Examen du silo de maïs en pratique - Le Point Vétérinaire n° 284 du 01/04/2008
Le Point Vétérinaire n° 284 du 01/04/2008

Alimentation des vaches laitières

Mise à jour

Conduite à tenir

Auteur(s) : Bruno Bertheloz*, Michel Vagneur**

Fonctions :
*Pioneer Semences
Chemin de l’Enseigure
31840 Aussonne
bruno.bertheloz@pioneer.com
**10, rue de Boyse
39300 Champagnole
michel.vagneur@wanadoo.fr

Des critères simples permettent d’objectiver la qualité d’un ensilage de maïs qui a des conséquences sur la santé des vaches. Des conseils curatifs et préventifs peuvent être formulés.

L’ensilage de maïs occupe une place centrale dans la majorité des rations pour vaches laitières. Il représente jusqu’à 70 % de la matière sèche (MS) ingérée dans ce type de production. En France, 10 % des cultures fourragères lui sont consacrées, soit 1,4 million d’hectares (et 20 % de la matière sèche destinée aux ruminants).

Cet aliment particulier, mi-fourrage, mi-concentré est apprécié pour son rendement par hectare, qui peut dépasser les 20 tonnes de matière sèche, mais sa réalisation nécessite une attention particulière. La qualité de l’ensilage de maïs est, directement ou indirectement, nécessaire à la santé, à la production et à la reproduction des vaches laitières(1) (encadré 1). Elle correspond aussi à une attente des filières de production animale, du consommateur au transformateur. Une bonne connaissance de la conservation des silos permet un conseil adapté et efficace à partir d’observations simples.

Étape 1 : observations directes

En première approche, tout éleveur sait fabriquer de l’ensilage de maïs. Toutefois, avec l’augmentation de la taille des troupeaux laitiers, la réduction de la main-d’œuvre et les progrès dans l’outillage (vitesse de coupe plus rapide), la qualité des ensilages de maïs devient critique dans certaines fermes laitières.

1. Moisissures

La présence de moisissures est un critère de mauvaise conservation du silo, de pertes en valeur nutritive et de risques sanitaires pour les animaux [1]. La mauvaise conservation est un facteur de risque important de contamination par des spores butyriques dans le lait et de listériose. En revanche, un ensilage moisi ne contient pas systématiquement des mycotoxines.

Les moisissures sont pénalisantes car elles engendrent des pertes quantitatives (matière sèche) : les parties moisies doivent être jetées. Leur appétence est faible, d’où une valeur alimentaire globalement diminuée. Les moisissures ont rarement une toxicité intrinsèque, mais elles produisent des toxines qui peuvent persister dans le fourrage même après leur disparition.

La plupart des moisissures de silos sont peu toxinogènes. Les quelques exceptions notables (PR toxine, patuline, etc.) justifient de mettre de côté préventivement les parties moisies avant la distribution (temps perdu pour l’éleveur).

2. Charbon commun

Le charbon commun est une maladie du plant de maïs due à un champignon (Ustilago maïdis). Les spores présentes dans le sol se développent sur des plantes sensibles et potentiellement stressées (stress hydrique). En cas de forte infestation par le charbon commun, des défauts de conservation et une baisse d’appétence sont à craindre, mais ce parasite n’est pas toxique dans les conditions habituelles [A].

3. Odeur

L’acide lactique est peu odorant. Un bon silo sent peu. Le rance évoque l’acide butyrique, donc des altérations de conservation. L’odeur de vinaigre trahit la présence d’acide acétique (fermentations indésirables), qui peut aussi être produit par des souches spécifiques sans conséquences.

4. Aspect

• Les extrémités des particules (tiges/feuilles) doivent présenter une coupe franche ().

• Quantitativement, les grains apportent une part essentielle de la valeur énergétique de l’ensilage de maïs. Ils doivent être éclatés pour offrir une large surface aux micro-organismes du rumen (et une bonne vitesse de vidange du rumen).

Un grain non éclaté a une forte probabilité de se retrouver intact dans les bouses. Cette perte n’est pas négligeable et peut atteindre plusieurs unités fourrage lait (UFL) par jour [f].

Étape 2 : densité et compaction

En 15 ans, le matériel de récolte a évolué. Les ensileuses traînées à un ou deux rangs ont été remplacées par les automotrices à huit rangs. La rapidité d’exécution des chantiers d’ensilage a ainsi augmenté.

En bout de chaîne de fabrication, l’éleveur risque de tasser insuffisamment le silo (avec les roues du tracteur), d’où une possible reprise ultérieure des fermentations.

1. Évaluation de la compaction

La compaction peut être évaluée à l’aide d’un test simple ( et ).

Moins le silo est compact, plus les entrées d’air sont importantes et profondes. Les fermentations nécessaires à la conservation sont retardées, le pH et le taux d’acide acétique sont plus élevés. Des levures se développent, les odeurs d’alcool et l’échauffement en sont les premiers témoins. Les moisissures prennent le relais [C]. La valeur alimentaire diminue. Pour un ensilage à 30 % de MS, une élévation de la température de 10 °C entraîne des pertes pouvant aller jusqu’à 2,3 % de MS par jour [b].

Les pertes économiques induites par une mauvaise compaction sont élevées : pertes directes (MS et valeur nutritive), mais aussi secondaires au développement de butyriques et à la baisse d’ingestion.

2. Mesure de la densité

La densité est un paramètre calculable à partir de la matière sèche, qui peut être évaluée manuellement ( et encadré 2). Une “carotte” d’ensilage est prélevée avec une tarière de volume donné, puis pesée. L’idéal se situe à 220 kg de MS/m3, mais il est rarement atteint [a]. Dans une expertise réalisée par Pioneer en 2004, sur 97 silos étudiés, plus de la moitié présentaient une densité inférieure.

3. Facteurs de variation

Lorsque la matière sèche est très élevée (plus de 40 %), l’air résiduel dans le silo peut être trois à cinq fois plus important que la normale. Un soin plus important doit donc être apporté à la compaction, et de bonnes pratiques d’ensilage et de reprise du silo sont à recommander. Néanmoins, il convient de ne jamais descendre en dessous de 10 mm de coupe afin d’améliorer la compaction. Les ensilages hachés les plus longs ne sont pas forcément les moins bien compactés ().

4. Intérêt des conservateurs

Les conservateurs (acides ou stabilisateurs biologiques à base de bactéries lactiques revivifiables) permettent de pallier une compaction insuffisante, des risques associés à une MS élevée et une vitesse variable d’avancement du silo au cours de l’année ( et encadré 3) [B]. Ils sont particulièrement recommandés pour les reports de silo, les ensilages distribués l’été ou les silos de trop grande taille par rapport à la vitesse d’avancement.

Leur rapport coût/bénéfice est toujours positif.

Étape 3 : taille des particules

1. Recommandations

Le tamis secoueur ITCF permettant de situer la granulométrie de l’ensilage a vu le jour dans les années 1980 () [5]. Les préconisations de taille de particules visaient alors à maximiser l’ingestion et la compaction au détriment de la mastication (voir le tableau complémentaire “Aspect des recommandations de réglage de longueur de coupe et d’éclateur”, sur planete-vet.com).

Les préconisations de l’ITCF, devenu Arvalis Institut du Végétal, ont évolué vers une plus grande longueur de particules (, et ), car l’ensilage entre pour une part croissante dans la ration, et la capacité d’ingestion des vaches a augmenté.

Actuellement, l’objectif est d’obtenir une grande quantité de particules de plus de 5 mm, peu de très grosses particules et des grains éclatés. L’éclateur permet de produire un grain dont l’amidon est mécaniquement disponible, donc potentiellement fermentescible dans le rumen. La longueur de coupe recommandée est de 15 à 17 mm (, et ).

Un essai a été publié en 2000 sur la taille des particules (vaches hautes productrices, avec lot témoin ingérant 25,3 kg de matière sèche et produisant 38,2 kg de lait standard) [2]. Des coupes à 9,5 ou 14,5 ou 19 mm sont comparées. La valeur recommandée est de 19 mm avec des grains éclatés. Dans cet essai, l’éclatage des grains a permis de gagner 1,2 kg de lait et 1,5 kg de matière sèche ingérée.

2. Hachage et fermentescibilité

Une réduction de la taille particulaire de 14 à 6,7 mm réduit l’activité masticatoire de 22 % [6].

Un hachage fin augmente la fermentescibilité dans le rumen et diminue la fibrosité, accroissant ainsi les risques d’acidose. La sélection génétique de maïs de meilleure fermentescibilité est également possible. Les deux variables ont été croisées [3]. L’hybride de maïs le plus fermentescible et haché finement (5 mm) conduit à un pH ruminal moyen de 6,19, et l’hybride le moins fermentescible et haché plus grossièrement (13 mm), à un pH ruminal moyen de 6,51. Deux autres lots de l’étude génèrent des pH ruminaux intermédiaires : lot fermentescible génétique et haché grossièrement, pH de 6,36 ; et lot peu fermentescible haché finement, pH de 6,38. La longueur de coupe n’affecte ni l’ingestion ni la production. En revanche, l’hybride le plus fermentescible (quelle que soit sa coupe) a été le mieux ingéré et a permis la meilleure production laitière.

Étape 4 : température et pH

1. Température

• Un thermomètre à sonde permet d’évaluer la différence de température entre l’intérieur du silo (non soumis aux reprises en fermentation et généralement proche de 25 °C) et la couche superficielle du front d’attaque.

Une élévation de température indique une reprise de fermentations et provoque des pertes de MS (, , encadré 4).

• En saison froide, la température du front d’attaque doit être plus basse que la température interne du silo (généralement 5 °C). En période chaude, elle peut s’élever au-delà de 25 °C, mais elle ne doit pas dépasser la température ambiante.

• Lorsqu’un ensilage est réalisé par temps très chaud, la masse végétale et l’air emprisonné peuvent conserver la chaleur pendant des mois, surtout si le silo est haut et large. Cette chaleur résiduelle de fabrication ne doit pas être confondue avec une chaleur de reprise de fermentation.

2. pH

Un pH-mètre électronique est précis mais coûteux et d’entretien délicat. Des bandelettes réactives peuvent également être utilisées.

L’acidité du silo est mesurée en plusieurs points avec pour objectif une valeur de 4 (). Plus la mesure est proche des zones moisies, plus le pH augmente, ce qui permet d’objectiver les altérations liées aux moisissures. Des pH très bas (3,2 à 3,5) sont fréquents et signent une excellente conservation. Toutefois, ils accroissent l’acidité globale de la ration ingérée et constituent un facteur de risque supplémentaire d’acidose.

Si un des critères présentés ci-dessus est insatisfaisant, des conseils immédiats peuvent être donnés, assortis de consignes pour la prochaine récolte (encadré 5) [D]. Des analyses de laboratoire peuvent compléter les critères de base exposés ici :

- composition en acides (lactique, acétique, butyrique) ;

- taux d’azote soluble et ammoniacal ;

- valeurs nutritionnelles [4].

Dans tous les cas, les évaluations sont à pratiquer silo par silo, et à réitérer d’une année sur l’autre, car les ensilages de maïs sont largement soumis aux aléas climatiques, humains et techniques.

  • (1) Pour l’ensilage destiné à l’engraissement, aucune recommandation qualitative spécifique n’existe. En engraissement, le recours aux céréales à hauteur de 2 à 4 kg/j amortit les variations de valeur alimentaire.

Encadré 1 : Risques liés à l’ensilage de maïs en élevage laitier

Une mauvaise qualité de conservation de l’ensilage de maïs peut engendrer :

- des pertes économiques directes ;

- des baisses de production (quantité de lait, taux de matière utile) ;

- des troubles métaboliques (amaigrissement par déficit énergétique, acidose par insuffisance de rumination) ;

- de mauvaises performances de reproduction (subœstrus) ;

- une hausse du risque de contamination par des spores butyriques, pénalisant le prix du lait ;

- un risque de listériose accru ;

- des risques liés aux mycotoxines (difficiles à évaluer chez les bovins mais vraisemblablement importants dans certains cas [15]).

Des telles observations justifient donc un examen d’ensilage.

Encadré 2 : Calcul de la densité

Une carotte d’ensilage est prélevée avec une tarière de volume donné et pesée.

La MS est estimée manuellement :

Densité (kg de MS/m3) = poids (kg) x taux de MS ( %)/volume (m3)

Entre 30 et 35 % de MS, la densité idéale se trouve au-dessus de 220 kg de MS/m3 [a].

Encadré 3 : Intérêt des conservateurs d’ensilage

Les conservateurs d’ensilage permettent :

- d’accélérer la baisse de pH ;

- d’améliorer la valorisation du fourrage par l’animal ;

- de limiter les fermentations indésirables à l’ouverture du silo ;

- d’éviter les pertes de valeur nutritionnelle ;

- de prolonger la durée de bonne conservation ;

- de limiter la synthèse de composés peu appétents, voire toxiques ;

- donc d’améliorer l’ingestion et la qualité sanitaire (butyriques, Listeria et substances toxiques).

Encadré 4 : Recommandations de température en pratique

• Au cœur du silo, la température est celle du jour de la récolte, à moduler selon les fermentations, mais en général autour de 20 °C.

• En hiver, la température sur le front d’attaque avoisine les 20 °C, y compris dans les régions froides. Le maximum admissible est de 25 °C.

• En été, la température sur le front d’attaque avoisine les 25 °C. Le maximum acceptable est de 30 °C.

Encadré 5 : Conseils pour améliorer la compaction et prévenir les fermentations indésirables

• Ne pas équiper les tracteurs de tassage avec des pneus basse pression (conçus pour ne pas tasser le sol justement), mais les gonfler à une pression supérieure à 2 bars ou les remplir d’eau [a].

• Utiliser des sacs de sable pour charger le front d’attaque car ils exercent cinq fois plus de pression que les pneus recyclés.

• Accélérer la vitesse de dessilage en prélevant moins profondément à chaque endroit de façon à y revenir plus tôt. Assurer une avance de front de 20 cm/j en été et de 15 cm/j en hiver.

• Débâcher le silo un à deux jours au maximum à l’avance, et limiter les entrées d’air qui favorisent les reprises de fermentation.

• Éviter de déstructurer le front d’attaque, car les anfractuosités laissent entrer l’air et favorisent l’échauffement, donc préférer les dessileuses à rotor (fraises) aux godets.

• Ne pas laisser de tas d’ensilage détassé au pied du silo (rapide reprise des fermentations), éliminer les parties mal conservées.

• Éviter d’ébranler le silo lors de la reprise (prendre à la main les parties instables si besoin) : coupe franche, verticale et sans fissuration.

• Assurer un renouvellement du front d’attaque en moins de trois jours.

• Distribuer rapidement l’ensilage dessilé [D].

• Arroser le front d’attaque du silo avec des produits à base d’acide propionique en cas d’urgence (en curatif). Recourir à des conservateurs d’ensilage [B].

CONGRÈS

a - Brunschwig P. Institut de l’Elevage. Moisissures dans le maïs. Article consultable en ligne http://www.inst-elevage.asso.fr/html1/ article.php3 ?id_article=2042

b - Honig H, Woolford MK. Changes in silage on exposure to air. In : Ed. Thomas C. Forage Conservation in the 80’s. Occasional Symposium n° 11. British Grassland Society, Hurley, Berkshire, UK. 1980 :76-87.

c - ITCF. Finesse de hachage de l’ensilage de maïs. Brochure consultable en ligne www.arvalisinstitutduvegetal.fr

d - Pennstate. http://www.das.psu.edu/dairy nutrition/forages/particle/

e - Stefanie JWH, Elferink O, Driehuis F, Gottschal JC, Spoelstra SF. Silage fermentation processes and their manipulation. Consultable en ligne http:// www.fao.org/docrep/005/x8486e/x8486e00.htm

f - Vagneur M. Examen des bouses des vaches laitières en relation avec l’alimentation. Conférence Journées nationales des GTV, Nantes. 2003 :423-429.

g - Vagneur M. Visite d’élevage laitier : de la méthode au conseil. Conférence Journées nationales des groupements techniques vétérinaires, Tours. 2002 :725-763.

VOIR AUSSI

A - La France Agricole 29 août 2003. “Maïs : la sécheresse a favorisé le charbon commun.”

B - “Conservateur pour maïs”. L’éleveur laitier. Octobre 2002 :38.

C - “Maïs mal tassé : gare aux moisissures”. L’éleveur laitier. Septembre 2001 :102-103.

D - “Bien dessiler son maïs”. Réussir Lait Élevage. Mars 2006 ;190 :60.

Références

  • 1 - Bailly JD, Bailly S. Le Bars J. Les altérations fongiques. Bull. GTV n° 35 Juillet 2006:37-41.
  • 2 - Bal MA, Shaver RD, Jirovec AG, Shinners KJ, Coors JG. Crop processing and chop length of corn silage : effects on intake, digestion and milk production by dairy cows. J. Dairy Sci. 2000.83:1264-1273.
  • 3 - Fernandez I, Martin C, Champion M, Michalet-Doreau B. Effect of Corn Hybrid and Chop Length of Whole-Plant Corn Silage on Digestion and Intake by Dairy Cows. J. Dairy Sci. 2004;87:1298-1309.
  • 4 - Laumonnier G. Analyses de fourrages. Bull. GTV n° 35 Juillet 2006:42-50.
  • 5 - Sauvant D. Granulométrie des rations et nutrition du ruminant. INRA Prod. Anim. 2000;13(2): 99-108.
  • 6 - Sudweeks EM, Ely LO, Mertens DR, Sisk LR. Assessing minimum amounts and form of roughages in ruminants diets : roughage value index system. J. Anim. Sci. 1981;53:1406-1411.
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