Vidéosurveillance des chaleurs assistée par ordinateur - La Semaine Vétérinaire n° 283 du 01/03/2008
La Semaine Vétérinaire n° 283 du 01/03/2008

Zootechnie et reproduction bovine

Pratique

Essai clinique

Auteur(s) : Thierry Hétreau*, Olivier Giroud**

Fonctions :
*Centre d’élevage
Route École Agriculture
74330 Poisy
**Centre d’élevage
Route École Agriculture
74330 Poisy

Le système de caméras et le logiciel permettant la sélection d’images sont utiles à l’éleveur. Ils facilitent aussi la surveillance des vêlages.

La conduite d’élevage, et notamment le temps que l’éleveur consacre à la surveillance des chaleurs apparaît comme un élément de plus en plus déterminant dans les résultats de fertilité d’un troupeau [2, 5]. Avec la diminution de la main-d’œuvre, l’augmentation de la taille des troupeaux, la multiplication des réunions et l’émergence du besoin de loisirs, les éleveurs considèrent qu’ils ont moins de temps à consacrer à cette tâche. Améliorer l’efficacité de la détection des chaleurs peut augmenter significativement les profits d’un éleveur. Divers systèmes sont commercialisés. Un dispositif de vidéosurveillance assistée par ordinateur a été mis en place dans une ferme laitière située en Haute-Savoie. Cette expérience vise une utilisation réelle en élevage courant, et non strictement une expérimentation sur les chaleurs (comme l’ont précédemment effectué Kerbrat et Disenhaus à la ferme du Rheu, près de Rennes [4]). Des améliorations sont en cours d’expérimentation pour le dispositif présenté dans cet article.

Protocole

1. Contexte

L’expérimentation se déroule au centre d’élevage Lucien-Biset situé à Poisy (Haute-Savoie). Soixante-dix vaches laitières, en moyenne, sont élevées sur 360 m2 d’aire paillée et 255 m2 d’aire raclée. Les races montbéliarde et abondance dominent (elles représentent 45 % du cheptel chacune). La race prim’holstein est en minorité (10 %). La moyenne de production est de 7 500 kg de lait par vache et par an.

2. Dispositif de vidéosurveillance

Quatre caméras numériques fixes sont installées sur les deux aires paillées de repos () :

- deux caméras couleur (nos 1 et 2) aux extrémités d’une des aires de couchage ;

- deux caméras infrarouges (nos 3 et 4) aux extrémités de la seconde aire.

Elles fonctionnent jour et nuit. Une partie des néons de la stabulation sont laissés allumés.

Seules les images des caméras nos 1 et 4 sont soumises au dépouillement. Les caméras nos 2 et 3 servent en cas de doute et pour faciliter l’identification des vaches (par un opérateur qui, pour les besoins de l’expérimentation, ne suit pas le troupeau en direct). Cette identification s’effectue par la robe. Des photos des profils gauche et droit des vaches ont été prises au préalable, pour le cas où l’identification poserait des difficultés.

3. Logiciel d’analyse d’image

Les caméras sont reliées à un ordinateur équipé d’un logiciel de gestion des séquences vidéo ( et ). Seule l’acceptation de chevauchement (> deux secondes) est retenue comme signe spécifique des chaleurs dans cet essai (vidéo complémentaire, sur www.planete-vet.com). Dans l’étude, la première acceptation correspond au début des chaleurs. Trois méthodes de dépouillement assisté par ordinateur sont testées en parallèle (encadré 1).

Pour l’essai 2006-2007, le dépouillement des séquences porte sur 103 jours (du 19 décembre 2006 au 21 avril 2007).

La durée quotidienne de dépouillement est estimée méthode par méthode (en temps, en taille des séquences en gigaoctets ou en nombre d’icônes). Le temps d’identification des vaches est chronométré séparément.

4. Autres évaluations parallèles

Méthode de référence pour les chaleurs

Des dosages de progestérone sont effectués deux fois par semaine dans le lait, chez 33 vaches du troupeau, à partir du 20e jour post-partum jusqu’au diagnostic de gestation (par examen échographique ou palpation transrectale). Les analyses sont réalisées par un test Elisa mis en œuvre par le laboratoire de l’Union nationale des coopératives d’élevage et d’insémination artificielle (UNCEIA) (Ovucheck® Milk).

Des profils de progestérone sont, dans un premier temps, constitués pour déterminer les phases ovulatoires. Par définition, une phase ovulatoire correspond à un dosage positif supérieur à 3,5 ng/ml précédé de deux dosages négatifs. La date des chaleurs, selon cette méthode de référence, est celle du premier prélèvement négatif suivi d’au moins un prélèvement positif.

Surveillance directe par l’éleveur

Dans cet élevage où des stagiaires sont intégrés, la surveillance directe est pratiquée quatre fois par jour pendant 10 minutes : avant les traites (6 heures, 16 heures), à midi et vers 20 ou 21 heures. Cette méthode est baptisée “direct-éleveur”.

Résultats

1. Durée d’observation et temps réel écoulé

Grâce aux méthodes caméra trois fois 30 minutes, icônes et caméra continue, respectivement 13, 18, et 20,5 fois plus de chevauchements qu’avec la technique direct-éleveur sont visualisés dans un laps de temps donné (en moyenne) ().

Le temps d’identification d’une vache varie entre 2 et 2 minutes 30 secondes en moyenne (temps plus long pour la race abondance, à la robe davantage uniforme). Les durées d’observation sont hétérogènes. Elles s’allongent lorsque plusieurs vaches sont en chaleurs en même temps (jusqu’à cinchaleurs simultanées dans l’étude), car la vitesse de défilement doit être ralentie. Inversement, elles diminuent lorsque de nombreux animaux sont couchés.

2. Sensibilités : taux de détection des chaleurs

Soixante et onze phases ovulatoires au total sont identifiées par la méthode de référence pendant la période d’étude dans ce troupeau de 70 vaches. Cela n’est pas suffisant pour obtenir des résultats statistiquement significatifs. Quarante-quatre phases ovulatoires sont détectées par les trois méthodes de dépouillement. Ensemble, ces dernières permettent de repérer 13 phases ovulatoires non visualisées par la technique direct-éleveur. Seulement deux phases ovulatoires non observées par l’éleveur sont repérées grâce à la méthode caméra continue.

Deux types de sensibilité sont calculées pour chaque méthode () :

- sensibilité 1 : taux “brut” de détection des chaleurs par rapport à la méthode progestérone ;

- sensibilité 2 : taux de détection des phases ovulatoires accompagnées de l’acceptation du chevauchement.

Peu de chaleurs discrètes sont enregistrées dans cette étude, et les deux sensibilités sont donc très proches.

3. Spécificité du signe de détection retenu

Deux acceptations sur 69 n’ont pas été observées au cours d’une période ovulatoire.

4. Résultats annexes en caméra continue

Répartition des chaleurs

Les débuts des chaleurs (c’est-à-dire les premières acceptations) ont tendance à être répartis sur le jour et la nuit, mais l’effectif est faible, et ces résultats ne sont pas significatifs. Ainsi :

- 57 % des acceptations sont observées le jour, entre 7 et 19 heures ;

- 43 % la nuit, entre 19 et 7 heures.

En outre, un biais existe dans ce calcul car les périodes de traite et d’alimentation au cornadis en sont exclues (de 6 à 8 heures et de 16 à 18 heures). Cela accentue encore plus le résultat selon lequel davantage de chaleurs paraissent démarrer le jour, ce qui n’est pas classiquement admis (en fait, les résultats d’expérimentation sont discordants).

Impact sur l’insémination artificielle

Le visionnage 24 heures sur 24 et les données fournies par l’inséminateur pour 31 inséminations artificielles (IA) sont croisés pour déterminer si le moment de l’IA a été optimal dans l’étude (). L’influence de l’intervalle entre le début de chaleur et l’IA sur la réussite de cette dernière ressort alors clairement : seulement 22 % de réussite sont obtenus au-delà de 24 heures. Les profils de cyclicité sont aussi déterminés au cours de l’étude (avant et après la première IA). Une reprise d’activité est observée en moyenne au 35e jour post-partum et une reprise de cyclicité 7,5 jours plus tard. La réussite en première IA s’élève à 45,5 %. Le pourcentage de réussite moyen en première IA de l’élevage est de 54 % en 2007 pour les laitières.

Discussion

L’outil présenté dans cette étude est simple à utiliser : quelques jours de prise en main ont suffi pour une bonne maîtrise.

1. Intérêt social

Dix-huit à 20 fois plus de chevauchements ont été visualisés en deux fois moins de temps qu’en direct. Le système de vidéosurveillance favorise donc l’absence de l’éleveur. Or les éleveurs sont de plus en plus sollicités pour des réunions à l’extérieur et leur mode de vie a évolué, avec celui de l’ensemble de la société, vers un besoin accru de temps libre. Les images peuvent être visualisées à domicile grâce à Internet (et un système simple d’accès à distance). Ce dispositif facilite, à ce titre, la surveillance des vêlages (même si l’essai n’était pas centré sur cette utilisation, sachant que, dans ce centre d’élevage, par exemple, personne ne réside sur le site). Ce système pourrait aussi être prêté temporairement à des éleveurs pour objectiver une situation. Il joue un rôle d’encouragement à l’observation des chaleurs. Il peut permettre un diagnostic différentiel entre la présence d’un anœstrus vrai et une détection erronée des chaleurs.

2. Rentabilité économique

Coût

Dans cette étude, le matériel a été loué (Sistel SA).

Le prix à l'achat du système est de 7 000 €. Il comprend les quatre caméras, le câblage, l'onduleur et l'ordinateur avec le logiciel.

La rentabilité n’a pas été calculée stricto sensu, mais elle peut être discutée. En première approche, elle dépend des objectifs de vie de l’éleveur, du nombre de vaches et du niveau de fertilité du troupeau.

Gains attendus : augmenter l’efficacité de l’IA

La vidéosurveillance permet de préciser le début des chaleurs, car toutes les images sont stockées, alors que, avec des observations ponctuelles, l’éleveur ne peut savoir si c’est la première fois que la vache accepte le chevauchement (donc le début réel des chaleurs). D’autres méthodes d’“avenir”, telles que le dosage de la progestérone dans le lait, sont moins précises.

Or l’intervalle avec l’IA fécondante influe sur la réussite de l’insémination (comme cela est confirmé dans cet essai grâce aux données recueillies par des inséminateurs) ; ici, l’optimum se situe entre 0 et 12 heures.

Raccourcir l’intervalle vêlage-IA fécondante est économiquement intéressant en raison des coûts d’élevage d’une vache. Même si une IA n’est pas coûteuse en elle-même, c’est la rentabilité d’une vache donnée qui est affectée lorsque les IA se multiplient parce que l’insémination n’a pas été pratiquée au bon moment ou que des chaleurs n’ont pas été détectées. Un calcul simple de l’impact de variations du taux de détection des chaleurs peut être proposé (). D’autres calculs plus élaborés sont possibles [b]. Tous soulignent l’impact économique du paramètre “surveillance des chaleurs”. Cela n’est pourtant pas ressenti par les éleveurs, qui reprochent à l’observation directe son caractère passif.

3. Efficacité de détection attendue

Globalement, un taux de détection correct des chaleurs est observé dans cette étude (toutes méthodes confondues). Cela peut être lié au contexte d’expérimentation et à la présence de stagiaires en formation au centre d’élevage de Poisy (observation stricte selon les consignes), mais aussi à la race et à la conduite d’élevage (peu de chaleurs discrètes). Par comparaison, divers auteurs rapportent des taux de 50 % pour des temps de surveillance de quatre fois cinq minutes [1, 6, 7, 8].

L’utilisation de la fonction caméra icônes requiert deux fois moins de temps que la méthode direct-éleveur (la technique caméra trois fois 30 minutes est exclue car elle est associée à un biais). Elle pourrait donc permettre d’obtenir un taux de détection de 80 %, comparable à celui rapporté dans la littérature pour quatre fois 10 minutes de surveillance (82 %).

4. Enseignements

La vidéosurveillance est didactique, surtout dans cet essai, grâce au dépouillement caméra continue à des fins expérimentales. Dans cette étude, les chaleurs se répartissent sur toute la journée, avec une tendance diurne (57 %), ce qui est cohérent avec ce qui a été publié par Dransfield [3].

5. Extrapolation des résultats

Un élevage avec une seule aire paillée nécessiterait moins de caméras, limitant le temps de dépouillement et le coût du système. En logettes, la zone de circulation serait encore plus limitée, ce qui faciliterait l’observation, donc diminuerait le temps de dépouillement (même si les chaleurs s’expriment moins). L’essai serait aussi à renouveler en race holstein, pour laquelle la détection des chaleurs est plus difficile ; ici, seulement 6 % de chaleurs discrètes ont été dépistées. Les signes secondaires seraient à prendre en compte [4]. L’intérêt de la vidéosurveillance serait accru lorsqu’un seul éleveur a la charge d’un troupeau et qu’il observe les vaches seulement quelques minutes deux fois par jour, alors que, dans cette étude, deux stagiaires s’y sont consacrés méthodiquement quatre fois par jour, d’où un bon taux de réussite par la méthode direct-éleveur. D’autres facteurs, comme l’absence de vaches en état d’engraissement inférieur à 2 et des sols très peu glissants, contribuent à expliquer le résultat.

6. Améliorations possibles

Le système présente des limites “incompressibles”, mais des améliorations peuvent être envisagées (encadré 2).

Méthode caméra trois fois 30 minutes

La méthode caméra trois fois 30 minutes pourrait être optimisée pour éviter le biais observé, en sachant qu’elle est intéressante par rapport aux habitudes des éleveurs et au temps passé par taux de détection. En fixant les périodes juste avant la traite, le taux de détection passerait, en théorie, de 44 (biaisé) à 73 %. Cela va être réévalué ainsi en pratique.

Éclairement

Dans cette étude, les vaches sont restées exposées à la lumière 24 heures sur 24. En augmentant la durée d’éclairement, la production s’accroît, mais il n’est pas souhaitable de supprimer l’alternance jour/nuit car cela pourrait avoir une influence néfaste sur la production d’hormones [c]. Le système infrarouge serait donc à étudier, avec la mise en place d’un grand nombre de projecteurs, mais le coût en serait aussi accru.

Identification des vaches

L’identification des vaches serait facilitée avec une fonction zoom, mais il conviendrait d’augmenter la définition de l’image pour aller jusqu’à lire la boucle.

Temps de dépouillement

Le temps de dépouillement serait encore minoré en baissant le seuil du détecteur de mouvements (ici bloqué à 90 %). Des essais sont prévus avec différents réglages. La reconnaissance du chevauchement pourrait s’effectuer par la hauteur (faisceau laser à une certaine hauteur qui déclenche la sélection d’images lorsqu’il est coupé, filet tendu avec un détecteur de pression).

Toutefois, la montée du niveau de fumier peut constituer un écueil. Plus sophistiqué (et coûteux), un logiciel de reconnaissance de forme (de chevauchement) pourrait être ajouté.

Croisement des informations

Dans cette étude, le dépouillement a été effectué en aveugle par rapport à l’observation directe et aux dates du planning de reproduction (retour en chaleurs attendu à 21 jours). L’association des trois outils diminuerait le temps de dépouillement.

Ainsi, des travaux sont en cours de prolongement à Poisy pour les années 2008 et 2009, afin d’affiner l’utilisation de cet outil.

Parallèlement, d’autres travaux sont réalisés, ils soulignent l’intérêt porté au paramètre “détection des chaleurs”, en connaissant la marge de manœuvre qui existe.

Par exemple, à la ferme expérimentale de Derval, une mesure de l’activité globale des vaches tous les quarts d’heure est à l’essai (heat time). Le dosage de la progestérone intégré à la traite (testé par Gérard Argenté en 2002 à la ferme pour le groupement de défense sanitaire des Côtes-d’Armor) est aussi en cours de développement.

Encadré 1 : Les trois méthodes de dépouillement numérique d’images testées

• Caméra trois fois 30 minutes. Cette technique s’inspire des recommandations aux éleveurs. Les trois périodes choisies sont de 5 h à 5 h 30, de 11 hs à 11 h 30 et de 22 h à 22 h 30, mais cela conduit à des résultats biaisés.

• Icônes. Seules certaines séquences de 10 minutes sont dépouillées. Elles sont sélectionnées d’après l’activité apparente sur l’icône qui est la première image arrêtée de chaque séquence de 10 minutes. Les séquences à visionner sont choisies selon le nombre de vaches debout et les changements d’une icône à la suivante. Elles sont regardées 2 ou 5 ou 10 minutes selon l’activité observée.

• Caméra continue. L’intégralité des enregistrements est dépouillée, à des fins expérimentales.

Le système a néanmoins pré-écarté les séquences d’inactivité presque totale (en moyenne 9 minutes par heure avec un petit pic de calme à 5 heures, hors des périodes de traite).

POINTS FORTS

• Contrairement aux observations ponctuelles, la vidéosurveillance permet de préciser le début des chaleurs car toutes les images sont stockées.

• Cette méthode permet aussi de surveiller les vêlages.

• Une surveillance à distance est possible par Internet.

Encadré 2 : Limites de la vidéosurveillance des chaleurs

Les limites de la vidéosurveillance des chaleurs en élevage sont :

- une moindre surveillance sanitaire des animaux (rumination, œil, bouses, déplacements difficiles) ;

- aucun bénéfice n’est possible si les vaches n’expriment pas leurs chaleurs, ce qui est fréquent en élevage, surtout pour la race prim’holstein (conduite d’élevage et ration) ;

- cette méthode ne peut pas être utilisée lorsque les vaches sont en pâture. Elle présente donc moins d’intérêt pour des vêlages étalés toute l’année.

EN SAVOIR PLUS

a - Centre d’élevage de Poisy : http://www.elevage-poisy.org

b - Giroud O. Détection des chaleurs des vaches laitières par vidéo-surveillance. Mémoire de fin d'étude. ISARA Lyon,21 sept. 2007:70p.

c - Harold KH Solutions énergétiques : un éclairage pour stimuler la production laitière. http://www.omafra.gov.on.ca/french/engineer/facts/06-054.htm

Remerciements à Claire Ponsart (UNCEIA), à Pierre Paccard (Institut de l’élevage), à François Badinand (ENVL) et au PEP Bovins Lait de la région Rhône-Alpes.

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