Corps étranger à pénétration oropharyngée chez un chien - Le Point Vétérinaire n° 287 du 01/07/2008
Le Point Vétérinaire n° 287 du 01/07/2008

Chirurgie canine

Pratique

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Antoine Bernardé

Fonctions : Centre hospitalier vétérinaire
Unité chirurgicale
275, route Impériale
74370 Saint-Martin-Bellevue

La pénétration oropharyngée d’un corps étranger végétal peut induire une myosite phlegmoneuse cervicale avec boiterie d’un antérieur et cervicalgie.

Une chienne braque allemand âgée de huit ans est référée pour l’exploration d’une douleur cervicale, associée à une boiterie du membre antérieur gauche, qui évolue depuis 15 jours.

Cas clinique

1. Anamnèse

La chienne présente un abattement marqué depuis une semaine. L’anamnèse ne rapporte aucune affection notable dans les deux dernières années.

Les signes cliniques sont apparus deux semaines auparavant, après une journée de chasse. Des raclements de gorge et des plaintes intermittentes déclenchées, soit par des mouvements, soit par la prise orale d’un aliment ou d’une boisson sont alors observés. L’examen clinique initial n’a révélé aucune autre anomalie. Après un traitement anti-inflammatoire (acide tolfénamique, Tolfédine®, 3 mg/kg/j, per os, pendant trois jours), le propriétaire représente la chienne chez son vétérinaire traitant. Les signes cliniques se sont aggravés, notamment les douleurs associées aux déglutitions alimentaires, malgré un appétit conservé. Le vétérinaire suspecte alors un corps étranger pharyngé ou une blessure orale pharyngée ou œsophagienne. Un examen buccal et pharyngé est réalisé sous sédation, suivi d’un examen endoscopique du larynx et de l’œsophage. Ce dernier ne révèle aucune anomalie. Un nouveau traitement anti-inflammatoire à visée antalgique (carprofène, Rimadyl®, 4 mg/kg/j, per os) et une antibiothérapie sont administrés (céfalexine, Therios®, 15 mg/kg matin et soir, per os) pendant une semaine.

Quelques jours plus tard, l’état de l’animal se dégrade encore avec des plaintes spontanées lors de simples mouvements dans son panier. Une hyporexie marquée avec une dysphagie oropharyngée, une altération de l’état général avec apathie et prostration, une hyperthermie modérée (39,5 °C) et l’apparition d’une boiterie du membre antérieur gauche sont alors notées. Les douleurs cervicales, flagrantes quelle que soit la région du cou palpée, sont accentuées lorsque le cou est en extension. Le bilan sanguin biochimique et hématologique révèle une leucocytose modérée avec neutrophilie.

Le vétérinaire envisage une myélopathie cervicale en raison de la douleur cervicale et de la boiterie d’un membre antérieur. La chienne est référée pour réévaluation clinique et examen neurologique, suivi ou non d’un examen du liquide céphalo-rachidien (LCR) et d’un examen myélographique cervical.

2. Examen clinique

La chienne est plus alerte que précédemment. Le propriétaire confirme son amaigrissement, l’animal a perdu environ 3 kg en 15 jours. Depuis une semaine, elle ne consomme plus que le tiers de sa ration. Bien que visiblement affamée, elle interrompt sa prise alimentaire après quelques tentatives de déglutition et se détourne de sa gamelle. Elle y retourne avec avidité à plusieurs reprises et présente à chaque fois les mêmes échecs d’ingestion. Aucun rejet (régurgitation ou vomissement) des aliments déglutis n’est rapporté. L’examen à distance révèle une limitation d’amplitude des mouvements des membres antérieurs, plus marquée à gauche qu’à droite. La chienne adopte des postures qui économisent les mouvements de son cou. En particulier, elle rechigne à lever la tête même lorsqu’elle est sollicitée (présentation d’une friandise maintenue au-dessus des yeux par exemple). L’examen clinique confirme une hyperthermie (39,5°C), une douleur à la flexion et à l’extension du cou ou déclenchée par la manipulation des membres antérieurs, notamment lors de la flexion des épaules. L’inspection de la peau du cou et de sa périphérie ne met pas en évidence de plaie ni de cicatrice susceptible d’évoquer une blessure. L’examen neurologique n’apporte pas d’indice supplémentaire.

3. Hypothèses diagnostiques

Le tableau clinique se résume à une hyperthermie, une douleur cervicale, une dysphagie et une raideur des membres antérieurs sans preuve de déficit neurologique. Deux mécanismes pathogéniques sont à envisager. Il peut s’agir, soit d’une affection musculaire cervicale inflammatoire (abcès, phlegmon) avec répercussion sur le comportement alimentaire (douleur péripharyngée) et locomoteur (inflammation des muscles spinaux), soit d’une atteinte rachidienne (médullaire ou périmédullaire) également inflammatoire (abcès, néoplasie, méningite, spondylodiscite) avec les mêmes conséquences.

Dans le premier cas, la pénétration d’un corps étranger par voie oropharyngée est une hypothèse étiologique à revérifier, bien qu’invalidée par l’examen endoscopique réalisé une semaine auparavant. Dans le second cas, l’examen du LCR et une imagerie sélective du rachis cervical sont indiqués. En accord avec le propriétaire, un nouvel examen buccal et pharyngé de la chienne sous anesthésie générale est décidé. Il est aussi envisagé de réaliser un examen radiographique sans préparation de la région cervicale, et, si nécessaire (absence de diagnostic étiologique certain), de procéder à une ponction de LCR et à un examen myélographique cervical.

4. Examens complémentaires

Une anesthésie générale est induite par une association de médétomidine (Domitor®, 500 µg/m2) et de kétamine (Imalgène®, 5 mg/kg) administrée par voie intraveineuse. Avant l’intubation trachéale, la cavité buccale, notamment la région sublinguale, est inspectée. L’exploration est ensuite poursuivie caudalement aux fosses amygdaliennes, au palais mou, au pharynx, au larynx et à l’ostium œsophagien. Un endoscope rigide est introduit dans la trachée cervicale jusqu’à la bifurcation bronchique. Aucune anomalie n’est notée. La chienne est alors intubée et reçoit un mélange gazeux constitué d’oxygène, d’air et d’isoflurane. L’examen fibroscopique de l’œsophage ne révèle pas d’anomalie.

Un examen myélographique cervical par voie haute est alors envisagée. La ponction de LCR permet la récolte de 3 ml de liquide limpide. Elle est suivie d’une injection de 8 ml d’iopamidol (Iopamiron 300®(1)) dans l’aiguille spinale, située dans l’espace sous-arachnoïdien. Après retrait de l’aiguille, l’animal est placé en position déclive (tête surélevée par rapport à l’arrière-main) pendant quelques minutes. Un premier cliché radiographique du rachis cervical de profil est obtenu (photo1). Le myélogramme est normal, mais l’ensemble des tissus mous situés ventralement au rachis présente une hyperdensification liquidienne diffuse. Cette anomalie est retrouvée sur un second cliché de vérification mais aucun corps étranger n’est identifié.

Cette densification diffuse des tissus mous cervicaux conduit à retenir l’hypothèse d’une infiltration liquidienne de la musculature épi-axiale de type œdème ou phlegmon. Dans ce contexte, l’hypothèse d’un phlegmon est à privilégier.

La cavité orale et le pharynx sont de nouveau inspectés et une petite plaie est finalement découverte à la base du palais mou (photo 2). La pression du voile du palais en périphérie de cette plaie entraîne un écoulement mucoïde et hémorragique (photo 3).

5. Diagnostic

Cette chienne présente à la base du voile du palais une lésion probablement due à la pénétration d’un corps étranger qui a migré dans les tissus mous sous-rachidiens cervicaux. Celui-ci est responsable de l’évolution d’une myosite aiguë phlegmoneuse et est, sans doute, encore présent au sein des tissus remaniés.

6. Traitement

Le propriétaire donne son accord pour une exploration chirurgicale.

De la morphine (Morphine Aguettant®(1), 0,3 mg/kg) et du carprofène (Rimadyl®, 4 mg/kg) sont administrés par voie intraveineuse à des fins analgésiques. Une antibioprophylaxie à base d’enrofloxacine (Baytril®, 5 mg/kg voie intraveineuse) est instituée. L’approche chirurgicale est celle d’un abord ventral du rachis cervical.

Après avoir récliné la trachée et l’œsophage sur le côté gauche, la musculature sous-rachidienne (muscle long du cou) est exposée. Elle présente une rigidité inhabituelle, une coloration qui évoque une congestion diffuse, mais aucun foyer de nécrose n’est mis en évidence (photo 4). La dissection dans le plan sagittal de cette musculature laisse apparaître un foyer de nécrose en regard de l’axis (photo 5). La dissection des fibres musculaires permet de mettre au jour un trajet fistuleux dans lequel est retrouvé un corps étranger végétal de type épillet (photo 6). L’extraction de celui-ci est suivie de rinçages abondants des tissus exposés à l’aide de sérum physiologique tiédi. Aucune fermeture des plans musculaires profonds n’est entreprise. Un drain multifenestré passif, attaché à la peau latéralement à l’incision cutanée, est mis en place. Les muscles sterno-hyoïdiens, puis le tissu sous-cutané et la peau sont suturés. Un pansement absorbant est mis en place. Une nouvelle injection d’enrofloxacine et de morphine par voie intraveineuse lente est réalisée à la fin de l’intervention.

