Intérêts et réalisation de la cytologie oculaire - Le Point Vétérinaire n° 280 du 01/11/2007
Le Point Vétérinaire n° 280 du 01/11/2007

Ophtalmologie du chien et du chat

Mise à jour

LE POINT SUR...

Auteur(s) : Georges de Geyer

Fonctions : Clinique vétérinaire
35 avenue Patton
49000 Angers

La cytologie oculaire représente une des clés de la démarche diagnostique en ophtalmologie, mais nécessite une pratique régulière, tant pour sa réalisation que pour son interprétation.

La cytologie en ophtalmologie est l’étude des cellules recueillies, par différentes techniques, à la surface ou à l’intérieur de l’œil et de ses annexes. Méthode rapide pour interpréter les modifications de la surface oculaire dont les cellules sont directement accessibles, elle permet aussi une approche diagnostique de lésions intra-oculaires ou orbitaires.

Indications de la cytologie

Les indications de la cytologie en ophtalmologie sont les suivantes :

- identification des cellules inflammatoires de surface lors de blépharite, de conjonctivite et de kératite ;

- identification des cellules d’un infiltrat ou d’une tumeur dans les paupières, les conjonctives, la membrane nictitante et sa glande lacrymale, l’épisclère, l’iris, de l’humeur aqueuse, du vitré, d’un exsudat sous-rétinien associé à un décollement de rétine, de l’orbite en présence d’une exophtalmie ;

- identification directe de micro-organismes (bactéries, champignons) ;

- évaluation de la modification des cellules épithéliales lors de conjonctivite ou de kératite chronique ;

- identification indirecte de micro-organismes bactériens ou viraux par l’intermédiaire de tests en laboratoire spécialisé (mise en culture, technique de polymerase chain reaction, ou PCR) ;

- caractérisation des antigènes cellulaires par immuno-histochimie ;

- suivi de l’effet d’un traitement.

Les prélèvements cytologiques de la surface de l’œil et de ses annexes peuvent être effectués de manière routinière, car ils sont peu invasifs, sans effet secondaire, et ne présentent pas de contre-indication. À l’inverse, les prélèvements intra-oculaires et orbitaires sont plus difficiles à réaliser. Ils nécessitent une sédation ou une anesthésie générale, et peuvent être dangereux pour l’œil (tableau).

Matériel nécessaire

• Mis à part les filtres, le matériel nécessaire pour le prélèvement cytologique est disponible en centrale d’achat vétérinaire. Il s’agit :

- d’un collyre anesthésique (par exemple, Tétracaïne 1 % collyre unidose TVM®, VT doses tétracaïne 1 %®) ;

- d’un écouvillon de type coton-tige ou applicateur médical ;

- d’une cytobrosse en nylon, comme Oribrush®, qui doit être stérile si une mise en culture bactérienne ou mycosique est nécessaire ou si une technique par PCR est utilisée ;

- d’une seringue à insuline et d’une seringue de 5 ml avec des aiguilles 23 G (bleue) et 25 G (orange) ;

- d’un filtre opaque d’acétate de cellulose (Millipore® ou Gelman Supor®) avec des pores d’environ 0,22 µm.

• Des lames en verre avec une partie dépolie pour identifier l’origine du prélèvement sont utilisées pour le dépôt du matériel prélevé. Un microscope avec des objectifs 40 et 100, ainsi qu’un système d’immersion sont nécessaires pour la lecture.

• Différentes colorations peuvent être effectuées. Une coloration rapide de type RAL 555® ou Diff-Quick® permet d’obtenir, en routine, des informations pour la mise en place d’un traitement de première intention. Les colorations Wright Giemsa et May-Grünwald-Giemsa sont plus longues à effectuer, mais sont de meilleure qualité et donnent des indications plus précises (encadré) [5].

La coloration de Gram est intéressante pour déterminer le caractère Gram positif ou Gram négatif d’une bactérie. La coloration dite de PAS (acide périodique de Schiff) met en évidence les organismes fongiques et les cellules à mucus. Les colorations Bleu Alcian, de Gomori, de Harris Shorr modifiée et de Papanicolaou mettent en évidence respectivement les cellules à mucus, les levures ou les mycéliums, les inclusions intracellulaires et les modifications fines des cellules épithéliales.

Techniques de prélèvement

La cytologie permet un diagnostic d’orientation, de compatibilité ou de certitude vis-à-vis des hypothèses posées après un examen ophtalmoscopique complet. Ses limites sont liées au degré d’expérience du praticien et à la représentativité du prélèvement.

