L’ANÉMIE CHEZ LES ANIMAUX DE COMPAGNIE : TYPES ET CARACTÉRISATION - Le Point Vétérinaire n° 409 du 01/09/2020
Le Point Vétérinaire n° 409 du 01/09/2020

HÉMATOLOGIE CANINE ET FÉLINE

Dossier

Auteur(s) : Tarek Bouzouraa*, Benoit Rannou**, Luc Chabanne***

Fonctions :
*(Dipl. Ecvim-CA internal medicine)
Unité de médecine interne
Clinique Armonia
37, rue Serge Mauroit
38090 Villefontaine
**(Dipl. ACVP et ECVCP)
AzurVet-Lab
769, avenue Pierre et Marie Curie
06700 Saint-Laurent-du-Var
***Professeur en médecine interne
Département des animaux de compagnie
VetAgro Sup
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-L’Étoile

Une approche diagnostique systématisée est nécessaire pour confirmer et caractériser une anémie, afin de déterminer si elle est arégénérative et périphérique ou régénérative et centrale, et rechercher sa ou ses causes.

L’anémie est très fréquente chez les animaux de compagnie. Elle présente plusieurs mécanismes étiologiques et degrés de gravité qui conditionnent les choix thérapeutiques et influent sur le pronostic. L’emploi d’une appro­che systématisée aide le praticien à confirmer et à carac­tériser ce trouble.

1. DÉFINITION DES ANÉMIES

L’anémie correspond à une diminution de la « masse érythrocytaire » définie par une chute de l’hématocrite, de la concentration en hémoglobine ou du nombre d’érythrocytes sous une valeur seuil spécifique de l’espèce [12].

Prérequis

Les valeurs seuils des érythrocytes varient selon l’automate utilisé et sont ainsi propres à chaque laboratoire. Les valeurs de la lignée rouge peuvent également varier dans le temps pour un animal donné. En effet, le chiot et le chaton en croissance présentent une anémie physiologique qui ne doit pas nécessairement faire l’objet d’une démarche appliquée [12]. Ainsi, certains auteurs recommandent l’obtention d’un hémogramme chez le jeune adulte (environ 12 à 24 mois) afin de garantir une approche individualisée [13]. Cependant, plusieurs études révèlent un certain degré d’évolution individuelle des variables hématologiques (formule sanguine exceptée) au cours du temps chez le chien, ce qui ne permet pas de comparer aisément des hémogrammes chez un même animal [2, 4, 9]. Dès son identification, une anémie doit être « caractérisée » et sa cause déterminée. Une étude récente synthétise l’ensemble des données permettant de classer une anémie selon sa pathogénie et son origine [3].

Causes d’une anémie

Une anémie peut résulter de deux mécanismes principaux : une perte de « masse érythrocytaire » par hémor­ragie ou hémolyse, ou un défaut de production d’érythrocytes par la moelle osseuse hématopoïétique (tableau 1). Elle peut également survenir à la suite d’une combinaison de plusieurs facteurs. Le vétérinaire doit évaluer, dans l’ordre, les données historiques et épidémio-cliniques, l’hémogramme (dont l’analyse cytologique de l’étalement sanguin) puis les résultats des autres examens biologiques et/ou d’imagerie.

2. TYPES D’ANÉMIES

Anémies régénératives et périphériques

En cas d’anémie d’apparition aiguë et d’évolution rapide, l’hypothèse d’une perte d’hématies est privilégiée.

Anémies par hyperhémolyse

Une hyperhémolyse est le plus souvent secondaire à une infection par un hémopathogène (piroplasme notamment) ou à une origine immune (anémie hémolytique à médiation immune), tandis que les causes toxiques ou médicamenteuses, (para) néoplasiques et microangiopathiques sont plus rares. Une anémie due à une hémolyse s’accompagne fréquemment d’un ictère. Une réticulocytose supérieure à 60 000 réticulocytes/µl et 100 000/µl, respectivement chez le chat et le chien, suggère le caractère régénératif de ce trouble, tandis qu’une valeur inférieure laisse envisager soit un début de régénération en cours, nécessitant une réévaluation quelques jours plus tard (anémie prérégénérative), soit l’absence de régénération [11]. Les seuils évoqués ne sont pas absolus et doivent faire l’objet d’une réflexion individualisée et rapportée à chaque cas.

L’examen du frottis sanguin permet la recherche d’agents figurés (piroplasmes, hémoplasmes ou agents de rickettiose) et/ou d’anomalies morphologiques (agglu­tinats, corps de Heinz, sphérocytes, par exemple). Ces derniers sont des marqueurs de l’anémie hémo­lytique à médiation immune, chez le chien essentiellement (photo 1). Il s’agit d’hématies sphériques ayant perdu leur caractère biconcave à la suite de leur lyse dans la rate ou le foie [5]. Les autres marqueurs de cette anémie sont la présence d’une auto-agglutination macroscopique et microscopique et d’un test direct à l’antiglobuline (ou test de Coombs) positif (photo 2). Cependant, leur absence n’exclut pas totalement une anémie hémolytique à médiation immune [5]. L’analyse urinaire permet de mettre en évidence une possible bilirubinurie significative et pathologique, ou une hémoglobinurie. Ces dernières sont les marqueurs respectifs d’une hémolyse extravasculaire et intra­vasculaire.

Dans un contexte présumé d’hémolyse, une cause toxique ou médicamenteuse (oignons, ou paracétamol notamment) doit être exclue à l’aide des données historiques et anamnestiques. Il est aussi recommandé de recher­cher les principaux hémopathogènes vectorisés si l’animal a voyagé ou vécu dans une zone d’endémie et si la prophylaxie antiparasitaire externe est inadaptée. Il est idéal de privilégier des recherches biomoléculaires par polymerase chain reaction (PCR), lors d’expression en phase aiguë, compte tenu du temps nécessaire à une éventuelle séroconversion. En effet, plusieurs semaines sont nécessaires pour synthétiser les anticorps dirigés contre les agents infectieux incriminés lors d’anémie. Les examens d’imagerie (radiographie thoracique et échographie abdominale) ont pour objectif d’incriminer ou d’exclure un foyer inflammatoire, infectieux ou néoplasique interne, comme une masse splénique rompue à l’origine d’un hémoabdomen [5].

Anémies par hémorragie

Si la diminution du nombre d’hématies ne semble pas liée à une hyperhémolyse, une hémorragie doit être recherchée. Les saignements externes sont souvent faciles à identifier (épistaxis, hématurie, hémo­chésie, hématémèse, hémoptysie) et peuvent s’accompagner de signes de choc hémodynamique. Les pertes internes sont plus difficiles à objectiver. L’examen clinique révèle parfois la présence d’ecchymoses et/ou de pétéchies qui proviennent d’une thrombopénie, d’une thrombopathie ou d’une vasculopathie. Dans ce contexte, un comptage plaquettaire permet d’identifier ou d’écarter une thrombopénie « critique », tandis que l’évaluation des temps de coagulation met en évidence une coagulopathie innée ou acquise (intoxication aux rodenticides principalement) [1]. En l’absence de thrombopénie ou d’allongement des temps de coagulation, une vascularite ou un défaut hémostatique rare peuvent être suspectés selon le contexte épidémiologique : maladie de von Willebrand et hémophilies entre autres, respectivement chez le dobermann et le berger allemand.

Anémies non régénératives ou centrales

En cas d’anémie à l’évolution insidieuse et progressive, un défaut de production est à envisager en priorité. Le tableau clinique n’inclut généralement pas d’ictère ni de signes de choc hémodynamique. Il est important de considérer l’historique médical de l’animal, en portant une attention particulière aux traitements reçus (agents myélosuppresseurs et exposition aux estrogènes notamment).

Anémies dues à une inflammation chronique

Tout processus inflammatoire chronique est également une cause d’anémie, principalement via la synthèse et la libération hépatique d’une hormone nommée hepcidine [1]. Celle-ci entraîne une séquestration du fer mobile dans les entérocytes et les macrophages, induisant un « déficit hémique » qui perturbe l’hématopoïèse. L’évaluation de l’étalement sanguin peut permettre d’identifier et de caractériser une possible leucopénie ou leucocytose neutrophilique, grâce à l’augmentation du contingent de granulocytes neutrophiles hyposegmentés (« virage à gauche » sur la courbe d’Arneth) qui accompagne un syndrome inflammatoire. L’étalement sanguin permet également d’évaluer l’intensité de la “toxicité” des granulocytes neutrophiles, ou leur degré d’activation en lien avec l’intensité du processus inflammatoire/infectieux en cause. La prise en compte de l’ensemble du bilan biologique (rapport albumine/globulines, signes d’atteinte organique, etc.) et le dosage de biomarqueurs de l’inflammation, comme la protéine C-réactive (CRP) et la protéine sérique amyloïde A respectivement chez le chien et le chat, ont également un intérêt non négligeable dans le contexte d’une suspicion du syndrome de réponse inflammatoire systémique [6]. Leur augmentation confirme l’existence d’un syndrome inflammatoire. Les examens d’imagerie sont en outre indispensables lors de la recherche d’un foyer inflammatoire ou infectieux interne.

Anémies par carence martiale

La carence en fer est une cause fréquente d’anémie centrale, souvent consécutive à des pertes sanguines digestives occultes ou qui peuvent se manifester par un méléna (intermittent). Sur le plan hématologique, elle est découverte tardivement dans l’évolution de la maladie par l’association d’une microcytose, d’une hypochromie et d’une tendance à la thrombocytose. À l’étalement sanguin, une pâleur centrale des hématies est observée (photo 3) [8]. L’urémie, souvent augmentée, est issue du métabolisme de l’ammoniac dans la lumière intestinale et elle est réabsorbée à travers la paroi intes­tinale lorsque celle-ci est endomagée. La cause des pertes sanguines est explorée à l’aide d’une coproscopie (recherches de parasites intestinaux) et d’examens d’imagerie, notamment une échographie abdominale. Une évaluation du métabolisme du fer peut être réalisée par le biais du dosage de la sidérémie et le calcul du pourcentage de saturation de la trans­ferine qui permet indirectement d’estimer la capacité de fixation du fer (tableau 2). Les automates récents qui utilisent la cytométrie en flux permettent de mesurer les indices réticulocytaires, autorisant ainsi une évaluation plus précise lors d’anémie centrale(1) [10].

Anémies paranéoplasiques

Les affections néoplasiques sont des causes assez fréquentes d’anémies non régénératives ou centrales. En règle générale, les indices anamnéstiques et épidémio-cliniques non exclusifs orientent vers cette possibilité (par exemple, antécédent de tumeur solide réséquée, poly­adénomégalie, cachexie chez un animal d’âge moyen à avancé, etc.).

Une anémie (para) néoplasique est consécutive soit à la perturbation de l’hématopoïèse par des facteurs humoraux et des cytokines proinflammatoires rencontrées lors d’hémopathie maligne ou de tumeur solide (carcinome, sarcome des tissus mous ou histiocytaire principalement), soit à l’invasion de la moelle osseuse, surtout lors d’hémopathie maligne, ce qui explique l’hématopoïèse insuffisante. Certaines tumeurs (hémangiosarcome, carcinome) peuvent également entraîner des saignements ou des microangiopathies à l’origine d’une anémie à mécanisme « mixte » [7].

L’examen du frottis sanguin permet de rechercher d’éventuelles cellules nucléées atypiques, comme des blastes lymphoïdes ou myéloïdes. La présence d’une bicytopénie ou d’une pancytopénie est un argument de poids en faveur d’une insuffisance médullaire résultant d’une infiltration tumorale : il s’agit d’une indication majeure pour l’évaluation du myélogramme. Le protéinogramme permet de rechercher la présence d’une hyperglobulinémie. L’électrophorèse des protéines sériques concourt ensuite à en identifier le caractère (figures 1 et 2). Les examens d’imagerie médi­cale (échographie et radiographie) aident également à rechercher une cause tumorale.

Anémies “métaboliques”

Les causes métaboliques d’anémie sont de plus en plus rares, probablement en raison d’une sensibilisation et d’un dépistage performant de l’hypothyroïdie, des néphro­pathies et des carences vitaminiques (principalement hypocobalaminémie).

Il n’y a pas d’indicateur hématologique et cytologique précis associé à l’existence d’une anémie « métabolique ». En effet, ce sont plutôt l’historique et le contexte épidémio-clinique qui invitent le vétérinaire à établir le profil biochimique. Par exemple, il est intéressant de rechercher une hyperlipémie chez un chien âgé au profil « hypo­thyroïdien », avec le dosage couplé de la thyroxine et de la thyréostimuline pour confirmer l’hypothèse d’une hypothyroïdie. Une néphropathie peut être diagnostiquée à l’aide d’une analyse urinaire (recherche d’une tendance à l’isosthénurie et mesure de la protéinurie) et de l’évaluation de la créatinine. Un profil d’absorption vitaminique peut être envisagé lorsqu’une entéropathie, en lien avec une carence, est suspectée (1).

  • (1) Voir l’article « Démarche diagnostique lors d’anémie centrale » dans ce dossier.

  • 1. Bohn AA. Diagnosis of disorders of iron metabolism in dogs and cats. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2013;43 (6):1319-1330.
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  • 3. Bouzouraa T, Cadoré JL, Chêne J et coll. Implication, clinical and biological impact of vector-borne haemopathogens in anaemic dogs in France : a prospective study. J. Small Anim. Pract. 2017;58 (9):510-518.
  • 4. Brenten T, Morris PJ, Salt C et coll. Age-associated and breed-associated variations in haematological and biochemical variables in young labrador retriever and miniature schnauzer dogs. Vet. Rec. Open. 2016;3:e000166.
  • 5. Burton AG, Harris LA, Owens SD et coll. The prognostic utility of degenerative left shift in dogs. J. Vet. Intern. Med. 2013;27 (6):1517-1522.
  • 6. Chikazawa S, Dunning MD. A review of anaemia of inflammatory disease in dogs and cats. J. Small Anim. Pract. 2016;57 (7):348-353.
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  • 10. Steinberg JD, Olver CS. Hematologic and biochemical abnormalities indicating iron deficiency are associated with decreased reticulocyte hemoglobin content (CHr) and reticulocyte volume (rMCV) in dogs. Vet. Clin. Pathol. 2005;34:23-27.
  • 11. Stockham SL, Scott MA. Erythrocytes. In : Fundamentals of veterinary clinical pathology. Iowa State University Press, Ames. 2008:107-220.
  • 12. Stokol T. Anemia, erythrocytosis. In : Textbook of veterinary internal medicine. Philadelphia, Elsevier. 2017:229-235.
  • 13. Wiinberg B, Jensen AL, Kjelgaard-Hansen M et coll. Study on biological variation of haemostatic parameters in clinically healthy dogs. Vet. J. 2007;174 (1):62-68.

Conflit d’intérêts : Aucun

CONCLUSION

Chez les animaux de compagnie, une anémie doit être confirmée et caractérisée (pertes ou défaut d’hématopoïèse). Sa gravité et le pronostic associé dépendent du « déficit hémique » engendré et de la cause de l’anémie. Le vétérinaire doit ordonner ses recherches en confrontant les indicateurs épidémiologiques et historiques aux anomalies cliniques relevées. Cela lui permet de déterminer les examens complémentaires à mettre en œuvre. L’hémogramme apporte des éléments d’orientation qui guident la démarche diagnostique (et également thérapeutique), tandis que les autres examens (urinaire, biochimique, évaluation inflammatoire, imagerie médicale, recherche d’infection et cytologie, dont myélogramme) permettent d’affiner le diagnostic (figure 3).

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