TRAITEMENT DES COMPLICATIONS D’UNE FRACTURE CHEZ UN VEAU NOUVEAU-NÉ - Le Point Vétérinaire n° 409 du 01/09/2020
Le Point Vétérinaire n° 409 du 01/09/2020

PATHOLOGIE MÉDICO-CHIRURGICALE BOVINE

Cas clinique

Auteur(s) : Abdelaziz Kerkour*, Bernard Jankjowiak**, Thibaut Lurier***, Brahim Cherifi****, Marc Le Borgne*****, Ridha Frikha******

Fonctions :
*Clinique des animaux
de production
**Unité clinique rurale l’Arbresle
***Clinique des animaux de production
VetAgro Sup, 1 avenue Bourgelat
69280 Marcy L’Étoile
ridha.frikha@vetagro-sup.fr

Les affections traumatiques de l’appareil locomoteur sont relativement fréquentes chez les veaux et les jeunes bovins. Les fractures du nouveau-né, survenant à la suite de l’extraction forcée lors d’un vêlage dystocique, sont d’un pronostic très réservé. Les pansements contentifs à l’aide de résine ou de plâtre, souvent choisis pour traiter ces fractures en milieu rural, représentent la solution la plus économique [1]. Toutefois, ils sont généralement à l’origine d’une absence de cicatrisation osseuse dans les meilleurs délais et/ou de complications infectieuses du foyer de fracture. Dans ce cas, l’amputation est une solution alternative à l’euthanasie [5, 8]. Le cas de ce veau charolais, référé à la clinique des animaux de production du Centre hospitalier universitaire vétérinaire (Chuv) de Lyon (VetAgro Sup), illustre une telle situation.

PRÉSENTATION DU CAS

1. Historique et commémoratifs

Un veau charolais âgé de 6 semaines, pesant 70 kg, est incapable de se lever après son extraction forcée par l’éleveur. Le lendemain, il est examiné par le vétérinaire traitant, qui constate une mobilité anormale du métacarpe du membre antérieur gauche, provoquant des craquements lors de la manipulation du membre. Le vétérinaire conclut à une fracture, traitée par la mise en place d’une résine. Un traitement anti-infectieux est administré par voie intramusculaire à l’animal : 13 mg/kg de benzylpénicilline et 16 mg/kg de dihydrostreptomycine (Shotapen®, deux fois à 72 heures d’intervalle), et un anti-inflammatoire non stéroïdien, la flunixine (Antalzen®, à raison de 2 mg/kg pendant trois jours). Quarante jours après la naissance du veau, le vétérinaire traitant retire la résine. Il note une odeur putride, l’absence de cicatrisation osseuse et un foyer de fracture ouverte. Le vétérinaire met en place un traitement identique à celui prescrit lors de la pose de la résine et place un pansement contentif sur le membre antérieur gauche. Le veau est ensuite référé à la clinique des animaux de production du campus vétérinaire de Lyon pour une amputation du membre.

2. Examens clinique et radiographique

L’examen clinique du veau révèle un bon état général, une température rectale de 39 °C et aucune anomalie de fonction de l’appareil cardio-respiratoire. Le veau est capable de se tenir debout sur ses trois membres sains, mais de manière inconfortable et sans aucun appui sur l’antérieur gauche. Le retrait du pansement (posé la veille) dévoile un foyer purulent à l’odeur nauséabonde, une fracture non stabilisée du métacarpe et des escarres en regard des articulations (photo 1). Il s’agit d’une fracture ouverte et ancienne (six semaines) de la partie distale du métacarpe du membre antérieur gauche, associée à une suppuration profonde des tissus mous jusqu’à l’articulation carpo-métacarpienne.

Un examen radiographique (photo 2) est réalisé pour préciser la nature du foyer de fracture. Il met en évidence une fracture distale de la diaphyse du métacarpe et une ostéomyélite des abouts osseux.

3. Diagnostic et décision thérapeutique

L’ostéomyélite, l’absence de cal osseux et la suppuration des tissus mous autour du foyer de fracture conduisent à envisager l’amputation partielle du membre antérieur gauche, par désarticulation de l’articulation radio-carpienne.

TRAITEMENT CHIRURGICAL

1. Préparation de l’intervention

Une analgésie, à l’aide de 2 mg/kg d’acide tolfénamique (Tolfine®), est réalisée par voie intramusculaire. Un garrot est placé sur l’avant-bras de l’antérieur gauche et maintenu en place durant l’intervention. Un cathéter est posé dans la veine jugulaire gauche, pour assurer une perfusion de Ringer lactate (Aquaferm®) durant la phase peropératoire. Le veau est sédaté à l’aide de 0,1 mg/kg de xylazine (Paxman®) par voie intraveineuse et positionné en décubitus latéral droit. Le membre antérieur gauche est tondu jusqu’à l’épaule. Une anesthésie générale à l’isoflurane est choisie pour le bon dérou­lement de l’opération. La région du genou est rasée, lavée avec de la povidone iodée (Vétédine® savon) puis désinfectée à l’aide d’alcool à 70° et de povidone iodée (Vétédine® solution à 10 %).

Le matériel chirurgical se compose des instruments classiques stériles et d’un fil en polyamide non résorbable (décimale 3) serti sur une aiguille à section triangulaire. Le vétérinaire et son assistant sont équipés de casaques et de gants stériles, après un lavage chirurgical des mains et des avant-bras.

2. Technique d’amputation partielle

Après la mise en place des champs opératoires stériles, deux incisions de la peau, joignant la face dorsale à la face palmaire, sont effectuées en dessous de l’articulation radio-carpienne. Ces incisions sont pratiquées de façon à conserver un lambeau cutané suffisant pour suturer avec un minimum de tension et protéger correctement le moignon après l’amputation. La peau est, par la suite, décollée et réclinée (photo 3). Les tissus mous sont sectionnés en regard de l’articulation radio-carpienne, pour avoir accès à l’articulation et réaliser l’amputation. Une fois la désarticulation accomplie (photo 4), le garrot est retiré. La peau est suturée par des points séparés en X suivis d’un surjet simple à l’aide d’un fil en polyamide (décimale 3).

3. Soins postopératoires

Le moignon est recouvert de compresses stériles imbibées de povidone iodée à 10 %, maintenues en place par un pansement légèrement compressif (photos 5a à 5c). Après son réveil, le veau est placé avec sa mère dans un box bien paillé. Son état général semble bon. Il parvient à se lever et à téter. Le veau reçoit du kétoprofène (Kelaprofen®) à la dose de 3 mg/kg par voie intramusculaire pendant trois jours. Une antibiothérapie, à base de 11,4 mg/kg de benzylpénicilline et de 20 mg/kg de dihydrostreptomycine (Intramicine®), est mise en œuvre par voie intramusculaire pendant cinq jours. Le pansement est renouvelé le lendemain.

4. Évolution de la plaie

L’évolution clinique de la cicatrisation de la plaie, les complications et leur traitement sont suivis durant l’hospitalisation du veau à la clinique des animaux de production (tableau).

DISCUSSION

1. Fracture des membres chez le veau

Les fractures des membres sont relativement fréquentes chez le veau. Les causes sont, chez le nouveau-né, de deux types :

• un traumatisme direct après un piétinement par une vache ;

• une extraction forcée lors d’un vêlage dystocique.

Les fractures lors de l’extraction forcée d’un veau nouveau-né concernent le plus souvent l’os canon (métacarpe ou métatarse). De plus, ce sont fréquemment des fractures métaphysaires distales (type 2 selon la classification de Salter et Harris), ce qui implique un fragment métaphysaire [2, 4, 6]. Elles sont dues aux tractions excessives (ou mal orientées) sur l’os via les lacs de vêlage, ou à des lacs trop fins.

Ces fractures diaphyso-métaphysaires distales du canon, hautement comminutives (multi-esquilleuses) en raison d’une striction et d’un d’écrasement de l’os, sont d’un pronostic très réservé. Elles sont associées à des lésions de compression et d’ischémie du périoste et des tissus mous (nerfs et vaisseaux) à la hauteur de la fracture. La levée rapide du nouveau-né et la mobilité des abouts osseux augmentent le risque d’endommager davantage les tissus mous environnants. Elles peuvent rapidement devenir des fractures ouvertes, ce qui assom­brit le pronostic et complique le choix thérapeutique [3].

Dans le cadre de l’extraction forcée d’un veau nouveau-né, le traitement d’une fracture d’un membre, même fermée, par un pansement contentif (résine ou plâtre) peut entraîner des complications comme des lésions de nécrose de l’extrémité du membre, ce qui rend le pronostic très réservé.

Dans le cas présenté, la fracture a été provoquée par une traction excessive sur le pied avant gauche du veau. Selon le vétérinaire traitant, une lésion perforante a été repérée sur la face interne de la partie vestibulaire de la mère. Cette lésion pourrait bien correspondre au point d’accrochage du pied gauche lors de l’extraction du veau, ce qui a provoqué la fracture du métacarpe. Un craquement a été entendu par l’éleveur au moment du vêlage.

L’immobilisation pendant quarante jours de la fracture par la résine n’a pas permis la cicatrisation du tissu osseux. La solution alternative envisageable consiste à mettre en place des fixateurs externes, qui présentent l’avantage d’une réduction à foyer fermé et la préservation d’une mobilité normale des articulations [1, 4].

En milieu rural, les vétérinaires traitent le plus souvent des veaux nouveau-nés de race bouchère (ou croisée), relativement lourds. Dans la majorité des cas, l’objectif de l’amputation partielle d’un membre chez le veau est de permettre son engraissement pendant quelques mois, avant son abattage et sa valorisation en boucherie ou pour la consommation familiale [9].

2. Prise en charge postopératoire

La démarche thérapeutique nécessite des choix bien réfléchis pour effectuer l’amputation dans de bonnes conditions et pour minimiser les complications. Ainsi, la technique choisie doit tenir compte de l’état et des lésions des tissus mous [6, 7]. L’amputation par désarticulation a été adoptée pour diminuer la douleur et assurer une meilleure cicatrisation, afin de favoriser une locomotion rapide après l’intervention chirurgicale.

L’hématome sous-cutané postopératoire, l’ischémie et la nécrose de la peau à proximité de la suture ont entravé la cicatrisation de la plaie. Des soins locaux adaptés ont été nécessaires durant cinq semaines. Le changement régulier des pansements et le parage des tissus nécrosés (et des esquilles d’os sous-chondral) ont permis d’accélérer le recouvrement du tissu osseux par les bourgeons charnus et la cicatrisation par seconde intention de la plaie.

La rigueur lors du changement des pansements et la qualité des soins locaux sont les éléments déterminants dans la réussite de la prise en charge d’une plaie d’amputation. Le pansement permet de protéger la plaie, d’amortir les chocs (rôle de l’éponge) sur le moignon et de préserver les conditions optimales à la détersion et à la cicatrisation des tissus mous.

Après la réadaptation des soins, l’évolution clinique a été favorable. Par conséquent, le maître-mot après une amputation est la rigueur dans le suivi clinique et les soins postopératoires.

L’amputation partielle du membre a permis au veau de retrouver sa mobilité pour téter sa mère et se nourrir correctement jusqu’à l’âge de 4 mois (photo 17). Il a pris du poids et est devenu capable de se lever tout seul. Selon l’éleveur, l’animal a été abattu à cet âge, avec un poids vif de 140 kg, permettant une valeur carcasse nette de 73 kg.

Références

  • 1. Chatré JL. Traitement des fractures chez le veau : actualités. Point Vét. 2006;(271):38-43.
  • 2. Chatré JL. Les fractures chez le veau : éléments cliniques et thérapeutiques raisonnés. Bulletin des GTV. 1998;1:83-100.
  • 3. Chatré JL. Fracture du métacarpe, du métatarse et du tibia chez le veau. Point Vét. 1995;27:45-55.
  • 4. Chatré JL. Principes généraux du traitement chirurgical des fractures des membres chez le veau. Point Vét. 2001;32:81-84.
  • 5. Desrochers A, St-Jean G, Anderson DE. Limb amputation and prosthesis. Vet. Clin. North Am. Food. Anim. Pract. 2014;30 (1):143-155.
  • 6. Lallemand M. Amputation d’un membre antérieur chez un veau. Point Vét. 2011;(319):44-49.
  • 7. Orsini JA. Lower extremity amputation and application of a prosthetic device in a 1-month-old calf. Vet. Surg. 1985;14:307-309.
  • 8. St-Jean G. Amputation and prosthesis. Vet. Clin. North Am. Food. Anim. Pract. 1996;12 (1):249-261.
  • 9. Vignault G. Amputation d’un membre chez les bovins. Numéro spécial Chirurgie des bovins et petits ruminants. Point Vét. 2001;(tome II):85-86.

Conflit d’intérêts :

Aucun

Points clés

• Les fractures, lors de l’extraction forcée d’un veau nouveau-né, concernent le plus souvent l’os canon, et sont en général de type métaphysaire distal. Leur pronostic est généralement sombre.

• L’objectif de l’amputation partielle d’un membre chez le veau est de permettre son engraissement pendant quelques mois, avant son abattage et sa valorisation en boucherie ou pour la consommation familiale.

• Afin d’améliorer le pronostic, l’adaptation des soins postopératoires aux complications éventuelles de la cicatrisation du moignon est primordiale.

• Le pansement permet de protéger la plaie, d’amortir les chocs sur le moignon et de préserver les conditions optimales nécessaires à la détersion et à la cicatrisation des tissus mous.

CONCLUSION

En cas de complications lors d’une fracture d’un membre chez le veau nouveau-né, l’amputation est le traitement de la dernière chance. Elle constitue une solution alternative appropriée à l’euthanasie. La technique est simple à réaliser, avec un faible coût et une résolution rapide de la douleur. Le pronostic de l’amputation étant incertain, le maître-mot pour l’améliorer est d’adapter les soins postopératoires aux complications éventuelles de la cicatrisation du moignon.

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