Le test de Schirmer, le test de sensibilité cornéenne et les éventuels prélèvements pour culture bactérienne ou mycosique, dont les résultats peuvent être modifiés par une anesthésie locale, sont pratiqués en premier.

Hormis le prélèvement sur les paupières, une anesthésie locale est le plus souvent nécessaire en instillant une goutte de collyre anesthésique dans le sac conjonctival inférieur ou sur l’œil.

Le prélèvement cytologique, une fois étalé sur une lame, est identifié, puis séché à l’air et coloré immédiatement. Le prélèvement cytologique pour une recherche de type PCR est envoyé dans un tube sec sans additif pour un écouvillon ou une cytobrosse, et dans un tube EDTA pour les fluides intra-oculaires (humeur aqueuse, vitré, liquide sous-rétinien).

Les cytomarquages sur prélèvement cytologique nécessitent une fixation spéciale qu’il convient de définir au préalable avec le laboratoire spécialisé de cytologie ou d’histopathologie. L’instillation d’un collyre à la fluorescéine fausse les résultats des tests par immunofluorescence.

1. Cytologie par exfoliation

Écouvillon

Le prélèvement par écouvillon (coton-tige) est utilisé pour les lésions cutanées du bord libre et du rebord palpébral. L’écouvillon est frotté sur la lésion, puis étalé par rotation douce sur une lame.

L’écouvillon permet de recueillir et d’interpréter une collection purulente lors de phlegmon, d’ophtalmie néonatale après ouverture des paupières ou de dacryocystite après lavage des canaux lacrymaux [5]. Il permet l’étude des cellules épithéliales cornéennes prélevées au cours de la désépithélialisation d’un ulcère superficiel avec collerette ou celle des cellules stromales lors d’un ulcère profond avec fonte cornéenne quand une manipulation excessive n’est pas recommandée.

En revanche, le prélèvement par écouvillon n’est pas idéal pour l’étude des conjonctives.

Cytobrosse

• Les cellules superficielles des conjonctives sont facilement prélevées à l’aide d’une cytobrosse. Celle-ci remplace avantageusement la technique de raclage avec une spatule métallique. Les cellules observées sont nombreuses, non altérées, bien individualisées et représentatives de toutes les couches épithéliales. En revanche, les jonctions intercellulaires ne sont pas toujours préservées [1, 6].

L’œil anesthésié est délicatement débarrassé de l’écoulement muqueux ou purulent, et déshumidifié par l’application d’un coton-tige dans le canthus interne. La cytobrosse est appliquée sur la surface conjonctivale en effectuant un mouvement de rotation (photo 1).

Les caractéristiques cellulaires diffèrent selon la zone conjonctivale. L’interprétation de la cytologie est ainsi facilitée si le site de prélèvement est toujours le même. Le frottis du sac conjonctival inférieur, le plus facile à obtenir, donne souvent un aspect sale (mucus) et des noyaux éjectés des cellules. Le frottis de la face postérieure de la membrane nictitante a une apparence propre et très cellulaire, mais il est plus délicat à effectuer car il nécessite à la fois d’écarter les paupières et d’éverser la membrane nictitante avec une pince de Graefe (photo 2).

La cytobrosse est immédiatement déroulée sans pression sur une lame pour obtenir un tapis unicellulaire. Les premières cellules apposées sur la lame correspondent aux couches les plus profondes de la zone de prélèvement. Des cellules épithéliales et inflammatoires de types différents sont observées selon que la lecture s’effectue en tête ou en queue d’étalement.

• Pour la cornée, la cytobrosse est utilisée, avec appui, sur les lésions ulcérées, nécrotiques ou infiltrées, à la condition qu’aucun descemetocèle ne soit présent.

Bactériologie et mycologie

L’écouvillon et la cytobrosse, plongés dans un milieu de transport adapté fourni par le laboratoire, servent aussi de support pour la bactériologie et la mycologie. Pour les lésions bactériennes profondes de la cornée, il est néanmoins recommandé d’effectuer la bactériologie à partir d’un prélèvement de raclage. Ce dernier peut être réalisé avec la base (non coupante) d’une lame de bistouri stérile dont la partie coupante est maintenue dans son emballage.

2. Cytologie par impression

• Pour les paupières, l’empreinte sur une lame en verre, très utilisée en dermatologie, doit être pratiquée avec précaution. Elle peut, en effet, blesser l’œil en cas de cassure accidentelle ou de mouvement de l’animal.

La technique consiste à appuyer la lame sur la lésion, éventuellement débarrassée de ses squames et croûtes superficielles. L’empreinte d’une tumeur palpébrale ou conjonctivale est possible après son exérèse chirurgicale. La tumeur est coupée en deux, posée sur un papier absorbant, puis appliquée en plusieurs points de la lame.

• L’empreinte par filtre d’acétate de cellulose permet une étude fine de la modification des cellules épithéliales conjonctivales et cornéennes [2, 3]. Le filtre est prélevé à l’aide d’une pince fine angulée, coupé en deux, séparé de sa pellicule protectrice, puis posé cinq secondes sans appui sur la conjonctive ou sur la cornée (photo 3). Les mouvements de procidence de la membrane nictitante et le manque de coopération de l’animal gênent souvent la réalisation de cette technique. Une bonne adhérence cellulaire se traduit par un soulèvement de la conjonctive ou par un effet “post-it” sur la cornée au moment de l’enlèvement. Le filtre est ensuite appliqué sur une lame de verre. Deux méthodes peuvent être envisagées en fonction du niveau de qualité d’interprétation désiré. Pour une lecture rapide de première intention, le filtre est appliqué deux minutes sur la lame puis retiré et les cellules transférées sur la lame sont colorées de manière classique. Pour une étude standardisée ou pour obtenir une large plage de cellules jointives, une fixation cellulaire est effectuée sur le filtre laissé sur la lame, puis une transparisation (le filtre opaque devient transparent) et une coloration spéciale de type Papanicolaou modifiée sont mises en œuvre [3].

• Pour un prélèvement conjonctival, si l’empreinte par filtre avec coloration immédiate est utile pour l’étude des cellules à mucus de la face antérieure de la membrane nictitante, elle ne présente aucun avantage par rapport à la cytobrosse en première intention. Elle se révèle utile dans la perspective d’un suivi à long terme de l’effet toxique des collyres ou des immunomarquages.

• Pour la cornée, l’empreinte a l’avantage d’être délicate et peu traumatisante. Elle permet l’étude des lésions cornéennes superficielles, avec épithélium conservé ou non.

• Le filtre peut servir de milieu de transport pour la recherche par PCR.

3. Cytologie par ponction

Les indications de la cytoponction en ophtalmologie sont les tuméfactions nodulaires ou diffuses, les lésions intra-oculaires ou orbitaires.

Les limites de la cytoponction sont liées à la précision de la ponction, avec le risque de prélever à côté de la lésion (faux négatif) ou en périphérie (cellules inflammatoires non significatives). Une sédation ou une anesthésie générale sont nécessaires.

Réalisation

Le protocole de la technique est le suivant :

- désinfection du lieu de ponction (tonte et povidone iodée diluée à 5 % pour le territoire cutané péri-oculaire et povidone iodée diluée à 0,5 % pour les conjonctives et le limbe cornéen) ;

- ponction, puis aspiration avec du matériel stérile (seringue de 5 ml et aiguille 23 G pour les tumeurs et de 25 G pour les infiltrats) ;

- arrêt de l’aspiration, puis extraction de l’aiguille ;

- séparation de l’aiguille et de la seringue ;

- introduction d’air dans la seringue ;

- remontage de l’aiguille et évacuation du contenu de l’aiguille sur une lame ;

- étalement du prélèvement avec une seconde lame placée perpendiculairement à la première et glissée délicatement, séchage puis coloration.

Ponction de l’humeur aqueuse

L’intérêt cytologique de la ponction de l’humeur aqueuse (paracentèse de la chambre antérieure), en présence d’une uvéite antérieure, est limité à la recherche d’éléments fongiques, algaux ou néoplasiques (lors de lymphosarcome). Cet acte n’est pas anodin puisqu’il entraîne une rupture de la barrière hémato-aqueuse. Il s’effectue à partir du limbe cornéen en utilisant une seringue à insuline avec une aiguille 25 G (photo 4). La quantité d’humeur aqueuse ne doit pas dépasser 0,3 ml pour éviter de provoquer une athalamie (effondrement de la chambre antérieure). Les risques sont la ponction de l’endothélium cornéen, de l’iris ou de la capsule du cristallin. Ils sont augmentés si une tentative de regonfler la chambre antérieure en injectant un liquide de substitution est réalisée. Si un hyphéma apparaît, il est réversible, en fonction de son intensité, en un à huit jours. Le prélèvement, placé dans un tube EDTA, est centrifugé et le culot analysé. Une technique plus fiable, la cytocentrifugation, permet de valoriser la cellularité du prélèvement, mais elle nécessite un appareil spécialisé de laboratoire.

Ponction du segment postérieur

La ponction de vitré, d’une masse du segment postérieur ou de liquide sous-rétinien accompagnant un décollement séreux de la rétine s’effectue, avec une aiguille 23 G, au niveau de la sclère à 5 mm du limbe et dans une direction oblique postérieure (photo 5). Un repérage précis préalable de la lésion, notamment par échographie, est indispensable. Les risques encourus sont une ponction du cristallin ou de la rétine et une hémorragie dans le vitré.

Ponction orbitaire

La ponction orbitaire s’effectue, avec une seringue de 5 ml et une aiguille 23 G, par voie transconjonctivale le long du globe dans les angles externes ou internes des paupières, par voie transcutanée en dessus (en arrière du ligament orbitaire) ou en dessous de l’arcade zygomatique (photo 6) [4]. En présence d’une exophtalmie avec déviation du globe, la ponction s’effectue du côté opposé à la déviation. Les risques sont une ponction du globe, une lésion du nerf optique et une hémorragie orbitaire, notamment chez les rongeurs. Le guidage par échographie peut être utile. La voie buccale, en arrière de la dernière molaire, est aussi possible avec le risque de ponctionner le rameau de l’artère maxillaire. Elle est utile dans le cas d’une suspicion d’adénite de la glande zygomatique ou d’abcès orbitaire (photo 7).

Les lésions ophtalmologiques les plus courantes concernent les conjonctives et la surface cornéenne. La cytologie de ces lésions, obtenue à partir d’un prélèvement par exfoliation (écouvillon, cytobrosse) ou par empreinte (lame, filtre), est une méthode facile, rapide et sans risque pour renforcer une hypothèse clinique.

La bonne interprétation des cellules observées est conditionnée par une utilisation fréquente et régulière de cette technique.

POINTS FORTS

• La cytologie permet un diagnostic d’orientation, de compatibilité ou de certitude vis-à-vis des hypothèses posées après un examen ophtalmoscopique complet.

• La cytologie des lésions intra-oculaires et orbitaires passe par la cytoponction, geste plus technique et plus risqué pour l’œil.

• Les indications de la cytoponction en ophtalmologie sont les tuméfactions nodulaires ou diffuses, les lésions intra-oculaires ou orbitaires.

• Le prélèvement par écouvillon (coton-tige) est utilisé pour les lésions cutanées du bord libre et du rebord palpébral.

• L’exfoliation par cytobrosse est la technique la plus intéressante pour la cytologie de la surface oculaire.

Encadré : Méthode de réalisation des colorations de Gram et May-Grünwald Giemsa

Coloration de Gram

• Recouvrir la lame avec du cristal violet, laisser agir une minute.

• Rincer à l’eau.

• Recouvrir la lame avec du Lugol, laisser agir une minute.

• Rincer à l’eau.

• Décolorer le frottis avec de l’alcool à 95 % dénaturé ou à l’aide d’un mélange alcool-acétone.

• Rincer immédiatement quand la décoloration est obtenue.

• Recouvrir la lame de Fushine, laisser agir trois à cinq secondes.

• Rincer à l’eau et sécher à l’air libre.

Les bactéries à Gram positif apparaissent bien colorées en violet, celles à Gram négatif sont colorées en rose.

Coloration May-Grünwald Giemsa

• Recouvrir la lame de solution May-Grünwald filtrée pendant cinq minutes.

• Rincer avec de l’eau osmosée.

• Recouvrir la lame de Giemsa diluée à 5 % (dilution préparée le jour même), laisser agir pendant 15 minutes.

• Rincer à l’eau osmosée et sécher à l’air libre.

Références

  • 1 - Bauer GA, Spiess BM, Lutz H. Exfoliative cytology of conjunctiva and cornea in domestic animals: a comparison of four collecting techniques. Vet. Ophthalmol. 1996;6:181-187.
  • 2 - Bolzan AA, Brunelli AT, Castro MB et coll. Conjunctival impression cytology in dogs. Vet. Ophthalmol. 2005;8:401-405.
  • 3 - Chaudieu G, Fonck Y. Cytologie cornéenne chez le chat : résultats préliminaires. Prat. Med. Chir. Anim. Comp. 1990;25:503-508.
  • 4 - Jongh O. La ponction-aspiration à l’aiguille de la cavité orbitaire chez le chien et le chat. Nouv. Prat. Vét. 2006;639:35-36.
  • 5 - Prasse KW, Winston SM. The eyes and associated structure. In : Cowell RL, Tyler RD, Meinkoth JH. Diagnostic cytology and hematology of the dog and cat. 2nd Ed. Ed. Mosby, St Louis. 1999:68-82.
  • 10 - Willis M. Conjunctival brush cytology: evaluation of a new cytological collection technique in dogs and cats with a comparison to conjunctival scraping. Vet. Ophthalmol. 1997;7:74-80.
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr