Apporter de la valeur ajoutée au suivi de reproduction - Le Point Vétérinaire n° 289 du 01/10/2008
Le Point Vétérinaire n° 289 du 01/10/2008

Visites d’élevage en production laitière

Mise à jour

CONDUITE À TENIR

Auteur(s) : Laurent Alves de Oliveira*, Marie-Anne Arcangioli**, Luc Mounier***, Pauline Otz****, Gilles Le Sobre*****, Jos P. Noordhuizen******

Fonctions :
*ENV de Lyon
**Groupe de médecine
des populations
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-L’Étoile
***ENV de Lyon
****Groupe de médecine
des populations
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-L’Étoile
*****ENV de Lyon
******Groupe de médecine
des populations
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-L’Étoile
*******ENV de Lyon
********Unité clinique rurale
de l’Arbresle
69210 L’Arbresle
*********ENV de Lyon
**********Unité clinique rurale
de l’Arbresle
69210 L’Arbresle
***********ENV de Lyon
************Groupe de médecine
des populations
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-L’Étoile
*************VACQA-International,
Portugal

Le suivi de reproduction est l’occasion pour le praticien d’effectuer une évaluation diagnostique globale de l’élevage afin de renforcer la relation de confiance avec l’éleveur.

Le suivi de reproduction dans les élevages de vaches laitières est réalisé depuis des décennies. Ce service vétérinaire est apprécié par la plupart des éleveurs, mais des situations d’insatisfaction sont observées, lorsque les troubles persistent ou qu’aucun progrès n’est constaté.

Le suivi de reproduction ne devrait pas être considéré comme une discipline isolée. Il gagnerait en valeur en y adjoignant une évaluation dans les autres domaines qui lui sont liés, dont l’alimentation et les affections du pied en particulier.

Il s’agit alors de proposer une approche large, mais pas trop, c’est-à-dire qui aborde tous les aspects de l’élevage sans demander un investissement humain excessif. La méthode doit être simple, rapide, réalisable sur le terrain et peu onéreuse.

Chaque visite ne doit pas durer plus de 90 minutes dans les petits troupeaux, 120 minutes dans les grands. Des visites régulières s’imposent, une fois par mois environ, avec une bonne organisation du travail. Un emploi du temps précis doit être mis en place.

Étape 1 : cœur de la visite : suivi de reproduction

1. Une composante négligée

Des programmes de suivi de reproduction des troupeaux de vaches laitières sont réalisés presque partout en France [2, 8].

La taille des troupeaux et les conditions d’élevage, ainsi que la qualité de la gestion diffèrent énormément entre les régions, mais le suivi de reproduction comprend en principe deux composantes :

– l’examen des vaches spécifiques examinées pour une ou des raisons données (infertilité, infécondité, etc.) ;

– l’analyse des données de reproduction et le calcul des paramètres significatifs pour évaluer la performance du troupeau [4, 6].

Si la première composante reste fondamentale, la seconde semble souvent oubliée ou négligée par manque de données ou d’investissement du vétérinaire [4]. Cela peut constituer un facteur de perte de motivation des éleveurs pour le suivi à long terme. Examiner les données permet d’obtenir un retour sur l’efficacité du suivi effectué, de dégager des points forts et faibles, et d’orienter les conseils vers les améliorations à effectuer. Un suivi complet est économiquement profitable pour l’éleveur [7, 12].

2. Rappel sur l’examen “repro” orienté

Plusieurs catégories de vaches à examiner sont définies, sélectionnées par l’éleveur et/ou le vétérinaire en début de visite de suivi (tableau 1) [8]. Elles peuvent aussi être sélectionnées à partir d’un logiciel de suivi de reproduction.

Les catégories sont à définir en fonction des objectifs techniques de reproduction du troupeau. Ces choix ont des conséquences sur le suivi [2].

Par exemple, un niveau moyen de production laitière de troupeau de 8 000 l par vache prim’holstein par an peut être, sans anomalie, accompagné d’un intervalle entre vêlages de 380 à 390 jours. L’intervalle entre le vêlage et l’insémination fécondante peut donc être allongé (autour de 100 à 110 jours) et la première insémination n’avoir lieu qu’autour de 70 jours [4, 6]. Les chiffres avancés ne sont que des moyennes. En raison de l’importance des variations entre vaches dans un même troupeau pour les paramètres de reproduction, et sachant qu’une seule insémination suffit rarement, il est préconisé de commencer à inséminer à partir de 50 jours après vêlage en moyenne.

3. La thérapeutique individuelle : opportunité pour l’abord global

Des traitements sont souvent envisagés à l’issue des examens individuels (prostaglandine par exemple). Dès cette étape, il est important d’avoir une approche globale du troupeau. L’efficacité même du traitement proposé est en jeu. Une infertilité peut avoir comme cause un bilan énergétique négatif (BEN), une cétose. Britt a posé l’hypothèse en 1992 que, dans une situation de BEN ou de cétose, les follicules n’atteignent pas le stade dominant ou ovulatoire par manque d’énergie [5]. Ces follicules, à peu près toujours présents, mettent environ 70 jours pour se développer jusqu’à ce stade. Le développement s’effectue par vagues. Tant que le BEN persiste, aucune ovulation ne se produit, et des injections de prostaglandines n’ont aucun effet. Les preuves que l’hypothèse de Britt est valable s’accumulent ces dernières années [1, 9, 13].

4. Rappel sur l’analyse des données

De nombreuses publications détaillent l’analyse des données de reproduction de l’élevage [4, 6, 8, 10, 14, 15].

Différents paramètres peuvent être calculés (encadré). Ils sont généralement comparés avec les valeurs de référence de la région ou d’un groupe d’élevages comparables, et avec les objectifs techniques de l’élevage. Cette analyse permet de détecter les anomalies et de distinguer les points qui nécessitent une attention particulière de l’éleveur afin que la situation s’améliore (tableau 2).

Ajoutée à ces deux composantes historiques du suivi de reproduction, une approche diagnostique globale du troupeau permet de gagner encore en efficacité pour proposer des voies d’amélioration. Au moins trois domaines doivent être étudiés : les vaches, leur environnement, les données de l’élevage.

Étape 2 : activité additionnelle : les vaches

Les observations complémentaires sur les vaches sont fondamentales pour l’évaluation diagnostique globale de l’élevage et pour la mise en évidence de ses points faibles.

1. Quelles observations et pourquoi ?

Chez les vaches, diverses observations doivent être effectuées dans le cadre d’une approche globale :

– la propreté des cuisses et de la mamelle est associée aux risques de mammite ;

– les lésions podales et des membres sont associés à une mauvaise expression des chaleurs, et à une mauvaise consommation des aliments, donc à une baisse de production ;

– des cas cliniques de maladies peuvent aussi être associés à une mauvaise expression des chaleurs et à une infécondité (tableau 3).

Il existe des grilles de notation destinées à faciliter en partie l’observation (figure 1). Des notes (de 1 à 5) sont données, et des références par stade de lactation sont disponibles [3, 16].

2. Quelles vaches ?

Ces observations doivent être effectuées à l’échelle du troupeau sur un minimum de 25 % des vaches (avec un minimum de 10 vaches), ainsi que sur les vaches à examiner pour le suivi. Les observations réalisées à l’échelle du troupeau donnent des indications globales (référence troupeau). Celles effectuées de manière individuelle (les cas) facilitent l’examen. Il est également possible de s’intéresser à un groupe particulier du troupeau, comme les vaches en début de lactation pour avoir des données plus ciblées. Pour l’observation globale, il convient de passer devant et derrière les vaches (attachées aux cornadis), et de regarder de manière aléatoire pour ne pas biaiser les informations. Par exemple, il est possible de considérer une vache sur deux ou sur trois.

En général, pour le suivi de reproduction strict, la plupart des vaches à examiner sont en début de lactation (jusqu’à 100 jours globalement), c’est-à-dire dans une catégorie à risque élevé de troubles de la santé ou de baisse de production (qualitative ou quantitative). Une feuille récapitulative de suivi global peut être utilisée (figures 2 et 3).

3. Fréquence et modalités

Seules certaines observations sont à effectuer à chaque visite de suivi, en particulier :

– la note d’état corporel ;

– le remplissage et la motricité du rumen ;

– la consistance et la fibrosité des bouses.

Les autres sont à planifier. La croissance des veaux est contrôlée deux fois par an (début et fin d’hiver), tout comme la callosité des trayons contrôlée de préférence autour du pic de production du troupeau. L’observation individuelle peut être effectuée au moment de la palpation rectale :

– avant d’introduire le bras, la note d’état corporel et le remplissage du rumen sont établis ;

– en vidant le rectum de ses bouses, leur consistance et leur fibrosité sont évaluées ;

– après la palpation (ou avant), les aplombs sont jugés et notés (panarde, piétinante, lésions aux jarrets), ainsi que la qualité des pieds (forme et longueur des onglons) ;

– les anomalies de mamelle sont consignées (callosité des trayons, anneaux à la base, quartiers gonflés ou secs) ;

– la propreté de la vache est notée.

Ces observations complémentaires ne prennent que deux minutes pour un vétérinaire expérimenté en reproduction et bien formé à la notation de ces aspects. La sensibilité et la spécificité, ainsi que les valeurs prédictives de chaque observation considérée isolément sont peut-être faibles, mais leur combinaison et leur comparaison entre les visites augmentent la quantité de l’information récoltée et sa fiabilité, suffisamment pour optimiser le conseil à l’éleveur.

4. Implication de l’éleveur

L’efficacité de cette approche peut encore être améliorée si l’éleveur est impliqué. Concrètement, celui-ci reporte les notes sur la feuille d’examen des vaches. Une discussion peut s’engager facilement après la collecte des observations car les critères sont assez simples. Avec un éleveur mieux formé dans le domaine de l’identification et de la maîtrise des facteurs de risque de troubles multifactoriels, l’intervention sanitaire évolue du curatif au préventif, et le rendement économique s’améliore.

Étape 3 : activité additionnelle : environnement

Pendant les palpations transrectales et l’observation des autres paramètres ou après avoir lâché (laissé partir) les vaches, il est important d’évaluer l’environnement de celles-ci (tableau 4). Le logement est évalué globalement sur les points suivants :

– l’hygiène et la qualité des aires d’exercice et de couchage (glissant, raclages, etc.) ;

– l’ambiance (ventilation, humidité et température, luminosité) ;

– la qualité et la disponibilité de l’alimentation et de l’eau.

L’observation doit être effectuée du point de vue des vaches et de la pratique quotidienne, et non de celui des hommes.

L’observation de l’environnement oriente le praticien vers des facteurs de risque pouvant contribuer aux troubles de la reproduction (entre autres). Par exemple, un sol glissant et mal raclé occasionne des lésions de pieds, cliniques ou subcliniques (fourbure, fourchet, ulcérations de la sole, maladie de Mortellaro), facteurs de risque potentiels pour l’expression des chaleurs (chevauchements). Une hygiène défectueuse du logement et des vaches peut favoriser les métrites. Une mauvaise qualité des rations peut participer, surtout en début de lactation, au bilan énergétique négatif (BEN) et à la cétose qui sont des facteurs de risque d’inséminations infécondes.

Étape 4 : activité additionnelle : autres données d’élevage

L’examen des données est souvent négligé par les vétérinaires et les éleveurs, et pas seulement celles strictement afférentes à la reproduction. D’autres informations écrites riches d’enseignements, même pour le non-spécialiste, méritent un examen (tableau 5).

Par exemple, les documents du contrôle laitier de deux pesées successives peuvent contenir des indications de cétose ou d’acidose ruminale, chez les vaches en début de lactation (de 20 à 80 jours) :

– pour la cétose : baisse de taux protéique (TP), hausse relative de taux butyreux (TB), baisse de production en litres de lait ;

– pour l’acidose : baisse de TB, et rapport TB sur TP proche de 1.

Dans le cadre du suivi, il n’est pas nécessaire de s’intéresser à une vache en particulier et ni chercher la vache “à problème”. Il convient plutôt de viser une approche diagnostique globale des données. Cela est aussi vrai pour l’examen des documents sur la ration lors de recherche d’acidose et/ou de cétose.

Cibler un groupe particulier de bovins dans le troupeau peut néanmoins faciliter le travail (par exemple, vaches en début de lactation).

Les ajouts au suivi de reproduction sont nés du besoin d’entretenir la motivation en proposant un meilleur service et d’en améliorer la rentabilité économique [7, 12].

L’évaluation diagnostique globale pendant les visites, incluant les vaches et leur environnement, peut permettre d’améliorer le niveau de performance en reproduction et les performances économiques de l’élevage. Les points forts/faibles de l’élevage sont mis en évidence. En particulier, des tendances peuvent être dégagées : vers l’amélioration ou la dégradation.

Une certaine formation et de l’expérience sont nécessaires au praticien pour pouvoir s’imprégner de l’esprit de cette procédure.

