Lactation et tarissement : nouvelle donne - Le Point Vétérinaire n° 275 du 01/05/2007
Le Point Vétérinaire n° 275 du 01/05/2007

Physiologie mammaire chez la vache

Mise à jour

LE POINT SUR…

Auteur(s) : Francis Sérieys

Fonctions : Filière Blanche
12 quai Dugay-Trouin
35000 Rennes
francis.serieys@wanadoo.fr

Des avancées scientifiques récentes mènent à repenser la gestion du cycle de production des vaches laitières et la conduite des troupeaux. Des essais d’applications sont en cours.

Depuis des décennies, la conduite des troupeaux laitiers est organisée autour d’une gestion du cycle de production des vaches laitières dont les paramètres ont très peu évolué : un vêlage par an, 300 jours de lactation, 60 jours de période sèche, deux traites par jour.

Ce modèle a fait largement la preuve de son efficacité zootechnique et économique. Cela démontre de façon empirique a posteriori et a minima qu’il n’est pas en contradiction avec les exigences physiologiques des vaches laitières. Pour autant, ces paramètres de gestion des lactations pourraient ne pas être optimaux pour la production laitière, la santé des animaux, la charge de travail, la rentabilité de l’exploitation.

La longévité exceptionnelle de ce modèle qui est resté presque inchangé alors que la quantité de lait produite par vache, la génétique, l’alimentation, les bâtiments d’élevage, les conditions économiques ont été bouleversés soulève une question : la physiologie des vaches laitières est-elle à ce point rigide qu’elle cantonne la gestion des lactations dans un stéréotype n’autorisant que de petites variations maginales, comme un vêlage tous les 13mois ou une période sèche de50jours ? Offre-t-elle au contraire des degrés de liberté suffisants pour envisager des systèmes différents ?

Les connaissances nouvelles sur la physiologie de la lactation et du tarissement de la vache laitière apportent des éléments de réponse (encadré1).

Comment croît le tissu mammaire ?

• La quantité de lait produite par la vache laitière est directement liée au nombre de cellules épithéliales mammaires.

Deux phases étaient jusqu’alors distinguées dans le développement et le renouvellement du tissu mammaire de la vache [39].

- Une phase de multiplication des cellules épithéliales mammaires sous l’effet des hormones sexuelles, intervenant exclusivement à des périodes pendant lesquelles le lait n’est pas sécrété, c’est-à-dire, chez la génisse, avant son premier vêlage et chez la vache gestante tarie, lorsque la mamelle est complètement sèche.

- Avec le démarrage de la sécrétion, une phase de perte de cellules épithéliales mammaires, d’abord très progressive et correspondant au déclin de la production laitière avec l’avancement de la lactation, puis accélérée pendant les premières semaines de tarissement, conduisant à un arrêt total de la sécrétion.

La mamelle sèche connaît alors, jusqu’au vêlage suivant, une nouvelle phase de croissance du tissu mammaire permettant d’assurer la production de la prochaine lactation.

Le cycle est bouclé.

• Selon les avancées récentes de la recherche, les choses ne semblent pas se passer de cette manière [10, 12].

À tous les stades du cycle de production et de reproduction des vaches, en lactation et pendant la période sèche, il se produit une prolifération et une perte simultanées de cellules épithéliales mammaires. Deux notions doivent alors être distinguées : le nombre des cellules et le renouvellement de l’épithélium.

- L’évolution du nombre de cellules dépend du solde entre les cellules formées et perdues pendant la même période. Si la différence est positive, le nombre de cellules s’accroît (période sèche), si elle est négative, il décroît (lactation).

- Le renouvellement de l’épithélium mammaire dépend lui aussi du nombre de cellules formées et perdues, mais en valeurs absolues. Plus ces valeurs sont élevées, plus le renouvellement est intense. Ainsi, un renouvellement plus ou moins important de l’épithélium sécrétoire est observé à toutes les phases du cycle, y compris en lactation, lorsque le nombre de cellules épithéliales diminue.

