Lésions trachéales induites lors de l’anesthésie - Le Point Vétérinaire n° 289 du 01/10/2008
Le Point Vétérinaire n° 289 du 01/10/2008

ANESTHÉSIE ET RÉANIMATION CANINE

Infos

ANALYSE D'ARTICLE

Auteur(s) : Jean-Guillaume Grand

Fonctions : Clinique vétérinaire
8, boulevard Godard, 33300 Bordeaux

Le collapsus trachéal (ou trachéobronchomalacie) est l’affection trachéale la plus fréquemment rencontrée devant les corps étrangers et les déchirures. Ces dernières peuvent être consécutives à des morsures de chiens, des accidents de la voie publique, des chutes, ou avoir une origine iatrogénique postanesthésique. Les ruptures et les sténoses trachéales sont des complications bien connues en anesthésie humaine à la suite d’une intubation endotrachéale. Elles sont également rapportées chez le chat et le cheval [1, 8, 9, 11, 13]. Cet article présente le deuxième cas rapporté de lésion trachéale sévère postintubation endotrachéale chez le chien [9].

Causes de lésions trachéales lors d’anesthésie

Plusieurs mécanismes sont associés à la survenue de lésions de la trachée après une intubation endotrachéale. Ces lésions peuvent être induites par l’oxyde d’éthylène, utilisé pour la stérilisation des tubes endotrachéaux, par la taille inadaptée de la sonde endotrachéale, le gonflement excessif du ballonnet, une mauvaise solidarisation de la sonde à l’animal, des changements multiples de position en cours d’anesthésie, ou un rapport pression/volume d’insufflation inadapté. Les tubes endotrachéaux sont ronds contrairement à la trachée (de forme ovalaire aplatie dorso-ventralement), ce qui génère des pressions excessives sur certaines portions. Ceux avec un ballonnet asymétrique peuvent amplifier ce trouble et le ballonnet “pilote” n’est pas un bon indicateur de la pression sur la paroi trachéale. Ce dernier renseigne simplement sur la présence d’air dans le ballonnet [6]. L’hyperinflation du ballonnet peut accentuer l’hyperpression sur la muqueuse trachéale et entraîner une ischémie par compression des vaisseaux sanguins. Des pressions de une à trois fois la pression artérielle systémique sont atteintes au niveau des points de contact entre le ballonnet et la paroi de la trachée [3]. Une hypotension peranesthésique (pression artérielle systolique moyenne inférieure à 60 mmHg) peut contribuer à aggraver la diminution de la perfusion trachéale. La ventilation à pression positive intermittente (IPPV) est une autre cause potentielle de lésion trachéale. Une ventilation à pression élevée et faible volume est susceptible d’entraîner une occlusion des capillaires de la muqueuse et de la sous-muqueuse de la trachée [3].

En condition expérimentale, une pression de surface de 20 mmHg est suffisante pour occlure les capillaires [1]. L’épithélium cilié est lésé après quatre heures à cette pression et une inflammation se développe dans les 24 heures. L’épithélium cilié se régénère ensuite en 7 à 14 jours [12]. La nécrose peut toucher toute la circonférence de la trachée [3]. Le tissu de granulation comble le déficit trachéal et, par contraction, génère une sténose secondaire. Chez le chat, des pressions excessives sur la paroi trachéale entraîne essentiellement des déchirures de la membrane trachéale dorsale [5].

Précautions à prendre

Plusieurs précautions permettent de réduire la survenue de ces lésions trachéales. Les sondes doivent être lubrifiées préalablement (avec un gel à base de lidocaïne le plus souvent), le gonflement du ballonnet doit être modéré, celui-ci étant suffisant lorsque les fuites respiratoires (audibles au niveau de la gueule de l’animal) disparaissent. La sonde endotrachéale doit être déconnectée du circuit d’anesthésie lors de tout retournement du sujet (le lien solidarisant la sonde doit être serré fortement autour de celle-ci mais juste posé autour du maxillaire ou de la mandibule pour prévenir une nécrose des babines). Enfin, la mise en place d’une IPPV doit se réaliser avec un volume élevé et une pression faible (inférieure à 15 mmHg) [6].

Suspecter une lésion trachéale

Après une anesthésie générale, tout animal qui présente de la toux, une dyspnée, de l’emphysème sous-cutanée cervical ou à l’entrée de la poitrine doit être suspect de lésion trachéale [2, 11]. Les petites lacérations trachéales sont généralement asymptomatiques et autolimitantes. Elles doivent être sévères pour générer un emphysème sous-cutanée ou un pneumothorax [11]. En cas de toux postopératoire sans autres signes cliniques associés, un traitement médical est préconisé. Il repose sur du repos et un apport d’antitussifs (codéine, glucocorticoïdes). Lors de persistance de la toux ou de dyspnée, des procédures d’imagerie médicale (radiographies thoraciques sans contraste, trachéobronchographie à contraste positif ou tomodensitométrie) et une trachéobronchoscopie sont indiquées. Les examens complémentaires permettent d’exclure d’autres affections concomitantes (pneumomédiastin, pneumothorax), de dresser un bilan lésionnel (nature de la lésion, sa localisation, son intensité) et de planifier un éventuel acte thérapeutique. La radiographie thoracique latérale doit être réalisée avant l’induction de l’anesthésie si l’état de l’animal le permet afin d’exclure un pneumomédiastin ou un pneumothorax. À défaut, une thoracocenthèse diagnostique est pratiquée. Un pneumothorax sous-tension peut en effet se former lors de l’instauration d’une IPPV.

Options thérapeutiques

Lors de nécrose de la muqueuse trachéale supérieure à 35 % de la circonférence de la trachée, une résection et une anastomose trachéale sont indiquées [11]. Le choix de la voie d’abord s’effectue en fonction de la localisation de la lésion. Lors de lésion moins étendue, celle-ci est simplement débridée. Ce parage se réalise sous contrôle endoscopique ou par une approche chirurgicale. Sous endoscopie, le site est débridé à l’aide de pinces à préhension. Une application de mitomycine C(1) pendant cinq minutes sur la zone de nécrose permet de limiter la formation d’un tissu de granulation exubérant en phase postopératoire [4].

Un choix raisonné du diamètre de la sonde endotrachéale, sa lubrification, une solidarisation correcte de celle-ci, un gonflement modéré du ballonnet et le respect des “bonnes pratiques de ventilation” permettent de minimiser la survenue de lésions trachéales postanesthésiques.

  • (1) Principe actif sans AMM vétérinaire.

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