ONCOLOGIE DES NAC
Dossier
Auteur(s) : David Sayag*, José Rosas Navarro**, Jean-François Quinton***
Fonctions :
*(Ipsav, dipl. Ecvim-CA oncology)
1. Service d’oncologie
CHV Advetia
9, avenue Louis Bréguet
78140 Vélizy-Villacoublay
**2. ONCOnseil, expertise en oncologie
vétérinaire
***3. Consultation d’oncologie
Chuv de l’ENV de Toulouse
23, chemin des Capelles
31300 Toulouse
****(Résid. ECZM, small mammals)
*****(Dipl. ECZM, small mammals)
Service des nouveaux animaux
de compagnie
CHV Advetia
La prise en charge des tumeurs chez le lapin de compagnie est spécifique. Selon leur nature, le praticien peut être amené à combiner les différentes modalités thérapeutiques de l’oncologie.
Environ 5 % des lapins développent une néoplasie au cours de leur vie [5]. Si cette proportion demeure plus faible que chez les carnivores domestiques (20 % des chats et 25 % des chiens), la prise en charge des cancers n’en demeure pas moins importante chez cette espèce [3]. Dans la pratique quotidienne, les adénocarcinomes utérins, les carcinomes mammaires, les lymphomes, les thymomes et les tumeurs cutanées (adénomes, carcinomes ou mélanomes) demeurent les maladies néoplasiques les plus couramment identifiées [14].
Selon le type de lymphome, les signes cliniques sont très variables (tableau 1). Une polyadénomégalie périphérique demeure l’un des signes d’appel classiques lors de forme multicentrique, mais des atteintes d’organes peuvent aussi être observées. Par ailleurs, des lymphomes cutanés épithéliotropes sont régulièrement identifiés chez le lapin. La démarche clinique repose sur l’obtention d’un diagnostic de (quasi)-certitude, via une cytoponction à l’aiguille fine ou un examen histopathologique. Ce dernier constitue l’examen de choix. Il permet de réaliser un immunophénotypage et d’éventuels marquages complémentaires (notamment l’indice de prolifération Ki67).
Un bilan d’extension standardisé est recommandé chez tout lapin de compagnie atteint d’un lymphome, y compris pour des formes en apparence localisées, mais susceptibles de se généraliser. Ainsi, des radiographies thoraciques, une échographie abdominale, une ponction de mœlle osseuse et un bilan hémato-biochimique, incluant le dosage du calcium plasmatique et un examen du frottis sanguin, sont recommandés.
La prise en charge dépend du type de lymphome (notamment de son grade, de sa localisation anatomique et des signes cliniques observés), du stade de la maladie et de la volonté des propriétaires de l’animal.
La plupart des lymphomes cutanés chez le lapin sont des formes de haut grade (diffus à grandes cellules B et B riche en cellules T), contrairement au chien qui développe plus fréquemment un mycosis fongoïde [11]. Dès lors, un bilan d’extension est indispensable pour toute forme cutanée, à la recherche d’une éventuelle infiltration profonde qui nécessiterait un traitement systémique (chimiothérapie). Lors de formes strictement localisées, une exérèse selon les principes de la chirurgie oncologique peut être envisagée. La radiothérapie et l’électrochimiothérapie restent des options à considérer, même si le niveau de preuve dans ce type d’indication est très faible (opinion d’expert).
Aucune donnée disponible ne fait état d’un protocole standard à adopter en cas de lymphomes de bas grade. Ces derniers sont plus rarement identifiés en pratique. L’approche comparative incite à ne pas mettre en œuvre de chimiothérapie chez les lapins atteints, sauf en présence de signes cliniques altérant la qualité de vie. Cette démarche permet de limiter le risque de développement de résistances. Chez le chien et l’homme, les durées de survie sont plus importantes chez les sujets qui ne reçoivent pas de traitement, par comparaison avec ceux traités par une chimiothérapie multiagents ou à agent unique, ou encore par la corticothérapie [2, 3].
Lors de formes de haut grade, les soins standard consistent en une chimiothérapie multiagents (tableau 2). L’impact de l’immunochimiothérapie sur le pronostic n’a pas encore été évalué chez les petits mammifères de compagnie, contrairement au chien. L’ensemble des protocoles décrits dans cet article sont le fruit d’une approche comparative avec le chien, le chat et le furet, au regard des données pharmacologiques disponibles chez le lapin (tableau 3 et encadré 1). Une corticothérapie, notamment à dose immunosuppressive, doit être prescrite avec grande précaution, en raison du risque de développement d’une pasteurellose ou d’une encéphalitozoonose initialement subclinique, fréquentes chez cet animal.
En pratique quotidienne, les masses cutanées sont couramment observées et regroupent essentiellement des tumeurs basocellulaires, des sarcomes cutanés, des papillomes, des adénomes sébacés, des lymphomes cutanés, des mélanomes et, plus rarement, des adénocarcinomes sébacés et des carcinomes épidermoïdes (tableau 6 et encadré 2). Même si la majorité de ces cancers cutanés sont bénins, le lapin est une espèce qui présente une haute incidence de tumeurs malignes, par comparaison avec le furet et le cochon d’Inde [7]. Plusieurs de ces tumeurs ont une origine virale démontrée (virus du papillome de Shope, poxvirus dont celui du fibrome). Le contrôle des vecteurs arthropodes et l’isolement des individus atteints sont par conséquent nécessaires.
Les tumeurs mammaires sont fréquemment identifiées en pratique quotidienne chez la lapine, avec une forte proportion de tumeurs malignes (54 à 95 % selon les études) [5, 13, 15]. Certaines races semblent prédisposées, notamment le blanc de Nouvelle-Zélande, de même que les femelles non stérilisées (photo 1).
La stratégie thérapeutique repose principalement sur la chirurgie (nodulectomie ou mastectomie) (tableau 7). Bien qu’aucune preuve formelle ne soit disponible dans la littérature, l’ovariohystérectomie préventive est fortement recommandée, afin de limiter l’imprégnation hormonale, le risque de récidive et, par la même occasion, prendre en charge des comorbidités cancéreuses (une tumeur utérine notamment). Le rôle de traitements adjuvants à la chirurgie reste à déterminer. Par comparaison, une chimiothérapie à base de doxorubicine est conseillée face à un carcinome invasif présentant des critères histopathologiques de haute malignité, en cas d’emboles intravasculaires et/ou lors d’extension lymphatique aux nœuds sentinelles.
Dans une étude rétrospective qui a concerné dixhuit cas, les cancers de la cavité orale les plus fréquemment rencontrés étaient les tumeurs odontogéniques (5 cas sur 18), les sarcomes (ostéosarcome, chondrosarcome, fibrosarcome et sarcome indifférencié ; 6 sur 18) et les carcinomes épidermoïdes (3 sur 18). Le mélanome oral demeure rare (1 sur 18), contrairement à ce qui est observé dans d’autres espèces, notamment chez le chien [9].
La démarche clinique repose sur l’approche systématisée développée plus haut (figure 1 en page 40). La stratégie thérapeutique est fondée sur une approche raisonnée entre la chirurgie et une éventuelle radiothérapie mégavoltage adjuvante.
Les tumeurs des cavités nasales sont exceptionnelles chez le lapin de compagnie.
Le cas d’un animal traité par une rhinotomie associée à une radiothérapie externe adjuvante est rapporté dans une étude [10].
À la différence de nombreuses autres espèces, le thymus persiste à l’âge adulte chez le lapin. Le thymome est une tumeur principalement bénigne du thymus, bien que des formes malignes (carcinomes) soient décrites [8]. Les thymomes sont préférentiellement rencontrés chez les individus âgés de plus de 6 ans. La croissance est lente mais invasive, ce qui peut entraîner une gêne respiratoire souvent à l’origine de la consultation. Une exophtalmie bilatérale est un signe clinique classiquement corrélé au thymome. Des troubles cutanés paranéoplasiques (dermatite exfoliative) sont ponctuellement rapportés [6]. La prise en charge passe, en premier lieu, par la réalisation d’un examen tomodensitométrique thoracique (scanner), un dosage du calcium sanguin et une cytoponction à l’aiguille fine de la masse médiastinale craniale identifiée, guidée par échographie. Le diagnostic différentiel d’une masse médiastinale craniale inclut un lymphome, un abcès ou un éventuel kyste thymique. À l’examen cytologique, une population de petits lymphocytes bien différenciés est évocatrice d’un thymome, alors que de larges lymphocytes évoqueront plutôt un lymphome. Parfois, seule une biopsie (biopsie tru-cut guidée par échographie ou scanner) permet d’établir le diagnostic de certitude.
La chirurgie est le traitement de référence. Cependant, face aux risques périopératoires et postopératoires d’une thoracotomie, la radiothérapie externe mégavoltage de première intention est de plus en plus proposée, car elle offre d’excellents résultats (médiane de survie de 727 jours) (photo 5) [1, 4]. Néanmoins, le risque de mortalité durant la radiothérapie n’est pas négligeable, en lien avec une insuffisance respiratoire secondaire à la maladie et à l’anesthésie. Une surveillance intensive se révèle donc nécessaire tout au long du traitement.
Les tumeurs surrénaliennes sont occasionnellement identifiées chez le lapin de compagnie âgé, avec une prédisposition des mâles. La reprise d’une activité sexuelle chez un animal stérilisé est un signe d’appel de cette affection. Leur survenue semble être associée à la gonadectomie, donc à la perte du rétrocontrôle sur l’axe hypothalamo-hypophysaire. Cela entraîne une augmentation chronique de la concentration plasmatique en hormone lutéinisante (LH). L’échographie abdominale est l’examen de dépistage privilégié et la chirurgie (surrénalectomie) constitue le traitement de choix en l’absence de métastases à distance.
L’adénocarcinome utérin est le cancer le plus couramment identifié chez le lapin. L’incidence augmente avec l’âge, jusqu’à atteindre 80 % chez les lapines de plus de 5 ans. Le développement de la tumeur est relativement lent et le risque métastatique modéré. L’ovariohystérectomie préventive est l’option thérapeutique à privilégier.
Conflit d’intérêts : Aucun
Le choix de l’un ou l’autre des protocoles dépend principalement de l’accessibilité d’une voie veineuse, des disponibilités et de la motivation des responsables de l’animal, et de l’habitude du vétérinaire (tableaux 4 et 5).
Les mélanomes sont des tumeurs malignes cutanées rarement décrites chez le lapin. Leur comportement biologique est extrêmement virulent (photo 2) [14]. Sur la dizaine de cas rapportés dans la littérature, neuf ont présenté des métastases à distance et/ou des emboles intravasculaires justifiant une prise en charge thérapeutique agressive (photos 3 et 4) [9]. Notre équipe a évalué la tolérance d’une immunothérapie autologue utilisant les protéines du choc thermique chez un lapin atteint d’un mélanome, sans noter d’effet secondaire. Toutefois, l’efficacité reste incertaine à ce stade et des investigations complémentaires sont en cours [12].
Chez le lapin de compagnie, la prise en charge des néoplasies nécessite l’application d’une démarche clinique spécifique. Elle repose principalement sur une approche comparative, concertée et transversale. Elle doit être adaptée à chaque cas.