté en consultation dédiée à la douleur en juin 2019. La douleur est intense : le score Dolodog est de 39 sur 60 (composante comportementale 11 sur 12, composante fonctionnelle 26 sur 28, composante neuropathique 0 sur 12, composante interactive 2 sur 8). Le score CSOM (gémissements, difficultés à se lever, motivation à marcher) est de 12 sur 12. L’activité est extrêmement réduite et se limite à quelques dizaines de minutes par jour. L’examen clinique révèle une forte hyperalgésie et une allodynie, l’amyotrophie est marquée, le score de boiterie est de 5 sur 5 (très sévère, permanente, sans appui). La prise en charge de cette douleur chronique postopératoire repose sur le sevrage de la cortisone, la prescription de massages, d’antihyperalgésiques (perfusion de kétamine, amantadine à la dose de 100 mg une fois par jour) et de palmitoyléthanolamide à raison de 1 200 mg pour diminuer le ressenti émotionnel de la douleur. Six semaines plus tard, les scores Dolodog (19 sur 60) et CSOM (6 sur 12) traduisent une nette amélioration. Cependant, l’arrêt complet de la cortisone en juillet provoque une baisse de l’amélioration fonctionnelle et une dégradation plus importante de la qualité de vie. Des séances de laser sont effectuées sans succès.

L’huile de CBD est administrée par voie sublinguale aux doses successives de 0,1 mg/kg trois fois par jour (environ 4 gouttes de la solution huileuse à 4 %), puis 0,2 mg/kg trois fois par jour (environ 8 gouttes). Un traitement court (trois jours) à base de méloxicam est prescrit. Quinze jours plus tard, l’amélioration fonctionnelle se traduit par un appui du membre opéré lors de la marche, mais pas au repos. Les gémissements disparaissent totalement, le relever est beaucoup plus facile, la motivation pour marcher et jouer est présente. L’activité (promenades, jeux, courses) est de plusieurs heures par jour. Depuis cette période, les scores CSOM restent stables (2 à 3 sur 12). Des séances de massage et d’hydrothérapie sont prescrites et, six mois après ces recommandations, le chien présente un score de boiterie de 2 sur 5 (discrète, permanente avec appui) et un score CSOM stable (3 sur 12). La prescription d’amantadine et de cannabidiol est prolongée. Un an plus tard, la qualité de vie est jugée très satisfaisante et la boiterie, toujours présente, est en rémission notamment grâce à une amyotrophie moindre.

6. LE COMPLEXE GINGIVO-STOMATITE FÉLINE

La gingivo-stomatite chronique féline est une affection inflammatoire particulièrement douloureuse, en relation avec un dysfonctionnement immunitaire lié à une hypersensibilité aux antigènes bactériens et viraux. La douleur locale est omniprésente (anorexie, ptyalisme, mâchonnements, etc.) et les comorbidités émotionnelles très fréquentes (anxiété, états dépressifs, agressivité, dyssomnies, altérations des relations sociales, etc.).

Le traitement de référence est l’extraction dentaire assortie d’un environnement chirurgical analgésique de grande qualité pour limiter la survenue de douleurs chroniques postopératoires. Cependant, la localisation agressive du complexe gingivo-stomatite chronique féline aux fosses palatoglosses est parfois responsable d’échecs thérapeutiques nécessitant des soins antalgiques palliatifs.

Dans une étude de Polidoro, des échantillons de muqueuse buccale caudale sont prélevés chez huit chats témoins (groupe CTRL) et huit chats atteints du complexe gingivo-stomatite chronique féline (groupe CGSF) : tous les épithéliums de muqueuse montrent une immunoréactivité des récepteurs CB1, CB2 et GPR55, mais celle-ci est considérablement majorée pour le groupe CGSF. La présence de ces récepteurs dans les tissus sains suggère le rôle possible du système endocannabinoïde dans l’homéostasie de la muqueuse buccale féline, tandis que leur surexpression dans les tissus enflammés des chats CGSF évoque l’implication du système endocannabinoïde dans la pathogenèse de cette maladie, avec un rôle possible dans l’inflammation et la douleur associées. Sur la base des résultats actuels, le système endocannabinoïde pourrait être considéré comme une cible thérapeutique potentielle chez les chats atteints du complexe gingivo-stomatite chronique [4].

En complément de faibles doses de bétaméthasone (0,04 mg/kg/jour, équivalent à 0,25 mg/kg/jour de prednisolone), l’huile de CBD est utilisée à la posologie de 2 mg/kg deux fois par jour par voie transmucosale. Il est indispensable de montrer au propriétaire comment effectuer une administration par voie transmucosale, qui ne nécessite pas l’ouverture de la gueule de l’animal. Les scores CSOM font état, la plupart du temps, de signes de mâchonnement, de prostration et de fréquentes séquences d’agressivité. Les premiers résultats se sont révélés décevants, notamment chez une chatte européenne de 6 ans pesant 6,4 kg (photo 2), probablement en raison d’une dose trop faible de cannabidiol (0,5 mg/kg deux fois par jour). Les résultats suivants, plus encourageants, ont permis, sans la rémission complète des signes cliniques et sans sevrage possible de la bétaméthasone, de maintenir une qualité de vie considérée comme acceptable par les propriétaires de l’animal.

7. L’HYPERESTHÉSIE FÉLINE

Le syndrome d’hyperesthésie féline est caractérisé par des crises paroxystiques de courte durée durant lesquelles le chat présente des attaques de la queue ou de la région dorso-lombaire, des mouvements spastiques des postérieurs, des ondulations de la peau (rolling skin syndrom), des grondements, des comportements de fuite, des hallucinations, parfois une salivation et/ou une mydriase. Un état anxieux (anxiété paroxystique ou crise de panique) accompagne les cas réfractaires aux traitements. L’âge moyen d’apparition des premiers épisodes est de 1 à 5 ans. Siamois, persans, abyssins et burmeses sont particulièrement représentés. La prise en charge thérapeutique est complexe et doit s’envisager sous l’angle d’une étiopathogénie multifactorielle qui inclut des lésions du système somato-sensoriel (douleurs neuropathiques), un état préépileptique, une hypersensibilité cutanée et des perturbations environnementales (conflits territoriaux). Les traitements (gabapentine, lévétiracétam, oclacitinib, alimentation hypoallergénique, phéromones, etc.) nécessitent d’être individualisés. Le suivi est indispensable et doit s’inscrire dans le cadre de l’alliance thérapeutique. La justification de la prescription de cannabidiol s’appuie sur son action présumée sur les douleurs neuropathiques, sur l’expression élevée des récepteurs cannabinoïdes (CB) et des récepteurs activés par les proliférateurs des péroxisomes (PPAR-á) lors d’hypersensibilité cutanée féline, ainsi que sur les propriétés antiépileptiques et anxiolytiques (antipanique) démontrées chez le rat (action sur les récepteurs 5-HT1A) [3, 6].

Plusieurs cas cliniques réfractaires aux traitements de référence, avec des scores CSOM particulièrement élevés, sont actuellement en cours d’évaluation. Les premiers résultats sont prometteurs. Le cannabidiol est administré par voie sublinguale aux doses successives de 1, puis 1,5, puis 2 mg/kg (soit environ 2, 3 et 4 gouttes de la solution huileuse à 4 % deux ou trois fois par jour) pour un chat de 4 kg.

8. L’ATAXIE CÉRÉBELLEUSE

L’ataxie cérébelleuse est une affection génétique dégénérative (abiotrophie) prématurée des cellules de Purkinje du cervelet. Cliniquement, l’ataxie est statique (station debout altérée), locomotrice (démarche ébrieuse), cinétique avec une hypermétrie ou une dysmétrie.

Une chienne épagneul breton de 6 ans, pesant 16,2 kg (cas n° 8), présente une forte suspicion d’ataxie cérébelleuse, non confirmée à l’imagerie par résonance magnétique, mais avec l’ensemble des signes cliniques caractéristiques mentionnés ci-dessus. Le score CSOM (difficultés à se lever, peur d’avoir mal, agitation la nuit) est de 11 sur 12. Des doses faibles de prednisolone (0,15 mg/kg), des vitamines B et de l’huile de CBD (0,3 puis 1 mg/kg) sont prescrites. La réduction des scores CSOM à J15 (4 sur 12) puis à J30 (3 sur 12) traduit davantage une amélioration des troubles émotionnels et comportementaux (anxiété et dyssomnie) que des altérations fonctionnelles (persistance de l’hypermétrie, mais réduction des difficultés à se lever). La qualité de vie est jugée satisfaisante par la propriétaire et une décision d’euthanasie est prise après dix-huit mois d’évolution à la suite d’une forte dégradation de la fonction locomotrice (photo 10).

Les CSOM de ces cas cliniques se présentent sous la forme de graphiques (figures 1 à 8).

9. LES SOINS PALLIATIFS

Le vieillissement correspond au déclin et à la détérioration des propriétés fonctionnelles de la cellule, du tissu ou encore de l’organe qui mènent à une perte d’homéostasie et à une diminution de l’adaptabilité à des événements stressants. Les troubles cognitifs, très fréquents, altèrent la qualité de vie de l’animal, induisant une désorientation, une diminution des interactions sociales, une modification des cycles du sommeil, une perte des apprentissages de base, une anxiété augmentée, un changement du niveau d’activité. Les déficits cognitifs diminuent l’anticipation (processus de représentation mentale d’un événement avant sa réalisation) et peuvent augmenter les seuils de tolérance à la douleur. Déclin cognitif et douleurs chroniques sont donc intimement liés et participent des cycles d’auto-aggravation. La fin de vie est associée à des douleurs inflammatoires, neuropathiques et nociplastiques.

Un chienne fox terrier de 15,5 ans, pesant 8 kg, est opérée à la clinique de l’Île de Ré d’une tumeur hépatique bénigne en août 2017. Des douleurs neuropathiques postopératoires sont traitées avec succès avec de la gabapentine (à la dose de 20 mg deux fois par jour). En octobre 2018, des troubles cognitifs et des perturbations du sommeil apparaissent, prises en charge à l’aide de clomipramine (à raison de 10 mg au coucher). L’état général se dégrade fortement en août 2019, avec une irritabilité, des difficultés à se lever, des gémissements et un sommeil agité (score CSOM de 10 sur 12).

Le cannabidiol, administré par voie sublinguale aux doses successives de 0,5 mg/kg trois fois par jour (environ 2 gouttes de la solution huileuse à 4 %) puis 0,75 à 1 mg/kg trois fois par jour (environ 3 gouttes le matin et le midi, 4 gouttes le soir) apporte une nette amélioration de la qualité de vie (score CSOM de 4 sur 12). Une décision d’euthanasie est prise quinze jours plus tard en raison de l’aggravation des troubles parétiques et cognitifs.

D’autres cas sont en cours d’évaluation : accompagnement de fin de vie chez des chats âgés atteints de fibrosarcome ou de carcinome épidermoïde, ostéosarcome chez un chien adulte, carcinome mammaire avec métastases pulmonaires et vertébrales (L7).

  • (1) Arrêté du 10 décembre 2018 modifiant celui du 22 août 1990 portant application de l’article R. 5132-86 du Code de la santé publique pour le cannabis.

Références

  • 1. Atwal N, Casey S, Mitchell VA et coll. THC and gabapentin interactions in a mouse neuropathic pain model. Neuropharmacol. 2019;144:115-121.
  • 2. Lascelles BD, Hansen BD, Roe S et coll. Evaluation of client-specific outcome measures and activity monitoring to measure pain relief in cats with osteoarthritis. J. Vet. Intern. Med. 2007;21 (3):410-416.
  • 3. Miragliotta V, Ricci PL, Albanese F et coll. Cannabinoid receptor types 1 and 2 and peroxisome proliferator-activated receptor-α: distribution in the skin of clinically healthy cats and cats with hypersensitivity dermatitis. Vet. Dermatol. 2018, doi: 10.1111/vde.12658.
  • 4. Polidoro G, Galiazzo G, Giancola F et coll. Expression of cannabinoid and cannabinoid-related receptors in the oral mucosa of healthy cats and cats with chronic gingivostomatitis. J. Feline Med. Surg. 2020;1098612X20970510.
  • 5. Roques B. La dangerosité des drogues, rapport au secrétariat d’État à la Santé (mai 1998), cité par Calvino B. Physiologie moléculaire de la douleur. Doin 2019.
  • 6. Soares VP, Campos A. Evidences for the anti-panic actions of cannabidiol. Curr. Neuropharmacol. 2017;15 (2):291-299.

Conflit d’intérêts : Aucun

Encadré : CALCUL DES CLIENT SPECIFIC OUTCOME MEASURES (CSOM)

0 : aucune difficulté ou jamais ;

1 : légère difficulté (détectée uniquement par le propriétaire) ou rarement (par exemple une ou deux fois par mois) ;

2 : difficulté modérée (observée aussi par les visiteurs) ou parfois (par exemple une ou deux fois par semaine) ;

3 : difficulté sévère (évidente) ou souvent (par exemple une ou deux fois par jour) ;

4 : difficulté très sévère ou activité impossible ou très souvent (par exemple plus de trois fois par jour).

CONCLUSION

Ces premiers résultats sont encourageants et doivent inciter à réserver la prescription de cannabidiol à des cas de douleurs chroniques réfractaires aux traitements de première et deuxième intentions, dans le cadre réglementaire et lors de protocoles compassionnels, afin d’éviter le recours à l’euthanasie ou à des interventions mutilantes. Il est indispensable que les vétérinaires s’approprient le domaine des cannabinoïdes et qu’ils actualisent leurs connaissances sur les liens entre la douleur chronique, les émotions, la cognition et le mal-être, pour une prise en charge multidisciplinaire et individualisée de la douleur chronique chez l’animal répondant aux attentes des propriétaires.

Une évolution de la législation est souhaitable, car l’interdiction actuelle du cannabis médical prive les animaux de compagnie d’un espoir de soulagement de leur mal-être et les expose surtout à une automédication via Internet, aussi répandue qu’approximative, source de réelles errances thérapeutiques et cause potentielle d’intoxications. Rappelons qu’il existe des différences de dépendance physique et psychique, de neurotoxicité, de toxicité générale et de dangerosité sociale pour les principales drogues utilisées en France [5]. Malgré ces données, le champ est laissé libre à la consommation de substances (alcool, tabac) autrement plus dangereuses que le cannabidiol.

La profession vétérinaire peut s’engager sur des pratiques évaluatives modernes, respecter des indications très précises, titrer et donc individualiser les prescriptions, tenir des registres d’observations cliniques. Dans le cadre du concept “One pain, one health”, des rapprochements fructueux ont déjà été établis avec la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) et les médecins spécialistes de la douleur pour envisager une filière française du cannabis médical, innovante et intégrée, de la plante aux patients humains et aux animaux.

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