CHANVRE, CANNABIS, CANNABINOÏDES : DONNÉES PHARMACOLOGIQUES - Le Point Vétérinaire n° 413 du 01/01/2021
Le Point Vétérinaire n° 413 du 01/01/2021

CANNABIS ET DOULEUR

Dossier

Auteur(s) : Thierry Poitte

Fonctions : Clinique vétérinaire
8, rue des Culquoilès
La Croix Michaud
17630 La Flotte-en-Ré

Cet article souhaite apporter un éclairage scientifique sur le fonctionnement du système endocannabinoïde et sur les dernières données pharmacologiques des cannabinoïdes endogènes et de synthèse.

Chanvre et cannabis appartiennent au même genre végétal, le cannabis, qui regroupe des plantes angiospermes (à fleurs puis à fruits) de la famille des cannabinacées. Selon la monographie de la pharmacopée européenne, Cannabis sativa L. (Liné) est considérée comme une plante monospécifique divisée en plusieurs sous-espèces : C. sativa ssp. sativa, C. sativa ssp. indica, C. sativa ssp. ruderalis, C. sativa ssp. spontanea et C. sativa ssp. kafiristanca. Chanvre et cannabis partagent les mêmes racines latines (cannabis) et grecques (kannabis).

1. DÉFINITIONS

Chanvre à fibre

Il est d’usage de réserver le terme de chanvre à fibre (industriel, textile ou agricole) aux variétés cultivées en extérieur à partir de lignes à fort croisement, d’une hauteur de plusieurs mètres avec de longs espaces internodaux, peu de branches et de rares bourgeons floraux. Elles produisent de grandes quantités de fibres solides, utilisées ancestralement par l’imprimerie, la tapisserie et les corderies royales. Actuellement, les tiges sont exploitées sous la forme de briques de chanvre pour l’isolation thermique et phonique. Les graines (chènevis) pressées produisent des huiles de chanvre d’une qualité diététique et cosmétologique reconnue en raison de leur teneur en oméga 3. Les plants de chanvre industriel contiennent peu de cannabinoïdes et de terpènes. Réglementairement, en France, le chanvre industriel inclut les plants de Cannabis sativa et de ses variétés, qui contiennent 0,2 % de tétrahydrocannabinol (THC) ou moins dans les feuilles et les têtes florales. La culture du chanvre est l’objet d’un grand regain d’intérêt en raison de toutes ces applications et de nombreux atouts environnementaux : elle nécessite très peu d’intrants (engrais, amendements, produits phytosanitaires), constitue une solution alternative à la culture polluante du coton et fournit des matériaux hautement recyclables et à empreinte carbone négative. La France est le troisième producteur mondial de chanvre (derrière la Chine et le Canada). La réglementation pour une exploitation industrielle et commerciale est particulièrement stricte : la plante doit contenir moins de 0,2 % de THC et seules les fibres et les graines peuvent être utilisées (à l’exception des fleurs).

Chanvre à résine

Il est d’usage de réserver le terme de cannabis au chanvre à résine, dont l’utilisation est récréative, médicale ou vise la recherche de bien-être : les plants sont plus petits, compacts et ramifiés. Les fleurs sont recouvertes d’une résine produite par les trichomes, riche en métabolites secondaires (non essentiels à la survie de la plante). Les trichomes sont des excroissances en forme de virgule, à caractère glandulaire, responsables de la sécrétion de ces métabolites qui s’accumulent sous la forme de cristaux blanchâtres sur les inflorescences, leur donnant un aspect caractéristique (photos 1 et 2). La résine, qui contient les cannabinoïdes, est synthétisée par les cellules situées dans la partie basale de la tête et s’accumule au-dessus de ces cellules, dans la membrane externe (cuticule) qui recouvre la tête. Parfois, la tête s’ouvre et la résine s’infiltre dans les tissus végétaux adjacents. Plus les têtes des trichomes ont un diamètre important, plus la quantité de résine récoltée est élevée. Le volume moyen des têtes de trichomes diminue exponentiellement avec l’âge de la plante. Ce sont les fleurs des plants de cannabis femelles qui produisent le THC, une substance fortement psychoactive. La sélection de souches de cannabis hautement productrices de THC est associée à un volume moyen des têtes de trichomes quatre fois supérieur à celui des souches de chanvre industriel.

