MAXILLECTOMIE RADICALE BILATÉRALE CHEZ UN GOLDEN RETRIEVER - Le Point Vétérinaire n° 412 du 01/12/2020
Le Point Vétérinaire n° 412 du 01/12/2020

CHIRURGIE

Cas clinique

Auteur(s) : Mélissa Pottier*, Kévin Minier**

Fonctions :
*(Dipl. ECVS)
Oncovet
Avenue Paul Langevin
59650 Villeneuve d’Ascq

Chez le chien, la prise en charge du carcinome épidermoïde de la truffe nécessite un traitement chirurgical radical, avec un impact esthétique important. Néanmoins, l’aspect fonctionnel et le confort de vie de l’animal restent bons après ce type d’intervention.

Un chien golden retriever, âgé de 6 ans, est référé pour la prise en charge d’une masse intranasale gauche ulcérative, a priori adhérente à la truffe et découverte à la suite d’un épisode d’épistaxis.

L’analyse histologique d’une biopsie incisionnelle, réalisée par le vétérinaire référent, révèle la nature tumorale de cette lésion épithéliale de type carcinome.

PRÉSENTATION DU CAS

Diagnostic

Un examen tomodensitométrique est réalisé sous anesthésie générale afin de déterminer l’extension tumorale locale, puis locorégionale et à distance. Il met en évidence une masse tissulaire, rehaussée après l’injection du produit de contraste. Elle envahit le philtrum nasal, infiltre la narine gauche et s’étend dans la cavité nasale gauche jusqu’au niveau de la première prémolaire supérieure. Le nœud lymphatique sous-mandibulaire gauche est légèrement hypertrophié, mais l’examen cytologique ne montre pas d’infiltration tumorale. Aucune métastase pulmonaire n’est visible.

Une intervention chirurgicale radicale est proposée et acceptée par les propriétaires. Elle consiste à pratiquer l’exérèse de la truffe et d’une large partie du chanfrein via une ostectomie partielle, voire complète, des os maxillaires incisif et palatin.

Traitement chirurgical

L’animal est anesthésié (prémédication, induction intraveineuse au propofol et relais gazeux à l’isoflurane) tandis qu’une analgésie est mise en œuvre simultanément (perfusion continue de l’association de fentanyl et de lidocaïne, aux débits respectifs par heure de 5 µg/kg et de 2 mg/kg). Un bloc anesthésique locorégional maxillaire est réalisé via l’administration d’un mélange équitable de lidocaïne et de bupivacaïne (à raison de 2 mg/kg), en arrière de chaque dernière molaire maxillaire.

Le chien est positionné en décubitus dorsal afin d’extraire les nœuds lymphatiques mandibulaires et rétropharyngiens gauches et droits. En effet, l’examen cytologique est moins sensible que l’analyse histologique et la notion de métastase ganglionnaire est capitale pour la suite des traitements mis en place. Puis il est placé en décubitus sternal. Des compresses à laparotomie sont mises en place dans son oro-pharynx afin d’absorber d’éventuels écoulements hémorragiques dans cette zone.

Les marges, établies d’après les repères anatomiques tomodensitométriques, sont dessinées et une incision cutanée est effectuée en travers du chanfrein (photo 1). Cette incision est reportée ventro-cranialement pour préserver des lambeaux labiaux cutanéo-muqueux. L’incision de la muqueuse est poursuivie de façon bilatérale jusqu’aux premières molaires maxillaires, puis transversalement sur la muqueuse palatine qui relie PM3 G à PM3 D (photo 2). La muqueuse palatine est élevée et l’hémostase des artères palatines majeures est réalisée à l’aide d’un bistouri bipolaire. L’ostéotomie des os maxillaire et nasal est pratiquée à la scie oscillante, tandis que le site est irrigué avec du liquide physiologique stérile à 4 °C. La truffe, les cavités nasales qui contiennent la tumeur et les os qui l’environnent sont retirés en bloc.

Des trous d’ancrage sont forés tous les 15 mm dans les os autour de la zone d’ostéotomie à l’aide d’une mèche de 1,5 mm, afin de permettre l’ancrage muqueux. Une rotation bilatérale des lambeaux labiaux muco-cutanés est effectuée vers le plan médian de la zone d’ostectomie du chanfrein (photo 3). Ainsi, la muqueuse labiale est apposée de chaque côté, le long de la section de l’os maxillaire (photo 4). Ventralement, la muqueuse du lambeau labial est rivée dans les trous d’ancrage de l’os palatin, puis suturée à la muqueuse palatine. Enfin, un pseudo-philtrum nasal est créé à l’aide d’une incision de 4 cm à la jonction cutanéo-muqueuse de chaque lambeau. Ce “philtrum” est alors suturé en trois plans : muqueux, musculaire et cutané.

Suivi postopératoire

Le chien est hospitalisé pendant quarante-huit heures pour assurer l’analgésie, le suivi de la plaie et de la réalimentation. Dès le lendemain, la reprise alimentaire est effective via des boulettes molles données à la main. Des saignements mineurs par les narines reconstruites sont notés au cours de son séjour.

L’animal est rendu à ses propriétaires avec pour consigne le port d’une collerette en permanence pendant quinze jours et le retrait de tout objet solide en bouche (jouet, bâton, etc.). Les traitements antibiotique (amoxicilline-acide clavulanique à la dose de 12,5 mg/kg deux fois par jour), anti-inflammatoire (méloxicam à raison de 0,1 mg/kg en une prise quotidienne) et antidouleur (tramadol à la posologie de 5 mg/kg deux fois par jour) sont poursuivis durant une semaine. Un contrôle de la plaie a lieu deux fois par semaine. Aucune anomalie de la cicatrisation n’est notée. Une dermite modérée est mise en évidence sur la zone de reconstruction cutanée médiane, dite “philtrum”, probablement en raison de l’humidité due aux passages répétés de la langue à cet endroit.

L’analyse histologique confirme le diagnostic de carcinome épidermoïde du vestibule nasal, avec des emboles lymphatiques et vasculaires, mais son exérèse est complète (la marge la plus “étroite” est la caudo-dorsale et mesure 18 mm). Les nœuds lymphatiques mandibulaires et retropharyngés sont sains. Un protocole de chimiothérapie est initié en raison de la mise en évidence d’emboles à l’examen histologique. Six injections de carboplatine sont réalisées à trois semaines d’intervalle à la dose de 300 mg/m2, associées au suivi de la numération-formule sanguine et de la fonction rénale. Un examen tomodensitométrique est conseillé tous les trois mois au cours de la première année, puis tous les six mois.

Dix-huit mois plus tard, le chien est toujours en rémission complète et présente, d’après ses propriétaires, un aspect esthétiquement satisfaisant et une qualité de vie parfaitement normale (jeux de balle, alimentation molle mais préhension de manière autonome) (photo 5).

DISCUSSION

Chez le chien, une tumeur du planum nasal provoque une symptomatologie variée, qui va d’une épistaxis à une ulcération de la narine, en passant par des signes d’obstruction nasale, voire un épiphora. Un examen radiographique peut montrer une opacification de la zone. Toutefois, lorsqu’une tumeur nasale est fortement suspectée, l’examen tomodensitométrique est plus sensible et permet une délimitation plus fine de l’infiltration locale, ainsi que la réalisation d’un bilan d’extension locorégional et à distance plus précis. Il permet également, en cas d’extension plus caudale de la lésion au sein des cavités nasales, de s’assurer de la préservation de la lame criblée (ou d’adapter la prise en charge dans le cas contraire).

Lors de carcinome épidermoïde du planum nasal, l’un des défis majeurs réside dans la gestion locale de la tumeur. Une exérèse marginale ou incomplète est associée à un taux de récidives locales élevé. L’option thérapeutique via une intervention chirurgicale radicale est à privilégier, malgré les conséquences esthétiques.

Les premières techniques de planectomie proposaient une cicatrisation par seconde intention, après la réalisation d’une suture en bourse pour choisir le degré de fermeture des narines. Cependant, des sténoses étaient fréquemment associées à ce type d’intervention, et les cornets nasaux restaient relativement exposés aux traumatismes externes [2]. En 2007, Gallegos et son équipe ont présenté un nouveau type de reconstruction, après la planectomie et la maxillectomie, grâce à la réalisation de deux lambeaux cutanéo-muqueux labiaux venant protéger les cornets nasaux. Le taux de déhiscence de ce type d’intervention est important (50 %), mais une minorité de cas nécessitent une reprise chirurgicale [1]. Une étude plus récente rapporte un traitement combiné avec le laser et la cryochirurgie sur des lésions bien délimitées et de petite taille [3]. Des résultats prometteurs sont annoncés (survie médiane de 270 jours).

Lors d’une planectomie, il est capital de prévenir les propriétaires de l’impact esthétique et de leur montrer des photographies de l’aspect postopératoire immédiat et à plus long terme. Notre expérience sur ces exérèses radicales étant très positive, il convient de transmettre ce message aux propriétaires : les modifications et les séquelles esthétiques, bien qu’importantes, n’ont pas d’incidence sur la qualité et le confort de vie, sans douleur, de l’animal. L’étude de Dickerson, menée chez vingt-six chiens, va dans le même sens : huit parmi les onze propriétaires qui ont répondu au questionnaire de satisfaction postopératoire indiquent qu’ils reprendraient la même décision. La déception des trois autres propriétaires est due à une évolution rapide et à distance de la maladie chez leur animal.

Le pronostic lié au retrait d’un carcinome épidermoïde sans métastases avec des marges saines est bon. Les médianes de survie vont jusqu’à quatre ans [1]. Lorsque l’intervention chirurgicale n’est pas souhaitée par les propriétaires, un traitement palliatif par irradiation ou chimiothérapie est à envisager, car il peut freiner l’évolution de la maladie. En revanche, le temps de survie est moins long, avec des médianes rapportées de cinq mois [1].

Références

  • 1. Dickerson VM, Grimes JA, Vetter CA et coll. Outcome following cosmetic rostral nasal reconstruction after planectomy in 26 dogs. Vet. Surg. 2019;48 (1):64-69.
  • 2. Lascelles BD, Henderson RA, Seguin B et coll. Bilateral rostral maxillectomy and nasal planectomy for large rostral maxillofacial neoplasms in six dogs and one cat. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2004;40 (2):137-146.
  • 3. Ierace MK, Canfield MS, Peters-Kennedy J et coll. Combined carbon dioxide laser and cryosurgical ablation of rostral nasal septum squamous cell carcinoma in 10 dogs. Vet. Dermatol. 2018;29 (5):431-e142.

Conflit d’intérêts : Aucun

CONCLUSION

Malgré les interrogations des propriétaires sur le “bien-être” de leur animal, la planectomie radicale réalisée chez ce chien a permis une bonne gestion locale de la maladie, avec une rémission à long terme associée à un confort de vie satisfaisant. Cette intervention doit faire partie des options thérapeutiques proposées aux propriétaires pour ce type de cancer. L’impact esthétique est majeur, mais les médianes de survie vont jusqu’à plusieurs années.

Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr