Pathogénie de l’incongruence articulaire du coude - Le Point Vétérinaire n° 281 du 01/12/2007
Le Point Vétérinaire n° 281 du 01/12/2007

Orthopédie canine

Mise à jour

Le point sur…

Auteur(s) : Jean-Guillaume Grand*, Stéphane Bureau**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire
8, boulevard Godard
33300 Bordeaux

L’incongruence articulaire est secondaire à une anomalie de développement des os de l’avant-bras. Elle est proposée comme un facteur prédisposant au syndrome de dysplasie du coude.

L'incongruence articulaire (IA) du coude correspond à un mauvais alignement des surfaces articulaires des trois os qui composent cette articulation ( et ).

Trois formes sont communément décrites : une forme physiologique et deux types pathologiques que sont la dysplasie trochléaire et l’asynchronisme de croissance entre le radius et l’ulna ().

Étiologie

1. Incongruence articulaire physiologique

La notion d’IA physiologique a été introduite pour la première fois chez l’homme en 1993 par Eckstein qui démontre l’existence d’une incrongruence limitée entre le radius et l’ulna en position de soutien [4]. Ce contact optimiserait la distribution des contraintes lors de la mise en charge et assurerait une meilleure nutrition du cartilage articulaire. Ces constatations ont été ensuite validées en médecine vétérinaire [5, 14]. Une étude démontre que les trois zones de contact évidentes du coude chez le chien sont situées sur le radius, le processsus anconé et la portion médiale du processus coronoïde. Il ne semble pas y avoir d’incongruence des surfaces articulaires entre le bord médial du radius et la partie latérale de la portion médiale du processus coronoïde. De ce fait, l’existence d’une incongruence légère à modérée sans signes cliniques ou lésions d’arthrose n’est pas considérée comme pathologique. Les deux formes pathologiques se caractérisent par une incongruence beaucoup plus prononcée.

2. Dysplasie trochléaire

Le terme de “dysplasie trochléaire” (DT) fait référence à une anomalie de développement de l’échancrure sigmoïde de l’ulna (ou crête semi-lunaire) génératrice d’une incongruence articulaire [14]. La DT se caractérise par une mauvaise incurvation de l’échancrure sigmoïde [5]. Chez les chiens de grandes races, la partie proximale de l’ulna grandirait plus rapidement que celle du radius pour croître de façon équivalente à celle de l’humérus distal. Si la croissance de l’ulna est perturbée, la taille de la crête semi-lunaire est insuffisante pour “enrouler” l’ensemble de la trochlée. La DT est démontrée chez le bouvier bernois et serait présente dès l’âge de trois mois [14].

3. Asynchronisme de croissance radius/ulna

• Selon la théorie de Wind, la partie proximale de l’ulna est relativement plus longue chez les chiens de grandes races que chez les petits [14]. Entre la 16e et la 20e semaine d’âge, l’ulna de certains chiens a une croissance très rapide et supérieure à celle du radius. Pendant cette période, les deux os grandissent et bougent lentement de façon indépendante, jusqu’à ce que le ligament interosseux soit mature, et vienne les stabiliser et les solidariser. Selon la différence de croissance des deux os de l’avant-bras, deux types d’IA sont distingués : le type “radius trop court/ulna trop long” et le type “radius trop long/ulna trop court”. En parallèle à cette origine développementale, cet asynchronisme de croissance peut faire suite à des atteintes traumatiques des cartilages de conjugaison du radius ou de l’ulna durant la croissance de l’animal.

• Chez le jeune, la grande fragilité des cartilages de croissance explique la rareté des atteintes ligamentaires (entorses). Tout traumatisme à hauteur des cartilages de croissance peut occasionner leur fermeture totale ou partielle (fracture/disjonction de Salter et Harris de type V), avec pour conséquence un raccourcissement du membre associé à des déviations axiales et/ou en rotation dénommées “radius curvus” [1, 9].

Cependant, les effets les plus néfastes surviennent à hauteur de l’articulation du coude par le développement d’une IA secondaire qui, comme dans le cas de la synostose radio-ulnaire, est d’autant plus importante que l’animal est jeune. En traumatologie pédiatrique chez le chien, la forme la plus fréquente d’atteinte des cartilages de croissance reste la fermeture du cartilage de conjugaison distal de l’ulna de par sa conformation conique (rôle de “concentrateur de stress”). L’IA s’explique par un ralentissement de la croissance de l’ulna par rapport au radius et est de type “radius trop long/ulna trop court”. Une IA peut être aussi observée lors d’atteintes proximales et distales des cartilages de croissance du radius. Elle est alors de type “radius trop court/ulna trop long”.

4. Synostose radio-ulnaire

Cette affection constitue une des complications potentielles des fractures de l’avant-bras chez le jeune. Elle survient lors de fracture du radius et de l’ulna siégeant à même hauteur et mal immobilisée. Le mécanisme physiopathologique est complexe et s’explique par les différences de potentiel de croissance de chacun des cartilages de conjugaison. Au niveau du radius, les cartilages de conjugaison proximal et distal sont responsables respectivement de 40 % et de 60 % de la croissance en longueur de l’os [2]. Au niveau de l’ulna, les proportions apparaissent beaucoup plus inégales avec un rapport 10/90 (voire 15/85) [2]. Lors de la cicatrisation osseuse, un cal se met en place entre les deux cartilages de croissance du radius et entraîne la fusion des deux os. Le cartilage de croissance proximal reste toujours fonctionnel alors que l’ulna soudé au radius ne grandit plus et ne peut pas glisser par rapport à lui. Il s’ensuit une IA secondaire du coude, d’autant plus marquée que l’animal est jeune et a un fort potentiel de croissance.

Conséquences

• Les principaux mécanismes qui sous-tendent le développement des lésions de fragmentation de la portion médiale du processus coronoïde (FpmPC), d’ostéochondrite disséquante (OCD), de non- union du processus anconé (NUPA) ou d’érosions cartilagineuses sont l’ostéochondrose (encadré) et l’IA (par DT et/ou asynchronisme de croissance entre le radius et l’ulna) [11, 13].

• Une mauvaise incurvation de l’échancrure sigmoïde de l’ulna engendre l’apparition de points de contact non physiologiques avec la trochlée humérale. Elle augmente la pression à hauteur du processus anconé et de la portion médiale du processus coronoïde, déplace cranialement les condyles huméraux, élargissant les articulations huméro-ulnaire et huméro-radiale. Cette dysplasie trochléaire peut être responsable de pressions anormales et excessives sur la portion médiale du processus coronoïde, avec pour conséquence des lésions de chondromalacie (aspect “en neige” du cartilage articulaire reflétant la présence d’un processus dégénératif avec un œdème associé), de fissuration, de fragmentation ou de fracture de celui-ci ( et ) [7, 8, 11, 12, 13]. Ces résultats sont confirmés dans une étude menée sur 55 chiens atteints de FpmPC et présentant une crête ulnaire petite et elliptique [14].

• Selon la théorie de Wind, la partie proximale de l’ulna est relativement plus longue chez les chiens de grandes races que chez les petits [14]. À la lumière de ces résultats, l’hypothèse que cet asynchronisme de croissance est responsable des lésions de FpmPC, d’OCD, de NUPA ou d’une association de ces différentes entités est émise. À l’heure actuelle, une seule étude a démontré l’existence d’une IA radio-ulnaire au moment du diagnostic des affections du compartiment médial du coude [4 bis]. Cette croissance excessive de l’ulna par rapport au radius serait responsable d’une élévation du processus coronoïde médial qui passe au-dessus du cartilage articulaire de la tête du radius. L’ensemble des forces transmises de l’humérus à l’avant-bras se concentre essentiellement sur la zone du processus coronoïde médial, favorisant l’apparition de coronoïdopathies (fracture franche ou développement de lésions d’ostéochondrose) et de lésions ostéochondrotiques “en miroir” (“kissing lesions”) sur la trochlée ( et ). Si, dans la grande majorité des cas, cet asynchronisme de croissance est caractérisé par un ulna “trop long” et un radius “trop court” (sans que ce type soit réellement quantifié), le phénomène inverse existe aussi. La surélévation de la tête radiale force le déplacement dorsal du capitulum de l’humérus et prédispose à des NUPA. Dans une série de 22 cas, une corrélation positive entre un ulna “trop court” et une NUPA est démontrée [10].

• Quelle que soit la forme d’IA, l’évolution arthrosique du coude est inévitable. Plusieurs mécanismes contribuent à son apparition. D’une part, les frottements répétés des surfaces articulaires provoquent la libération dans l’articulation de débris cartilagineux et de médiateurs inflammatoires responsables d’une synovite. D’autre part, l’instabilité secondaire à l’IA est un élément favorisant le développement d’ostéophytes () [6].

L’IA correspond à une anomalie de développement du radius et de l’ulna dont l’étiologie multifactorielle implique à la fois des facteurs génétiques, alimentaires et traumatiques. Elle est considérée à la fois comme une entité et un facteur étiologique des autres formes de la DC [7, 8, 11, 13].

Encadré : Physiopathologie de l’ostéochondrose

• Ce mécanisme d’ostéochondrose est un des mécanismes qui sous-tend le développement des lésions de FpmPC et de NUPA. Il se définit comme un défaut de minéralisation de la matrice endochondrale pouvant aboutir à la dissection d’un fragment ostéocartilagineux. Lorsque celui-ci se détache de son support anatomique, le terme requis est celui d’ostéochondrite disséquante (OCD).

Si le stade d’ostéochondrose stricto sensu ne peut être diagnostiqué sur des radiographies conventionnelles sans préparation, le stade suivant d’OCD se caractérise par l’apparition d’une “cupule” sur des surfaces articulaires. Ce n’est ni un “trou” dans le cartilage (car non visible à la radiographie), ni une lyse puisque celui-ci n’a jamais été minéralisé. Deux mécanismes physiopathologiques sont évoquées [3] :

- l’atteinte du lit capillaire sous-chondral. Des traumatismes répétés en différentes zones de l’articulation peuvent être responsables de lésions ischémiques au niveau des capillaires de l’os sous-chondral encadrant le cartilage de conjugaison. Chez le jeune, celui-ci se présente sous la forme d’un disque peu épais présentant quatre couches qui sont de l’épiphyse vers la métaphyse : les couches germinative, proliférative, hypertrophique et d’ossification.

C’est au niveau de cette dernière que s’opère la différenciation des chondroblastes en ostéoblastes en présence d’oxygène. Aucun vaisseau ne traverse les cartilages de croissance. Leur vascularisation comporte deux pôles distincts : épiphysaire et métaphysaire.

Le pole épiphysaire dérivant des artères périchondrales et épiphysaires assure l’apport artériel aux couches germinative et proliférative. Son atteinte provoque des troubles de la multiplication des chondrocytes, avec pour conséquence des zones d’épiphysiodèse (fermeture partielle ou totale de la plaque de croissance) pouvant être à l’origine d’un asynchronisme de croissance dans le cas des os pairs (radius/ulna ou tibia/fibula).

Le pole métaphysaire dérivant des artères nourricières et métaphysaires vascularise les couches hypertrophique et d’ossification. Une atteinte de celui-ci (ischémie d’origine traumatique) altère le processus d’ossification enchondrale en privant les chondrocytes de l’oxygène nécessaire à leur différenciation et peut induire leur mort cellulaire ;

- des points de pression excessifs sur certaines zones articulaires ont pour conséquence de générer un épaississement du cartilage articulaire. Or celui-ci n’étant pas vascularisé, son apport nutritif n’est permis que par imbibition à partir du liquide synovial lors des mouvements de flexion et d’extension de l’articulation. Lors d’épaississement localisé, le liquide synovial n’imbibe pas les couches les plus profondes, ce qui provoque la dégénérescence et la mort des chondrocytes.

• Quel que soit le mécanisme incriminé, la mort des chondrocytes de la matrice endochondrale provoque l’apparition d’une fissure se propageant de façon centrifuge (de la profondeur vers la périphérie) et aboutissant à la dissection d’un fragment ostéo-cartilagineux (souris articulaires).

POINTS FORTS

• Deux formes pathologiques d’IA sont classiquement reconnues : la dysplasie trochléaire et l’asynchronisme de croissance entre le radius et l’ulna.

• L’asynchronisme de croissance est d’origine développementale ou secondaire à une fermeture prématurée des cartilages de croissance du radius ou de l’ulna.

• La dysplasie trochléaire se caractérise par une crête semi-lunaire elliptique.

Références

  • 7 - Samoy Y, Van Ryssen B, Gielen I, walschot N, Van Bree H. Review of the literature : elbow incongruity in the dog. Vet. Comp. Orthop. Traumatol. 1/2006.
  • 12 - Trostel C, McLaughlin RM, Pool RR. Canine lameness caused by developmental diseases : fradmented coronoid process and ununited anconeal process. Compend. Contin. Educ. Pract. Vet. 2002;25(2):112-121.
  • 14 - Wind AP. Elbow incongruity and developmental elbow diseases in the dogs : Part I. J. Am. Anim. Hosp. Assoc 1986;22:712-724.
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