Déviations angulaires et ondes de choc - Le Point Vétérinaire n° 275 du 01/05/2007
Le Point Vétérinaire n° 275 du 01/05/2007

Orthopédie du cheval

Mise à jour

LE POINT SUR…

Auteur(s) : Christian Bussy*, Léo Van de Velde**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire
du Grand Renaud
72650 Saint-Saturnin

La gestion des déviations angulaires est capitale chez le poulain futur athlète. Parmi les traitements possibles, les ondes de choc, utilisées dans cette première étude, semblent prometteuses.

Les déviations angulaires se définissent comme des déviations axiales dans le plan frontal (valgus si la déviation est latérale, varus si elle est médiale) (figure 1).

Ces anomalies sont observées à la naissance ou se mettent en place dès les premières semaines de la vie du poulain, ce sont alors des déviations congénitales (environ 90 % des cas). D’autres déviations surviennent plus tard lors de la croissance, ce sont des déviations acquises.

Importance des déviations angulaires

La gestion des déviations angulaires est particulièrement importante chez les chevaux de course, et surtout chez les pur-sang, qui “passent en vente” vers l’âge de 18 mois. Un défaut d’aplomb est alors pénalisant, voire rédhibitoire. Le cheval commence l’entraînement et réalise ses premières courses, dès l’âge de deux ans, avec des plaques de croissance immatures et une trame osseuse encore fragile. Un défaut d’aplomb, qui ne permet pas une transmission rectiligne des forces exercées lors du galop, est fréquemment à l’origine des fractures observées lors de l’exercice. C’est pourquoi les éleveurs de pur-sang sont vigilants quand ils notent une déviation angulaire chez un jeune poulain.

Ces malformations sont beaucoup moins surveillées chez les trotteurs (car les ventes sont plus tardives) et souvent ignorées chez les chevaux de selle, qui sont exploités alors que leur croissance est le plus souvent terminée. Une grande partie des déformations modérées (angle de déviation de 10° au maximum) observées chez le poulain se corrigent seules lors de la croissance. Le praticien ne doit cependant pas encourager l’éleveur de pur-sang à attendre une correction spontanée de la déviation en raison des enjeux économiques importants dans cette filière. Le suivi vétérinaire, institué dès l’observation de la déformation, doit être rigoureux [5].

Certains auteurs considèrent qu’une correction naturellen’est pas possible au-delà de 15° de déviation [3].

Description des déviations angulaires

Les déviations angulaires sont en général visibles sur les articulations, moins souvent sur les rayons osseux [7]. Valgus et varus sont parfois associés à des rotations du membre.

Les principales régions de déformation sont :

- les épiphyses, les physes, le début de la métaphyse (carpes/boulets antérieurs/boulets postérieurs/ jarrets) ;

- les diaphyses. Les rayons osseux les plus souvent déformés sont les canons, puis plus rarement les radius et les tibias ;

- les os du carpe et du tarse (collapsus).

1. Déviations congénitales

Les déviations congénitales se mettent en place lors du développement intra-utérin (mauvaise position du poulain in utero) ou juste après la naissance, en général pendant le premier mois (dysfonctionnementpartiel de la plaque de croissance) [12].

2. Déviations acquises

Lorsque les déviations sont tardives, il s’agit d’un dysfonctionnement de la plaque de croissance. Le pronostic est sombre. Il existe parfois une cause annexe : kyste osseux, traumatisme chronique sur le membre controlatéral, etc.

Nécessité d’un diagnostic précoce

Le recueil de l’anamnèse et des commémoratifs par le praticien est important : âge du poulain, naissance prématurée ou non, évolution de la déformation depuis la naissance (photo 1).

L’observateur se place face au poulain au repos, puis face à l’axe du membre (figure 2). Il observe le point d’angulation et la rotation éventuellement associée.

L’observation au pas et au trot permet de mettre en évidence les déformations doubles d’un même membre. L’exemple le plus fréquent est l’association valgus/varus du carpe et du boulet, ou d’une même articulation, qui peut induire un aplomb en S (photo 2). Ces déformations, parfois peu visibles au repos, donnent au poulain une démarche asymétrique (le poulain billarde).

La manipulation permet de voir si la déformation peut être corrigée à la main (cas des laxités articulaires) et si la rotation externe du coude améliore significativement la déformation observée au repos. Ce geste reproduit la correction naturelle qui s’effectue quand le poulain grandit et que son thorax se développe. Il s’agit de modifier la rotation externe naturelle du jeune poulain. Un valgus léger a ainsi tendance à se corriger spontanément au cours de la croissance et un varus à s’aggraver.

L’examen radiographique de face, à l’aide d’une cassette assez longue pour bien envisager les rayons osseux, est primordial. Lors de l’exploration, si une déviation du jarret ou une suspicion de collapsus des os du carpe existe, un cliché selon une incidence latérale est réalisé.

Sur les clichés radiographiques, le praticien trace ensuite les axes des rayons osseux et observe le point de croisement des droites. Le pronostic est toujours plus favorable quand le point d’angulation est au-dessus de l’articulation. Si ce point est très bas, il existe souvent un collapsus d’un des os du carpe ou du tarse ; le pronostic est alors réservé pour une carrière sportive.

Traitements utilisés

1. Moyens non invasifs

• L’exercice contrôlé est conseillé pour des déviations inférieures à 8° [5].

• Le repos au box est requis pour les déviations importantes, souvent supérieures à 8 à 10°.

• La mésothérapie (sur le site d’élévation périostée) est une pratique ancienne dont l’efficacité n’a été prouvée par aucune étude clinique.

• La pose de bandage, de plâtres, d’attelles et d’appareillage externe de conformation est aussi utilisée soit à la naissance, soit dans les premières semaines.

2. Maréchalerie

• Le parage de la face externe du pied pour les valgus et de la face interne pour les varus est à renouveler tous les dix jours, jusqu'à correction. Cette technique est intéressante dans les atteintes basses (boulets et phalanges).

• La pose de fers correcteurs, fers collés le plus souvent chez les jeunes poulains (extension en face médiale pour les valgus et en face latérale pour les varus, fer Dalmer), est aussi intéressante pour corriger la rotation du membre.

3. Chirurgie

• L’élévation périostée permet d’accélérer la croissance osseuse du côté concave de la déviation. Elle est réalisée précocement lorsque la plaque de croissance est encore fonctionnelle, le plus souvent avant le troisième mois. L’efficacité de cette technique chirurgicale est controversée, mais elle reste la plus utilisée [1, 13, 15].

• Le pontage de la plaque de croissance permet de retarder la croissance osseuse du côté convexe de la déviation. Il peut se faire à l’aide d’agrafes, avec deux vis associées à un cerclage, ou avec une plaque et des vis. Dernièrement, une simple vis de traction a été utilisée avec succès sur le carpe, le boulet ou le jarret. Ces techniques peuvent être réalisées chez des animaux jusqu'à l’âge d’un an [2, 6, 16].

• La section du rayon osseux, en coin ou en escalieravec pose d’uneplaque, est une procédure lourde et peu employée en pratique courante [3].

4. Ondes de choc

• La mise en œuvre de cette technique chez le poulain est inspirée des observations de Boening. Il a constaté que l’application des ondes de choc chez des poneys induit un retard de croissance temporaire, sans altération de la plaque de croissance de la zone traitée. Les ondes de choc entraînent des microtraumatismes sur l’os, ce qui semble bloquer temporairement la croissance, donc ralentir la croissance osseuse du côté traité (effet comparable au pontage de la plaque de croissance) [4, 8, 9].

• Barthe et coll. décrivent un premier essai clinique à New Market en 2005, durant lequel ils constatent un effet très positif du traitement. Dans cette étude, près de 20 poulains sur 21 ont présenté une correction clinique de leur déformation à la fin du traitement. Le protocole initial de Barthe était de 3 000 chocs à une pression de 3 bars, puis de 1 000chocs à 2,5 bars [4]

Protocole de traitement

1. Préparation du poulain

Lors du premier examen, les poulains sont âgés de 8 à 30 jours.

Après un examen clinique, ils sont tranquillisés avec de la romifidine (Sédivet® : 0,06 mg/kg par voie intraveineuse).

Une radiographie numérique de face de la déviation et, dans certains cas, un cliché de profil sont réalisés. Les axes des rayons osseux sont matérialisés et le degré de l’angle est donné directement par le logiciel (AC3 Philipps).

Les poulains qui présentent une déformation inférieure à 5° ne sont pas traités par des ondes de choc, mais avec un traitement conservateur (exercice contrôlé et maréchalerie).

Pour les autres poulains dont l’examen révèle une déformation angulaire supérieure à 5°, et en l’absence de signes radiologiques d’un collapsus, les ondes de choc sont utilisées.

La zone traitée se situe à la périphérie de la plaque de croissance, du côté convexe de la déviation, sur les sites de pontage de la plaque de croissance (photo 3). La zone concernée est tondue, puis un gel de contact est appliqué.

2. Application des ondes de choc

Équipée depuis janvier 2006 d’un appareil d’ondes de choc de marque Storz (système radial non focalisé équipé d’une tête de 15 mm de diamètre, photo 4), la clinique a appliqué cette technique à des poulains qui présentent des déformations angulaires. Auparavant, ces animaux auraient été traités par une élévation périostée [10, 11, 14].

Le protocole utilisé pour l’application des ondes de choc est un protocole intermédiaire à celui mis en place par Barthe. Le traitement est identique pour tous les poulains, quels que soient leur âge, l’articulation atteinte ou l’importance de la déviation angulaire.

La contention du poulain est assurée classiquement par une seule personne.

Le poulain reçoit 2 000 chocs, d’abord à 2 bars de pression (pour les 200 premiers chocs) puis à 2,5 bars. La percussion qui s’exerce sur l’os est douloureuse pour certains animaux ; l’utilisation d’une pression moindre en début de traitement permet d’éviter une réaction brutale du poulain tranquillisé. La fréquence des ondes de choc est de 10 chocs par seconde.

Le traitement demande en général moins de cinq minutes par articulation. Le poulain repart avec une recommandation d’exercice contrôlé adapté.

Le propriétaire doit le ramener entre huit et dix jours après le traitement, soit pour faire un examen radiographique de contrôle, soit pour renouveler la procédure si la correction obtenue est insuffisante.

Résultats

Certains poulains, qui présentaient une déviation moyenne (entre 5° et 12°), ont été traités sans que soit réalisé un cliché radiographique préalable. Ils n’ont pas été présentés en consultation de contrôle car les propriétaires ont jugé la correction de la déviation suffisante.

C’est pourquoi sur 15 poulains traités, seulement 10 (soit 17 articulations) sont pris en compte (tableau).

1. Commentaires sur les résultats obtenus

L’échantillon de cette étude préliminaire est trop petit pour être statistiquement utilisable, mais l’observation de ces cas permet une première approche de l’efficacité des ondes de choc.

Les poulains sont âgés de moins d’un mois lors de la première visite.

Les articulations traitées sont :

- le carpe (9 traités) (photo 5) ;

- le boulet d’un membre antérieur (5 traités) ;

- le boulet d’un membre postérieur (2 traités) ;

- le jarret (1 traité) (photo 6).

Sur 17 articulations, 13 présentaient un valgus et 4 un varus (photo 7).

Les poulains ont reçu au maximum deux traitements à dix jours d’intervalle.

Des traitements annexes ont été réalisés chez quatre poulains (parage du pied, pose de fer Dalmer), principalement pour corriger des rotations du membre.

Seuls huit poulains sur les 15 traités ont subi un examen radiographique de contrôle alors que la correction peut être visualisée. Certains animaux étaient des cas référés de clientèles éloignées, donc même si l’examen de contrôle a été réalisé, il n’a pas été obligatoirement transmis.

La correction maximale obtenue sur une articulation entre deux traitements (dix jours) est de 11°, la correction minimale de 1°, avec une moyenne de 4° environ. La vitesse de correction observée pour la technique chirurgicale du pontage de la plaque de croissance donne une moyenne comparable [5].

2. Complications et inconvénients observés

Une tranquillisation satisfaisante a parfois été difficile à obtenir chez certains poulains pur-sang avec la romifidine (Sédivet® seule. L’association avec un dérivé morphinique, le tartrate de butorphanol (Torbugesic®, 0,05 mg/kg), semble très efficace. Dans tous les cas, la poulinière est placée près de son poulain pendant la durée du traitement.

Un léger œdème et une douleur ont été constatés chez quelques poulains les jours suivant le traitement. L’œdème s’est résorbé spontanément. Aucune boiterie post-traitement n’a été observée, comme cela a pu l’être dans l’étude de Barthe [4].

Chez certains poulains, la correction de la déviation est faible après une séance. Cela peut s’expliquer par l’activité discontinue de la plaque de croissance. Un traitement appliqué lors d’une phase d’arrêt de croissance a un effet moindre que lors d’une phase active de la plaque [5].

3. Avantages

• Cette procédure ne requiert pas d’anesthésie générale du poulain, ni d’hospitalisation. Le risque infectieux, toujours possible chez un poulain ayant une faible couverture immunitaire, est donc moindre.

• L’avantage économique est certain, même quand plusieurs séances sont nécessaires pour obtenir une correction complète.

• L’avantage cosmétique n’est pas à négliger. À long terme, aucune trace n’existe après traitement, ce qui est particulièrement important pour un yearling de vente.

• Aucune altération de la plaque de croissance, ni decalcification précoce de la plaque ne sont constatées chez les poulains contrôlés. Ces phénomènes ont cependant été observés lors de protocoles expérimentaux chez des animaux de laboratoire [9].

• Les propriétaires ont été très contents des résultats obtenus, et il serait difficile de leur proposer maintenant en première intention une alternative chirurgicale.

Le traitement des déviations angulaires chez le poulain à l’aide d’ondes de choc semble prometteur. Les résultats obtenus lors de cette étude préliminaire correspondent à ceux observés cliniquement en Angleterre par Barthe.

POINTS FORTS

• Les déviations angulaires des jeunes poulains demandent un suivi vétérinaire précoce.

• Après un examen visuel, la prise de clichés radiographiques est nécessaire pour affiner le diagnostic et le pronostic de la déviation.

• Les traitements médicaux et chirurgicaux sont à mettre en place en fonction de la nature de la déviation et de l’âge du poulain.

• Une nouvelle technique de traitement non invasif, décrite depuis 2005, utilise les ondes de choc avec de bons résultats.

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