Cystite hémorragique due au cyclophosphamide - Le Point Vétérinaire n° 276 du 01/06/2007
Le Point Vétérinaire n° 276 du 01/06/2007

Urologie du chien

Pratique

CAS CLINIQUE

Auteur(s) : Véronique Arnoux*, Bertrand Pucheu**

Fonctions :
*Clinique Vétérinaire
19, avenue Saint-Maur
59110 La Madeleine
arnoux@cliniquesaintmaur.fr
**Clinique Vétérinaire
19, avenue Saint-Maur
59110 La Madeleine
arnoux@cliniquesaintmaur.fr

La cystite hémorragique est une complication courante de l’administration de cyclophosphamide. Une altération profonde de l’épithélium vésical peut nécessiter un traitement chirurgical.

Une chienne bichon frisé femelle âgée de six ans, traitée par polychimiothérapie pour un lymphome multicentrique de haut grade, est présentée pour des troubles urinaires.

Cas clinique

1. Anamnèse

La chienne est traitée à l’aide d’un protocole de type COPA : cyclophosphamide (Endoxan®(1)), Oncovin®(1) (vincristine), prednisone, Adriamycine ((1)) (adriblastine) (tableau). Elle a été présentée pour apathie et hypertrophie aiguë généralisée des nœuds lymphatiques périphériques. Le diagnostic est établi par un examen cytologique de cytoponctions des nœuds lymphatiques.

Le cyclophosphamide (Endoxan®(1)) est administré par voie orale le lendemain de l’injection intraveineuse de vincristine, à la dose de 250 mg/m2. Plusieurs semaines de traitement se déroulent sans effet secondaire et l’état général de la chienne reste bon. La taille des nœuds lymphatiques décroît progressivement.

Au 72e jour de traitement, les propriétaires décrivent des épisodes de dysurie, d’hématurie et de strangurie. L’animal est apathique, mange et boit peu.

2. Examens complémentaires

L’examen clinique de la chienne est normal et ne laisse suspecter aucune récidive du lymphome.

Les analyses sanguines (numération et formule sanguines, urée, créatinine, alanine aminotransférase, phosphatases alcalines, protéines totales, glucose) sont normales.

L’analyse cytobactériologique des urines confirme l’hématurie, révèle la présence de cristaux de phosphate de calcium et n’indique aucune infection.

L’examen radiographique sans préparation de l’abdomen montre une vessie normale.

Une toxicité vésicale du cyclophosphamide est suspectée et son administration est arrêtée. Cette molécule est alors remplacée par du chlorambucil(1) à la posologie de 15 mg/m2/j par voie orale, pendant quatre jours [8].

Trois semaines plus tard, les symptômes persistent, et la pollakiurie et la dysurie sont plus intenses.

L’examen échographique de la vessie met en évidence un foyer hyperéchogène non mobile situé au pôle apical, ainsi qu’un épaississement localisé de la paroi aux abords directs de ce foyer (photos 1 et 2). Les deux tiers de la vessie, dont la zone du trigone vésical, sont normaux. Cette image évoque une calcification de la paroi vésicale, avec une infiltration inflammatoire périphérique compatible avec une nécrose ou une fibrose de l’urothélium. Le diagnostic différentiel (notamment avec une tumeur vésicale) nécessite la réalisation d’une biopsie.

3. Exérèse chirurgicale

Une intervention chirurgicale est proposée, afin de retirer la lésion et de réaliser une analyse histologique.

À l’incision de la vessie, l’épithélium vésical apparaît localement très altéré, épaissi, nécrotique et calcifié (photos 3 et 4). Une excision de la zone macroscopiquement anormale est pratiquée (photo 5). La vessie est suturée en deux plans.

L’analyse histologique révèle des lésions de nécrose massive sur toute l’épaisseur de la muqueuse, jusque dans les territoires les plus superficiels de la musculeuse. Les zones nécrotiques sont fréquemment imprégnées de sels de calcium. Cela prouve l’absence de caractère tumoral de la lésion et appuie l’hypothèse d’une toxicité du cyclophosphamide.

La chienne récupère une fonction urinaire presque normale rapidement après l’intervention. Une dysurietrès discrète persiste quelques semaines, puis cesse spontanément.

Un petit foyer hyperéchogène reste visible sur le lieu de l’exérèse, mais n’évolue pas.

Le lymphome est bien contrôlé par le protocole, inchangé depuis. Aucune récidive de cystite n’a été notée après un an de suivi.

Discussion

Ce cas illustre une installation rapide et irréversible de lésions de cystite nécrosante secondaire à l’administration de cyclophosphamide. Les symptômes sont apparus après dix semaines de polychimiothérapie, correspondant à quatre administrations d’Endoxan®((1), soit une dose cumulée de 914 mg/m2.

1. Physiopathogénie

• Le cyclophosphamide est un agent chimiothérapique alkylant, régulièrement employé dans le traitement des cancers et des maladies auto-immunes. Il forme des liaisons covalentes (en particulier des alkylations) avec des composants organiques, dont les acides nucléiques [2]. Il entraîne des modifications chimiques profondes de l’ADN, avec inhibition de la transcription et de la réplication, qui perturbent la mitose cellulaire et aboutissent à la destruction cellulaire.

• Après l’administration, le cyclophosphamide est transformé par les enzymes microsomiales hépatiques en 4-hydroxy-cyclophosphamide et son tautomère, l’aldo-cyclophosphamide. Ce dernier passe dans la circulation sanguine, pénètre les cellules sensibles, puis est transformé en métabolites alkalisants : l’acroléine (sans activité antitumorale) et la moutarde phosphoramide qui est le véritable principe actif à action cytotoxique [2], [5]. L’acroléine est responsable de toxicité vésicale par son action irritante sur la muqueuse. Elle provoque œdème, nécrose, hémorragie, fibrose de l’épithélium et minéralisation dystrophique de la vessie [2].

• Quelle que soit la voie d’administration du cyclophosphamide, le métabolisme est identique. La concentration plasmatique maximale est atteinte en une heure chez l’homme après administration, le temps de demi-vie est d’environ cinq heures lorsque le métabolisme hépatique est intègre. L’excrétion de la molécule et de ses métabolites est urinaire à 90 %. Une atteinte rénale ou hépatique augmente le temps de demi-vie et nécessite un ajustement des doses (à la baisse) [6].

2. Effets indésirables

• Les effets indésirables les plus courants du cyclophosphamide sont :

- des effets communs à tous les agents alkylants, comme la myélosuppression (la leucopénie est maximale entre 7 et 14 jours) et l’inflammation du tractus gastro-intestinal ;

- des effets spécifiques au cyclophosphamide, comme la cystite hémorragique stérile et, lorsque l’administration est poursuivie malgré la cystite, des tumeurs vésicales (carcinome à cellules transitionnelles chez le chien et diverses néoplasies vésicales chez l’homme).

• L’inflammation vésicale chronique et la myélosuppression sont incriminées dans la carcinogenèse. Chez l’homme uniquement, une néphrotoxicité avec hémorragie et thrombus dans le bassinet est observée [2], [5], [9].

L’incidence de l’apparition de cystite hémorragique stérile après administration de cyclophosphamide chez le chien varie de 1,2 à 9 % [2]. Une à six administrations sont nécessaires avant l’apparition des premiers symptômes [2], [3]. La fibrose vésicale irréversible est souvent rencontrée lors d’administration à faible dose de manière continue [6]. Une prise discontinue à forte dose est donc recommandée, comme dans ce cas.

• Le risque de cystite s’accroît avec la durée de traitement, l’augmentation de la fréquence des prises, la dose administrée, la présence de maladies intercurrentes ou la prescription d’autres médicaments [9]. La cystite hémorragique stérile peut se développer en moins de 24 heures après une simple administration intraveineuse [2, 5, 9]. Parmi les facteurs prédisposants ont été rapportés : le sexe (les femelles sont plus souvent atteintes), la voie d’administration (risque augmenté avec une administration intraveineuse) et la présence d’une maladie auto-immune [2], [9]. L’administration concomitante d’un médicament qui peut entraîner une anorexie et une adipsie (donc une baisse de la diurèse) est, de manière indirecte, un facteur prédisposant. Aucun des facteurs prédisposants n’est présent dans ce cas, mis à part le sexe.

3. Diagnostic

Le diagnostic de la cystite hémorragique stérile est fondé sur l’historique médical de l’animal, l’élimination des autres causes de cystite, l’analyse cytologique (cellules épithéliales dysplasiques) et, éventuellement, sur l’imagerie médicale (échographie ou cystographie de contraste) [5]. Les plaques granulomateuses nécrosantes observées dans des cas similaires sont difficiles à différencier des lésions tumorales à partir des examens complémentaires non invasifs (analyses d’urine, imagerie, aspect macroscopique). Le diagnostic différentiel est alors effectué d’après l’examen cytologique [5].

4. Prévention

Des mesures préventives limitent le développement des symptômes.

• L’augmentation de la diurèse permet de diminuer le temps de contact de l’acroléine avec la muqueuse vésicale et de diluer l’urine :

- augmentation de la prise de boisson et stimulation des mictions (promenades) ;

- administration du médicament le matin pour éviter une stagnation de l’urine dans la vessie ;

- administration concomitante de glucocorticoïdes pour induire une polyuro-polydipsie et inhiber l’activation du cyclophosphamide par les enzymes microsomiales hépatiques, et retarder, en théorie, le métabolisme de celui-ci. Dans le cas décrit, le traitement a inclus la prise de prednisone tous les deux jours.

Cependant, dans plusieurs séries de cas publiés, aucune différence significative concernant l’incidence de la cystite hémorragique stérile n’a été mise en évidence selon que des corticoïdes ont été ou non associés ;

- administration de diurétiques comme le furosémide. En perfusion intraveineuse, celui-ci diminue l’incidence de la cystite hémorragique stérile. En revanche, les diurétiques de la famille des thiazidiques sont à éviter car ils augmentent la toxicité médullaire du cyclophosphamide [2], [3], [5], [8].

• L’administration par sonde intravésicale de molécules antioxydantes comme la cystéine ou l’acétylcystéine (N-acétyl-cystéine, Mucomyst®(1)) permet l’inactivation de l’acroléine [2], [9].

• Chez l’homme, l’administration de Mesna (sodium mercapto-éthane-sulfonamide, Uromitexan®) par voie intraveineuse via la perfusion de cyclophosphamide, puis, en relais, par voie orale provoque la formation d’un résidu qui libère un groupement thiol agissant dans l’urine avec l’acroléine et inhibe son action.

La prévalence de la cystite hémorragique stérile en est réduite de 85 % [9]. Son intérêt est controversé chez le chien [6], [9].

5. Traitement

Le traitement de la cystite hémorragique stérile dépend du stade d’évolution de la maladie.

La première mesure à mettre en œuvre est l’arrêt du cyclophosphamide qui peut être remplacé par un autre agent alkylant, le chlorambucil, à la dose de 15 mg/m2/j par voie orale, pendant quatre jours consécutifs, ou 6 à 8 mg/m2/j en permanence [8].

Parfois, le simple arrêt du traitement, accompagné éventuellement de la prescription d’un anti-inflammatoire non stéroïdien et d’une antibiothérapie préventive (car la muqueuse vésicale est endommagée), fait disparaître les symptômes.

Dans les autres cas, des mesures plus invasives doivent être instaurées :

- rinçages vésicaux à l’aide de sérum physiologique ;

- administration par sonde urinaire d’une solution de formaline (solution aqueuse de formaldéhyde) diluée à 1 % [10]. Ce traitement est utilisé chez l’homme lors de fibrose vésicale (carcinome vésical, radiothérapie, traitement à base de cyclophosphamide). Une anesthésie générale est nécessaire car l’injection est douloureuse. Afin d’éviter un reflux urinaire vers les uretères et les reins, le chien est placé sur une table inclinée (tête en haut) et une perfusion intraveineuse est laissée en continu pendant trois heures. La vessie est baignée par une solution de formaline une dizaine de minutes à trois reprises. L’action du formol repose sur une hydrolyse des protéines et une cautérisation de la muqueuse superficielle (par coagulation des microvaisseaux de la muqueuse et de la sous-muqueuse). Une régénération tissulaire commence alors. Elle est complète en trois semaines. Des résultats positifs sont observés par certains auteurs chez le chien, avec une diminution de l’hématurie en 24 heures, une amélioration de l’apparence de la muqueuse vésicale et une augmentation de son élasticité en un mois [2], [10] ;

- instillations intravésicales de solution de diméthylsulfoxyde (DMSO) diluée à 25 % sous forme de bains vésicaux répétés de 20 minutes, deux fois à une semaine d’intervalle [5], [9]. Le mécanisme d’action est mal connu. Le DMSO semble produire une inhibition des prostaglandines, en éliminant les radicaux libres et en stabilisant les membranes lysosomiales, et des macrophages à la surface de la vessie. Chez l’homme, ce traitement est utilisé avec succès dans le cadre des maladies inflammatoires chroniques (cystite interstitielle) ou des lésions vésicales induites par les radiations ;

- lors de fibrose vésicale irréversible ou de calculs urinaires secondaires, un débridage chirurgical est nécessaire. Parfois, la fibrose gagne le trigone vésical et justifie la réimplantation des uretères [5]. Dans le cas décrit, le choix thérapeutique s’est imposé face aux lésions échographiques. La zone vésicale nécrosée était suffisamment localisée pour permettre une exérèse limitée et conserver une capacité vésicale postopératoire normale.

Ce cas illustre une complication sévère, mais courante, de l’administration de cyclophosphamide. Malgré les précautions prises pour prévenir la cystite hémorragique stérile, la maladie s’est installée de façon rapide et irréversible.

Le dépistage de la cystite chez un animal en traitement, la mise en garde des propriétaires afin qu’ils collaborent à la prise en charge et la mise en œuvre précoce des examens et des traitements adéquats sont requis. L’arrêt prématuré du cyclophosphamide est primordial, mais parfois insuffisant.

  • (1) Médicament à usage humain.

POINTS FORTS

• Le développement d’une cystite hémorragique lors d’un traitement à base de cyclophosphamide doit faire suspecter une toxicité de celui-ci.

• Lors de cystite nécrosante due au cyclophosphamide, prescrire un autre agent alkylant et traiter la cystite.

• Un traitement chirurgical peut être nécessaire afin de débrider les lésions parfois profondes de nécrose vésicale.

• Des moyens préventifs sont mis en place pour limiter cette toxicité, au sein de la clinique en favorisant une diurèse forcée, et chez les propriétaires lorsqu’ils sont correctement informés.

Références

  • 1 - Brown SA, Rarsanti JA. Diseases of the bladder and urethra. In : Ettinger SJ. Textbook of Veterinary Internal Medicine. 3rd ed. WB Saunders, Philadelphia. 1989;2:2123.
  • 2 - Charney SC, Bergman PJ, Hohenhaus AE et coll. Risk factors for sterile hemorragic cystitis in dogs with lymphoma receiving cyclophosphamide with or without concurrent administration of furosemide : 216 cases (1990-1996). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2003;222:1388-1393.
  • 3 - Chaviano AH, Gill WB, Ruggiero KJ et coll. Experimental cytoxan cystitis and prevention by acetylcysteine. J. Urol. 1985;134:598-600.
  • 4 - Crow SE, Theilen GH, Madewell BR et coll. Cyclophosphamide-induced cytitis in the dog and cat. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1997;171:259-262.
  • 5 - Laing EJ, Miller CW, Cochrane SM. Treatment of cyclophosphamide-induced cystitis in five dogs. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1988;193:233-236.
  • 6 - Magnol J-P, Marchal T. Cancérologie clinique du chien. Éd. Pairault (Lezay). 2001:395.
  • 7 - Marin MP, Samson RJ, Jackson ER. Hemorrhagic cystitis in a dog. Can. Vet. J. 1997;37:240.
  • 8 - Olgivie GK, Moore AS. Manuel pratique de cancérologie vétérinaire. Masson, Paris. 1997:229-259.
  • 9 - Peterson JL, Couto CG, Hammer AS et coll. Acute sterile hemorrhagic cystitis after a single intravenous administration of cyclophosphamide in three dogs. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1992;201:1572-1574.
  • 10 - Weller RE. Intra-vesical instillation of dilute formalin for treatment of cyclophosphamide-induced hemorrhagic cystitis in two dogs. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1978;172:1206-1209.
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr