La babésiose “résiste” aux tests modernes - Le Point Vétérinaire n° 275 du 01/05/2007
Le Point Vétérinaire n° 275 du 01/05/2007

Diagnostic et épidémiologie des hémoparasitoses chez les bovins

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Auteur(s) : Jacques Devos

Fonctions : Chez Mathy
42360 Panissières

Un test PCR en temps réel est en cours de développement pour mieux détecter les troupeaux à faible risque de babésiose.

Les formes cliniques de babésiose, dues à la multiplication intra-érythrocytaire de protozoaires du genre Babesia transmis parmorsure d’une tique infectée, sont connues des éleveurs et des vétérinaires. Le diagnostic clinique est souvent aisé. La confirmation s’effectue en général au cabinet par l’examen d’un frottis sanguin (photo 1). Certains cas douteux peuvent être confirmés par analyse PCR (polymerase chain reaction), à titre expérimental pour l’instant. Cette maladie existe chez de nombreux mammifères domestiques et sauvages. Les répercussions économiques en sont très importantes, aussi bien pour ces formes cliniques, relativement rares, que pour des formes chroniques et subcliniques, beaucoup plus fréquentes mais difficiles à étudier et à estimer en routine [4].

Les enquêtes épidémiologiques sur les babésioses reposent actuellement sur la sérologie, en particulier l’immunofluorescence indirecte (IFI). Des tables ont été publiées pour estimer le risque clinique en fonction du nombre d’animaux séropositifs (tableau 1). Elles sont utilisées pour toutes les babésies, c’est-à-dire Babesia divergens et B. major chez les bovins d’Europe tempérée, B. bigemina et B. bovis en régions chaudes [5]. Chacune de ces babésies a une épidémiologie et une pathogénicitéspécifiques. L’antigène utilisé pour l’IFI est du sang issu de bovins splénectomisés (ou de gerbilles pour B. divergens) ayant une forte parasitémie (infestationsexpérimentales) [3]. Mais, la production d’antigènes reste lourde à réaliser. De plus, l’interprétation de la fluorescence n’est pas objective : elle dépend del’expérience du laborantin. La culture cellulaire est aussi possible. Dans ce contexte, nous avons tenté de développer un test PCR pour faciliter les études épidémiologiques sur cette maladie.

Mise au point d’une PCR en temps réel

Le développement des méthodes PCR permet une approche différente de ces études. Le parasite est mis en évidence directement par amplification d’un segment de son ADN, appelé amplicon. Lors de la mise au point du test PCR, le gène amplifié est choisi en fonction de la spécificité désirée. Il est possible de définir un amplicon spécifique d’un genre, d’une espèce, voire de sous-espèces ou de souches (photo 2).

Un segment du gène 18S a été choisi pour l’amplification, pour que le test soit spécifique de l’ensemble des espèces du genre Babesia (environ 90 sont décrites, dont à peu près 60 ne sont pas classées définitivement). L’amplicon est mis en évidence par diffusion sur gel du produit PCR et par comparaison avec un témoin positif, et la différenciation par l’utilisation d’une enzyme de restriction (méthode RFLP, pour restriction fragment length polymorphism) qui permet de révéler le polymorphismeà l’intérieur du gène (photo 3). L’enzyme de restriction recherche une séquence particulière où elle exerce son action. La diffusion sur gélose des fragments obtenus donne une image caractéristique de l’espèce. La méthodereste toutefois assez lourde [a].

L’apparition des automates de PCR en temps réel a permis d’envisager le développement d’un test quantitatif plus facile à réaliser. De nouvelles amorces ont été dessinées, s’adressant au même gène 18S, mais amplifiant un segment de plus petite taille. Le test a été réalisé avec une sonde spécifique du genre Babesia, couplée à un fluorophore. Les amorces ont été testées avec différentes souches de B. divergens, B. bigemina et B. canis qui ont toutes été détectées. La spécificité a été testée avec un panel de 32 agents pathogènes bovins autres que les babésies qui n’ont pas été détectés. Pour les régions dans lesquelles plusieurs espèces de Babesia coexistent, l’utilisation d’amorces ou de sondes spécifiques des espèces suspectées sur les échantillons positifs autorise la différenciation. Cette technique permet aussi de vérifier assez facilement la qualité de l’extraction de l’ADN par le test à la glycéraldéhyde phosphate déshydrogénase ou GAPDH. Cette enzyme est présente dans les leucocytes bovins. Des échantillons extraits suivant le même protocole doivent tous donner un résultat similaire à ce test. Des différences importantes signent un défaut dans la réalisation de l’extraction.

Amélioration de la sensibilité

Parallèlement à la mise au point des amorces adéquates, nous avons cherché à améliorer la sensibilité du test en diminuant le seuil de détectabilité. Cette étape est importante puisque les parasitémies très faibles sont fréquentes chez les porteurs chroniques (de l’ordre de 10-9, soit une hématie parasitée sur un milliard).

Lors d’un premier essai, avec le test PCR-RFLP, deux techniques d’extraction ont été comparées. Elles aboutissent à l’amplification de l’ADN contenu pour l’une dans 1µl de sang (méthode sur du sang séché sur papier filtre), pour l’autredans 33 µl (méthode fondée sur le sang total). Après validation sur des échantillons à parasitémie connue, le test a été utilisé sur des échantillons de terrain. Six bovins, identifiés comme des porteurs chroniques, ont été suivis pendant six mois, à raison d’un prélèvement toutes les trois semaines et en l’absence de tiques. Un quart des prélèvements sont positifs par la méthode PCR et plus de la moitié en IFI. Le test PCR, en détectant une parasitémie minimale de l’ordre de 10-6 %, soit une hématie infectée dans 33 µl, ne détecte qu’un quart des porteurs chroniques. Cela est insuffisant pour l’objectif fixé (études épidémiologiques).

En parallèle, 254 bovins choisis de façon aléatoire ont été prélevés. Dix pour cent des animaux sont positifs à au moins un test, 5 % en PCR et 7 % en IFI. La parasitémie moyenne semble plus élevée dans les troupeaux qui comportent plus de cas cliniques [2].

Ces constatations nous ont incités à modifier la méthode d’extraction pour diminuer le seuil de détectabilité et mettre en évidence une parasitémie de l’ordre de 10-7 %. Cela a été réalisé parallèlement au développement du test PCR en temps réel (quantitatif). La nouvelle technique d’extraction s’applique sur 500 µl de culot d’hématies et amplifie globalement l’ADN contenu dans 140 µl de sang. Ce seuil a été confirmé par des dilutions successives d’un échantillon positif à 1 %. Les premières dilutions montrent une progression linéaire des résultats. En revanche, la plus forte dilution donne un résultat incohérent ; il est difficile d’obtenir un résultat fiable lorsque les limites techniques sont presque atteintes. Un autre test consiste à diluer un extrait positif et à comparer les résultats. Dans ce cas, les résultats sont linéaires et permettent d’estimer l’efficacité de la PCR à 93 %. Cela mesure la difficulté de repérer de faibles quantités d’ADN dans un échantillon.

Dans un test PCR, un des obstacles majeurs est l’action inhibitrice de l’hémoglobine. Or le test vise à examiner un grand volume sanguin pour repérer de faibles quantités d’ADN. Par comparaison, la recherche de BVD (diarrhée virale bovine) en PCR s’effectue sur 6 µl de sang : l’élimination de l’hémoglobine est donc plus facile.

Premières applications “épidémiologiques”

Nous avons cherché à valider le nouveau test sur des échantillons de terrain, tout en étudiant l’hypothèse d’un lien entre la parasitémie et le risque clinique. Dans 28 ex-ploitations où les vétérinaires praticiens connaissaient les antécédents cliniques de babésiose, 280 bovins ont subi un prélèvement (tableau 2). La catégorie stabilité endémique a été la plus difficile à définir. Elle correspond à une incidence d’infection suffisamment élevée, avec assez de résistance inhérente pour que l’immunité de prémunition se maintienne, sans morbidité ni mortalité importantes. Chaque échantillon a été examiné en IFI à l’ENV de Nantes et soumis au test PCR.

Les résultats sérologiques s’accordent avec les valeurs usuelles.

En IFI, 12 % d’animaux séropositifs ont été obtenus dans la catégorie risque faible, 69 % en risque élevé et 78 % en stabilité endémique. Le nombre de bovins positifs en PCR semble évoluer de la même façon que celui d’animaux séropositifs dans chaque catégorie. Des analyses statistiques sont en cours pour comparer les parasitémies observées dans les trois catégories.

Dans un proche avenir, la technique d’extraction peut être encore améliorée et le kit doit être testé sur d’autres espèces de Babesia. Ce test va également être développé pour une identification d’espèces, étape obligatoire dans les régions où coexistent plusieurs espèces de Babesia.

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