Comment s’effectue la perte des cellules épithéliales ?

• Le mécanisme majeur de perte est la mort cellulaire programmée, ou apoptose. Le signal qui déclenche l’autodestruction peut être :

hormonal, comme lors d’insuffisance de stimulation galactopoïétique ;

- local, notamment en l’absence de facteurs de croissance ;

- infectieux, en cas de mammites ;

- interne, par exemple si l’ADN de la cellule est endommagé.

L’apoptose semble concerner en priorité les cellules sénescentes à activité sécrétoire réduite. Elle pourrait aussi contribuer, en tout début de lactation, à l’élimination de cellules formées en excès pendant la période sèche [40].

- Les cellules épithéliales mammaires peuvent aussi desquamer et passer dans le lait, sous l’effet notamment des contractions des alvéoles au moment de la traite, mais cette voie représente seulement 2 % environ du total des pertes de cellules épithéliales mammaires au cours de la lactation [12].

Comment se multiplient les cellules épithéliales ?

• La prolifération des cellules épithéliales mammaires se réalise par division de cellules de petite taille, peu différenciées, et fixant mal les colorants, qui présentent toutes les caractéristiques des cellules souches et progénitrices, telles qu’identifiées chez la souris [11, 21]. Une même cellule souche est à l’origine de différentes lignées de cellules progénitrices, qui donnent naissance à la fois à des cellules épithéliales sécrétrices et à des cellules myoépithéliales intervenant dans l’éjection du lait [21].

La prolifération des cellules épithéliales mammaires conduit à une augmentation du nombre de lactocytes par alvéole (dont le diamètre s’accroît) ou à une augmentation du nombre d’alvéoles [12].

Le renouvellement et l’activité du tissu sécrétoire ne s’effectuent pas de manière homogène dans toute la glande puisque des alvéoles en pleine activité côtoient des alvéoles en régression [9].

La régulation de la prolifération et de l’apoptose des cellules épithéliales mammaires est complexe. L’IGF1 (insulin-like growth factor 1), sécrété par le foie et localement dans les tissus, semble jouer un rôle de pivot dans cette régulation. Son effet s’exerce en interaction avec de nombreuses hormones et facteurs de croissance, notamment la prolactine, les IGFBP 3 et 5 (IGF binding protein 3 et 5), la lactoferrine et les SOCS (suppressors of cytokinesignaling), qui interfèrent directement avec l’IGF1, ses récepteurs de surface ou la transduction intracellulaire du signal [40].

• Il existe ainsi un remaniement permanent du tissu épithélial mammaire tout au long du cycle de production et de reproduction de la vache, qui associe toujours des processus de prolifération cellulaire et d’apoptose (photo 1). L’intensité de chacun varie selon le stade physiologique, mais aussi les conditions zootechniques.

Comment évoluent la croissance et le renouvellement ?

1. Chez les multipares

Chez les vaches multipares, le nombre de cellules épithéliales mammaires diminue régulièrement tout au long de la lactation. Après dix mois de lactation, il est environ deux fois plus faible qu’au vêlage (figure). La production de lait suit cette évolution, sauf en début de lactation au cours de laquelle l’augmentation de la production s’explique par une différenciation plus complète et une activité sécrétrice accrue des lactocytes. Pendant toute la lactation, une prolifération cellulaire est notée. Elle est inférieure aux pertes par apoptose puisque lebilanest négatif, mais elle est néanmoins intense, de l’ordre de 0,3 % par 24 heures [12]. Concrètement, le nombre total de cellules formées au cours d’une lactation est égal à la moitié environ du nombre total des cellules présentes au vêlage.

Au cours d’un cycle classique(1), la plupart des cellules encore présentes en fin de lactation ont ainsi été formées au cours de celle-ci, et la plupart de celles créées en période sèche ont disparu à la fin de la lactation suivante.

2. Chez les primipares

Chez les vaches primipares, la dynamique de croissance et d’activité cellulaires est un peu différente. La production laitière plus faible et la forme plus plate de la courbe en début de lactation s’expliquent par un nombre de cellules épithéliales mammaires plus réduit et par une moindre différenciation deces cellules dans lespremières semaines de lactation.

Néanmoins, la prolifération des cellules épithéliales mammaires est plus intense que chez les multipares tout au long de la lactation, en relation avec des taux d’IGF1 plus élevés. En outre, les cellules formées se différencient en cellules sécrétrices avec l’avancement de la lactation sous l’action de la prolactine. Ces deuxmécanismes associés contribuent à une meilleure persistance [26].

3. Pendant le tarissement

Pendant la période sèche, le nombre de cellules épithéliales mammaires reste à peu près constant pendant les premières semaines de tarissement et double dans les dernières semaines. La prolifération de nouvelles cellules est toujours importante, y compris dans les jours qui suivent l’arrêt de la traite. Elle est alors compensée par un taux d’apoptose également élevé [40]. À l’approche du vêlage, la proliférationaugmente fortement, alors que l’apoptose diminue.

Quels facteurs influencent la croissance et le renouvellement ?

• Tous les facteurs connus pour exercer une influence sur la production laitière (génétique, alimentation, gestation, durée de tarissement, fréquence de traite, photopériode, ou hormone de croissance dont l’utilisation n’est pas autorisée en France) agissent, au moins en partie, par le biais du nombre et/ou du renouvellement des cellules épithéliales mammaires.

• L’influence des facteurs zootechniques sur la production laitière a fréquemment été expliquée par l’activité des cellules sécrétrices, en sous-estimant les effets associés au nombre et au renouvellement de ces cellules. Le plus souvent, les facteurs zootechniques agissent sur les cellules épithéliales mammaires en modifiant, à court terme, leur activité sécrétrice et, à long terme, le développement du tissu mammaire [9]. Les modifications d’activité des cellules sécrétrices ont des effets quasi immédiats sur la production laitière, mais ces effets ne persistent guère au-delà de la mise en œuvre du facteur zootechnique en cause. Au contraire, les changements dans le développement dutissu sécrétoire exercent leurs effets sur des périodes plus longues (tout ou partie de la lactation, voire la carrière de la vache), bien après la fin de l’intervention du facteur déclenchant. La gestion des lactations consiste à trouver le bon équilibre entre ces effets immédiats et différés, pour atteindre l’objectif visé dans une stratégie zootechnique définie.

Comment illustrer les effets immédiats et différés ?

• L’exemple de la gestation peut être développé :

- à court terme, la gestation fait baisser la lactation concomitante, car le fœtus entre en concurrence avec la mamelle pour l’utilisation des nutriments et qu’elle accélère l’apoptose en fin de lactation [11, 41] ;

- à plus long terme, la gestation est indispensable au renouvellement du tissu mammaire et au déclenchement de la nouvelle lactation.

Comment gérer ces paramètres ? Si la mise à la reproduction est retardée, la persistance, donc la durée de lactation, est améliorée, mais la lactation suivante se trouve retardée. Un optimum économique est à rechercher, sachant que plus la persistance et le niveau de production laitière sont élevés, plus celui-ci est atteint de façon tardive [17].

Ainsi, il paraît particulièrement justifié de retarder la mise à la reproduction de vaches en première lactation, dont le niveau de production est relativement élevé etqui présententune excellente persistance de lactation.

• Cette logique a été poussée à l’extrême avec le concept de “vaches pérennes”, non remises à la reproduction après un vêlage [37]. En l’absence de gestation concomitante, celles-ci produisent du lait en continu à un niveau relativement élevé pendant au moins deux ans (en fait, jusqu’à quatre ans, voire plus). Rotz et coll. ont étudié les performances zootechniques quedevrait réaliser un troupeau entier de primipares pérennes pour atteindre un résultat économique équivalent à celui d’untroupeau moyen de Pennsylvanie (120 vaches à 10 000 kg de lait) conduit de manière traditionnelle [37]. Le résultat est très sensible au prix d’achat des génisses deremplacement puisque l’essentiel du renouvellement s’effectue de cette manière. Il en ressort néanmoins, avec les prix d’intrants et d’extrants réellement observés, que le troupeau de primipares pérennes donnerait des résultats économiques équivalents dès lors que les vaches pourraient être maintenues en lactation continue pendant trois ans en moyenne avec une production annuelle qui ne serait pas inférieure de plus de 7 % à celle obtenue par la conduite traditionnelle. Ce niveau de performance de vaches pérennes, produisant 365 jours par an, n’apparaît pas hors de portée dès lors qu’une sélection génétique sur ce type de profil de lactation serait mise en place. Ce système présente quelques avantages pour l’environnement, notamment en ce qui concerne les pertes d’azote. Il apporte surtout une solution à de multiples difficultés rencontrées dans l’élevage traditionnel : conduite de la période sèche, difficultés de vêlage, maladies de la reproduction, affections métaboliques et infectieuses du péripartum, affections associées au déficit énergétique en début de lactation, détection des chaleurs, infertilité, traitements antibiotiques, etc.

• Des systèmes moins radicaux de lactations longues peuvent être envisagés. Ils font actuellement l’objet d’évaluations un peu partout dans le monde : par exemple des dispositifs avec un intervalle entre les vêlages de 24 mois (en système de vêlage groupés) ou de 18 mois (avec deux saisons de vêlages par an).

Ces modalités peuvent concerner la totalité du troupeau ou une partie seulement, par exemple des primipares ou des multipares à bonne persistance, les autres vaches étant conduites avec un intervalle de vêlage normal.

En l’absence de contraintes de saisonnalité, des stratégies d’intervalle entre vêlages totalement individualisées peuvent être conçues.

Elles prennent en compte des caractéristiques comme le numéro de lactation, le niveau de production, le déficit énergétique en début de lactation, la persistance et la forme de la courbe de lactation, ou encore les antécédents de santé et de reproduction.

Comment influe la durée du tarissement ?

• Le tarissement favorise le renouvellement du tissu mammaire en fin de gestation (encadré 2). La recommandation classique de 60 jours de durée de tarissement résulte d’études rétrospectives anciennes qui montraient que les vaches taries moins longtemps produisaient moins de lait à la lactation suivante. Les données les plus récentes n’infirment pas cette conclusion, mais elles apportent des précisions intéressantes.

En premier lieu, les durées de tarissement longues, supérieures à 65 jours, peu étudiées, sont associées à des productions laitières nettement diminuées à la lactation suivante, non par défaut de renouvellement du tissu mammaire mais plus vraisemblablement en raison d’une moindre capacité d’ingestion en début delactation liée à un engraissement excessif qui a également des répercussions sur la santé après vêlage [22].

En second lieu, ladiminution de production de lait reste minime et peu significative tant que la durée de tarissement des multipares est supérieure à une valeur minimale : 6 à 7 semaines, d’après la plupart des études menées jusque dans les années 90, sans utilisation de l’hormone de croissance [33]. Il s’agirait de la durée incompressible de période sèche permettant un renouvellement quasi complet du tissu mammaire des multipares. Des études américaines récentes ne trouvent pas de différence significative pour un tarissement ramené à 30 jours ou même supprimé, mais l’hormone de croissance qui a été systématiquement utilisée à la lactation suivante dans ces deux études a pu compenser un renouvellement incomplet du tissu mammaire pendant la période sèche [2, 19].

Pour les primipares, avec ou sans hormone de croissance, les résultats sont univoques : toute réduction de la période sèche en deçà de 60 jours pénalise significativement la production de lait de la lactation suivante [2].

• La production laitière cumulée des deux lactations adjacentes encadrant la période sèche varie très peu chez les primipares pour des durées de tarissement comprises entre 40 et 120 jours [23]. Les durées de tarissement inférieures ou supérieures à 60 jours correspondent à des lactations plus longues, dans le premier cas par recul de l’arrêt de la traite et, dans le second cas, en raison de fécondations plus tardives. Comme les primipares ont une bonne persistance de lactation, le lait supplémentaire de la lactation précédente allongée compense la réduction de production de la lactation suivante.

Chez les multipares à persistance plus réduite, la compensation est bien moindre, de sorte que la durée de tarissement assurant le maximum de production de lait sur deux lactations adjacentes se situe encore autour de 60 jours.

• Par ailleurs, les vaches dont la durée de tarissement a été raccourcie présentent une ingestion alimentaire plus élevée après le vêlage, avec un déficit énergétique plus réduit en début de lactation et une moindre mobilisation de leurs réserves corporelles, avec une incidence plus faible des troubles métaboliques qui y sont associés [19, 33]. La fertilité des vaches est également améliorée, de sorte que le taux de réforme de celles à tarissement court est diminué. Il en résulte qu’un tarissement de 30 à 40 jours chez les multipares augmente leur durée de vie productive et maximise la production totale de lait sur la carrière complète de l’animal [24].

• Ces résultats font apparaître que la durée de 60 jours de tarissement, optimale pour le renouvellement du tissu mammaire et la production de lait à la lactation suivante, n’est pas nécessairement la plus efficace sur deux lactations adjacentes ou sur la vie entière (photo 2).

La question de la durée optimale de tarissement se pose aussi en termes économiques, notamment dans des stratégies visant à adapter la production laitière à une ressource fourragère à faible coût, comme l’herbe pâturée. Outre la production de lait, les effets sur les effectifs d’animaux, les taux de matière utile, la concentration cellulaire du lait, les performances de reproduction et la santé sont à considérer [24, 33]. L’intérêt économique dépend en grande partie du contexte local. Toutefois, la question de la charge de travail, rarement prise en compte dans le raisonnement, ne doit pas être oubliée : réduire la durée du tarissement de 20 jours revient en effet à augmenter le nombre moyen de vaches à traire de 6,7 %, ce qui allonge le temps de traite du troupeau d’environ 10 %, soit environ 75 heures supplémentaires de travail sur l’année.

Une diminution de la durée de tarissement peut aussi être envisagée individuellement, pour réduire les affections métaboliques en début de lactation et améliorer la fertilité, par exemple. Les individus ciblés sont surtout des vaches multipares avec des antécédents ou particulièrement exposées à ces troubles. Un raccourcissement de leur période sèche à 30-40 jours paraît raisonnable.

Monotraite et raccourcissement du tarissement ont-ils les mêmes effets ?

• Dans l’ensemble, réduire la fréquence des traites a les mêmes effets que raccourcir le tarissement. Une traite par jour au lieu de deux dans les premières semaines de lactation, c’est moins de lait mais avec une capacité d’ingestion maintenue, donc un déficit énergétique réduit, des vaches en meilleur état corporel, une fertilité améliorée, des taux de matière utile plus élevés, mais aussi plus de cellules dans le lait et des risques accrus de mammites cliniques, [16, 28, 32, 34].

La baisse de production est due, à court terme, à une diminution de l’activité sécrétrice des lactocytes en raison de l’action en feedback de la présence de lait à leur contact [27, 34]. À plus long terme, si la monotraite se prolonge plusieurs semaines, on observe une diminution du nombre et du renouvellement des cellules épithéliales dont les effets se font encore sentir des mois après un retour à deux traites par jour [20, 34].

• Généraliser la monotraite (toute l’année chez toutes les vaches) diminue le travail d’astreinte, mais permet aussi d’adapter les lactations au pâturage d’herbe, en particulier dans des conditions de vêlages groupés. Les résultats obtenus à la ferme expérimentale de Trévarez dans le Finistère montrent que ce système de conduite, en dépit d’une baisse de 25 % de la production par vache, peut se révéler pertinent sur le plan économique, sous réserve qu’aucun investissement lourd en bâtiments ne soit engagé et que le prix de la viande soit suffisamment élevé, ce qui semble être la tendance pour les prochaines années en Europe [32].

• La traite une fois par jour en début de lactation peut aussi faire l’objet d’une application individuelle sur quelques vaches du troupeau, notamment des multipares fortes productrices, sujettes aux troubles métaboliques et à l’infertilité. Elle va compléter ou remplacer la stratégie du tarissement court. Elle fait courir plus de risques au regard des infections mammaires, mais elle a l’avantage de diminuer le temps de traite au lieu de l’allonger.

Il est donc possible de jouer sur différents facteurs influençant le nombre total de cellules sécrétrices mammaires et leur renouvellement, mais toute stratégie présente des avantages et des inconvénients qu’il s’agit de peser dans chaque élevage.

Un autre facteur conditionnant la physiologie mammaire peut être manipulé sans risque pour la santé : la photopériode. Il fera l’objet d’un article à paraître dans un prochain numéro.

  • (1) Cycle classique : un vêlage annuel, avec des vaches traites deux fois par jour pendant dix mois et taries pendant deux mois.

Encadré 1 : Des progrès issus de la recherche humaine

Moteurs de la recherche

• Les deux principaux moteurs pour la recherche sur la physiologie mammaire se rapportent à l’espèce humaine : la lutte contre le cancer du sein et la sélection de cellules souches non embryonnaires à des fins réparatrices.

• C’est donc essentiellement dansle domaine de la croissance des tissus mammaires, de leur renouvellement et de leur différenciation que les progrès les plus importants ont été réalisés.

De nouvelles techniques

• Ces recherches sur la physiologie de la mamelle ont bénéficié des nouvelles techniques d’investigation, notamment la génomique fonctionnelle (transcriptomique, protéonomique), les autoradiographies par incorporation de nucléotides radioactifs ou encore lesmodèles en culture cellulaire, venant en complément des méthodes classiques comme les observations histologiques, les dosages d’ADN et d’ARN, ou la physiologie expérimentale.

• Ainsi, les études sur la physiologie de la mamelle de la vache laitière, restées en sommeil jusqu’au milieu des années 90, ont connu récemment un développement accéléré, débouchant sur des connaissances nouvelles. Ces dernières ont suscité des essais zootechniques sur la gestion du cycle de production.

POINTS FORTS

• Le tissu épithélial mammaire est remanié en permanence par la prolifération cellulaire et l’apoptose, d’intensités respectives variables selon le stade physiologique et les conditions zootechniques.

• Retarder la mise à la reproduction de vaches en première lactation avec un niveau de production relativement élevé et qui présentent une excellente persistance, est justifié au regard de la production laitière.

• Une réduction de la durée de tarissement à 30 à 40 jours et/ou une monotraite en début de lactation peuvent être conseillées pour des vaches multipares à risque élevé d’affections métaboliques en début de lactation et d’infertilité.

• Tarir les vaches ne modifie pas le nombre de cellules mammaires, mais permet un renouvellement plus important du tissu sécrétoire avant la lactation suivante.

Encadré 2 : Pas d’involution mammaire lors du tarissement chez la vache laitière

Un nombre constant de cellules mammaires

• Après l’arrêt de la traite, une stase du lait est observée dans les alvéoles, suivie d’une diminution, puis d’une résorption de la sécrétion lactée. Cette régression paraît être due principalement à l’augmentation de la pression dans les alvéoles et à la présence prolongée au contact des lactocytes d’une protéine du lait inhibant en feedback leur activité sécrétoire (feed-back inhibitor of lactation). Vingt-cinq jours après l’arrêt de la traite, la sécrétion est donc nulle, la résorption est à son maximum et le volume des alvéoles à son minimum.

• Toutefois, pendant cette période initiale, le nombre de cellules mammaires ne diminue pas. La perte de cellules anciennes (à son maximum) est compensée par une prolifération de cellules nouvelles [10]. La structure des alvéoles se maintient aussi.

Pas d’involution mammaire

• Le terme d’involution mammaire, extra-polé d’observations réalisées chez les rongeurs et faisant référence à une diminution du nombre de cellules et à une désorganisation des alvéoles, paraît donc inadapté pour décrire ce qui se passe chez la vache laitière pendant les premières semaines de tarissement.

De la même manière, une période dite de repos faisant suite à l’involution et précédant la régénération du tissu sécrétoire ne semble pas exister chez la vache laitière. En effet, dès 25 jours de tarissement, le nombre de lactocytes augmente et la matrice extracellulaire se développe, tandis que le volume des alvéoles s’accroîtavec l’accumulation progressive du colostrum.

Effets du tarissement sur le renouvellement

• L’évolution du nombre de cellules mammaires est la même dans la mamelle d’une vache tarie et dans celle d’une vache traite sans interruption jusqu’au vêlage. Le tarissement n’a donc pas d’influence sur la croissance du tissu mammaire pendant la fin de la gestation [10]. En revanche, les vaches ayant été taries présentent une prolifération de nouvelles cellules augmentée de 80 % par rapport à celles qui ne l’ont pas été.

• Ce phénomène est compensé par une perte accrue de cellules anciennes, d’où un solde équivalent. La proportion de cellules épithéliales dans les cellules nouvellement formées est aussi plus élevée chez les vaches ayant bénéficié d’un tarissement (83 % versus 74 %).

Ainsi, tarir les vaches ne modifie pas le nombre de cellules mammaires, mais permet un renouvellement plus important du tissu sécrétoire avant la lactation suivante, favorable à la productionde lait [3, 10].

  • 2 - Annen EL, Collier RJ, MacGuire MA, Vicini JL, Ballam JM, Lormore MJ. Effects of modified dry period length and bovine somatotropin on yield and composition of milk from dairy cows. J. Dairy Sci. 2004; 87:3746-3761.
  • 3 - Annen EL, Fitzgerald AC, Gentry PC, MacGuire MA, Capuco AV, Baumgart LH, Collier RJ. Effects of continuous milking and bovine somatotropin supplementation on mammary epithelial cell turnover. J. Dairy Sci. 2007; 90:165-183.
  • 9 - Boutinaud M, Guinard-Flamenta J, Jammes H. The number and activity of mammary epithelial cells, determining factors for milk production. Reprod. Nutr. Dev. 2004;44(5):499-508.
  • 11 - Capuco AV, Ellis SE, Hale SA, Long E, Erdman RA Zhao X, Paape MJ. Lactation persistency : insights from mammary cell studies. J. Anim. Sci. 2003;83 (Suppl.3):18-31.
  • 19 - Gulay MS, Hayen MJ, Bachman KC, Belloso T, Liboni M, Head HH. Milk production and feed intake of holstein cows given short (30-d) or normal (60-d) dry periods. J. Dairy Sci. 2003; 86:2030-2038.
  • 24 - Kuhn MT, Hutchinson DL, Norman HD. Days dry effects on subsequent lactation fat, protein, fertility, and somatic cell score. J. Dairy Res. 2006;73:154-162.
  • 27 - Norgaard J, Sorensen A, Sorensen MT, Andersen JB, Sejrsen K. Mammary cell turnover and enzyme activity in dairy cows : effects of milking frequency and diet energy density. J. Dairy Sci. 2005;88:975-982.
  • 34 - Rémond B, Pomies D. Once daily milking of dairy cows : a review of recent French experiments. Anim. Res. 2005;54:427-442.
  • 37 - Rotz CA, Zartman DL, Crandall KL. Economic and environmental feasibility of a perennial cow dairy farm. J. Dairy Sci. 2005;88:3009-3019.
  • 40 - Sorensen MT, Norgaard J, Theil PK, Vestergaard M, Sejrsen K. Cell turnover and activity in mammary tissue during lactation and the dry period in dairy cows. J. Dairy Sci. 2006;89:4632-4639.
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr