Le syndrome d’intolérance à l’effort chez le retriever du Labrador - Le Point Vétérinaire n° 306 du 01/06/2010
Le Point Vétérinaire n° 306 du 01/06/2010

GÉNÉTIQUE CANINE

Infos

FOCUS

Auteur(s) : Marie Abitbol

Fonctions : Unité pédagogique de génétique médicale et moléculaire, ENV d’Alfort
7, avenue du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort Cedex

La mutation responsable du syndrome d’intolérance à l’effort est très fréquente chez les labradors, mais seul un exercice intense et soutenu peut déclencher des crises.

Un syndrome d’intolérance à l’effort, ou EIC (exercise-induced collapse), et d’effondrement chez le retriever du Labrador a été décrit pour la première fois en 1993 aux États-Unis, par le Dr. Shelton [1]. Les animaux atteints, de jeunes adultes labradors, présentaient une intolérance à l’effort, une température rectale élevée, une augmentation de la concentration en lactates plasmatiques et des biopsies musculaires histologiquement normales. Dans les années qui ont suivi, de nombreux cas ont été décrits chez des labradors américains de field trial et de chasse. Le syndrome a été attribué à une intolérance à la chaleur, à une hyperthermie maligne, à une hypoglycémie, à des anomalies du rythme cardiaque, ou encore à une myopathie d’origine métabolique ou à une forme congénitale de myasthénie [2]. Il a alors été appelé “EIC” pour exercise-induced collapse. Deux études, publiées l’une en 2008 et l’autre en 2009 ont permis de préciser les caractéristiques cliniques, biochimiques et histologiques du syndrome et son caractère héréditaire chez un grand nombre de chiens [2,3]. Le gène et la mutation causale ont été identifiés en 2008, permettant ainsi la commercialisation d’un test génétique de diagnostic et de dépistage [4].

Le syndrome EIC

Les crises d’intolérance à l’effort ont été observées chez de jeunes adultes labradors (première crise entre 5 et 60 mois, médiane de 12 mois), en bonne condition physique, et décrits comme sveltes et très actifs par leurs propriétaires. Mâles et femelles étaient atteints dans les mêmes proportions, et les trois couleurs, noir, sable et chocolat, étaient représentées [2]. Les crises se sont manifestées après un exercice physique soutenu de plus de 5 minutes (de 5 à 15 minutes en moyenne), en particulier lorsque celui-ci s’accompagnait d’un stress ou d’une excitation intense du chien. Ce type de situation se rencontre lors de compétitions de field trial, de chasse ou de séances de jeu.

La crise débute par une démarche ataxique, une paralysie flasque des membres postérieurs, que l’animal tracte en se soutenant avec ses membres antérieurs, avant de chuter en décubitus latéral de façon répétée [2]. Le retour à un état normal s’obtient en général entre 5 et 45 minutes après la fin de l’exercice. La mort du chien lors d’une crise a été décrite (7 cas dans une étude rétrospective portant sur 225 animaux atteints d’EIC). Pour 3 de ces 7 chiens, le propriétaire avait mentionné un épisode convulsif généralisé juste avant la mort [2].

L’étude clinique, biochimique et histologique de 14 labradors décrits comme atteints d’EIC par leurs propriétaires et de 14 autres indemnes et participant à des compétitions de field trial a permis de caractériser finement le phénotype des chiens malades [3]. Au repos, tous les examens pratiqués n’ont révélé aucune anomalie chez les chiens atteints d’EIC. Ces chiens différaient seulement des normes usuelles pour les concentrations musculaire et urinaire en carnitine [3].

Les 28 chiens de l’étude ont été soumis à un exercice physique intense de 10 minutes. Dix des 14 animaux du groupe EIC ont présenté des anomalies de la démarche au cours de l’exercice ou après (signes cliniques d’EIC), alors que 4 chiens ont conservé une démarche normale. Pour 4 autres, l’exercice a dû être interrompu, leur démarche s’étant trop détériorée. Parmi les 10 chiens ayant présenté des signes cliniques d’EIC, tous ont conservé une proprioception consciente normale, 3 se sont écroulés au sol et 7 ont continué à se déplacer, mais avec les membres postérieurs fléchis (photo). Six chiens ont développé une incoordination motrice marquée et des chutes fréquentes sur le flanc. Les 10 chiens ont présenté une absence de réflexe patellaire pendant 5 à 30 minutes après la fin de l’exercice et leur état est revenu à la normale en 10 à 30 minutes (moyenne : 16 minutes). Pour tous les examens pratiqués, les chiens atteints étaient comparables aux chiens témoins. Seule la concentration sérique en créatine kinase après l’exercice était significativement plus élevée chez les chiens atteints. Aucune anomalie histologique n’a été notée lors de l’analyse des biopsies musculaires [3].

Cette étude a permis de préciser que l’EIC n’était pas dû à une anémie, à un trouble cardiaque ou pulmonaire, à une déficience en glucocorticoïdes, à un hypothyroïdisme, à une hyperthermie maligne, à une myasthénie grave acquise, à des anomalies du métabolisme oxydatif ou à l’une des myopathies héréditaires ou acquises décrites chez le labrador [3].

Mode de transmission

L’étude, en 2008, des pedigrees de 169 labradors atteints d’EIC et de 157 de leurs apparentés indemnes a montré que les chiens malades étaient étroitement apparentés. Les mâles et les femelles étaient touchés dans les mêmes proportions (51 et 49 % respectivement). L’analyse statistique des données généalogiques a permis de suspecter une transmission autosomique récessive. L’identification du gène et de la mutation causale de l’EIC a confirmé le mode de transmission autosomique récessif, mais à pénétrance incomplète [4].

Dans ce mode de transmission, les mâles et les femelles sont atteints dans les mêmes proportions, et le gène en cause est porté par un chromosome autosome (non sexuel). Un individu atteint possède deux copies (allèles) mutées du gène en cause (il est dit homozygote muté), l’une transmise par son père, l’autre par sa mère. Les deux parents, s’ils sont indemnes d’EIC, sont alors dits porteurs sains ou hétérozygotes. L’accouplement de deux hétérozygotes produit en moyenne 25 % de descendants atteints (homozygotes mutés), 50 % de porteurs sains (hétérozygotes) et 25 % de descendants indemnes de la maladie, qui ne la transmettent donc pas (homozygotes sains ou encore homozygotes sauvages).

Il existe donc des porteurs sains de l’EIC. Ces chiens sont impossibles à identifier sans le recours à un test de dépistage génétique. Ce dernier n’est disponible que si le gène et la mutation responsables ont été identifiés.

La pénétrance incomplète du syndrome se traduit par l’existence de chiens homozygotes mutés qui n’expriment pas les symptômes de l’EIC. Cependant, ces individus transmettent l’allèle muté responsable de l’EIC à 100 % de leur descendance. La mise en œuvre du test génétique pour les dépister est donc indispensable.

Gène DNM1 et mutation canine

Le gène impliqué dans l’EIC du labrador a été identifié en 2008, par Patterson et coll. Il s’agit du gène DNM1 qui code pour la dynamine-1 [4]. Les protéines de la famille des dynamines sont connues pour réguler la formation des vésicules d’endocytose. La dynamine-1 semble exprimée uniquement dans le cerveau et la moelle épinière, où elle permettrait la communication synaptique [4].

La mutation responsable de l’EIC du labrador est ponctuelle : il s’agit du changement d’un seul nucléotide (G/T) qui entraîne le changement d’un acide aminé dans la protéine. Les chiens atteints d’EIC sont homozygotes pour l’allèle T. Les individus porteurs sains sont hétérozygotes G/T et les homozygotes sains sont G/G. Cependant, en raison de la pénétrance incomplète, certains homozygotes T/T n’ont jamais présenté de crises d’EIC. Cette situation peut être aisément interprétée par le fait que seul un exercice physique soutenu permet de déclencher une crise et que la plupart des chiens n’ont pas une activité suffisamment intense pour cela. Des homozygotes sains (G/G) ont présenté des crises ressemblant à un EIC, dont l’origine, certainement nerveuse, reste indéterminée [4].

Dépistage et conseil génétiques

La mutation responsable de l’EIC a été mise en évidence chez des chiens labradors retrievers, mais également chez des retrievers de la baie de Chesapeake et des curly-coat retrievers, deux races apparentées au labrador [4].

Le test génétique est disponible, en France, auprès du laboratoire Antagene.

L’EIC est un syndrome autosomique récessif, c’est-à-dire que seule la présence de deux allèles mutés du gène DNM1 (dynamine-1) permet l’apparition des symptômes. Le test génétique détermine le statut du chien parmi trois situations possibles (tableau).

Ainsi, un chien porteur sain (hétérozygote) transmet l’allèle muté à statistiquement 50 % de sa descendance alors qu’un chien homozygote muté le transmet à 100 % de sa descendance. La proportion de chiens d’une portée qui seront atteints d’EIC ou porteurs sains dépend donc du statut génétique des parents.

Le test génétique est fiable, facile à réaliser (à partir d’un simple frottis buccal), dès que l’animal est identifié (puce ou tatouage), et valable à vie. Le dépistage précoce de l’EIC permet :

– de dépister les chiens atteints avant l’apparition des premières crises ;

– d’exclure l’EIC lors d’un diagnostic différentiel de crises subites de faiblesse musculaire ou d’effondrement, chez un retriever du Labrador, un retriever de la baie de Chesapeake ou un curly-coat retriever, avant d’envisager des examens complémentaires contraignants ou coûteux ;

– de dépister les chiens porteurs sains, les homozygotes mutés n’exprimant pas leur phénotype, et de sélectionner les reproducteurs en conséquence ;

– d’adapter les croisements.

Une situation contrastée

Les premiers cas cliniques d’EIC ont été décrits aux États-Unis chez des labradors de travail (field trial essentiellement). La mutation a été caractérisée chez des labradors américains, puis identifiée chez des retrievers de la baie de Chesapeake et des curly-coat retrievers. Grâce au test génétique, des labradors porteurs ont été repérés dans de nombreux pays dont la France.

En France, où les labradors sont essentiellement des chiens de compagnie, la fréquence de la mutation a été estimée à 46 % [laboratoire Antagene, 2010], mais les cas cliniques d’EIC sont très rares [laboratoire de neurobiologie, ENVA, 2010]. Ainsi, la mutation responsable de l’EIC est très fréquente chez les labradors, quelle que soit leur origine (travail ou compagnie). Cependant, seul un exercice intense et soutenu étant susceptible de déclencher des crises, peu de chiens présentent de symptômes d’EIC.

Ainsi, il est recommandé de faire dépister génétiquement, pour l’EIC, les labradors destinés à la reproduction, en particulier s’ils possèdent des ascendants issus de lignées américaines et si les descendants sont destinés à un usage sportif ou à la chasse.

Il est également conseillé de demander le résultat du test génétique, pour l’EIC, de tout reproducteur étranger qui serait introduit dans l’Hexagone en vue d’améliorer certaines lignées de chiens français. Les chiens de travail sont en effet prisés pour leurs caractéristiques athlétiques et leurs performances physiques.

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