Maladies infectieuses du chien
Pratique
Cas clinique
Auteur(s) : Cédric Roqueplo*, Florence Aviat**, Geneviève André-Fontaine***, Thierry Lamour****, Jean-Lou Marié*****, Bernard Davoust******
Fonctions :
*Secteur vétérinaire
de Marseille
BP 48
13998 Marseille Armées
**Unité de bactériologie
médicale et moléculaire
des leptospires
ENV de Nantes
BP 40706
44307 Nantes Cedex 03
***Service vétérinaire
du 132e bataillon cynophile
de l’armée de terre
51601 Suippes Cedex
****Secteur vétérinaire
de Marseille
BP 48
13998 Marseille Armées
*****Direction régionale du service de santé des armées de Toulon, BP 80 Toulon Armées
Une infection par Leptospira interrogans “pathogène” est diagnostiquée chez un chien, à l’aide du test expérimental Elisa “protective peptide” qui peut être utilisé précocement.
La leptospirose est une zoonose bactérienne de répartition mondiale, particulièrement importante en zone tropicale, qui peut survenir selon un mode épidémique, comme au Kenya où la maladie a atteint des centaines de personnes et provoqué 39 décès entre mai et juillet 2004 [2]. Souvent sous-diagnostiquée, cette maladie constitue un grave problème de santé publique. La leptospirose est due à différents sérovars de l’espèce pathogène Leptospira interrogans sl. (maintenant divisée en différentes genomospecies(2)) qui possède un vaste réservoir environnemental et animal, à l’origine de la plupart des contaminations humaines. Parmi les nombreuses espèces animales touchées, le chien présente une grande sensibilité. Les urines des animaux infectés contaminent les eaux douces de surface dans lesquelles la bactérie peut persister plusieurs mois. Les leptospires pénètrent en général dans l’organisme à la faveur d’une effraction cutanéo-muqueuse. Puis ces bactéries très mobiles se multiplient dans le sang et se distribuent dans tout l’organisme, avec un tropisme particulier pour certains tissus, notamment le foie et le rein [1].
En fin de saison des pluies, un chien militaire berger belge malinois mâle, âgé de quatre ans et provenant de Corse (base aérienne 126 de Solenzara) est présenté en consultation au vétérinaire des Éléments français au Tchad (EFT), quarante jours après son arrivée à N’Djamena, pour asthénie, anorexie, amaigrissement et vomissements. Il vit dans un chenil extérieur sur la base Kosseï des EFT.
Cet animal a été vacciné à l’aide d’un vaccin inactivé protégeant contre L.i. Canicola et L.i. Icterohaemorrhagiae (Canigen L Virbac®). Le dernier rappel a eu lieu sept mois avant la première consultation. Il est vermifugé et sous traitement prophylaxique, à savoir :
- doxycycline (Biopalu®(3)) à la dose de 100 mg/j par voie orale, en prévention de l’ehrlichiose monocytaire canine ;
- deltaméthrine en topique (Collier Scalibor®) en prévention de la leishmaniose ;
- ivermectine (Ivomec®(4)) à la dose de 0,4 ml/10 kg une fois par mois par voie intramusculaire, en prévention de la dirofilariose et des myiases cutanées.
L’animal est abattu, mais il ne présente pas d’hyperthermie. Une perte d’appétit, des vomissements aigus et un amaigrissement (3 kg sur six semaines) sont décrits ( et ). Une polydipsie est mise en évidence. La diurèse est conservée. L’état d’hydratation et la couleur des muqueuses sont normaux. Les auscultations cardiaque et pulmonaire ne révèlent aucun bruit anormal. La palpation abdominale n’est pas douloureuse et n’indique aucune anomalie. Les selles sont normales.
Devant le tableau clinique observé, notamment les épisodes de vomissements et la perte de poids significative, diverses hypothèses diagnostiques sont envisagées : une gastrite d’origine alimentaire, virale ou toxique, une occlusion ou une subocclusion digestive, une insuffisance rénale d’origine métabolique, toxique ou infectieuse (leptospirose, leishmaniose), une hépatite et une pancréatite aiguë.
Différents examens complémentaires sont mis en œuvre : un profil biochimique complet, des analyses hématologique (numération et formule sanguines et frottis) et urinaire ().
Ils mettent en évidence une anémie arégénérative normochrome et normocytaire débutante, une insuffisance rénale sévère et une diminution des synthèses protéiques, signant une insuffisance hépatique. Un diagnostic d’insuffisance hépato-rénale est établi.
D’éventuelles lésions rénales, susceptibles d’être responsables de l’insuffisance rénale, sont recherchées. L’échographie rénale met en évidence une absence de démarcation cortico-médullaire et une légère hyper-réfringence du hile, signe d’une glomérulonéphrite, compatible avec une origine infectieuse. Le reste de l’examen échographique abdominal est normal, en particulier le parenchyme hépatique (pas de réelle hyperéchogénicité). Parmi les hypothèses diagnostiques, une infection par des leptospires ou des leishmanies peut être à l’origine des lésions rénales observées.
Une sérologie leishmaniose est réalisée. Deux types d’examen sérologique sont également effectués afin d’établir une éventuelle infection par des leptospires : le test de micro-agglutination et le test Elisa “protective peptide”.
Le test de micro-agglutination (MAT) est la technique de référence. Il est fondé sur la mise en évidence d’une agglutination des leptospires de différents sérovars, en présence de dilutions croissantes du sérum de l’animal concerné [5]. La dilution seuil retenue est le 1/40e, mais le seuil de positivité est de 1/160e.
Les résultats obtenus sont compatibles avec les antécédents vaccinaux, mais encore élevés pour un chien dont le dernier rappel vaccinal remonte à plus de sept mois (). Il existe donc une relance anamnestique de la réponse vaccinale pour L.i. Icterohaemorrhagiae par une infection en cours, quel que soit le sérovar infectant.
Ce test expérimental, développé par l’Unité de bactériologie médicale et moléculaire des leptospires de l’ENV de Nantes, utilise les propriétés antigéniques d’un peptide de 25 acides aminés d’une protéine (Hap1) sécrétée uniquement par tous les leptospires pathogènes, dès le début de l’infection, alors même que l’animal n’est qu’en phase d’incubation (). Cette protéine, hautement immunogène, induit une réponse immunitaire significative, donc décelable par réaction antigène-anticorps [3, 9]. Une réponse IgG positive est obtenue, avec une densité optique égale à 1,60 (témoin positif : 1,24).
Le traitement mis en place est celui de la lutte contre l’insuffisance rénale aiguë et de sa cause : les leptospires. Une fluidothérapie est réalisée à l’aide de solutés colloïdes HEA (5 ml/kg/h) en première intention afin de traiter un état de choc sous-jacent, puis, rapidement, de solutés cristalloïdes NaCl à 0,9 % (5 ml/kg/h) et le soutien de la diurèse est assuré avec du furosémide (Lasilix®(3), 2 mg/kg/j, par voie intraveineuse). Un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, du ramipril (Vasotop®, 0,125 mg/kg/j, per os), est prescrit afin de limiter l’hypertension rénale en rééquilibrant les tensions entre les artérioles afférentes et efférentes des glomérules. De l’amoxicilline (Clamoxyl®(3)) est administrée à la dose de 20 mg/kg toutes les huit heures par voie veineuse, pendant 48 heures, puis deux fois par jour, per os, pendant 15 jours.
Un traitement symptomatique des vomissements est mis en place avec du métoclopramide (Primpéran®(3), 1 mg/kg/j en deux prises, per os), ainsi qu’une thérapeutique orexigène avec du diazépam (Valium®(3), à la dose de 0,5 mg/kg, par voie intramusculaire).
Malgré le traitement, le chien continue à maigrir et les paramètres biochimiques à se dégrader. Étant de surcroît dans l’incapacité d’assurer sa mission opérationnelle, il est décidé de le rapatrier en France, vers une structure vétérinaire plus adaptée à une hospitalisation prolongée. L’état de l’animal se détériorant (syndrome urémique chronique avec entérite hémorragique et œdème sous-cutané), il est euthanasié un mois et demi après le début des symptômes.
En raison de la difficulté du diagnostic biologique par isolement et identification de la bactérie, la recherche des leptospiroses est réalisée essentiellement par un examen sérologique.
• Le MAT et le test Elisa classique sont fondés sur la détection d’une réponse immunitaire chez l’hôte aux antigènes structuraux des leptospires. C’est ce qui constitue leur principal inconvénient puisque les anticorps agglutinants ne peuvent être décelées que huit à dix jours après le début de l’infection, lorsque des signes cliniques sont déjà présents [5]. De plus, les immunoglobulines G (IgG) peuvent être décelées pendant plusieurs mois, voire plusieurs années après une infection : leur détection n’apporte donc pas toujours la preuve d’une infection en cours. Il existe également des réactions croisées pour les immunoglobulines M (IgM) entre les différents sérovars, en particulier au début de l’évolution clinique.
• La distinction entre des anticorps agglutinants d’origine vaccinale ou postinfectieuse dépend des sérogroupes considérés. Pour les anticorps agglutinants concernant les sérogroupes présents dans les préparations vaccinales (IH et Can), le titre sérologique est pris en compte. Pour un chien non infecté et vacciné, il n’excède pas 1/320, sauf si la vaccination est récente (moins de trois mois) [5]. La signification clinique à partir d’un seul résultat positif est difficile à établir et doit être corrélée aux résultats des investigations cliniques et épidémiologiques (risque d’exposition, répartition géographique des sérovars). Aussi est-il recommandé de réaliser un deuxième dosage des anticorps trois semaines après le premier, afin de mettre en évidence une séroconversion ou une augmentation significative du titre en anticorps.
Le test Elisa “protective peptide”, encore expérimental, met en évidence une réponse immunitaire dirigée contre un peptide de la protéine Hap1, protéine commune à tous les leptospires pathogènes en cours de multiplication et sécrétée précocement lors de l’infection de l’hôte. Il ne nécessite pas l’utilisation de plusieurs antigènes différents. Il permet d’objectiver de façon précoce une infection par un leptospire pathogène. Les vaccins composés de leptospires tués comportent tous les antigènes structuraux, mais seulement des traces de cet antigène émis in vivo et, de ce fait, ne stimulent pas de réponse immunitaire significative contre cette protéine. Cet examen permet donc de mettre en évidence des anticorps postinfectieux. Son utilisation pourrait se révéler intéressante pour établir un diagnostic précoce de la maladie dont l’expression clinique est protéiforme [3, 9].
• Des techniques d’amplification génique par polymerase chain reaction (PCR) sont proposées. L’outil moléculaire assure la mise en évidence rapide de la bactérie (24 à 48 heures) et permet de détecter une infection avant que l’animal ne présente une réponse immunitaire décelable [7]. La détection d’ADN leptospiral dans le sang ou l’urine d’un chien qui présente des symptômes apporte un diagnostic de certitude [7]. Les inconvénients principaux de cette procédure sont la présence d’inhibiteurs naturels, notamment dans certaines urines, et son extrême sensibilité à la contamination de la zone de travail. Elle requiert des structures adaptées et un personnel qualifié [6].
• L’utilisation de la PCR fondée sur le gène codant pour la protéine Hap1 serait un outil très utile pour l’identification rapide, sensible et spécifique des leptospires pathogènes ou pour des études épidémiologiques [4].
• Le chien était sous chimioprophylaxie (doxycycline) en prévention de l’ehrlichiose. Chez l’homme, des études montrent qu’en zone d’endémie la prise de doxycycline à la dose de 200 mg par semaine ne modifie pas l’incidence de la leptospirose, mais en réduit le taux d’attaque(5), la morbidité et la mortalité [8]. De plus, la prise perexposition de 100 mg/j chez des athlètes d’un écochallenge à Bornéo a eu un effet préventif dans 55 % des cas [8].
Chez le chien, l’impact de cette prophylaxie n’est pas évalué, mais, dans le cas décrit, l’atteinte rénale était contre toute attente sévère.
Par ailleurs, la décompensation brutale avec des valeurs très élevées de l’urée et de la créatinine peut s’expliquer par la séropositivité du chien vis-à-vis de la leishmaniose.
• Les forces françaises sont néanmoins stationnées en permanence dans cette zone depuis les années 1980, avec une présence de chiens militaires, et c’est le premier cas enregistré de leptospirose canine, alors que le risque d’exposition est le même chaque année.
Soit cette infection est sous-diagnostiquée, soit la vaccination et, peut-être dans une moindre mesure, la prophylaxie sanitaire sont efficaces.
À N’Djamena, durant la saison des pluies, les précipitations importantes sont à l’origine de la multiplication des flaques d’eau stagnante et de l’inondation d’une partie du chenil (ring d’entraînement) (). De plus, la faune sauvage est nombreuse sur la base (rongeurs, oiseaux, etc.). La contamination des eaux de surface par l’urine des rongeurs peut être à l’origine de la contamination de ce chien. Pour les militaires français qui sont stationnés sur ce site, le risque d’exposition est réel : réservoir animal, climat tropical, activités de terrain. Des mesures préventives doivent être prises au profit des hommes et des chiens afin de maîtriser ce risque zoonotique : renforcement de la surveillance épidémiologique, contrôle des pullulations de rongeurs (dératisation, gestion des déchets et des eaux usées, débroussaillage, etc.), limitation des contacts avec des eaux potentiellement contaminées et avec les rongeurs, éducation sanitaire, formation et information des personnes exposées.
Les tests sérologiques ont permis de porter un diagnostic de certitude pour ce cas de leptospirose, dont le diagnostic étiologique était difficile à établir aux seules vues des signes cliniques et des résultats des examens biochimiques. L’antibiothérapie mise en place dès la première consultation n’a toutefois pas permis d’enrayer la maladie, en raison de la sévérité de l’atteinte rénale.
(1) Les sérovars sont les taxons de base, c’est-à-dire des souches sérologiquement différentes, mais qui peuvent, sur leurs homologies antigéniques relatives, être regroupées en sérogroupes.
(2) Sur la base des résultats d’hybridation ADN-ADN, les leptospires ont été subdivisées en sept espèces génomiques (ou genomospecies).
(3) Médicament humain.
(4) Utilisation hors autorisation de mise sur le marché.
(5) Le taux d’attaque primaire correspond au taux d’incidence du début d’un événement, le taux d’attaque secondaire traduit le degré de transmission de la maladie à partir des foyers primaires.
• Souvent sous-diagnostiquée, la leptospirose est une zoonose bactérienne qui représente un grave problème de santé publique, notamment en zone tropicale.
• La vaccination des chiens à l’aide du vaccin à agent inactivé protégeant contre L.i. Canicola et L.i. Icterohaemorrhagiae n’empêche ni le portage ni l’excrétion de la bactérie.
• Le test de micro-agglutination permet d’établir le diagnostic de certitude. Deux dosages à trois semaines d’intervalle sont recommandés afin de rechercher une séroconversion après le début des signes cliniques.
• Le test Elisa “protective peptide” permet de mettre en évidence une réponse immunitaire dirigée contre un peptide de la protéine Hap1 commune à tous les leptospires pathogènes.
Remerciements à J. Ginesta, S. Magnan et C. Quain, vétérinaires au 132e BCAT (Suippes) pour leur collaboration.