L’identification des facteurs de risque pour la reproduction et leur maîtrise représentaient un terrain jusqu’ici mal exploré et sous-estimé, malgré les pertes associées [8, 11]. Cette méthode désormais utilisée et enseignée dans plusieurs institutions universitaires et de formation (dont l’ENV de Lyon et l’Unité clinique rurale de l’Arbresle, ainsi que la Société nationale des groupements techniques vétérinaires) a prouvé depuis des années la valeur ajoutée qu’elle donne aux programmes de suivi de la reproduction [4]. Pour les vétérinaires, c’est une opportunité de renforcer leur activité sur le terrain.

Références

  • 1 - Beam SW, Butler WR. Effect of negative energy balance on follicular development and first ovulation in postpartum dairy cows. J. Reprod. Fertility. 1999 ; suppl54 : 411-424.
  • 2 - Bedouet J, Seegers H. Action de maîtrise des performances de reproduction et suivis de troupeau en élevage bovin laitier : détermination des objectifs et mise en œuvre pratique. Recueil des Journées Nationales GTV.1998.
  • 3 - Berry SL. Locomotion scoring in dairy cattle. Document interne ZINPRO Corporation, Eden Prairie, MN, USA. 2003.
  • 4 - Brand A, Noordhuizen JPTM, Schukken YH. Herd health and production management in dairy practice. 2nd ed. Wageningen Academic Publishers, Wageningen, The Netherlands. 2001.
  • 5 - Britt JH. Impacts of early postpartum metabolism on follicular development and fertility. The Bovine proceedings. 1992 ; 24 : 39-43.
  • 6 - De Kruif A, Mansfeld R, Hoedemaker M. Tierarztliche Herdenbetreuung beim Milchrind. 2nd edition, Enke Verlag, Stuttgart, Germany
  • 7 - Dijkhuizen AA. The profitability of herd. health control in cattle. Landbouwk. Tijdschrift 1990 ; 102 : 12-16.
  • 8 - Ennuyer M. Approche francaise globale des suivis de fécondité. Point Vét. 2005 ; sp Reproduction des ruminants - maîtrise des cycles et pathologie : 42-49.
  • 9 - Jorritsma R, César ML, Hermans JT, Kruitwagen, CLJJ, Vos PLAM, Kruip TAM. Effects of non-esterified fatty acids on bovine granulosa cells and developmental potential of oocysts in vitro. Anim. Reprod. Sci. 2004 ; 81(3-4)225-235.
  • 10 - Seegers H, Mahler, X. Analyse des résultats de reproduction d’un troupeau laitier. Point Vét. Numéro spécial, 1996 ; 28 : 971-979.
  • 11 - Seegers H. Economics of the reproductive performance of dairy herds. In : Proceedings du XXIVth World Buiatrics Congress, Nice, France. 2006 : 292-302.
  • 12 - Sol J, Renkema JA, Stelwagen J, Dijkhuizen, AA, Brand A. A three year herd health and production management programme on 30 Dutch dairy herds. Vet. Quarterly. 1984 ; 6 : 141-169.
  • 13 - Sovan S, Heuer C, van Straalen WM, Noordhuizen JP. Disease in high producing dairy cows following postparturient negative energy balance. Proceedings of the Society for Veterinary Epidemiology and Preventive Medicine, Edinburgh, Scotland, UK. 29-31 March 2003.
  • 14 - Vallet A, Berny F, Pimpaud JY, Lavest E, Lagrive L. Facteurs d’élevage associés à l’infécondité des troupeaux laitiers dans les Ardennes. Bulletin Technique GTV. 1997 ; 1 : 23-36.
  • 15 - Vallet A, Paccard P, Dumonthier P. Méthode d’analyse des causes de l’infécondité d’un troupeau laitier. Institut de l’Élevage.1998 : 45p.
  • 16 - Zaaijer D, Noordhuizen JPTM. A novel scoring system for monitoring the relationship between nutritional efficiency and fertility in dairy cows. Irish Vet J. 2003 ; 56 : 145-151.

Encadré : Rappel sur l’analyse des données “reproduction”

Différents paramètres reproduction peuvent être calculés :

– les intervalles entre le vêlage et la première ovulation, la première chaleur, la première insémination, la dernière insémination, la gestation et le vêlage suivant ;

– le taux de réussite à la première insémination, le taux de vaches nécessitant trois inséminations ou plus ;

– le taux de vaches observées en chaleur entre 50 et 70 jours après le vêlage ;

– le taux de vaches avec un trouble de la reproduction (par exemple : rétention placentaire, métrite, kystes ovariens).

Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr