Neurologie des ovins
Mise à jour
Le point sur…
Auteur(s) : Alexandre Fediaevsky*, Jean-Noël Arsac**, Géraldine Cazeau***, Didier Calavas****, Christian Ducrot*****
Fonctions :
*Afssa Lyon
31, av. T.-Garnier
69364 Lyon Cedex
Inra Theix, UR346 EA
63122 Saint-Genès-Champanelle
**Afssa Lyon
31, av. T.-Garnier
69364 Lyon Cedex
***Inra Theix, UR346 EA
63122 Saint-Genès-Champanelle
Discrète, la tremblante atypique semble avoir une prévalence comparable à celle de la tremblante classique. Le principe de précaution reste de mise face aux incertitudes.
Depuis 2005, l’Autorité européenne de sécurité des aliments réserve une place à part à la tremblante atypique (incluant la souche historique Nor98), à côté de la tremblante classique et de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) chez les petits ruminants.
La tremblante atypique a d’abord été définie en laboratoire (biochimie, histopathologie, séquençage génétique), alors que les observations cliniques et épidémiologiques se sont accumulées progressivement(1).
Après un bilan de ces données, diverses questions seront abordées.
Des manifestations cliniques de tremblante atypique ont été observées ou filmées [4, 7, 12, 17].
• Le prurit et les tremblements ne sont généralement pas notés, ou de façon discrète. Les symptômes les plus fréquemment rapportés sont les troubles locomoteurs (ataxie, hypermétrie, augmentation du polygone de sustentation), les changements de comportement et l’amaigrissement ( à ).
• L’examen approfondi de deux cas a permis de mettre en évidence un déficit proprioceptif et une perte du réflexe à la menace.
La tremblante atypique semble détectée chez des animaux en moyenne plus âgés que lors de tremblante classique : de cinq à sept ans, contre deux à quatre ans dans la forme classique [8, 20]. Des cas atypiques ont néanmoins été décrits à partir de l’âge de deux ans.
• Si le tableau clinique est globalement évocateur d’une atteinte cérébelleuse (hypermétrie, modification du polygone de sustentation), il n’est pas possible, comme pour les autres encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST), d’établir une correspondance précise entre l’histopathologie et la sémiologie. Par exemple, l’atteinte des noyaux du nerf trigéminé n’est pas associée aux manifestations cliniques habituelles (douleurs de la face, grincement des dents, hypersensibilité au réflexe palpébral) [12]. L’influence du génotype sur les manifestations cliniques ou la période d’incubation n’est, pour l’instant, pas documentée.
De 2002 à 2006, les prévalences brutes annuelles des tremblantes atypique et classique ont été estimées ( et et ).
Les biais de sélection associés au programme de surveillance ont fait l’objet d’une analyse détaillée [1, 6, 15]. L’hétérogénéité spatio-temporelle de l’utilisation des tests de dépistage recommandés pour la détection de la tremblante atypique (conçus par Bio-rad et Idexx) est susceptible d’engendrer un biais supplémentaire, et de rendre délicate la comparaison entre tremblante atypique et tremblante classique. À cela s’ajoute la probable sous-estimation des cas de tremblante atypique due au fait que l’analyse porte préférentiellement sur l’obex (qui n’est pas le siège principal d’accumulation du marqueur de la maladie(1)). En admettant que les biais potentiels n’influencent pas significativement les résultats, l’absence de différence de prévalence brute de la tremblante atypique entre l’abattoir et l’équarrissage pourrait s’expliquer par l’âge élevé des individus atteints, qui tend à converger vers la durée de vie commerciale des animaux.
Jusqu’à ce jour, en raison d’une police sanitaire adaptée à l’épidémiologie de la tremblante classique, la recherche de cas secondaires dans les élevages où un premier cas de tremblante atypique a été détecté n’a pas pu être menée de façon satisfaisante [1]. Il semble cependant que ces cas soient rares, et qu’il n’y ait pas de liens épidémiologiques évidents entre les élevages atteints [14].
L’ensemble des observations collectées au laboratoire et par les programmes de surveillance amène à formuler quatre questions, auxquelles des éléments de réponse peuvent être apportés.
Quatre pistes fournissent des éléments de réponse.
L’apparente stabilité de la prévalence de la tremblante atypique donne à penser qu’il ne s’agit pas d’une maladie émergente. Des analyses complémentaires menées récemment ont permis de classer comme atypique un cas de tremblante détecté au Royaume-Uni en 1989 [5].
Lorsqu’une maladie transmissible est infectieuse, les matières virulentes et les voies de contamination peuvent être caractérisées (encadré 1).
Dans le cas de la tremblante atypique, l’apparente absence de portes d’entrée et de sortie de l’agent infectieux, conjointement aux premières observations épidémiologiques, soulève la question de la nature infectieuse ou non de la maladie.
Le caractère transmissible de la tremblante atypique a été démontré chez la souris transgénique et l’ovin dans des conditions expérimentales [13, 19].
À cette occasion, il a été observé que des prélèvements de système nerveux central (SNC) avec des titres de PrPRes particulièrement bas étaient fortement infectieux.
Toutefois, l’infectiosité des tissus périphériques n’est pas démontrée.
Rien n’est connu sur l’éventuelle transmission de la maladie dans les conditions d’élevage, si ce n’est qu’elle est probablement faible (encadré 2) [1].
À ce jour, la seule étude portant sur les facteurs de risque de la tremblante atypique, réalisée en Norvège, a montré :
- un rôle protecteur du retrait du placenta (comme pour la tremblante classique) ;
- un risque lié à la distribution de compléments minéraux et vitaminiques (CMV) [11].
Ce dernier facteur n’est pas aisé à interpréter et demande à être confirmé. La contamination des CMV par un agent infectieux semble peu probable. Les mécanismes biochimiques faisant intervenir certains ions métalliques (Cu2+, Mn2+, Zn2+) sur la conformation de la PrP sont encore imprécis.
Aucun des facteurs de risque associés aux mouvements d’animaux n’a été mis en évidence, contrairement à la tremblante classique.
Il existe des similarités immunohistochimiques et biochimiques entre la tremblante atypique et le syndrome de Gerstmann-Sträussler-Scheinker (GSS), forme d’EST humaine à forte composante génétique [10, 16].
Trois pistes peuvent être proposées.
• Les prélèvements sont recueillis à différents stades de l’évolution de la tremblante atypique. Dans les quelques études où ce type de comparaison a pu être mené, aucune concordance entre l’âge des animaux atteints, ou la présence ou non de manifestations cliniques, et l’étendue des lésions n’a été observée. Cependant, le nombre des observations reste limité.
• Les souches de tremblante atypique pourraient être hétérogènes. Les techniques de caractérisation biochimiques et immunohistochimiques actuellement disponibles ne permettent pas de mettre en évidence de différence, par exemple, entre les isolats de tremblante atypique détectés en France et les isolats Nor98 trouvés en Norvège [3]. Cependant, pour la tremblante classique, ces mêmes méthodes n’ont pas permis de différencier des souches qui sont observés notamment lors d’expériences d’inoculation à des rongeurs.
• Le génotype du cas intervient. Les différences histopathologiques observées ne semblent pas associées à la variabilité du génotype des animaux atteints, mais les données sont, là encore, insuffisantes pour pouvoir conclure avec certitude.
À ce jour, il n’existe aucun résultat portant sur les différences de niveau d’expression du gène PRNP.
Le diagnostic de la tremblante atypique requiert l’analyse d’un prélèvement de SNC. La recherche à partir de l’obex ne permet de détecter qu’une partie des cas de tremblante atypique (ce qui est aussi vrai dans une moindre mesure pour la tremblante classique).
Il n’est pas actuellement possible d’estimer le nombre de cas qui seraient décelés en analysant également le cervelet. Si l’analyse du cervelet est plus sensible que celle du tronc cérébral, sa sensibilité n’est cependant pas de 100 %. Elle ne serait pas compatible avec l’objectif de détection de l’ESB (nécessairement sur l’obex). La double analyse des prélèvements augmenterait considérablement le coût des programmes.
La recherche sur un mélange de tissus d’obex et de cervelet n’a pas été évaluée, mais conduirait certainement à une diminution trop importante de la sensibilité globale.
Les risques potentiels associés à la tremblante atypique concernent la santé publique et la santé animale.
• Rien ne permet de documenter le risque en santé publique, si ce n’est les opinions des experts et l’absence de liens épidémiologiques statistiquement significatifs entre la consommation de petits ruminants et les diverses EST humaines connues, qu’ils soient absents ou n’aient pas pu être mis en évidence.
Des expériences de transmission à des modèles de souris transgéniques fourniront des éléments sur la capacité de la tremblante atypique à franchir la barrière d’espèce. S’agissant d’une maladie de découverte très récente (1998), qui atteint des animaux élevés pour la consommation humaine, le recours au principe de précaution se justifie. Le retrait des matériaux à risque spécifié, tel qu’il est actuellement mis en œuvre, constitue une mesure adaptée puisque la PrPSc n’a jamais été détectée hors du SNC.
• Pour la santé animale, l’enjeu économique semble actuellement faible, étant donné l’apparente rareté des cas secondaires et l’âge élevé des animaux atteints.
Cependant, négliger la maladie en ignorant ses facteurs déterminants pourrait conduire à des modifications épidémiologiques ultérieures. Cela pourrait engendrer des crises aux conséquences économiques importantes pour une filière déjà en souffrance.
En raison des inconnues qui subsistent, il convient de poursuivre les études visant à mieux comprendre le schéma épidémiologique de la tremblante atypique et de maintenir des mesures de contrôle minimales. Celles-ci pourront être, le cas échéant, révisées à la lumière des connaissances acquises.
(1) Voir l’article “Tremblante atypique : chemin vers une caractérisation”, des mêmes auteurs, dans le Point Vét. 2007;280:23-26.
Remerciements à Timm Konold, Veterinary Laboratories Agency Weybridge, UK.
La reproduction des photographies cliniques a été aimablement autorisée par la Veterinary Laboratories Agency (VLA, UK).
Renseignements pour les droits de reproduction des photos : Heather Hulse, The Library, Veterinary Laboratories Agency, New Haw, Addlestone, Surrey, KT15 3NB, UK.
• Dans le tableau clinique, les signes cérébelleux prédominent.
• La tremblante atypique affecte en moyenne des animaux âgés de cinq à six ans.
• L’apparente stabilité de la prévalence de la tremblante atypique fait supposer qu’il ne s’agit pas d’une affection émergente.
• Les mécanismes d’apparition de la maladie sont encore incompris.
• Dans le cas de la tremblante classique, différentes voies de contamination ont été décrites [8]. La principale, comme pour l’ESB, implique le passage de l’agent infectieux à travers les formations lymphoïdes secondaires de l’intestin. La progression de l’infection s’effectue entre autres le long du nerf vague, ce qui explique que le noyau moteur dorsal du nerf vague (NMDNV) est un siège de dépôt précoce de PrPSc , au niveau du système nerveux central SNC (et l’obex est le prélèvement de choix pour la détection post-mortem de l’ESB) [].
• Au cours de l’évolution de la tremblante classique, la diffusion de la PrPSc en dehors du SNC est à l’origine de la virulence de certains tissus périphériques. Le placenta est sans doute le plus important de ces tissus périphériques en termes de transmission de la maladie [18].
Différents éléments font penser que la transmission de la tremblante atypique en conditions d’élevage est probablement faible :
- porte d’entrée/de sortie de l’agent infectieux non identifiée ;
- rareté des cas secondaires (même si les conditions ne sont pas optimales pour les détecter) ;
- absence apparente de liens entre troupeaux (à l’inverse, la tremblante classique est souvent décrite comme une maladie introduite par l’achat d’animaux, même si d’autres voies de contamination d’un cheptel existent) et de facteurs de risque liés aux mouvements.