ENDOCRINOLOGIE
Article de synthèse
Auteur(s) : Virginie Fabrès*, Ghita Benchekroun**
Fonctions :
*(Dipl. ECVIM-CA)
AQUIVET
Parc d’activités Mermoz,
19 Avenue de la Forêt
33320 Eysines
**(Dipl. Ecvim-CA, DESV-MI)
ENV d’Alfort
7, avenue du Général de Gaulle
94704 Maisons-Alforts
Le diagnostic d’une dysendocrinie est souvent délicat et nécessite une démarche rigoureuse. La concomitance de deux affections de ce type devient un véritable défi qu’une méthodologie précise permet de relever.
L’hypercorticisme spontané (ou syndrome de Cushing) et le diabète sucré sont deux dysendocrinies relativement fréquentes chez les chiens d’âge moyen à avancé (incidence respective de 0,28 % et 0,34 %) qui partagent des signes cliniques communs, tels que la polyuro-polydipsie, la polyphagie et l’hépatomégalie [7, 11, 12]. La présence concomitante de ces deux affec tions est plus rare et représente un challenge diagnostique et thérapeutique pour le vétérinaire (photo 1). En effet, le diagnostic de l’hypercorticisme spontané peut se révéler difficile, tandis que le traitement du diabète sucré apparaît, dans ce contexte, comme un véritable défithérapeutique. À l’heure actuelle, de très rares arti cles valident une approche diagnostique et thérapeutique de l’hypercorticisme spontané et du diabète sucré concomitants, ce qui ne met à la disposition du praticien que peu de recommandations fondées sur les preuves.
Il est difficile d’établir l’ordre dans lequel ces deux affections apparaissent. Le diabète sucré est le plus souvent identifié en premier, sans doute parce que son diagnostic est plus simple et repose sur l’observation d’une hyperglycémie et d’une glycosurie. Il semble toutefois que l’hypercorticisme spontané soit plutôt antérieur au diabète sucré. En effet, les glucocorticoïdes produits en excès affectent le métabolisme du glucose en augmentant la néoglucogenèse hépatique et en diminuant l’action de l’insuline sur les tissus périphériques (insulinorésistance). Tous ces effets concourent à l’apparition d’une hyperglycémie à jeun, décelée chez 40 à 60 % des chiens qui présentent un hypercorticisme spontané [10]. Cependant, cette hyperglycémie (supérieure à 1,3 g/l) reste le plus souvent modérée, ne dépasse pas le seuil de réabsorption rénale (autour de 1,8 à 2 g/l) et n’est donc pas associée à une glucosurie. La survenue d’un diabète sucré, caractérisée par une hyperglycémie marquée (au-delà de 2 g/l) associée à une glycosurie, reste peu fréquente chez le chien atteint d’un hypercorticisme spontané compte tenu d’une augmentation compensatoire de la sécrétion d’insuline, à la différence du chat présentant un hypercorticisme spontané chez lequel la présence d’un diabète sucré est presque systématique (80 % des cas). Selon les études les plus récentes, entre 10,5 et 16,6 % des chiens souffrant d’hypercorticisme spontané présentent un diabète sucré concomitant [4, 14]. Ce dernier surviendrait alors chez les animaux qui affichent un état prédiabétique, caractérisé par une réserve d’insuline limitée [9]. Selon une étude récente, des facteurs tels qu’une glycémie à jeun supérieure à 1 g/l et une dyslipidémie (concentration de cholestérol dépassant 350 mg/dl et/ou de triglycérides au-delà de 250 mg/dl) prédisposent le chien atteint d’hypercorticisme spontané au diabète sucré [9]. Il est intéressant de noter que chez 94 % des chiens présentant les deux dysendocrinies, un hypercorticisme d’origine hypophysaire (également appelé maladie de Cushing) est observé. Au-delà du fait que l’origine hypophysaire soit la forme d’hypercorticisme la plus fréquente (85 %), il est possible que cette prédisposition s’explique par un excès prolongé de glucocorticoïdes, en comparaison de la forme surrénalienne pour laquelle un traitement chirurgical curatif est possible lorsque le diagnostic est précoce. À l’inverse, chez 23 % des chiens atteints de diabète sucré, le diagnostic d’hypercorticisme est établi a posteriori [3].
La suspicion d’un hypercorticisme chez le chien diabétique peut se révéler complexe, car ces deux dysendocrinies partagent certaines présentations cliniques (polyuro-polydipsie, polyphagie, hépatomégalie) et des anomalies biologiques sanguines similaires telles qu’une augmentation de l’activité des phosphatases alcalines (PAL) et de l’alanine aminotransférase (ALAT) ou encore de la concentration du cholestérol.
Un hypercorticisme spontané est suspecté chez le chien diabétique lorsque l’hyperglycémie et la glucosurie perdurent malgré des doses d’insuline élevées (plus de 1,5 UI/kg) ou quand les signes cliniques (polyuro-polydipsie, polyphagie) persistent alors que le diabète sucré semble équilibré, c’est-à-dire que l’hyperglycémie est inférieure à 2,5 g/l durant une grande partie de la journée.
Des troubles cutanés spécifiques, comme une alopécie symétrique, une peau fine, une hyperpigmentation ou une calcinose cutanée (photos 2a et 2b), ainsi qu’une activité des PAL supérieure à 800 UI/l ou l’identification à l’échographie abdominale d’une adrénomégalie unilatérale (photo 3) ou bilatérale, sont autant d’éléments cliniques et paracliniques qui renforcent la suspicion d’hypercorticisme spontané chez le chien diabétique [2].
L’établissement du diagnostic d’hypercorticisme spontané chez le chien diabétique se heurte à certaines difficultés. En effet, la présence d’un diabète sucré non équilibré peut entraîner une hyperactivité de l’axe corticotrope et conduire à des résultats de tests fonctionnels faussement positifs [6]. Par conséquent, le choix du test et le moment auquel il est réalisé sont importants, tout comme l’interprétation des résultats par le vétérinaire (photo 4).
Pour la recherche d’un hypercorticisme, il est recommandé de réaliser les tests après quelques semaines de stabilisation du diabète sucré, afin de diminuer la stimulation de l’axe corticotrope et de réduire ainsi le risque de résultats faussement positifs.
En France, les tests les plus utilisés pour le diagnostic de l’hypercorticisme sont le test de stimulation de la cortisolémie par l’adrénocorticotrophine (ACTH) et le test de freinage de la cortisolémie par la dexaméthasone à dose faible. Lors de la présence d’une maladie intercurrente telle que le diabète sucré, le test de stimulation de la cortisolémie par l’ACTH peut être recommandé pour sa spécificité élevée [1]. Toutefois, il présente une sensibilité moindre, qui ne permet pas d’exclure complètement un hypercorticisme lors de résultats négatifs, d’autant plus en cas de tumeur surrénalienne associée. Dans ce contexte, le dosage du cortisol après un freinage à la dexaméthasone à dose faible peut être choisi pour son excellente sensibilité (peu de résultats faux négatifs) et pour sa capacité à distinguer les formes hypophysaires. Cependant, sa spécificité est inférieure (tableau) et peut conduire à des résultats faussement positifs.
Lorsque le résultat est douteux pour le diagnostic de l’hypercorticisme spontané, il est préférable de répéter le test après un à trois mois avant d’initier un traitement inapproprié et potentiellement dangereux.
Le diagnostic du diabète sucré chez le chien qui présente un hypercorticisme spontané est généralement plus simple. Il repose sur l’identification d’une hyperglycémie à jeun supérieure à 2 g/l, associée à une glucosurie [10]. Le caractère chronique de l’hyperglycémie peut être confirmé par un dosage de la fructosamine. L’obtention d’une valeur de base au moment du diagnostic pourra également servir d’outil de suivi pour évaluer la réponse à l’insulinothérapie mise en place. Compte tenu du risque plus important d’acidocétose chez les chiens diabétiques atteints d’hypercorticisme, il est également important de rechercher la présence de corps cétoniques dans le sang ou les urines [5].
Une insulinothérapie doit être initiée dès le diagnostic de diabète sucré afin de limiter le risque de diabète acidocétosique, qui est exacerbé par la présence de l’insulinorésistance. Actuellement, deux insulines disposent d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France chez le chien : une insuline porcine lente d’action intermédiaire (Caninsulin®, Intervet) et une insuline protamine zinc humaine recombinante (Prozinc®, Boehringer Ingelheim Animal Health) dont l’action est retardée. Le choix de l’insuline au moment de l’initiation de l’insulinothérapie est généralement dicté par les habitudes du praticien. Un contrôle parfait du diabète sucré ne doit pas être recherché tant que l’hypercorticisme n’est pas traité, compte tenu de l’insulinorésistance présente et du risque d’utiliser des doses très élevées d’insuline.
L’hypophysectomie transsphénoïdale constitue un traitement étiologique de la maladie de Cushing. Cependant, ce type d’acte est réservé à des neurochirurgiens expérimentés et reste aujourd’hui peu accessible en France. La surrénalectomie est le traitement de choix en cas de tumeur surrénalienne exempte d’extensions locorégionales et à distance. Lorsque la chirurgie est écartée (bilan d’extension positif ou refus des propriétaires), un traitement médical peut être envisagé. Le plus utilisé actuellement est à base de trilostane. Dans un contexte de diabète sucré, l’administration biquotidienne de trilostane peut être préférée, afin d’optimiser le contrôle de l’insulinorésistance et d’améliorer la prise en charge du diabète [2].
Compte tenu du caractère majoritairement primaire (insulinodépendant) du diabète sucré chez le chien, la prise en charge et le contrôle de l’hypercorticisme n’aboutissent que rarement à une rémission complète du diabète sucré chez cette espèce. Toutefois, la diminution de la concentration de cortisol circulant améliore la réponse à l’insuline et permet de mieux équilibrer le diabète sucré.
Un suivi glycémique rapproché est recommandé (courbe de glycémie réalisée durant l’hospitalisation ou à la maison) dès la mise en place du traitement de l’hypercorticisme, afin d’adapter la dose d’insuline requise de façon adéquate et de rechercher la présence d’une hypoglycémie. En effet, le traitement de l’hypercorticisme va théoriquement entraîner une levée de l’insulinorésistance, donc une diminution des besoins journaliers en insuline. Lorsque le mitotane était utilisé pour traiter l’hypercorticisme, une étude montre que la dose d’insuline nécessaire au contrôle de l’hyperglycémie diminuait rapidement après cette instauration [12]. Par conséquent, les auteurs recommandaient de diminuer la dose d’insuline de façon préventive avant la mise en place de cette molécule pour limiter le risque d’hypoglycémie [12]. Toutefois, la description de l’usage de trilostane chez six chiens diabétiques atteints d’un hypercorticisme ne fait état d’une réduction de la dose d’insuline requise que chez deux chiens sur six [8]. Même si le nombre d’animaux dans cette étude est faible et que les traitements reçus sont variables, notamment en fréquence d’administration (prise quotidienne de trilostane et d’insuline pour certains chiens), la diminution de la dose d’insuline au moment de la mise en place du trilostane ne semble pas recommandée de manière préventive.
Selon une étude récente, l’existence d’un diabète sucré chez le chien atteint d’hypercorticisme réduirait la médiane de survie (vingt-huit mois en cas d’hypercorticisme versus quatorze lors d’hypercorticisme associé au diabète sucré) [9]. Notons que dans le groupe des trente-deux chiens présentant un hypercorticisme associé à un diabète sucré, deux sont morts à la suite d’un diabète acidocétosique. Il est donc essentiel, en cas d’hypercorticisme et de diabète sucré, d’optimiser la prise en charge de chacune de ces affections afin de réduire le risque de diabète acidocétosique, dont le pronostic est plus réservé.
Conflit d’intérêts : Aucun
• L’hypercorticisme spontané et le diabète sucré peuvent présenter des signes cliniques similaires qui compliquent la suspicion de l’une de ces dysendocrinies lorsque l’autre est déjà présente.
• L’hyperactivité de l’axe corticotrope lors de diabète sucré chez le chien est susceptible d’entraîner des résultats faussement positifs lors de la réalisation des tests fonctionnels pour le diagnostic d’un hypercorticisme. Ainsi, il est recommandé de stabiliser au maximum le chien diabétique à l’aide d’une insulinothérapie avant leur réalisation.
• L’identification et le traitement de l’hypercorticisme spontané sont indispensables à l’équilibrage du diabète concomitant.
• La présence simultanée d’un hypercorticisme spontané et d’un diabète sucré favorise l’apparition d’un diabète acidocétosique qui peut assombrir le pronostic.
L’identification par le praticien de la coexistence d’un hypercorticisme spontané et d’un diabète sucré permet d’optimiser la prise en charge médicale et assure une synergie dans le cadre de l’amélioration de la qualité de vie de l’animal et de son pronostic vital. En outre, la connaissance des interactions qui existent entre ces deux dysendocrinies est nécessaire pour éviter les pièges diagnostiques et les complications inhérentes à chacune d’elles.