L’un des aspects typiques de la plante de cannabis est qu’elle peut être à la fois monoïque et dioïque (les fleurs mâles et les fleurs femelles peuvent coexister sur le même spécimen simultanément ou sur deux pieds distincts), une caractéristique exploitée pour sélectionner des plantes de sexe masculin ou féminin selon l’utilisation voulue. La culture du cannabis se pratique en intérieur pour d’évidentes raisons de contournement des lois en vigueur. Le cannabis récréatif se présente sous différentes formes (tableau 1).

Les cannabinoïdes sont de source naturelle provenant de plantes (phytocannabinoïdes), endogènes (endocannabinoïdes) ou de synthèse.

2. LES CANNABINOÏDES VÉGÉTAUX ET LE PHYTOCOMPLEXE

La résine du cannabis contient le phytocomplexe représenté par plus de 800 molécules (phytocannabinoïdes, terpènes et terpénoïdes, flavonoïdes). Le pourcentage de phytocannabinoïdes varie considérablement selon la variété de cannabis, la partie de la plante considérée et les différentes conditions de culture. Dans une variété donnée, les teneurs en THC peuvent varier d’un facteur huit au cours de la croissance et d’un facteur deux suivant la hauteur de prélèvement du tronçon : 10 à 12 % dans les fleurs, 1 à 2 % dans les feuilles, 0,1 à 0,3 % dans les tiges. Lorsqu’il est pris seul, tout composé pharmacologiquement actif contenu dans des plantes de cannabis sera capable de déterminer un type d’action en particulier. Cependant, pris ensemble, chaque composé fera partie intégrante d’un système plus vaste et plus complexe, dans lequel les divers effets s’équilibreront. Réunis, ces composés offrent alors des potentialités allant bien au-delà de leurs propriétés individuelles, et cette synergie ou additivité créée par les divers composants prend le nom d’effet entourage [25]. Les bénéfices du cannabidiol (CBD) peuvent ainsi être renforcés lorsqu’ils sont combinés avec des terpènes et des flavonoïdes (effet entourage) [20]. Les spectres larges et complets permettent en outre d’éviter un effet dose plafond du CBD utilisé seul (isolat) dans le cadre de la réduction de l’œdème inflammatoire et de la douleur chez la souris [14].

Les phytocannabinoïdes

Les phytocannabinoïdes sont des hydrocarbures aromatiques contenant de l’oxygène (structure terpénophénolique). En raison de leur nature lipophile, ils sont presque complètement insolubles dans l’eau. Actuellement, sur plus de 140 phytocannabinoïdes identifiés, beaucoup demeurent peu étudiés.

Les phytocannabinoïdes les plus représentés dans le cannabis sont le delta-9-tétrahydrocannabinol (delta-9-THC) identifié en 1964, le cannabidiol (CBD) identifié en 1963, le cannabinol (CBN), le cannabigérol (CBG), le tétrahydrocannabivarine (THCV) et le cannabicromène (CBC). À ceux-ci s’ajoutent d’autres phytocannabinoïdes, tels que le delta-8-tétrahydrocannabinol (delta-8-THC), le cannabiciclol (CBL), le cannabinodiol (CBND), le cannabitriol (CBT). Parmi eux, les molécules les plus connues et étudiées sont le THC et le CBD. Ces composés biologiquement actifs présentent de nombreux effets pharmacologiques sur plusieurs tissus de mammifères par interaction en tant qu’agonistes, agonistes partiels et antagonistes avec le système endocannabinoïde (endocannabinoid system, ou ECS). La variabilité du lien entre neurotransmetteur et récepteur a été observée à la fois avec un seul phytocannabinoïde et après l’association avec d’autres phytocannabinoïdes, terpènes et flavonoïdes. Dans la plante fraîche, les cannabinoïdes sont tous majoritairement sous la forme d’acide (THCA, CBDA, etc.) et c’est au cours du séchage et de la conservation que les formes libres neutres se constituent via la décarboxylation [19].

Pharmacocinétique

Par voie orale, la biodisponibilité est faible à la suite d’un effet de premier passage hépatique.

Chez l’homme, CBD et THC ont des profils plasmatiques comparables, mais il existe un degré élevé de variabilité des paramètres pharmacocinétiques entre les patients [18]. Après l’administration à jeun d’une dose unique de quatre pulvérisations de Sativex (2,7 mg de THC et 2,5 mg de CBD à 0,1 ml), les concentrations plasmatiques moyennes de THC ont présenté un coefficient de variation de 57,3 % pour la concentration maximale (Cmax) et de 58,5 % pour l’aire sous la courbe (ASC). De même, les pourcentages pour le CBD étaient de 64,1 % et de 72,5 % respectivement, pour les mêmes paramètres [1].

La biodisponibilité du tétrahydrocannabinol est de 23 à 27 % chez le consommateur chronique de cannabis et de 10 à 14 % chez le consommateur occasionnel [28]. La forte lipophilie explique l’accumulation dans les graisses corporelles après une administration répétée ; la redistribution vers le compartiment sanguin conduit à une élimination lente du THC. En raison de sa forte liposolubilité, ce dernier présente un grand volume apparent de distribution (environ 10 l/kg), il est ainsi rapidement distribué aux tissus richement vascularisés (cerveau, foie, cœur, poumons) puis aux tissus adipeux peu irrigués. La pharmacocinétique du THC après une inhalation est abordée dans la littérature [16]. L’élimination plasmatique des cannabinoïdes oraux est biphasique, avec une demi-vie initiale d’environ quatre heures, et des demi-vies d’élimination terminales de l’ordre de vingt-quatre à trente-six heures, voire plus longues [1].

La biodisponibilité par voie orale du CBD est très variable chez le chien (0 à 19 %) et semble améliorée par un excipient à base d’huile ou sous la forme liposomale [15, 32]. À la dose de 2 mg/kg par voie orale, le CBD a une demi-vie médiane de 4,2 heures.

Le catabolisme hépatique du THC et du CBD fait intervenir le système enzymatique du cytochrome P450. L’administration concomitante d’inhibiteurs des enymes de ce cytochrome (clarithromycine, érythromycine, kétoconazole, itraconazole, etc.) peut entraîner une augmentation des Cmax et de l’ASC du THC et du CBD, donc de leurs effets indésirables. À l’inverse, des traitements concomitants par des inducteurs enzymatiques puissants (carbamazépine, topiramate, phénytoïne, phénobarbital, millepertuis, etc.) peuvent diminuer l’efficacité thérapeutique. L’élimination du THC et de ses métabolites se fait par voie urinaire (20 à 35 %), mais principalement par voie fécale (65 à 80 %) en raison d’un important cycle entérohépatique et de la forte liaison aux protéines plasmatiques [17].

Pharmacodynamie

Le tétrahydrocannabinol est un agoniste partiel des récepteurs CB1 et CB2 (affinité supérieure pour CB1) (tableau 2). Il est considéré comme le cannabinoïde responsable chez l’homme de l’effet psychotrope du cannabis (qui résulte de sa liaison aux récepteurs CB1 présents dans le système nerveux central), ainsi que de certains bénéfices thérapeutiques (effets antiémétique, antispasmodique, myorelaxant, orexigène, psychoactif et antalgique).

Le cannabidiol n’a pas d’affinité particulière pour les sites orthostériques des récepteurs CB1 et CB2 et ne les activent donc pas directement. Cependant, en tant que modulateur allostérique négatif (CB1) ou positif (CB2), il modifie la forme, donc le fonctionnement, de ces récepteurs, avec des conséquences sur l’efficacité du signal cellulaire concernant le système endocannabinoïde [22]. Le CBD a une action pléiotropique, car il présente des affinités pour les récepteurs TRPV1, 2 et 3 (vanilloïde), A2A (adénosine), 5-HT1A, 2A et 3A (sérotonine), gabaergiques (A), dopaminergiques D2, et les récepteurs 55 couplés aux protéines G (GPR55) [5, 7, 10]. Il augmente en outre les niveaux d’amandamide endogène en bloquant l’enzyme de dégradation fatty acid amine hydrolase (Faah) [6]. Enfin, le CBD affiche des propriétés antipsychotiques, neuroprotectrices, sédatives, hypnotiques, anticonvulsives, anti-inflammatoires et analgésiques, mais est dénué d’effets psychoactifs (tableau 3).

L’effet inhibition de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (ISRS) augmente les contrôles inhibiteurs descendants issus du tronc cérébral et participe à une analgésie généralisée et durable. Ainsi, le CBD semble avoir un effet antagoniste sur les effets psychoactifs du THC [18].

Les variétés de cannabis sont classées en trois catégories selon un dosage via la chromatographie en phase liquide à haute performance : classe I (THC de 12 à 25 %, CBD à 1 %), classe II (THC = CBD de 5 à 15 %) et classe III (THC à 1 %, CBD de 5 à 15 %).

Chez l’homme, la tolérance pharmacodynamique au THC (diminution de la réaction à des doses constantes répétées d’un médicament ou nécessité d’augmenter la posologie pour maintenir un effet constant) est faible et provient de la désensibilisation des récepteurs CB1 et CB2 et de la baisse de leur nombre. Cette tolérance est réversible. Grâce à sa longue rémanence dans l’organisme, la dépendance au cannabis est peu élevée par rapport aux autres drogues (9 % versus 32 % pour le tabac, 23 % pour l’héroïne, 15 % pour l’alcool) : elle est de nature physique (état d’adaptation qui se manifeste par un syndrome de sevrage) et psychologique (accoutumance, état de manque, usage compulsif) [4].

Les terpènes et terpénoïdes

Les terpènes sont les composants principaux de toute résine végétale ou huile essentielle. Ils contribuent au parfum, à la saveur et à la couleur des plantes (les cannabinoïdes n’ont pas de goût ni d’odeur). Ils représentent une large classe d’hydrocarbures organiques aromatiques et sont produits par de nombreuses espèces végétales. À l’heure actuelle, quelque 55 000 terpènes sont identifiés, différenciés selon la structure chimique qui est responsable des différentes activités biologiques. Ces composés sont appelés terpénoïdes lorsqu’ils sont dénaturés par l’oxydation, ce qui se produit par exemple après le séchage des fleurs. Bien que des centaines d’entre eux soient connus, les terpénoïdes les plus impliqués dans les activités pharmacologiques sont représentés par le limonène, le myrcène, le á-pinène, le caryophyllène et le linalol. Cette grande famille de métabolites présente un certain nombre de propriétés pharmacologiques reconnues (antimicrobiennes, antivirales, antiparasitaires, antifongiques, anti-inflammatoires, analgésiques) qui se manifestent notamment par l’interaction synergique avec les phytocannabinoïdes (effet entourage) [25].

Les flavonoïdes

Les flavonoïdes sont responsables de la couleur des plantes, via la production des pigmentations jaunes, bleues et rouges sur les fleurs et les fruits. Ils sont devenus populaires en nutrition et en médecine pour leurs effets antioxydants bénéfiques. Ce sont des composés polyphénoliques aromatiques ayant une structure chimique commune. À base végétale, ils sont scientifiquement reconnus comme l’un des groupes de métabolites secondaires les plus importants et les plus répandus, dotés de propriétés biologiques marquées.

À l’heure actuelle, environ 8 000 flavonoïdes différents sont identifiés. Les anthocyanidines, flavan-3- ols, flavonols, flavones, flavanones et isoflavones sont ceux qui présentent la plus grande importance diététique. Environ vingt-trois d’entre eux sont retrouvés dans le cannabis, dont la plupart communs à différentes plantes (quercétine, lutéoline et kempférol), tandis que d’autres, comme la cannaflavine, sont typiques du cannabis et lui donnent une odeur caractéristique. De nombreuses études ont montré que la cannaflavine A, en particulier, possède une forte activité antioxydante et anti-inflammatoire. Les autres fonctions biologiques attribuables aux flavonoïdes comprennent la stimulation de la mélanogenèse, une action antivirale et antiallergique. Ces effets sont en partie dus à leur interaction avec les phytocannabinoïdes et les terpènes, et à la modulation conséquente du système endocannabinoïde. En fait, ces métabolites interagissent avec tous les autres phytodérivés du cannabis, garantissant l’effet entourage susmentionné, modulant ainsi différentes fonctions homéostasiques et contribuant aux rôles thérapeutiques du cannabis. De plus, ils ont démontré leurs propres effets physiologiques, qui se produisent indépendamment du système endocannabinoïde

3. LES CANNABINOÏDES ENDOGÈNES

Les endocannabinoïdes (produits par l’organisme), les récepteurs aux cannabinoïdes et les enzymes dédiées à leur synthèse et à leur catabolisme constituent le système endocannabinoïde (ECS) [3]. Ce système, vieux de plusieurs millions d’années, est identifié chez les vertébrés et les invertébrés (à l’exception des insectes). Il est d’une grande importance pour le fonctionnement et l’équilibre de l’organisme (homéostasie) puisqu’il est à la base de la régulation des processus tels que la perception de la douleur, la réaction immunitaire, l’humeur et les émotions, la mémoire et la cognition, la reproduction et la croissance, l’inflammation, la neuroprotection, l’appétit, le sommeil, la peur, etc. [31].

Les endocannabinoïdes sont des dérivés d’acides gras polyinsaturés (amides d’acides gras ou fatty acid amides, FAA), se différenciant ainsi de la structure chimique des phytocannabinoïdes. Les plus abondants et les plus étudiés sont le 2-AG (2-arachidonoylglycérol) et l’anandamide (AEA N-arachidonoyléthanolamide) dont le nom est la contraction du terme sanskrit ananda, qui signifie “béatitude, joie ou félicité”, et d’amide, sa fonction chimique. Les endocannabinoïdes ne sont pas stockés, mais produits à partir de précurseurs de phospholipides : ils se lient aux récepteurs des cannabinoïdes présents sur les cellules voisines ou sur la même cellule qui les a produits, jouant ainsi le rôle de médiateurs autocrines ou paracrines. En fait, leur nature chimique peu soluble dans l’eau empêche leur diffusion aisée dans la matrice extracellulaire ou dans le sang. Une fois leur action terminée, ils sont inactivés par réabsorption cellulaire (grâce à l’intervention de transporteurs membranaires) et par les réactions d’hydrolyse et/ou d’estérification subséquentes, en particulier par la fatty acid amide hydrolase (Faah). Ainsi, les inhibiteurs de la Faah entraînent une augmentation des niveaux d’anandamide et sont utilisés pour un usage thérapeutique.

Le système endocannabinoïde est impliqué dans les fonctions qui sous-tendent la mémoire, l’apprentissage, la coordination motrice, ainsi que dans les activités antioxydantes, hypotensives, immunosuppressives, antiémétiques, anti-inflammatoires et analgésiques, la régulation du sommeil, de l’appétit et de la reproduction [18]. Enfin, des études récentes suggèrent une éventuelle implication de l’ECS dans la neuroprotection et dans le contrôle de la prolifération des cellules tumorales.

4. LES RÉCEPTEURS AUX CANNABINOÏDES CB1 ET CB2

Deux types de récepteurs aux cannabinoïdes, CB1 et CB2, ont été identifiés au début des années 1990 et clonés. Ils appartiennent à la famille des récepteurs membranaires couplés à des protéines Gi (RCPG) dont les voies de signalisation comprennent une activation des mitogen-activated protein kinases (MAP kinases), une inhibition de l’enzyme adénylate-cyclase par le détachement des sous-unités alpha, bêta et gamma, donc une baisse considérable de la concentration cytoplasmique d’adénosine monophosphate cyclique (AMP), second messager intracellulaire. En conséquence, les canaux ioniques calciques se ferment (inhibition de la libération des neurotransmetteurs excitateurs), les canaux ioniques potassiques s’ouvrent (hyperpolarisation et inhibition de l’activité électrique) et les protéines kinases (PKA et PKC), responsables de la phosphorylation et de l’activation des protéines de signalisation, sont inhibées.

En outre, d’autres cibles moléculaires des endocannabinoïdes sont répertoriées, telles que les orphan G-protein coupled receptors (GPR), les transient receptor potential vanilloid channels 1 (TRPV1) et les peroxisome proliferator-activated receptors (PPAR-alpha). La localisation des récepteurs pour les endocannabinoïdes varie selon le sous-type de récepteur considéré.

Les récepteurs CB1

Les récepteurs CB1 sont localisés principalement au niveau du système nerveux central (cortex cérébral, cervelet, hippocampe, amygdale, thalamus, hypothalamus, substance grise périaqueducale et certaines zones de la mœlle épinière), mais aussi dans le système nerveux périphérique et certains tissus périphériques tels que les neurones périphériques, les leucocytes, les cellules endothéliales, des glandes endocrines, la rate, les systèmes reproducteur, urinaire, cardiocirculatoire, respiratoire et gastro-intestinal).

La distribution spatiale des récepteurs CB1 dans les systèmes nerveux central et périphérique canins sains a récemment été démontrée par immunohistochimie [13]. Chez le chien, la densité des récepteurs CB1 dans les structures cérébrales postérieures dépasse de loin celle de l’homme, notamment dans le cervelet, le tronc cérébral et la mœlle oblongue, ce qui pourrait expliquer sa plus grande sensibilité au THC [20].

Les récepteurs CB2

Les récepteurs CB2 semblent situés principalement à la périphérie, notamment au niveau des cellules immunitaires des amygdales, de la rate, des lymphocytes et des mastocytes. Les CB2 ont été identifiés dans le système nerveux central à de faibles concentrations, et surtout sur les cellules gliales en cas d’inflammation neurologique [11, 30].

5. LES MODES D’ACTION DU SYSTÈME ENDOCANNABINOÏDE SUR LA DOULEUR

L’anandamide (identifiée en 1992) et le 2-AG activent les récepteurs CB1 et CB2. Ils jouent un rôle important dans les mécanismes de la douleur, en lien avec leur effet neuromodulateur atypique et la distribution large des récepteurs CB1 et CB2 dans les tissus périphériques, la mœlle épinière et le système nerveux central [25]. Des taux élevés d’endocannabinoïdes ont été relevés dans le liquide synovial des articulations arthrosiques chez le chien [29].

Les endocannabinoïdes, des neurotransmetteurs atypiques

Comme ces messagers lipidiques sont synthétisés “à la demande” et qu’ils ne sont pas stockés dans des vésicules synaptiques, leur synthèse et leur métabolisme suggèrent plutôt un rôle de neuromodulateurs. L’anandamide est hydrolysée en éthanolamide et en acide archidonique par une enzyme, la fatty acid amide hydrolase, dans les neurones postsynaptiques. Le 2-AG est dégradé principalement en glycérol et en acide arachidonique par la monoacylglycérol lipase au niveau présynaptique [24].

Les endocannabinoïdes agissent par un mécanisme de signalisation rétrograde. Relâchés par les neurones postsynaptiques, ils peuvent atteindre le terminal présynaptique et activer les récepteurs cannabinoïdes (CB1 et CB2) “à contre-courant” de la transmission synaptique classique, afin de moduler de manière transitoire ou durable la libération de neurotransmetteurs inhibiteurs (Gaba) ou excitateurs (glutamate). Ils contrôlent ainsi, par une cascade de signalisation, diverses synapses, et produisent alors des effets analgésiques et anti-inflammatoires (figure 1) [3].

Les endocannabinoïdes et les récepteurs cannabinoïdes sont omniprésents à tous les niveaux des voies de la douleur, de la périphérie jusqu’au système nerveux central (figure 2) [21].

Action antalgique et anti-inflammatoire périphérique

Les récepteurs cannabinoïdes CB1 et CB2 sont synthétisés dans les neurones des ganglions de la racine dorsale et transportés de façon antérograde vers les terminaisons libres des neurones afférents primaires. L’activation des récepteurs CB1 diminue la sensibilité des neurones afférents primaires aux stimuli mécaniques et thermiques (hyperalgésie), notamment par la réduction de la libération des médiateurs proinflammatoires tels que le nerve growth factor (NGF, facteur de croissance du tissu nerveux) et le calcitonin gene-related peptide (CGRP, peptide relié au gène de la calcitonine). Les CB2 exercent surtout une action périphérique dont l’activité est principalement immunomodulatrice : diminution de la dégranulation des mastocytes, de la migration des neutrophiles, de la libération d’histamine et de la sensibilisation au NGF.

Les cannabinoïdes agissent également sur les cellules gliales en inhibant la libération de cytokines proinflammatoires (TNF-α), d’interleukines (IL-6 et IL-1β) et en augmentant la libération de facteurs anti-inflammatoires (cytokines IL-4 et IL-10). Une étude récente de 2020 confirme que l’administration de cannabidiol réduit la sécrétion du TNF-α proinflammatoire in vitro et induit des effets anti-inflammatoires locaux et systémiques in vivo chez la souris (IL-10). La même étude montre que l’encapsulage du CBD dans des bulles de liposomes (bicouches de phospholipides) améliore la biodisponibilité par voie orale, limitant l’effet de premier passage hépatique [32].

Action antalgique centrale

Les récepteurs CB1 et CB2 sont principalement présynaptiques et couplés à des protéines Gi à fonction inhibitrice : leur activation supprime la synthèse de l’adénosine monophosphate cyclique et modulent ainsi le signal électrique entre deux ou plusieurs neurones [12]. Les cannabinoïdes inhibent d’une manière sélective, dans la corne dorsale de la mœlle épinière, le phénomène de sommation temporelle (wind up) qui consiste en l’augmentation de la douleur ressentie à la suite d’une stimulation douloureuse à l’intensité constante, mais prolongée [31]. Ils activent aussi les contrôles inhibiteurs descendants issus de la substance grise périaqueducale, en impliquant probablement les neurones noradrénergiques [26]. Enfin, les cannabinoïdes modifient l’interprétation subjective de la douleur via la modulation de l’activité neuronale dans les structures limbiques telles que l’amygdale [23]. Le rôle des récepteurs CB1 et CB2 dans l’inhibition de l’intégration corticale n’est pas connu.

6. LES INTERACTIONS DES SYSTÈMES OPIOÏDES ET CANNABINOÏDES

Les systèmes cannabinoïdes et opioïdes ont une distribution neuroanatomique très similaire, le long des voies de la douleur, dans le système nerveux central, la mœlle épinière et les tissus périphériques. Leurs mécanismes d’action sont relayés par des récepteurs couplés aux protéines G et ils produisent tous les deux des effets antinociceptifs dans les modèles de douleur animale : inhibition des canaux calciques, ouverture des canaux potassiques, inhibition de l’activité de l’adénylate cyclase avec une diminution des niveaux d’adénosine monophosphate cyclique, stimulation des mitogen-activated protein kinases (qui jouent un rôle clé dans les processus de différenciation morphologique et de survie neuronale).

Le système opioïde est impliqué dans les effets antinociceptifs induits par les cannabinoïdes, et les cannabinoïdes améliorent les propriétés antinociceptives des opioïdes : ces interactions bidirectionnelles peuvent produire des effets analgésiques additifs, voire synergiques [8]. Ainsi, les effets indésirables des morphiniques (dépression respiratoire, nausées, vomissements, constipation, etc.) et les problèmes de tolérance et de dépendance liés à une utilisation prolongée pourraient être réduits par l’administration simultanée de faibles doses de cannabinoïdes.

7. LES CANNABINOÏDES DE SYNTHÈSE

D’après l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, les cannabinoïdes de synthèse sont similaires au THC sur le plan fonctionnel et sont des agonistes à affinité élevée pour les récepteurs CB1. Ils sont donc considérés comme des substances psychoactives. Les mélanges d’herbes contenant des cannabinoïdes de synthèse (Spice Gold, Spice Silver, Spice Diamond, Yucatan Fire, etc.) ont été fabriqués pour contourner la réglementation en vigueur. Ils sont le plus souvent fumés pour un usage récréatif, mais présentent une toxicité particulièrement dangereuse (hémorragies, hypertension, états psychiatriques délirants, etc.), voire létale.

D’autres cannabinoïdes de synthèse ont été développés comme agents thérapeutiques potentiels, notamment dans le domaine de la douleur. Le dronabinol (Marinol), un delta-9-tétrahydrocannabinol synthétique, est accessible depuis 2003 sur prescription hospitalière dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) nominative dans trois indications : les douleurs neuropathiques après l’échec de tous les traitements analgésiques, les nausées et vomissements dans le cadre d’une chimiothérapie anticancéreuse, et l’anorexie chez le patient porteur du virus de l’immunodéficience humaine (VIH).

Le nabilone (Césamet) est un THC de synthèse (dix fois plus puissant que le THC naturel) commercialisé au Royaume-Uni, au Canada, en Espagne où il est prescrit pour soulager les douleurs chroniques, et aux États-Unis pour le traitement des nausées et vomissements liés à la chimiothérapie. Le nabilone est toxique chez le chien [9].

Le nabiximol (Sativex) appartient à la classe des stupéfiants. Synthétisé à partir d’extraits de plants de cannabis (THC et CBD en quantités égales), il est approuvé pour le traitement de la spasticité associée à la sclérose en plaques après l’échec des autres thérapeutiques, recommandé lors de douleurs cancéreuses et neuropathiques, mais est actuellement introuvable dans les pharmacies françaises, faute d’accord sur le prix entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et le laboratoire détenteur.

Références

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Conflit d’intérêts : Aucun

CONCLUSION

L’intérêt du cannabis à usage médical pour les animaux de compagnie repose sur les potentialités thérapeutiques du cannabidiol, intégré ou non avec les terpènes et les flavonoïdes dans le phytocomplexe. Reproduire les effets analgésiques du système endocannabinoïde semble prometteur, mais des observations cliniques sur de grands échantillonnages sont nécessaires pour évaluer l’impact sur le mal-être associé aux douleurs chroniques.

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