Problématique de l’antibiorésistance - Le Point Vétérinaire n° 287 du 01/07/2008
Le Point Vétérinaire n° 287 du 01/07/2008

Antibiothérapie et antibioprophylaxie

Mise à jour

LE POINT SUR…

Auteur(s) : Romain Béraud Jérôme Del Castillo*, Louis Huneault**

Fonctions :
*Service de chirurgie des petits animaux
Faculté de médecine vétérinaire CP 5000 Saint-Hyacinthe Canada
**Service de chirurgie des petits animaux
Faculté de médecine vétérinaire CP 5000 Saint-Hyacinthe Canada

L’antibiorésistance fait débat en médecine vétérinaire. À travers l’exemple des résistances aux fluoroquinolones, les moyens de lutte contre le développement de ce phénomène sont explorés.

Depuis plusieurs années, les scientifiques se penchent sur les conséquences de l’utilisation des antibiotiques chez l’homme et l’animal, en raison de l’émergence rapide et importante de bactéries résistantes. L’administration inappropriée d’antibiotiques a en effet un impact majeur sur la sélection de bactéries résistantes de la flore pathogène, mais également de la flore commensale. De nombreuses recommandations et restrictions ont ainsi été établies, afin de limiter et de raisonner l’usage des antibiotiques.

Les mécanismes d’émergence de résistances bactériennes sont tout d’abord succinctement rappelés, puis appliqués à l’exemple des fluoroquinolones (FQ). La dernière partie de cet article est consacrée aux diverses précautions et mesures que tout vétérinaire peut mettre en place dans le cadre de son activité, afin de limiter l’émergence de résistances.

Mécanismes généraux de l’antibiorésistance

Par définition, l’antibiorésistance correspond, pour une bactérie, à la capacité de croître et de se multiplier lorsqu’elle est exposée à un antibiotique qui, normalement, inhiberait son développement ou la détruirait. Certaines bactéries présentent intrinsèquement des sensibilités faibles, voire nulles vis-à-vis de certaines classes d’antibiotiques. Cette résistance naturelle fait plus référence à une caractéristique connue d’un genre bactérien qu’au développement inattendu d’une antibiorésistance.

D’un point de vue général, le développement d’une antibiorésistance est le résultat soit de l’apparition d’une mutation dans la population bactérienne, soit de l’acquisition d’un gène de résistance par un membre de la population. Ce développement est le fruit d’un processus dynamique. En premier lieu, une mutation génétique confère à des bactéries un certain degré de résistance vis-à-vis d’un antibiotique. Ces mutations surviennent indépendamment de la présence de l’antibiotique. L’exposition éventuelle de la bactérie mutante à l’antibiotique concerné sélectionne alors ce caractère de résistance (pression de sélection) en éradiquant les bactéries sensibles. Enfin, l’échange de cette information génétique entre divers bactéries et “hôtes” porteurs de celles-ci (chez l’animal et l’homme), de manière accrue lors de conditions environnementales favorables, permet la propagation de la mutation.

1. Mutations et sélection d’un gène de résistance bactérienne

L’émergence d’une résistance à un antibiotique découle de mutations génétiques sur certains gènes, qu’ils soient chromosomiques ou plasmidiques. Une mutation est un processus normal qui se produit sporadiquement lors de la réplication bactérienne [1, 22]. Bien que la majorité de ces mutations soient délétères pour la bactérie, elles peuvent procurer à cette dernière une résistance vis-à-vis d’un antibiotique. Néanmoins, l’exposition d’une bactérie à un agent antibiotique n’a aucun effet sur l’induction de mutations [22].

Ces mutations peuvent induire une résistance par deux catégories de mécanismes :

- des mécanismes pharmacocinétiques (diminution du niveau d’exposition de la cible à l’antibiotique) par réduction de la diffusion de l’antibiotique à travers la paroi cellulaire et la membrane cytoplasmique, augmentation de l’élimination active de l’antibiotique hors de la cellule par les pompes à efflux et biotransformation de l’antibiotique (par exemple, par la production d’enzymes inactivantes comme les β-lactamases) ;

- des mécanismes pharmacodynamiques (diminution de l’intensité de l’effet de l’antibiotique sur sa cible) par altération des cibles et des voies métaboliques de remplacement [25].

L’exposition ultérieure de cette souche résistante à l’antibiotique incriminé a alors un effet de sélection, qui dépend du niveau d’exposition atteint et accroît considérablement la proportion de souches résistantes, donc le nombre de copies du gène de résistance au sein d’un écosystème (figure 1). En prenant un exemple simplifié, l’ajout d’un antibiotique dans un tube contenant une bactérie possédant un gène de résistance à ce même antibiotique et un milliard de bactéries ne le possédant pas entraîne l’éradication du milliard de bactéries sensibles. La bactérie résistante restante peut alors se multiplier et remplacer la population bactérienne précédente.

L’intensité de cette sélection dépend de deux facteurs principaux :

- les caractéristiques de l’espèce bactérienne. Plus la taille de la population bactérienne est importante et sa croissance rapide, plus la pression de sélection a d’effet [38] ;

- les caractéristiques pharmacocinétiques et pharmacodynamiques de l’antibiotique [1, 34]. Des résistances apparaissent plus facilement avec des antibiotiques moins actifs et chez des souches ayant une sensibilité intrinsèque faible [3, 4, 34]. De même, des concentrations antibiotiques à l’intérieur de la fenêtre de sélection des mutants (FSM) peuvent sélectionner les bactéries résistantes.

La notion de fenêtre de sélection de mutants a récemment été établie et est essentielle à la compréhension du développement des antibiorésistances et de leur prévention (encadré 1) [11, 41, 42]. La FSM correspond à une fourchette de concentration en antibiotique dont la limite inférieure est la concentration minimale inhibitrice (CMI) et la limite supérieure la concentration de prévention des mutants (CPM). Cette dernière est définie comme la concentration minimale en antibiotiques permettant de prévenir la croissance de bactéries mutantes résistantes [8, 11]. Lorsque la concentration en antibiotique se situe à l’intérieur de la FSM, la population bactérienne sensible est éradiquée mais pas les quelques bactéries mutantes résistantes. Celles-ci sont alors sélectionnées et se développent. En rapportant ces données sur une courbe pharmacocinétique modèle, la concentration en antibiotique se retrouve la plupart du temps dans la FSM. Elle enrichit donc le milieu en souches résistantes (figure 3). Les défenses immunitaires de l’animal éliminent en général les mutants sélectionnés dans cette fenêtre. Ainsi, les échecs thérapeutiques dus au développement de résistances ne sont pas fréquemment observés pour un animal donné. Toutefois, à l’échelle d’une population, notamment chez des hôtes immunodéprimés, cet enrichissement présente de nombreuses conséquences cliniques [41].

2. Dissémination du gène de résistance

La transmission de ce caractère de résistance peut s’effectuer, au niveau cellulaire, selon deux modalités : verticalement aux cellules filles issues de la réplication bactérienne (propagation clonale), ou horizontalement à d’autres bactéries par le transfert de plasmides (résistance plasmidique) ou d’autres déterminants génétiques. La transmission de l’ADN chromosomique permet une dissémination du gène de résistance aux autres bactéries de la même espèce, présentes dans la même niche écologique. En revanche, l’ADN plasmidique peut être transmis à d’autres souches et espèces bactériennes, et ainsi permettre l’émergence du gène de résistance dans de nouvelles niches (figure 4). Grâce à cette capacité des bactéries de transférer leur matériel génétique, il est possible que des antibiorésistances émergent chez des populations n’ayant jamais été exposées à un antibiotique [22]. Une contamination par des bactéries résistantes peut ainsi s’effectuer par ingestion d’aliments et d’eau contaminés ou par contact entre hôtes [27]. La croissance démographique des populations, la mondialisation du commerce et l’évolution des moyens de transport renforcent cette capacité de dissémination [38]. La présence du gène de résistance chez de nombreuses espèces bactériennes et dans de multiples niches écologiques permettrait sa persistance dans l’environnement, même si ce gène est rare et non sélectionné. La sélection de souches ayant acquis leur résistance par plasmide est également un facteur de persistance. En effet, ces plasmides peuvent comporter des gènes codant pour une résistance à plusieurs antibiotiques, d’autres substances ou facteurs environnementaux (mercure et autres métaux lourds, rayons UV, etc.). L’exposition à un seul de ces agents permet de perpétuer la sélection et la prolifération du gène de résistance correspondant, et, avec lui, des autres gènes de résistance [20].

Une des questions principales est de savoir si une réversion, complète ou partielle, de l’antibiorésistance est possible, et combien de temps elle nécessiterait. En théorie, l’arrêt de l’exposition des souches résistantes à un antibiotique devrait supprimer l’avantage sélectif de cette population. La prévalence de ces résistances alors se stabiliserait, voire diminuerait, étant donné que d’autres mutations “dilueraient” ce caractère devenu inutile [22]. Même dans un cas idéal, le retour à des niveaux faibles d’antibiorésistance prendrait donc plusieurs années, en fonction de nombreux autres facteurs (entre autres, le rôle initial du gène avant sa mutation) [20]. Or malgré la restriction, voire l’arrêt hypothétique d’utilisation des antibiotiques, les modèles mathématiques développés concluent que les taux de résistance ne diminueraient que très lentement, sans atteindre le niveau originel, notamment en raison du transfert plasmidique et de l’existence de “réservoirs”.

3. Notion de “réservoir”

Un réservoir correspond à une population bactérienne située dans une niche écologique propice à la persistance du gène de résistance, voire à l’émergence de nouvelles mutations. Bien qu’un traitement antibiotique soit généralement dirigé contre une bactérie pathogène spécifique, les bactéries commensales (du tube digestif, du nasopharynx et de la peau, etc.) sont également exposées à une administration systémique ou locale [29]. Chez l’homme sain, une attention accrue a été portée à la flore fécale comme réservoir et source de gènes de résistance, notamment dans les pays en voie de développement [34]. Toutes les études réalisées sur E. coli démontrent que le traitement antibiotique est associé à une augmentation de la prévalence de souches résistantes à la molécule reçue [30]. Elles mettent en évidence le fait que la flore bactérienne fécale constitue un réservoir majeur intervenant dans les échanges de souches résistantes. Malgré un nombre bien moindre d’études concernant les autres flores commensales (nasopharynx, peau, etc.), celles-ci jouent probablement le même rôle.

L’exemple des fluoroquinolones

Les FQ ont été mises sur le marché dans les années 1970. Depuis, leur usage s’est considérablement étendu et elles représentent actuellement 11 % de toutes les prescriptions d’antibiotiques en médecine humaine [34]. L’observation de souches résistantes aux FQ s’est également accrue de manière alarmante durant cette période, et limite l’arsenal thérapeutique contre certaines infections graves en médecine humaine [1]. La plupart des cas de résistance aux FQ concernent Staphylococcus spp (notamment S. aureus), Streptococcus spp. (notamment S. pneumoniae), Enterococcus spp. (notamment E. faecalis), Neisseria gonorrhoeae, Escherichia coli, Campylobacter jejuni, Clostridium spp. (notamment C. difficile) et Pseudomonas aeruginosa [3, 12].

1. Mécanismes spécifiques de résistance

Modification des cibles : l’ADN-gyrase et la topo-isomérase IV

Les FQ agissent sur deux enzymes bactériennes, l’ADN-gyrase et la topo-isomérase IV, essentielles à la réplication de l’ADN bactérien. Les FQ stabilisent le complexe enzyme-ADN et entraîneraient le relargage de débris de double en brins d’ADN létaux pour la cellule. Les mutations chromosomiques à l’origine de résistance modifient la structure du site de liaison des FQ et induisent une réduction de l’affinité des FQ pour le complexe enzyme-ADN [16, 25, 31].

L’établissement d’une résistance aux FQ s’effectue par étapes, à la suite d’une série de mutations. Chaque étape diminue la sensibilité de la bactérie pour aboutir, après un nombre variable des phases, à une résistance complète. Ces mutations interviennent sur le site codant, d’abord, pour l’enzyme cible primaire, puis pour l’enzyme cible secondaire et ainsi de suite. En effet, après une première mutation, le seuil de résistance est déterminé par l’enzyme la plus sensible entre la cible primaire mutante et la cible secondaire “sauvage” [16]. L’ADN-gyrase a été déterminée comme cible primaire pour les bactéries Gram- et la topo-isomérase IV pour les bactéries Gram+ [16].

Récemment, un autre mécanisme de résistance est décrit chez les Entérobactéries dû au gène qnr plasmidique, codant pour une protéine qui protège l’ADN-gyrase de l’action des FQ [2].

Réduction de la quantité d’antibiotique dans la bactérie

Afin d’atteindre les enzymes cibles présentes dans le cytoplasme, les FQ doivent traverser la paroi cellulaire et la membrane cytoplasmique des bactéries Gram+, plus la membrane externe des bactéries Gram-. Cette diffusion s’effectue à travers la paroi cellulaire et la membrane cytoplasmique, et met en jeu des porines sur la membrane externe (diffusion facilitée). Des bactéries résistantes réduisent la quantité d’antibiotique intracellulaire en limitant son entrée par les porines (bactéries Gram-) ou en augmentant son élimination par les pompes à efflux (bactéries Gram- et Gram+).

Concernant les porines des bactéries Gram-, des mutations du régulon marRAB sont observées chez des souches d’Escherichia coli résistantes à de nombreux antibiotiques. Ces mutations seraient à l’origine d’un nombre moindre de porines et d’une diminution de l’entrée des FQ dans la bactérie [16, 31]. Les FQ, qui sont des composés synthétiques, apparaissent comme des substrats accidentels de ces pompes à efflux. Des mutations spécifiques au niveau des gènes régulant leur expression ou codant pour leur synthèse augmenteraient donc la quantité de pompes dans la membrane cytoplasmique et permettraient de réduire la quantité de FQ présentes dans la cellule. Cela contribuerait à l’apparition de résistances de faible niveau.

2. Observations cliniques d’antibiorésistances

Actuellement, de plus en plus de rapports s’intéressent à l’émergence d’antibiorésistances aux FQ chez les animaux, pour deux raisons :

- l’émergence d’antibiorésistances crée un problème de santé animale. Comme pour l’homme, l’émergence de souches résistantes limite l’arsenal thérapeutique dans le traitement des infections graves ;

- l’émergence d’antibiorésistances chez les animaux crée un problème de santé publique, plus grave encore, étant donné le risque potentiel de transmission des agents résistants de la population animale à la population humaine.

Animaux de rente

Les animaux de rente, notamment les porcs et les volailles, sont plus particulièrement exposés.

Outre une exposition thérapeutique aux antibiotiques, ils sont exposés de façon beaucoup plus importante aux antibiotiques utilisés en prophylaxie et/ou comme promoteurs de croissance [6, 9]. De nombreuses molécules sont ainsi largement administrées, à des doses subthérapeutiques, comme compléments alimentaires [6, 36-39]. Le risque de sélection de souches bactériennes résistantes, notamment sur la flore intestinale, est donc très important. Néanmoins, les nombreuses études réalisées sont contradictoires et mentionnent des taux de résistance très variables : 2,6 et 12 % des souches de Campylobacter jejuni de poule pondeuse et de poulet de chair respectivement au Japon ; 4,9 et 0 % des souches d’Escherichia coli de bovin et de mouton/chèvre respectivement en Espagne ; 55, 47, 23 et 24 % des souches d’Enterococcus faecium de bovin, de petit ruminant, de porc, de poulet et de dinde respectivement aux États-Unis, etc. [15, 17, 21, 23, 40]. Face à cette problématique, l’usage des antibiotiques comme additifs ou facteurs de croissance est ainsi interdit dans l’Union européenne depuis 2006.

Les études actuelles cherchent à mettre en évidence une transmission animal-homme. Malgré un nombre croissant d’observations tendant à confirmer cette transmission via l’alimentation (viande contaminée) ou un contact direct, ce thème reste un sujet de débat entre les partisans de l’application du principe de précaution et ceux remettant en cause les récentes interdictions d’utilisation de certains antibiotiques chez les animaux de rente [10, 35-37, 39].

Animaux de compagnie

La médecine des animaux de compagnie est sûrement le domaine où l’émergence d’antibiorésistances est la moins documentée. Cela s’explique par le fait que l’usage des antibiotiques est similaire chez ces derniers et chez l’homme, donc moins controversé (l’emploi d’antibiotiques chez les animaux de compagnie a uniquement une visée thérapeutique ou prophylactique). De plus, le taux et la durée d’hospitalisation sont moindres qu’en médecine humaine et les individus immunodéprimés sont rarement traités avec des produits à large spectre, ce qui pourrait conduire à une minimisation du risque d’antibiorésistance. Cependant, plusieurs études réalisées récemment soulignent ce danger. Une étude réalisée en 2003 à l’université du Missouri, à Columbia, démontre une augmentation significative de 20 % du nombre de souches d’E. coli et de Streptococcus sp. résistantes aux FQ entre 1992 et 2001 sur des prélèvements urinaires de chiens [5]. Une autre étude réalisée entre 1984 et 1998 à l’hôpital vétérinaire d’Ontario rapporte une augmentation linéaire du taux de résistance aux FQ au fil des années, en corrélation directe avec la quantité de FQ utilisée [26].

Limitation de l’émergence d’antibiorésistances

Devant l’émergence inquiétante des antibiorésistances, de nombreuses institutions ont développé des programmes spécifiques pour enrayer cette crise d’aspect “épidémique”, comme la Global Strategy for the Containment of Antimicrobial Resistance de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Deux objectifs principaux ont été définis : raisonner l’usage des antibiotiques et prévenir la dissémination des souches bactériennes résistantes existantes.

1. Usage rationnel des antibiotiques

L’usage inapproprié des antibiotiques est considéré comme la cause principale d’émergence de résistances, et ce malgré l’existence de règles de conduite (encadré 2) [13, 19, 24, 38, 39]. Les raisons sont simples :

- avec l’augmentation des antibiorésistances, les cliniciens préfèrent recourir aux nouvelles générations d’antibiotiques à large spectre ;

- avec l’accroissement du nombre d’animaux immunodéprimés (animaux âgés, atteints du FIV/FeLV, etc.), les praticiens sont plus enclins à prescrire des antibiotiques à large spectre pour le traitement empirique d’infections présumées ;

- les cliniciens tendent à surinterpréter les implications d’une colonisation bactérienne [14]. Ainsi, la présence de bactéries de nature et en nombre adéquats (à interpréter en fonction du type d’échantillon soumis et des hypothèses cliniques) n’est pas forcément signe d’infection, mais peut refléter la présence d’une flore commensale ou d’une contamination de l’échantillon lors du prélèvement. Elle ne nécessite donc pas la mise en place d’une antibiothérapie. Face à ce problème, de nombreux organismes ont établi des recommandations [7, 22, 33, 38]. La vente des antibiotiques devrait être restreinte, afin que leur usage soit réservé à un vétérinaire ou sous son contrôle explicite. En effet, une étude montre la possibilité de se procurer des antibiotiques sans ordonnance dans plusieurs pays [24, 39]. Chaque traitement devrait être strictement réalisé selon la prescription du vétérinaire. Une étude suggère que les propriétaires jouent un rôle conséquent dans la mauvaise utilisation des antibiotiques, en faisant pression pour obtenir ces derniers, en ne respectant pas les fréquences et les durées de traitement, ainsi qu’en gardant les antibiotiques restants, pour un usage ultérieur [24].

La modification de ces comportements passe par une meilleure information du public sur les caractéristiques de l’antibiothérapie et les conséquences d’un non-respect des prescriptions. Les vétérinaires devraient identifier les scénarios d’utilisation d’antibiotiques les plus communément rencontrés et les évaluer afin de minimiser leur recours. Ils devraient soumettre des prélèvements appropriés pour examen bactériologique lorsque cela est possible afin de cibler leur prescription.

L’antibioprophylaxie est à réserver aux situations à risque et à réaliser avec un antibiotique de première ligne. Ainsi, l’administration d’antibiotiques n’est pas systématiquement nécessaire lors d’intervention chirurgicale, de procédure diagnostique invasive, etc. Il conviendrait que les laboratoires d’analyses adoptent un langage standardisé, notamment concernant le rapport des bactéries dans la flore résidente habituelle, et leur nombre pour une niche biologique normale. Les vétérinaires devraient également interpréter cette donnée de manière adéquate afin de ne pas initier une antibiothérapie inutile. Les organismes vétérinaires devraient encourager les firmes pharmaceutiques à commercialiser leurs antibiotiques sur des bases scientifiques, notamment leur efficacité et leurs effets secondaires, et à promouvoir leur usage raisonné.

2. Prévention de la dissémination

La dissémination de souches résistantes intervient tout d’abord par une transmission d’individu à individu, lorsque les règles de base de désinfection ne sont pas respectées. Malgré les efforts réalisés dans les hôpitaux, en médecine humaine ou vétérinaire, ils sont des lieux de prédilection de dissémination bactérienne. Les raisons sont multiples : la densité de population, notamment immunosensible, le non-respect des règles de désinfection pour les malades et les soignants, le personnel en sous-effectif et la présence de matériel contaminé (sondes endotrachéales, cathéters urinaires, etc.) [13, 38]. Les techniques d’asepsie et d’hygiène générale doivent être respectées, des méthodes de “barrière” aux disséminations établies et les temps d’hospitalisation réduits [13, 20]. Idéalement, les besoins spécifiques de chaque structure devraient être évalués et les solutions adaptées aux circonstances [13].

3. Voies de recherche

Les efforts de la recherche fondamentale, représentée par les universités, les institutions de recherche et les firmes pharmaceutiques, sont actuellement concentrés sur l’augmentation de l’efficacité des traitements antibiotiques par :

- la production de nouveaux peptides cationiques antimicrobiens, qui miment les antibiotiques naturels d’organismes vivants ;

- la mise au point d’agents présentant de nouveaux modes d’action, à l’aide de molécules naturelles et synthétiques. Cette recherche est de plus en plus ardue et aucun nouvel antibiotique d’origine microbienne n’a été découvert durant les 20 dernières années ;

- la recherche des bases biochimiques des médecines traditionnelles (ethnopharmacologie) ;

- la transformation chimique des agents antibactériens existants afin d’augmenter leur efficacité vis-à-vis des gènes de résistance actuels ;

- la recherche de moyens d’interférer avec les mécanismes de résistance mis en place par les bactéries [14, 18].

D’autres investigations visent à apporter des alternatives thérapeutiques aux antibiotiques par le développement de produits bloquants l’adhérence des bactéries et de leurs toxines aux tissus, de nouveaux vaccins, de cytokines, adjuvants, etc., permettant de stimuler le système immunitaire de l’organisme infecté [14, 20].

Le problème de l’antibiorésistance est insidieux car l’absence d’impact rapide à l’échelle individuelle conduit à un abandon de la part des protagonistes qui se détournent des règles élémentaires. Il est de la responsabilité des professionnels de la santé humaine et animale de mettre en place une approche raisonnée de l’antibiothérapie/prophylaxie. L’exercice libéral allié à une obligation légale de moyens se rapprochant de plus en plus d’une obligation de résultats met le praticien devant un choix difficile : mettre en application les bonnes pratiques et ne pas prescrire d’antibiotiques sans raison valable ou prescrire une antibiothérapie “parapluie” afin d’éviter des complications. Une part de la solution dépend d’une bonne communication avec sa clientèle.

Encadré 1 : Notion de fenêtre de sélection des mutants et implications

• La fenêtre de sélection des mutants (FSM) correspond à une fourchette de concentration en antibiotiques dont la limite inférieure est la concentration minimale inhibitrice (CMI) et la limite supérieure la concentration de prévention des mutants (CPM). Expérimentalement, la courbe qui représente le nombre d’unités formant colonie (UFC) restantes en fonction de la concentration en fluoroquinolones (FQ) présente un profil particulier : la première pente négative (intervenant autour de la CMI pour 99 % des cellules présentes) est attribuée à l’inhibition de croissance des bactéries de phénotype sensible (figure 2) ; puis un plateau dû à la présence de mutants résistants intervient : le nombre d’UFC reste constant malgré l’augmentation des concentrations en FQ. Il correspond à la FSM ; la seconde pente intervient lorsque la concentration en FQ dépasse la CPM et est ainsi suffisante pour bloquer la croissance de ces mutants.

• Trois approches sont possibles pour contrer le développement de souches résistantes :

- des concentrations sériques ou tissulaires en antibiotique situées dans la FSM le moins longtemps possible. Il est nécessaire d’avoir des composés qui atteignent rapidement en début de traitement des concentrations supérieures à la CPM, s’y maintiennent durant toute la durée de traitement et chutent rapidement sous la CMI en fin de traitement. Cette situation est rarement rencontrée, en particulier parce que les doses sont établies afin de dépasser la CMI et non la CPM [27, 40] ;

- l’utilisation et le développement de molécules présentant une FSM (soit un index de sélection CPM/CMI) la plus étroite. Cet index est néanmoins très spécifique et doit être établi pour chaque association antibiotique-bactérie ;

- le recours à une polythérapie en associant deux antibiotiques ou plus de manière à obtenir une concentration de chacun au-delà de sa CMI et ainsi se situer plus facilement hors de la nouvelle fenêtre de sélection issue de la situation “jumelée” [40].

Encadré 2 : Principes de l’antibiothérapie/antibioprophylaxie

Un usage adéquat des antibiotiques correspond à une utilisation :

- uniquement lorsque c’est nécessaire ;

- avec un antibiotique adapté. Le spectre d’action doit être en accord avec les résultats d’examens bactériologiques et les objectifs thérapeutiques, et la diffusion tissulaire adaptée à l’organe cible ;

- avec un plan thérapeutique optimal. Cela implique une dose, une fréquence, une voie et des conditions d’administration optimales, ainsi qu’une durée aussi faible que microbiologiquement possible ;

- qui n’entraîne pas de toxicité chez l’animal traité.

POINTS FORTS

• Le développement d’une antibiorésistance s’effectue en trois étapes : l’induction, la sélection et la propagation.

• L’usage d’un antibiotique induit un effet de pression de sélection et permet l’émergence de résistances des bactéries pathogènes ciblées par le traitement, mais également des flores commensales qui peuvent jouer le rôle de réservoir de vecteurs de résistance.

• Un emploi excessif et inapproprié des antibiotiques est considéré comme la cause principale d’émergence de résistances bactériennes.

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