Tremblante atypique : chemin vers une caractérisation - Le Point Vétérinaire n° 280 du 01/11/2007
Le Point Vétérinaire n° 280 du 01/11/2007

Neurologie des petits ruminants

Mise à jour

LE POINT SUR...

Auteur(s) : Alexandre Fediaevsky*, Jean-Noël Arsac**, Géraldine Cazeau***, Christian Ducrot****, Didier Calavas*****

Fonctions :
*a.fediaevsky@afssa.lyon.fr
Afssa Lyon
31, av. T.-Garnier
69364 Lyon Cedex
Inra Theix, UR346 EA
63122 Saint-Genès-Champanelle
**Afssa Lyon
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La tremblante atypique regroupe les cas historiques et d’autres cas européens discordants de points de vue biochimique, mais aussi lésionnel et génétique.

Alors que les sciences expérimentales et l’épidémiologie ont contribué depuis une vingtaine d’années à caractériser la tremblante de plus en plus finement, parfois sous le feu de crises sanitaires, la découverte d’un variant atypique ouvre un nouveau volet d’interrogations. Cet article retrace les principales étapes de sa caractérisation phénotypique.

Contexte historique

1. Premier pas : la souche “Nor98”

• La surveillance des encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST) chez les petits ruminants s’inscrit essentiellement dans le contexte du risque que représente l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) pour l’homme. En effet, dès 1993, la transmission expérimentale de l’ESB à des petits ruminants a confirmé la possibilité biologique que ces espèces auraient pu être contaminées en élevage [8].

À partir de 1996 en France, une surveillance des EST chez les petits ruminants a ainsi été mise en place. Un réseau fondé sur les symptômes cliniques a été instauré, en l’absence d’un test de dépistage des EST utilisable à large échelle et d’une méthode facile à mettre en œuvre pour distinguer l’ESB de la tremblante chez un animal infecté (seul le bio-essai sur des souris permettait une telle discrimination).

• Avec la mise au point de tests rapides de dépistage, et la réévaluation du risque représenté par l’ESB chez les petits ruminants, la surveillance et la lutte contre les EST (tremblante et ESB) se sont généralisées en Europe.

• C’est dans ce cadre qu’en 1998, en Norvège, une souche particulière de tremblante ovine, baptisée “Nor98”, a été identifiée pour la première fois (encadré 1, photo) [3].

2. Vers une classification phénotypique des EST des petits ruminants

À partir de 2004, à la suite de la première publication sur “Nor98”, l’Allemagne, la Belgique, la France, la Grande-Bretagne, l’Irlande, le Portugal et la Suède ont aussi rapporté des cas de tremblante “discordants” :

- des résultats hétérogènes ont été obtenus par les différentes méthodes diagnostiques utilisées [4, 9, 10, 15, 16]. Ce phénomène a été relié à une sensibilité plus importante à la digestion par les protéases du marqueur de la maladie et à un faible niveau d’accumulation de ce marqueur dans la région du tronc cérébral, qui est prélevée pour le diagnostic des EST chez les ruminants [4, 5, 14] ;

- ces cas ne suivent pas le déterminisme génétique jusqu’alors décrit chez les ovins [2].

En 2005, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) a publié une classification des EST des petits ruminants qui distingue la tremblante classique, la tremblante atypique (regroupant “Nor98” et cas discordants) et l’ESB (tableau) [7].

Caractérisation au laboratoire

Seulement 60 % environ des tests rapides mis en œuvre par les laboratoires départementaux sont compatibles avec de bonnes conditions de détection des cas atypiques à partir des échantillons prélevés.

Cela est notamment lié à la sensibilité accrue de la protéine prion pathologique (PrPp) à la protéinase K. Les résultats non négatifs des tests de dépistage sont systématiquement confirmés par le laboratoire national de référence de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa Lyon) où a lieu la classification diagnostique des EST.

1. Particularités biochimiques et électrophorétiques

La PrPp accumulée dans le système nerveux central des petits ruminants affectés de tremblante atypique présente, par Western blot, une signature électrophorétique distincte (figure 1) [1].

Cette PrPp reste à ce jour, y compris pour les cas de tremblante atypique, l’unique marqueur moléculaire spécifique des EST. Chez tout individu infecté, elle peut être identifiée par ses propriétés biochimiques particulières d’insolubilité en présence de détergents et de résistance partielle à la digestion par les protéases.

2. Siège des lésions

Une analyse comparative du cervelet et de l’obex a pu être menée par certains voisins européens [3, 6, 9, 11, 14, 15, 17]. En France, elle n’a pas été réalisée car seul le tronc cérébral est prélevé et conservé congelé, ce qui rend impossible l’examen histo­pathologique et limite la portée de l’examen immunohistochimique.

Il ressort des comparaisons effectuées une diversité dans la localisation et la nature des lésions observées lors de tremblante atypique [14]. Dans presque tous les cas, le cervelet est le siège de lésions et la PrPp y est détectée (figure 2). La positivité du tronc cérébral est inconstante. Dans certains cas, les lésions sont plus nombreuses dans le cortex cérébral.

Dans le tronc cérébral, la PrPp n’a jamais été détectée dans le noyau moteur dorsal du nerf vague (NMDNV), mais elle l’a été dans le tractus spinal du nerf trigéminé, du noyau du nerf hypoglosse et du noyau du tractus solitaire. Dans tous les cas où des analyses ont été effectuées, la PrPSc n’a pas été retrouvée en dehors du système nerveux central (SNC) [3, 15, 18].

3. Analyses génétiques

Les prélèvements de tissu nerveux ou d’oreilles, recueillis dans le cadre des plans de surveillance, ont servi de support aux analyses génétiques. Le gène prion (PRNP) d’ovins atteints de tremblante atypique a été séquencé. Cela a permis de mettre en évidence l’importance d’une mutation L → F sur le codon 141 chez les animaux porteurs de l’allèle A136R154Q171, jugé sans importance pour la tremblante classique (encadré 2) [13].

Par la suite, des études épidémiologiques ont permis de préciser les risques relatifs associés aux différents allèles, qui sont apparus nettement différents de ceux décrits lors de tremblante classique. La question de la pertinence des programmes de sélection génétique actuels se pose. Cette analyse doit tenir compte, entre autre chose, de la faible prévalence de la tremblante atypique.

Chez les caprins, aucun allèle particulier n’a été décrit comme ayant un effet sur la susceptibilité à la tremblante atypique. Les isolats étudiés étaient toutefois tous homozygotes AHQ/AHQ [9, 13].

La tremblante atypique a été découverte grâce à la généralisation des programmes de surveillance des EST chez les petits ruminants et à l’amélioration de la sensibilité des techniques de diagnostic des EST animales. Il n’est donc pas surprenant que les connaissances au sujet de cette maladie se soient d’abord constituées au laboratoire. Progressivement, des données sur les manifestations cliniques de la tremblante atypique et sur son épidémiologie ont complété la vision diagnostique(1).

  • (1) Ces aspects feront l’objet d’un autre article, qui proposera une réflexion autour de la politique de contrôle de la maladie.

Encadré 1 : Éléments discordants pour les cas historiques

• Les résultats des analyses d’obex par technique Elisa et par immunohistochimie étaient discordants (respectivement positifs et négatifs).

• Les lésions de vacuolisation du neutropile (plages de substance grise situées entre les corps cellulaires neuronaux, les corps cellulaires gliaux et les capillaires sanguins) et les signes d’accumulation de la PrPp étaient prépondérantes dans le cervelet et le cortex cérébral. Elles concernaient peu le tronc cérébral. Aucune lésion ou accumulation de PrPp n’était notamment détectable au niveau de l’obex. Les cas étaient de génotypes classiquement associés à une résistance à la tremblante (AHQ/AHQ et AHQ/ARQ).

D’après [3].

Encadré 2 : Caractérisation génétique de la tremblante atypique chez les ovins

• Une mutation L → F au codon 141 chez les animaux porteurs de l’allèle A136R154Q171 occupe une place capitale, d’après le séquençage du gène prion d’ovins atteints de tremblante atypique.

• Les allèles les plus à risque, d’après les études épidémiologiques, sont A136F141R154Q171 et A136H154Q171, en référence à un allèle qualifié “d’ancestral” : A136L141R154Q171 [12].

• Des cas sont également associés à d’autres allèles (A136R154H171, V136R154Q171, A136R154R171, A136L141R154Q171).

• Aucun allèle n’est totalement résistant.

• Par rapport à l’allèle A136L141R154Q171, l’allèle A136R154R171 semble à risque et l’allèle V136R154Q171 aurait un effet protecteur.

Ces tendances doivent être confirmées par l’étude d’autres échantillons.

Points forts

• Lors de tremblante atypique, la protéine prion pathologique marqueur de la maladie est plus sensible à la digestion par les protéases. Cela explique en partie les résultats hétérogènes obtenus par les différentes méthodes diagnostiques.

• Le cervelet est presque toujours le siège de lésions. La positivité du tronc cérébral est inconstante. Les lésions sont parfois plus nombreuses dans le cortex cérébral.

• Chez les ovins, les allèles les plus à risque ne sont pas les mêmes que pour la tremblante classique. Les programmes de sélection génétique actuels ne sont pas nécessairement à réviser car la prévalence de la tremblante atypique est faible.

Remerciements à Sylvie Benestad et à Petter Hopp (National Veterinary Institute, Norway).

Références

  • 1 - Arsac JN et coll. Similar Biochemical Signatures and Prion Protein Genotypes in Atypical Scrapie and Nor98 Cases, France and Norway. Emerg. Infect. Dis. 2007;13(1):58-65.
  • 2 - Baylis M. The Kafkaesque approach to scrapie control-a sense of impending danger. Vet. J. 2007.173(2):235-236.
  • 3 - Benestad SL et coll. Cases of scrapie with unusual features in Norway and designation of a new type Nor98. Vet. Rec. 2003.153:202-208.
  • 4 - Buschmann A et coll. Atypical scrapie cases in Germany and France are identified by discrepant reaction patterns in BSE rapid tests. J. Virol. Met. 2004;117(1):27-36.
  • 5 - Buschmann A et coll. Neuronal accumulation of abnormal prion protein in sheep carrying a scrapie-resistant genotype (PrPARR/ARR). J. Gen. Virol. 2004;85(9):2727-2733.
  • 6 - Everest SJ et coll. Atypical prion protein in sheep brain collected during the British scrapie-surveillance programme. J. Gen. Virol. 2006;87(2):471-477.
  • 7 - EFSA. Opinion of the Scientific Panel on Biological Hazards on classification of atypical Transmissible Spongiform Encephalopathy (TSE) cases in Small Ruminants. The EFSA Journal. 2005;276:1-30.
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  • 10 - Konold T et coll. Atypical scrapie cases in the UK. Vet. Rec. 2006;158(8):280.
  • 11 - Konold T et coll. Clinical findings in two cases of atypical scrapie in sheep: a case report. BMC Vet. Res. 2007;3(1):2.
  • 12 - Moreno CR et coll. Which PrP haplotypes in a French sheep population are the most susceptible to atypical scrapie ? Arch. Virol. 2007;152(6):1229-1232.
  • 13 - Moum T et coll. Polymorphisms at codons 141 and 154 in the ovine prion protein gene are associated with scrapie Nor98 cases. J. Gen. Virol. 2005;86(1):231-235.
  • 14 - Nentwig A et coll. Diversity in Neuroanatomical Distribution of Abnormal Prion Protein in Atypical Scrapie. PLoS Pathog. 2007;3(6):82.
  • 15 - Onnasch H et coll. Two Irish cases of scrapie resembling Nor98. Vet. Rec. 2004;155:636-637.
  • 16 - Orge L et coll. Identification of putative atypical scrapie in sheep in Portugal. J. Gen. Virol. 2004;85(11):3487-3491.
  • 17 - Roels S et coll. Immuno-histochemical evaluation of tonsillar tissue for preclinical screening of scrapie based on surveillance in Belgium. Vet. Rec. 1999;145(18):524-525.
  • 18 - Vidal E. et coll. Lack of PrP(sc) immunostaining in intracranial ectopic lymphoid follicles in a sheep with concomitant non-suppurative encephalitis and Nor98-like atypical scrapie: A case report. Vet.J.2007.
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