L’évolution de la plaie chirurgicale ne présente aucune complication hormis un drainage muco- à séro-hémorragique abondant. Environ 200 ml sont récoltés dans les premières 24 heures, 100 ml/j les deux jours suivants, 60 ml le quatrième jour et 20 ml le cinquième jour. Le retrait du drain est retardé au sixième jour, quand le volume de l’exsudat récolté semble être dû à la seule présence du drain.

La chienne va mieux et s’alimente de nouveau à partir du deuxième jour. Dix jours après l’intervention chirurgicale, le propriétaire ne rapporte plus aucune anomalie. La palpation du cou semble toutefois être encore douloureuse. Revue quatre mois plus tard chez son vétérinaire traitant, la chienne ne présente plus aucun trouble.

Discussion

1. Description

Ce cas clinique illustre la pénétration d’un corps étranger par voie oropharyngée chez le chien. Cette affection, peu fréquente, peut avoir des conséquences graves. Des fragments de bois sur lesquels s’empalent les chiens sont les agents vulnérants les plus rencontrés. D’autres objets tels que des hameçons, des aiguilles, des os ou des épillets ont aussi été décrits [4, 5, 6]. Les chiens de moyenne et de grande tailles seraient plus souvent touchés, peut-être en raison d’activités extérieures plus nombreuses (chasse, etc.) et de postures au-dessus de l’objet vulnérant qui facilitent l’impact et la pénétration au-delà de la muqueuse oropharyngée [3].

Les animaux affectés sont répartis en deux groupes : aigu (inférieure à sept jours) ou chronique (supérieure à sept jours) [6]. Les premiers présentent surtout des signes d’hypersalivation, de dysphagie, de douleur orale ou pharyngée, tandis que chez les seconds une abcédation ou une fistulisation est notée [4, 6]. Le cas décrit s’inscrit plutôt dans une présentation aiguë avec une abcédation en voie de réalisation, mais sans fistule cutanée. Une étude rétrospective démontre qu’un commémoratif de traumatisme, un œdème sous-mandibulaire ou cervical, et, dans les cas chroniques, l’apparition d’une fistule cutanée sont les signes les plus décrits [3]. Selon ces mêmes auteurs, la région sublinguale serait la voie d’entrée la plus fréquente, alors qu’elle est palatine (palais mou) dans le cas présenté ici.

Le corps étranger peut être retenu au sein des tissus sublingaux, intermandibulaires, rétrobulbaires, pharyngés ou cervicaux. Il véhicule et inocule des bactéries dans les tissus pénétrés et est à l’origine d’un abcès ou d’un phlegmon, qui se draine éventuellement par une fistule cutanée. La fistulisation pourrait même intervenir en l’absence d’agents microbiens, entretenue par la simple inflammation et l’irritation tissulaires [3, 4, 6].

2. Examens complémentaires et diagnostic

Les examens visuels directs ou endoscopiques ainsi que les examens radiographiques se révèlent sensibles mais peu spécifiques. Ils confirment le diagnostic en cas de test positif, mais ne l’excluent pas en cas de test négatif.

Dans le cas décrit, la mise en évidence d’un phlegmon cervical (à l’examen radiographique) et d’une plaie palatine (à l’examen visuel direct) a permis de déterminer le diagnostic étiologique. Une myélographie a été décidée car la première inspection n’a pas confirmé l’hypothèse d’une pénétration de corps étranger, alors que l’évolution d’une myélopathie demeurait concevable. A priori, le phlegmon cervical aurait pu être décelé sur un cliché radiographique sans préparation. Toutefois, l’examen myélographique a permis de lever le doute quant à une éventuelle myélopathie associée.

L’intervention chirurgicale a été réalisée sans autre examen complémentaire car la présence d’un corps étranger au sein de la musculature du cou était presque certaine.

La présentation clinique, notamment dans les cas chroniques, n’est pas toujours aussi évocatrice. Nous avons rencontré le cas d’un chien, qui a présenté une fistule chronique en région jugulaire avec un commémoratif de blessure oropharyngée, mais sans anomalie radiographique. Devant la difficulté de localiser un corps étranger pourtant suspecté, le recours à des moyens d’imagerie plus discriminants est alors nécessaire. Les examens échographique, tomodensitométrique et l’imagerie par résonance magnétique (IRM) nucléaire ont tous trois été expérimentés dans ces recherches spécifiques. Young et coll. ont décrit, en 2004, la mise en évidence d’un corps étranger en bois, situé ventralement au processus transverse de la première vertèbre cervicale [7].

Le chien de cette publication a présenté les mêmes signes cliniques que dans ce cas : une douleur cervicale et une boiterie, mais sans dysphagie. Le corps étranger a été mis en évidence par IRM et décrit comme une structure hyperintense en T2, iso-intense en T1 par rapport aux muscles environnants. L’IRM permet d’identifier une structure iatrogène de plus petite taille par rapport à l’examen tomodensitométrique. Ce dernier est moins adapté pour différencier le corps étranger de la réaction inflammatoire associée. Cependant, la faible résolution spatiale des installations IRM vétérinaires à bas champ (faible champ magnétique), disponibles en France, pourrait relativiser l’avantage de cette technique. L’examen tomodensitométrique reste un outil de référence, notamment pour délimiter la réaction inflammatoire et rechercher d’éventuelles lésions osseuses associées (spondylodiscite, ostéomyélite, etc.) [communication personnelle Y. Ruel]. L’examen échographique peut être utile en cas de recherche de corps étranger, notamment en région musculaire périrachidienne. Deux études en soulignent l’intérêt [1, 2]. La mise en évidence de remaniements musculaires, qui accompagnent la migration terminale de corps étrangers végétaux au sein de la musculature lombaire chez six chiens de chasse, s’est révélée aussi sensible par examen échographique que par IRM [1]. Par ailleurs, l’essai de Gnudi et coll. a permis de définir l’aspect échographique d’épillets encastrés dans des tissus mous superficiels ou profonds chez 25 chiens examinés avec une sonde de 10 MHz [2]. L’épillet présente la forme d’un fuseau à double ou à triple branche, avec une interface échogène par rapport aux tissus environnants. Les auteurs signalent que le même aspect est observé lors de l’examen échographique d’un épillet immergé dans un volume d’eau. Cela pourrait constituer une manière de s’entraîner pour un opérateur désireux de reconnaître cette image.

Le cas décrit illustre le piège diagnostique potentiel d’un corps étranger qui a migré depuis un site de pénétration oropharyngée vers la région cervicale. Celui-ci provoque une cervicalgie et une boiterie antérieure qui miment une affection neurologique cervicale (myélopathie ou radiculopathie). Dans ce cas, bien que des commémoratifs de blessure oropharyngée soient incertains, et que, dans un premier temps, aucun site de pénétration n’ait été découvert, la présence d’un corps étranger a pu être suspectée en raison des remaniements de la musculature cervicale visualisés sur les clichés radiographiques. Dans certains cas moins démonstratifs, le recours aux examens échographique, tomodensitométrique ou IRM est nécessaire pour confirmer l’hypothèse diagnostique et localiser avec précision le corps étranger.

  • (1) Médicament humain.

POINTS FORTS

• Un corps étranger à pénétration oropharyngée peut provoquer une boiterie et une cervicalgie, donc mimer une affection neurologique.

• L’examen tomodensitométrique reste un examen de référence pour détecter un corps étranger oropharyngé.

• L’examen échographique est intéressant dans la recherche d’un corps étranger en région musculaire périrachidienne.

Références

  • 1 - Frendin J, Funkquist B, Hansson K et coll. Diagnostic imaging of foreign body reactions in dogs with diffuse back pain. J. Small Anim. Pract. 1999 ; 40(6): 278-285.
  • 2 - Gnudi G, Volta A, Bonazzi M et coll. Ultrasonographic features of grass awn migration in the dog. Vet. Radiol. Ultrasound. 2005 ; 46(5): 423-426.
  • 3 - Griffiths LG, Tiruneh R, Sullivan M et coll. Oropharyngeal penetrating injuries in 50 dogs : a retrospective study. Vet. Surg. 2000 ; 29 : 383-388.
  • 4 - Harvey CE. Diseases of the oral cavity and pharynx. In : ed. Slatter D. Textbook of Small Animal Surgery. 1st ed. Saunders, Philadelphia, PA. 1985 : 606-643.
  • 5 - Mattson A. Pharyngeal disorders. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 1994 ; 24 : 825-854.
  • 6 - White RAS, Lane JG. Pharyngeal stick penetration injuries in the dog. J. Small Anim. Pract. 1988 ; 29 : 13-35.
  • 7 - Young B, Klopp L, Albrecht M et coll. Imaging diagnosis : magnetic resonance imaging of a cervical wooden foreign body in a dog. Vet. Radiol. Ultrasound. 2004 ; 45(6): 538-541.
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr