Le potentiel inhibiteur du lait et de ses résidus - Le Point Vétérinaire n° 291 du 01/12/2008
Le Point Vétérinaire n° 291 du 01/12/2008

Zootechnie et pharmacologie

Mise à jour

LE POINT SUR…

Auteur(s) : Fatah Bendali*, Philippe Roussel**

Fonctions :
*Institut de l’ élevage
149, rue de Bercy
75595 Paris Cedex 12
**Institut de l’ élevage 149, rue de Bercy 75595 Paris Cedex 12

Les anti-infectieux sont la principale source de pénalisation des transformations laitières. L’ effet d’ autres résidus potentiellement inhibiteurs a parfois été recherché, sans grands résultats.

Le praticien exerçant en production laitière se trouve en amont d’ une chaîne qui aboutit à la commercialisation d’ un produit et qui passe généralement par une étape de transformation.

Sensibilisé au risque lié aux résidus dans le lait, le praticien peut l’ être moins à celui des inhibiteurs, alors que des gestes qu’ il pratique, prescrit ou conseille au quotidien (antibiothérapie, supplémentation en oligo-éléments, désinfection, etc.) peuvent avoir des conséquences pour le transformateur (encadré 1). Sous l’ effet des inhibiteurs, les produits sont déclassés, engendrant des pertes commerciales, avec parfois une dégradation de leur image [8]. Les fabrications les plus sensibles sont celles où interviennent des bactéries lactiques et des ferments d’ arôme (encadrés 2, 3 et ) [2].

Activement surveillés, les inhibiteurs sont étudiés dans cet article à travers une recherche bibliographique systématique sur le potentiel inhibiteur de diverses molécules, médicamenteuses ou non, pouvant être présentes dans le lait (encadré 4). Des substances sont citées sans présumer a priori de leur caractère inhibiteur ou non. Le risque inhibiteur “nul” existe, tout autant que le risque “inconnu”.

Médicaments anti-infectieux : première place

Les antibiotiques et les sulfamides vétérinaires sont à l’ origine de plus des trois quarts des accidents inhibiteurs [26].

Les bactéries lactiques y sont particulièrement sensibles. Par exemple, les streptocoques lactiques sont partiellement inhibés par des concentrations de pénicilline à 0,1 µg/ml et le sont complètement entre 0,2 et 0,3 µg/ml. Streptococcus thermophilus et les lactobacilles sont dix fois plus sensibles à la pénicilline que les streptocoques mésophiles [6].

L’ usage large des antibactériens en élevage a conduit à élaborer des tests de détection extrêmement sensibles. Les antibactériens d’ une même famille peuvent, dans la majorité des cas, être détectés par un même test.

Les familles se distinguent aussi en fonction de leur spectre d’ action qui influe sur le potentiel inhibiteur :

– large pour les fluoroquinolones, les tétracyclines, les ß-lactamines (Gram+ et Gram-) ;

– étroit pour les pénicillines G et M ou les macrolides (Gram+), ainsi que pour la colistine ou la polymixine (Gram-) [15]. Ces aspects ne sont pas développés (tableaux complémentaires 1a, 1b et 1c).

Dans 12 % des cas d’ accidents inhibiteurs, la substance responsable de la pollution du lait n’ a pu être identifiée ou incriminée. La piste des désinfectants, inhibiteurs naturels, voire d’ autres catégories de médicaments ou polluants susceptibles d’ être retrouvés dans le lait mérite d’ être explorée dans ces cas-là.

Antiseptiques et désinfectants : inhibiteurs accidentels

Les antiseptiques sont des substances chimiques à usage externe qui tuent ou inhibent la prolifération des bactéries chez les animaux (essentiellement lors de la traite). Des désinfectants sont aussi utilisés à la ferme pour le nettoyage du matériel de traite, ils limitent la contamination bactériologique à la production. Hypochlorites, chloramines, iodophores, chlorophénols et acide peracétique possèdent un effet inhibiteur sur la flore lactique, mais seulement à des concentrations anormalement élevées dans le lait. Leur influence sur les tests d’ inhibition est souvent invoquée. Elle est toutefois peu probable surtout pour des laits de grand mélange (tableau complémentaire 2) [14].

Les ammoniums quaternaires présentent des propriétés d’ adhésion aux surfaces très importantes, pouvant entraîner des perturbations lors de la transformation du lait ayant été à leur contact [10]. Leur usage a été interdit en industrie laitière française.

1. Iode

L’ iode présent dans le lait provient de l’ alimentation des vaches ou des iodophores présents dans les produits de nettoyage des bâtiments et des trayons. Constituant naturel du lait et des produits laitiers, il y est présent essentiellement sous forme d’ iodures (80 à 90 % de l’ iode total). La mamelle ne limite pas sa teneur. Toute supplémentation alimentaire augmente donc la concentration dans le lait (supérieure à 1 000 µg/kg de lait ). Il est conseillé de ne pas dépasser des teneurs de 150 µg d’ iode/kg de lait. Les excès peuvent présenter des risques pour la transformation (altération organoleptique, inhibition de la flore lactique, notamment de Streptococcus lactis et cremoris dès 10 µg/ml) [2]. Les traitements thermiques (pasteurisation, stérilisation UHT) n’ ont pas d’ effets sur la quantité d’ iode dans le lait.

Certains pays ont fixé des teneurs maximales en iode dans les produits laitiers (en Australie par exemple : 500 µg/kg), mais pas l’ Union européenne (annexe II pour l’ iode : « La fixation d’ une LMR [limite maximale de résidus] n’ apparaît pas nécessaire pour la protection de la santé publique »). En revanche, la contamination des produits laitiers par l’ iode radioactif fait l’ objet d’ une norme réglementaire en France. L’ Agence française de sécurité sanitaire des aliments s’ intéresse à la teneur en iode des laits pour d’ autres raisons que les aspects inhibiteurs (santé publique).

2. Iodophores

Les solutions d’ iodophores sont utilisées pour le nettoyage des installations de traite et la désinfection des trayons () [5]. Elles sont bactéricides à large spectre (le porteur tensio-actif libère 70 à 80 % de l’ iode fixée).

Après désinfection des trayons à la suite de la traite (trempage ou pulvérisation) avec des iodophores (concentration inférieure à 0,5 % d’ iode libre), aucune contamination du lait en iode supérieure à 50 µg/kg n’ a été retrouvée dans les conditions normales d’ utilisation (lavage des trayons avant la traite suivante) [7]. Pour des concentrations plus élevées ou lors d’ utilisation inadéquate, la contamination peut atteindre 100 µg/kg de lait. D’ autres études ont révélé une augmentation significative de la teneur en iode dans le lait à des concentrations élevées (1 %) ou en l’ absence d’ essuyage des trayons après l’ application du produit (élévation de la teneur de 784 µg/kg) [17]. La disparité des résultats reflète celle des protocoles d’ études (désinfection de tout le corps du trayon et de la partie distale). Dans tous les cas, ces valeurs restent inférieures à la plus faible concentration minimale inhibitrice (CMI) qui est de 10 µg/ml sur Streptococcus. Lorsque des iodophores sont utilisés pour le nettoyage des installations de traite, la qualité du rinçage est déterminante. Le risque d’ absorber et de relarger l’ iode est moindre pour le verre et l’ acier que pour le plastique et le caoutchouc [2]. Avec de bonnes conditions d’ utilisation, aucune augmentation de la teneur en iode dans le lait n’ est observée au-delà de 50 µg/kg.

3. Produits iodés autres que les iodophores

Des iodures (Na+, I-, K+) sont utilisés dans les traitements et les soins aux animaux, la teinture d’ iode et l’ alcool iodé comme antiseptiques à usage externe. L’ application de teinture d’ iode sur la peau entre l’ attache arrière de la mamelle et la vulve entraîne une augmentation de la concentration en iode dans le lait (absorption transcutanée et passage sanguin) [12]. Cette pratique peut présenter des risques pour la transformation (inhibition de la flore lactique).

4. Produits chlorés (hypochlorites, chlorhexidine)

Les produits chlorés ont une activité antibactérienne supérieure à celle des iodophores, mais ils sont plus irritants pour la peau, donc de moins en moins utilisés. Des études ont présenté l’ effet inhibiteur de la chlorhexidine sur la croissance des streptocoques (FIL-IDF, 1993). En revanche, aucune publication n’ existe sur le pouvoir inhibiteur des chlorophénols.

5. Acide peracétique et autres produits acides et alcalins

L’ acide peracétique est un bactéricide à fort pouvoir oxydant. Son spectre antibactérien est large (Gram+ et Gram-) avec un temps d’ action court, même à faible concentration. Il inhibe la croissance des Streptococcus lactis et cremoris dès les premiers microgrammes. Divers facteurs augmentent son activité : présence de peroxyde d’ hydrogène, pH bas et température élevée. Même en l’ absence de rinçage après désinfection des tanks à lait avec une solution d’ acide peracétique à la concentration élevée de 0,5 %, les quantités retrouvées dans le lait sont négligeables et sans effet sur le produit alimentaire fini [5]. Il en est de même pour les autres désinfectants acides (acides nitrique et phosphorique) et alcalins (soude et sel de sodium).

Inhibiteurs naturels : une cause de faux positifs

Le lait cru possède des propriétés bactériostatiques et bactéricides envers les agents de contamination (streptocoques, colibacilles, etc.) grâce à des constituants naturels, donc un effet inhibiteur potentiel. Le risque causé par les inhibiteurs naturels en technologie laitière n’ est pas négligeable, mais il reste minime par rapport à celui attribué aux antimicrobiens. Leur stabilité s’ altère après la traite et ils sont, pour la plupart, détruits par la chaleur : ils ne peuvent donc avoir une action inhibitrice que pour les produits au lait cru (tableaux complémentaires 3a et 3b). Leur présence peut toutefois interférer avec les tests de détection des résidus médicamenteux dans le lait cru. Des résultats faussement positifs sont ainsi obtenus, notamment si le protocole ne prévoit pas un préchauffage de l’ échantillon [10].

1. Système lactoperoxydase-thiocyanate-peroxyde d’ hydrogène (LTP)

Un complexe inhibiteur bactéricide vis-à-vis de Streptococcus pyogenes et bactériostatique vis-à-vis de Streptococcus agalactiae a été mis en évidence dans le lait cru par Jones et Simms dès 1930. Le système lactoperoxydase a montré in vitro des propriétés inhibitrices sur le développement de micro-organismes d’ altération (bactéries psychrotrophes), pathogènes (Listeria) et à signification hygiénique (entérobactéries) (encadré complémentaire 5).

2. Leucocytes

Les leucocytes présents dans le lait ont un pouvoir antimicrobien naturel car ils possèdent à leur surface de multiples enzymes, dont le système peroxydase-thiocyanate décrit précédemment [10].

3. Immunoglobulines

Ces anticorps présents dans le lait (agglutinines) sont actifs contre les streptocoques lactiques et les lactobacilles. Dans le lait mature de vache, leur concentration est seulement de 0,5 mg/ml (contre 1,5 mg/ml dans le lait de femme). Toutefois, les immunoglobulines filtrent plus facilement dans le lait de mammite et dans le colostrum (40 à 200 mg/ml) [21]. Elles sont détruites par un chauffage de 20 secondes à 82 °C.

Leur accumulation peut entraîner des défauts de fabrication : des agglutinats de ferments lactiques se forment, d’ où une forte acidification (pH normal du lait : 6,6 à 6,8). Le caillé montre alors des défauts de texture (de “lainure” : fissures avec liquide à saveur aigrelette) [6].

4. Complément

Cette série de protéines présentes dans le sang et le lait est principalement synthétisée par les cellules du foie. Le complément fonctionne comme une cascade enzymatique menant ultimement à la destruction de la cellule ou du pathogène (immunité). Il fonctionne aussi de concert avec les immunoglobulines afin d’ opsoniser(1) un agent pathogène et de promouvoir sa phagocytose. La concentration en protéines du complément est relativement faible pendant la lactation (0 à 0,12 ng/ml), mais plus élevée dans le colostrum et les sécrétions mammaires pendant la période sèche (0,18 à 50 ng/ml) [19, 25].

5. Lactoferrine et lactoferricine

Également dénommée lactotransferrine, la lactoferrine est une protéine sécrétée par les cellules de la glande mammaire en lactation. Elle est bactériostatique, bactéricide (envers Bacillus stearothermophilus et B. subtilis) et anti-inflammatoire en synergie avec le lysozyme [9]. Elle agit en captant le fer, au détriment des bactéries, dont la croissance est alors ralentie. La lactoferrine bovine est nettement plus saturée en fer que la lactoferrine humaine (environ 30 % contre 5 %) [16, 21]. Son taux est très bas dans le lait standard de vache (0,2 mg/ml, soit 100 fois moins que dans le lait humain), mais élevé dans le lait de mammite et dans le colostrum bovin (4 mg/ml, soit pratiquement les 5 à 15 mg/ml relevés dans le lait humain). La lactoferrine est inactive pour des valeurs de pH inférieures à 6 et dénaturée par un traitement thermique à 137 °C pendant 8 secondes.

La lactoferricine est un fragment de la lactoferrine 10 à 100 fois plus antimicrobien que cette dernière [19]. Elle ne peut à elle seule s’ attacher au fer. Peptide produit naturellement dans le système digestif des mammifères lors de la digestion de la lactoferrine du lait, la lactoferricine a un effet bactéricide, notamment sur Listeria monocytogenes, dès 0,3 mg/ml.

6. Lysozyme

Le lysozyme, enzyme naturellement sécrétée par les macrophages, est antibactérien contre les bactéries Gram+ (tel Bacillus stearothermophilus). Il peut toutefois, en synergie avec d’ autres composés antimicrobiens tels que la nisine, “attaquer” les bactéries Gram-. Il est sensible aux traitements thermiques, mais résiste aux protéases [16]. La teneur du lait de vache est seulement de 1 µg/ml (3000 fois inférieure à celle du lait humain). Également baptisé E 1105, le lysozyme est principalement utilisé commercialement pour l’ affinage de fromages à pâte pressée et à pâte molle, car il inhibe la croissance de Clostridium tyrobutyricum, dont la présence dans le fromage en formation entraîne, d’ une part, la production d’ acide butyrique (flaveur anormale), et, d’ autre part, une concentration excessive, d’ hydrogène et de dioxyde de carbone (fissures et fendillements).

7. Nisine

Métabolite secondaire synthétisé naturellement par les souches de Lactococcus lactis, la nisine joue un rôle protecteur dans le lait cru contre le développement de pathogènes comme Listeria (en inactivant les cystéines de la membrane cytoplasmique de la bactérie, provoquant sa rupture). Conservateur naturel, ses applications alimentaires sont toutefois restreintes (aucune action sur les bactéries Gram ni sur les levures ni sur les moisissures, perte d’ activité aux alentours d’ un pH 4 et en dessous de 20 °C, immobilisation par les graisses et les autres composés alimentaires). C’ est une bactériocine autorisée comme additif alimentaire (E 234) dans les fromages affinés, fondus, ou dans le mascarpone () [4]. Elle inhibe notamment la formation de gaz due à Clostridium lors de la fabrication des fromages fondus (à partir de 2 µg/ml). Elle permet de contrôler la croissance de bactéries lactiques telles que Lactobacillus bulgaricus qui, à température ambiante, se multiplient et rendent acide le produit laitier (non consommable après quelques jours) [13]. Son utilisation est délicate pour les autres fromages (fromages frais ou à pâte persillée : risque d’ inhibition des bactéries lactiques thermophiles) [18].

8. Acides gras libres

Les acides gras libres ont un pouvoir inhibiteur (ils lysent la paroi bactérienne), mais faible. Leur impact est favorisé dans les laits subissant l’ action des lipases (actives à basses températures et thermorésistantes) [11].

Médicaments non anti-infectieux et conservateurs

Les autres substances médicamenteuses sont moins bien renseignées que les anti-infectieux : les valeurs de CMI/CMB (ou processus de fabrication entravés) sont souvent inconnues (tableau complémentaire 4).

1. Antiparasitaires

Des antiparasitaires sont cités parmi les substances potentiellement gênantes en cas de présence dans le lait destiné à la transformation, mais la majorité des médicaments de cette famille sont contre-indiqués chez les vaches laitières en lactation (ivermectine, moxidectine, ou clorsulon) (tableau 5 et encadré 6 complémentaires) [20, 24]. Ceux qui sont autorisés ne possèdent pas de propriétés inhibitrices suffisamment puissantes pour perturber les technologies fromagères, sauf les benzimidazoles (décrits comme inhibiteurs). Si des anthelminthiques (strongylicides et fasciolicides) sont parfois incriminés lors d’ accident d’ inhibition, leur activité antimicrobienne, ou celle de leurs métabolites, n’ a jamais été démontrée. Certaines préparations peuvent provoquer des incidents d’ acidification et d’ égouttage lors de fabrication d’ emmental (). Une activité inhibitrice (antifongique) a été mise en évidence pour le fenbendazole, l’ oxfendazole, le fébantel et le lévamisole (ce dernier est interdit chez les vaches en lactation) (travaux de Longin-Sauvageon avec l’ ENV de Lyon). À des teneurs résiduelles suffisantes, ces molécules saturent les sites de fixation des protéines lactiques. La fraction libre est capable d’ exercer un effet inhibiteur antifongique. Le séchage des fromages à pâte cuite est alors perturbé (compte rendu ITEB n° 90071). Le thiabendazole est aussi reconnu pour ses effets antifongiques à l’ égard de Penicillium roquefortii, mais il perturbe uniquement les maturations des fromages de chèvre et de brebis (à la différence de ce qui est observé chez la vache, il est excrété, non transformé, et non sous forme hydroxylée, inoffensive) [20].

2. Conservateurs

Parmi les adjuvants antimicrobiens destinés à conserver les médicaments, les dérivés organomercuriels sont inclus dans les vaccins pour prévenir la contamination bactérienne dans les flacons entamés. En médecine vétérinaire, seuls les vaccins multidoses peuvent contenir du mercurothiolate de sodium (règlement Céé n° 2377/90), ainsi que des traitements ophtalmiques (par exemple VT 3®) [3]. Parfois mis en cause, la plupart des conservateurs sont mal révélés par les analyses officielles. Les dérivés organomercuriels pourraient être détectés, mais il a été démontré que le mercurothiolate de sodium ne donne pas au lait de propriétés inhibitrices à la concentration maximale prévue par la pharmacopée française (50 ml par vache) [22, 23]. Seule une concentration anormalement élevée entraîne une analyse positive [22].

3. Anesthésiques, antalgiques et hormones

Dans ces familles de médicaments, aucune donnée particulière sur l’ effet inhibiteur n’ a été répertoriée.

D’ autres substances non médicamenteuses ont été visées par notre travail de recherche bibliographique systématique sur le pouvoir inhibiteur des molécules qui pourraient théoriquement se retrouver dans le lait : polluants organiques persistants, métaux lourds, nitrates, aflatoxines et radio-éléments (encadrés complémentaires 7 et 8). Nos recherches ont rencontré des limites car de nombreuses publications datent d’ une vingtaine d’ années au moins. Les plus récentes et les plus complètes ne concernent que les antibactériens, ou presque. L’ implication majeure de ces derniers dans les accidents inhibiteurs ne devrait pas occulter l’ importance de conduire aussi des travaux de recherche sur le potentiel inhibiteur des autres substances, même si leur effet est présumé nul, par précaution.

  • (1) Action de fixer des opsonines à la surface des bactéries, afin de faciliter leur phagocytose.

  • (2) Voir l’ article “Une étude quantitative sur l’ usage des médicaments” de F. Bendali, dans ce numéro.

Encadré 1 : Notions d’ inhibiteur et de résidu

• Les termes de résidu et d’ inhibiteur désignent des quantités résiduelles de substances anormalement présentes dans le lait, mais tout résidu n’ est pas obligatoirement inhibiteur [1].

• Pour les industriels laitiers, les inhibiteurs regroupent « l’ ensemble des substances capables d’ inhiber à faible concentration le processus vital des micro-organismes, et dont la présence dans le lait a pour effet de ralentir ou de bloquer les fermentations sur lesquelles reposent un certain nombre de fabrications » [11].

• Les transformateurs et les distributeurs abordent parfois conjointement les risques inhibiteurs et résidus car, de leur point de vue, même si sa transformation est possible, la commercialisation d’ un lait dans lequel le consommateur craint de retrouver des substances non naturelles en quantité substantielle est difficile.

Encadré 2 : Les inhibiteurs pénalisent diverses préparations laitières

Pour les yaourts

Les ferments lactiques utilisés en transformation de yaourt (Streptococcus thermophilus et Lactobacillus bulgaricus) sont particulièrement sensibles aux antimicrobiens. Leur inhibition partielle ou totale se traduit par un ralentissement de l’ acidification qui peut empêcher la coagulation du lait.

Pour les fromages

La présence d’ inhibiteurs entraîne une fermeté insuffisante du caillé (celui-ci reste gorgé de lactosérum), nuisant à l’ égouttage des fromages. Le développement de la flore d’ affinage et l’ action des enzymes sont modifiés. La pâte est plus facilement envahie par des bactéries indésirables. Ainsi, le défaut d’ acidification favorise le développement des bactéries coliformes, qui dégradent le lactose et l’ acide lactique. Du dioxyde de carbone se dégage, qui forme de nombreuses cavités dans la pâte (allure spongieuse).

Pour le beurre

L’ inhibition de la fermentation lactique entraîne une insuffisance d’ acidification de la crème, donc des difficultés de barattage, ainsi que des pertes accrues de matière grasse dans le babeurre. Les ferments d’ arôme (Streptococcus diacetilactis, Leuconostoc citrovorum), particulièrement sensibles, sont aussi inhibés.

Encadré 3 : Un risque technologique à tendance commerciale

• Le risque lié aux inhibiteurs est avant tout technologique, par la définition même de ce terme : la transformation du lait est empêchée ou bien le rendement abaissé. Des flaveurs anormales et le développement de flores indésirables sont aussi à craindre. La présence d’ inhibiteurs dans le lait a des répercussions économiques et commerciales. Malgré des campagnes de sensibilisation auprès des producteurs, des millions de litres de lait de vache sont encore écartés de la transformation en raison de la présence d’ inhibiteurs (environ dix en 2003).

La présence dans le lait cru d’ inhibiteurs en quantité supérieure à la limite maximale de résidus (LMR) en interdit la commercialisation et peut perturber les échanges internationaux [11].

• La dépréciation de l’ image du lait est aussi redoutée, amenant les transformateurs à appréhender la notion d’ inhibiteurs assez largement.

Encadré 4 : Un risque bien encadré

• Pour contrôler le danger de la production, la recherche d’ inhibiteurs s’ effectue à la fois sur les laits de troupeaux (100 000 sont analysés au moins trois fois par mois par les laboratoires interprofessionnels) et sur les laits de citerne (analyse systématique à l’ arrivée à l’ usine).

• Différents tests permettent de déceler les inhibiteurs dans le lait, utilisés sur le terrain (élevage ou cabinet vétérinaire), en laiteries et en laboratoires d’ analyses interprofessionnels.

• Afin de s’ assurer de l’ efficacité de détection de substances inhibitrices dans le lait par les tests actuels, il est important d’ avoir une vision optimale des molécules utilisées en élevage laitier. Des enquêtes ont été réalisées à la fois chez les principaux prescripteurs (vétérinaires) et chez les utilisateurs (éleveurs) par l’ Institut de l’ élevage(2).

POINTS FORTS

• Les bactéries lactiques sont particulièrement sensibles aux antibactériens.

• Les excès d’ apport alimentaire en iode peuvent présenter des risques pour la transformation (altération organoleptique, inhibition de la flore lactique).

• Les ammoniums quaternaires sont interdits en industries laitières françaises car ils présentent des propriétés d’ adhésion aux surfaces qui peuvent entraîner des accidents inhibiteurs.

• Les inhibiteurs naturels du lait perturbent peu les transformations laitières, mais peuvent provoquer des faux positifs aux tests de détection.

Remerciements

à M. Jean-Pierre Moretain du Laboratoire national de référence pour les résidus de médicaments vétérinaires à l’ Afssa, à Fougères (35).

Références

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