Intérêts et limites de la paracentèse abdominale à partir de 52 cas - Le Point Vétérinaire n° 277 du 01/07/2007
Le Point Vétérinaire n° 277 du 01/07/2007

Examens paracliniques chez les bovins

Infos

FOCUS

Auteur(s) : Bérangère Ravary*, Gilles Jubert**, Gilles Fecteau***

Fonctions :
*Unité pédagogique de chirurgie
ENV d’Alfort, 7, avenue du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort Cedex
**rue du Bourg, 58500 Chevroches
***CHUV FMV, Université de Montréal
J2S 7C6 , Saint-Hyacinthe, Québec, Canada

La paracentèse est rarement pathognomonique, mais elle paraît pertinente avant de proposer une laparotomie, surtout si elle est complétée par une analyse sanguine.

Une étude rétrospective a été réalisée pour documenter la précision diagnostique et l’intérêt pronostique de la paracentèse abdominale chez les bovins, lorsque cet examen est confronté à la laparotomie exploratrice (examen de référence) et complété par des examens hématologiques. Elle a fait l’objet d’une thèse à l’École nationale vétérinaire d’Alfort [6].

Une étude sur quatre ans et demi

L’étude est effectuée à partir de dossiers médicaux de bovins hospitalisés au Centre hospitalier universitaire vétérinaire (CHUV) de la Faculté de médecine vétérinaire de Saint-Hyacinthe (Québec), entre janvier 1997 et juin 2001 [6]. Tous les animaux inclus présentent une suspicion clinique d’épanchement abdominal, confirmée par recueil de liquide péritonéal (photo). L’analyse cytologique du prélèvement est confrontée à la laparotomie exploratrice (pour l’intérêt étiologique), à l’analyse hématologique le jour de l’admission et au devenir à court terme du bovin (pour l’intérêt pronostique).

Résultats : deux tiers de péritonites

• Les 52 bovins inclus, principalement des vaches holstein, sont âgés de 0,6 à 14,9 ans. Parmi les liquides obtenus, les transsudats modifiés et les exsudats dominent (). Des cellules anormales sont parfois retrouvées : granulocytes neutrophiles dégénérés (dans huit exsudats, trois transsudats modifiés et un transsudat) ou lymphocytes anormaux (dans un transsudat et un transsudat modifié). Des particules végétales sont visibles dans deux exsudats septiques et des bactéries sont observées sur huit lames cytologiques (sur 18 exsudats).

• Deux tiers des animaux présentent des signes de péritonite. Tous les exsudats s’accompagnent de péritonite, le plus souvent diffuse. Les transsudats et les transsudats modifiés sont obtenus avec des affections abdominales plus diversifiées : péritonite, déplacement de caillette à gauche, lymphome de la caillette, obstruction intestinale, nécrose des graisses, abcès rétropéritonéal.

• Lors de péritonite localisée, des signes hématologiques sont généralement associés (hyperfibrinogénémie, hyperprotéinémie sanguine, voire monocytose), témoins d’une inflammation aiguë ou chronique, rarement sévère (virage à gauche(1) seulement dans un tiers des cas). Lors de péritonite diffuse, les bovins présentent des altérations aiguës (leucocytose neutrophilique, voire leucopénie) et sévères (virage à gauche et toxogramme positif).

• Quarante-sept pour cent des bovins affectés sont morts ou ont été euthanasiés au CHUV (n = 22). Parmi ces animaux morts(2), à court terme, tous les types d’épanchements sont représentés (56 % d’exsudats, 41 % de transsudats modifiés et 43 % de transsudats) (). Six animaux sur huit avec un épanchement péritonéal septique (bactéries visibles sur les lames à l’examen cytologique) sont morts, mais 16 bovins sur les 39 qui présentent un épanchement non septique le sont aussi. Quatre fois plus de morts sont associées à une péritonite diffuse qu’à une péritonite localisée (tableau complémentaire “Devenir des 47 bovins de l’étude selon le diagnostic établi par la parotomie”, sur planete-vet.com). L’absence de péritonite n’est pas un critère de survie (sept bovins morts).

• Les tendances pronostiques sont plus nettes lorsqu’un critère hématologique est associé à l’analyse. Avec un virage à gauche, deux tiers des bovins meurent, avec un toxogramme positif, la proportion approche les trois quarts (71 %). Lorsque les deux critères hématologiques sont présents, tous les bovins sont morts, quelle que soit la nature de l’épanchement. Tous les animaux présentant un exsudat et une hypoprotéinémie sanguine concomitante meurent, contre seulement deux tiers des bovins avec un exsudat et une hyperprotéinémie, et 11 % des animaux lorsqu’un exsudat et un taux normal de protéines plasmatiques sont observés. Une leucopénie et/ou une hyperfibrinogénémie ne semblent pas avoir de valeur prédictive pour le pronostic vital des bovins qui présentent un épanchement péritonéal.

Discussion : importance de la cytologie

Dans cette étude, les densités et les taux moyens de protéines et de cellules nucléées des liquides de paracentèse abdominale pour les trois sortes d’épanchements sont conformes à ceux rapportés pour l’espèce bovine [1, 7, 8, 9].

Des granulocytes neutrophiles dégénérés ont été identifiés principalement dans des exsudats. Ce genre de cellules se rencontre en effet chez les bovins lors d’inflammation sévère, à la suite d’un épuisement des neutrophiles matures en circulation [4].

Des lymphocytes anormaux ont été mis en évidence dans deux cas, faisant suspecter un lymphome viscéral ou une autre tumeur abdominale. La laparotomie exploratrice, puis l’autopsie ont permis de signaler la présence de deux lymphomes abomasaux. Dans ces deux cas, l’hémogramme a révélé aussi la présence de lymphocytes anormaux. Chez les bovins, les lymphocytes anormaux peuvent être difficiles à distinguer, dans le sang ou l’épanchement.

Intérêt diagnostique

• Comme attendu chez les bovins, la présence d’un épanchement péritonéal est largement corrélée à la présence d’une affection abdominale (ici 96 % des cas) [1, 2, 9]. Aucun uropéritoine, hémopéritoine ou bilopéritoine n’a été diagnostiqué. La paracentèse est bien un examen de choix lors de suspicion de péritonite (deux tiers de péritonites dans cette étude), mais tout épanchement ne traduit pas toujours la présence d’une péritonite [1, 2, 9].

• Un exsudat a été systématiquement associé à une péritonite dans notre étude, mais à l’inverse, le caractère non inflammatoire d’un épanchement (transsudat modifié, voire transsudat) ne permet pas d’écarter une suspicion de péritonite. Le péritoine des bovins peut circonscrire les infections avec de la fibrine (le prélèvement à distance ne permet pas de mettre en évidence de signes inflammatoires), ou bien l’affection à l’origine de l’épanchement a pu s’aggraver dans les quelques jours séparant le prélèvement (non inflammatoire) de la laparotomie (avec signes de péritonite, donc devenue inflammatoire). La présence d’un transsudat ou d’un transsudat modifié ne semble pathognomonique d’aucune affection en particulier. Le manque de spécificité de la paracentèse abdominale chez les bovins a déjà été souligné [1, 9].

• L’intérêt diagnostique de la paracentèse en cas d’épanchements tumoraux et de rupture intestinale est confirmé [1, 5, 8]. La paracentèse a ici été réalisée avec un instrument de type sonde trayeuse, écartant l’éventualité d’une ponction accidentelle d’un organe abdominal.

Intérêt pronostique

Le pronostic vital d’un bovin avec un épanchement péritonéal peut être qualifié de réservé (presque la moitié des animaux meurent dans notre étude). Un exsudat septique est de moins bon pronostic qu’un exsudat non septique, de même entre une péritonite généralisée (deux tiers de décès dans notre étude) et une péritonite localisée (souvent retour à la ferme). Seule la survie à court terme a été considérée dans cette étude. Le pronostic a donc pu être surévalué.

L’identification d’une hypoprotéinémie et la présence d’un toxogramme positif semblent assombrir le pronostic vital. Plusieurs auteurs recommandent en effet de confronter la paracentèse et l’analyse sanguine en cas d’épanchement péritonéal [3, 8].

Lors d’épanchement abdominal, le pronostic est réservé dès l’examen clinique et la paracentèse apporte peu de précisions sur ce point. Toutefois, la portée pronostique de cette dernière semble améliorée lorsqu’elle est associée à une numération et à une formule sanguines, ainsi qu'à un dosage de protéines. Cela mériterait d’être vérifié par des statistiques sur un plus grand nombre de cas, suivis à plus long terme.

  • (1) Un virage à gauche correspond à une neutropénie associée à un accroissement du nombre des polynucléaires neutrophiles immatures en circulation dans le sang. Il peut être mis en évidence lors d’inflammation ou d’infection sévère.

  • (2) Mort naturelle ou euthanasie.

VOIR AUSSI

“Paracenthèse abdominale bovine : outils décisionnels et interprétatifs”, “Analyse du liquide de paracenthèse abdominale” et “Quelle place pour la paracenthèse abdominale ?”, de B. Ravary et G. Jubert, dans ce même numéro.

Références

  • 2 - Fecteau G. Management of peritonitis in cattle. Vet. Clin. North Am. Food. Anim. Pract. 2005;21:155-171.
  • 4 - Francoz D, Dery A, Lanevshi A. Les examens hématologiques en pratique bovine. Point Vét. 2003;34(n° spécial):42-48.
  • 6 - Jubert G. Intérêt de la paracentèse abdominale chez les bovins. Étude rétrospective à partir de 52 cas. Thèse de doctorat vétérinaire, Université de Créteil, ENVA. 2006:138p.
  • 9 - Radostits OM, Mayem IG, Houston DM. Clinical examination of the alimentary system: ruminants. In: Veterinary clinical examination and diagnosis. Radostits OM. WB Saunders, London. 2000:409-168.
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